Bonjour, bonsoir ! Et nous revoici ensemble en haut de page pour le second chapitre que j'ai … ma foi pas mal galéré à écrire, reprendre, réécrire, terminer, relire, etc … J'en suis à un tel point que j'ai l'impression qu'il n'a aucun sens donc il se peut qu'il ait l'air un peu décousu.

Dans tous les cas, j'ai maints câlins à distribuer à toutes les personnes ayant commenté les deux précédents chapitres, ayant follow ou mis cette histoire dans leurs favoris, et qui m'ont fait extrêmement plaisir avec leurs mots soyeux ou juste par leur simple présence. Sachez que je vous lis et que je vous couvre tous d'amour et de grains de blé. *-*

Je devais poster un peu plus tard dans la soirée mais tant qu'à faire, je veux faire une petite surprise à ceux qui ont fait leur rentrée aujourd'hui (s'il y en a parmi vous). En plus je crois que la deuxième partie du final de la saison 3 tombe ce soir, donc … Timing ! (petit edit : on m'a prévenu qu'en fait non. Donc c'est le fail. )

Je me tais et je vous laisse lire ! On se retrouve en bas !


CHAPITRE 2.

Balthazar ne trouva pas le sommeil. Pourtant, il le chercha, en vain. Compter les moutons ne l'aida pas plus que coutume, alors il remua sur sa couche et se leva par dépit, quelques temps après qu'Estel soit lui-même allé profiter de quelques heures de repos. Il prit sa couverture avec lui et, aussi discrètement que possible, rejoignit son ami installé au coin du feu.

Le Nain ne fit aucun commentaire mais lui tendit une tisane. Le pyromancien la dédaigna quelques instants, conscient que son ami avait prévu qu'il se relève. Mais devant l'insistance de son compère, il n'eut d'autre choix que de s'asseoir et de la prendre dans ses mains après s'être stratégiquement emmitouflé.

Il fixa les flammes sans mot dire. Le silence se prolongea entre eux alors qu'ils écoutaient l'activité nocturne de la forêt, guettant malgré eux le moindre petit bruit suspect. Un grognement, le craquement d'une branche, un mouvement dans les buissons autour de leur camp … Tout et n'importe quoi ferait l'affaire. Au plus grand plaisir des veilleurs, cependant, rien ne paraissait s'approcher de leur campement et cela leur conféra rapidement l'illusion d'une relative sécurité.

Le demi-diable coula un regard en direction du Rôdeur couché de l'autre côté du feu, en buvant une gorgée de la tisane de Grunlek. Le liquide dévala sa gorge, lui réchauffa agréablement les entrailles, et il observa encore un peu le visage fermé d'Estel malgré les flammes qui lui coupaient occasionnellement la vue. Une superstition naissait lentement dans son esprit, une légère crainte que l'immobilité de leur guide venait renforcer. Il était probable qu'il ne dorme pas et qu'il feigne un profond sommeil. Balthazar poussa un long soupir et baissa les yeux en silence, ses doigts jouant doucement sur le bord de l'écuelle.

Les deux aventuriers ne dirent rien et écoutèrent la respiration des Hobbits endormis, couchés tout autour du feu de camp. La nuit semblait paisible, bien que froide, et ils restèrent muets pendant une dizaine de minutes. Les pensées du demi-diable s'agitèrent et il finit par totalement relâcher son attention pour s'adonner à quelques errances mentales.

Il fallait dire que la Terre du Milieu l'intriguait beaucoup et était suffisamment différente du Cratère pour qu'il ait très envie de mettre son nez un peu partout ― comme il l'avait justement fait, quitte à égoïstement embarquer le Golem dans des ennuis sans nom. Et puis il y avait des Hobbits. Il n'y avait pas de Hobbits, là d'où ils venaient. C'était nouveau, il avait envie d'en savoir plus. Un peu comme les cavaliers, les « Nazgûls » comme le Rôdeur les avait appelés. Ils faisaient peur, mais ils étaient curieux et dignes d'intérêt.

Il se remémora non sans un frisson de la peur que la nature maléfique des spectres lui avait inspiré. Mais il relativisa bien vite : il était le fils d'un Diable, non ? Alors de qui devrait-il avoir le plus peur ? De son père, véritable démon de son état, capable de ravager des régions entières sur un coup de tête, ou bien de spectres armés de simples épées, même si Estel avait mentionné la possibilité qu'ils soient aussi des sorciers ?

Au final, ça ne changeait pas grand-chose : quelque part, il avait toujours un peu plus peur de son foutu père que de cavaliers d'outre-tombe. Les Neuf étaient certainement très loin d'être tout-puissants. Après tout ils n'étaient que des revenants sous le joug d'une entité prépondérante. C'étaient des genres de fantômes indéniablement forts, certes, capables de répandre la peur en un cri, mais qui avaient obligatoirement des limites. Alors que son pouvoir à lui, Balthazar, ne connaissait que celles de sa raison, de sa morale et, à terme, de sa conscience.

Sauf que la dernière fois qu'il avait décidé d'ignorer ces trois barrières, il s'était réveillé huit mois plus tard. En pagne dans une grange. Avec un morceau de viande saignante dans les mains.

Si le pyromancien avait les capacités de tenir tête aux Nazgûls, qu'en était-il de Grunlek, dans ce cas ? Et de Shin ? Et de Théo ?

« Grun, tu penses pouvoir faire quelque chose contre les cavaliers s'ils attaquaient ? »

La question tomba brusquement, posée sur un timbre peut-être un peu trop sérieux pour la sérénité nocturne. Mais elle était primordiale aux yeux du mage. Il fallait la poser avant de se retrouver dans une situation délicate où il aurait été nécessaire d'en connaître la réponse. Et pendant qu'ils étaient là tous les deux, autant en profiter.

Le Nain abaissa son bol presque vide de tisane, qu'il avait commencé à porter à ses lèvres. Il avisa le regard perçant de son comparse et parut réfléchir à la question.

« Je vais être honnête, Bob : je n'en ai pas la moindre idée. » répondit-il finalement sans trop élever la voix pour ne pas gêner les dormeurs. « Mais je pense que Shin et toi êtes probablement les seuls à pouvoir leur tenir tête efficacement. Théo et moi sommes peut-être trop … physiques pour eux. »

Le demi-diable soudain songeur se frotta la barbichette. Donc c'est lui qui finirait en première ligne en cas d'affrontement. Autant dire que cette idée ne lui plaisait pas énormément, mais ils n'avaient pas d'autre choix. Il n'était pas si difficile de deviner que les Hobbits ne savaient pas se battre : les seules défenses qu'ils avaient à portée de main étaient un Rôdeur dont ils ne savaient rien, un Nain mécanisé et un pyromancien démoniaque. C'était mieux que rien et moins que rien.

La gorge de Balthazar vibra alors qu'un « hmm » pensif résonnait jusque dans son torse et il posa ses yeux jaunes sur les flammes dansantes et, par extension, sur Estel. Peut-être qu'il dormait bien, finalement.

Les minutes devinrent des heures et lorsque les pensées de Balthazar se turent enfin, comme aspirées par le feu de camp qu'il fixait intensément, la fatigue revint l'assaillir. Il se remit donc à somnoler et termina péniblement sa petite écuelle de tisane froide. Ce ne fut que lorsque Grunlek lui fit une remarque qu'il consentit à aller se coucher.


Il fit un rêve pendant ces quelques heures de sommeil. Ce genre de rêve qu'il savait insignifiant mais dont il se souvint à peine au réveil lorsque la main d'Estel le secoua. Il ne manqua pas de grogner après le Rôdeur et ce dernier n'attendit pas qu'il se lève pour regagner sa couche, préférant certainement battre en retraite face à la mauvaise humeur matinale du mage.

Balthazar força sa carcasse à bouger et délia ses muscles engourdis en faisant une brève ronde autour du camp, d'ores et déjà enveloppé dans sa cape de voyage.

S'éloigner un peu lui fit du bien. C'était une sensation étrange que de trouver un peu de tranquillité dans la froideur de la nuit ― qui touchait d'ailleurs à sa fin. Il apprécia la solitude de sa petite promenade et il en profita d'ailleurs pour ratisser les environs, à la recherche de la moindre présence magique. Or, comme il s'y attendait, il n'y avait rien. C'était une bonne nouvelle : ils étaient donc en sécurité, les Nazgûls ne risquaient pas de les trouver. Il en profita alors pour ramasser un peu de bois et revint au bivouac, aussi guai qu'un pinson.

Il compta les Hobbits, supposa que leur guide faisait semblant de dormir et écouta les vagues ronflements du Golem une fois revenu près du feu. Il raviva celui-ci à l'aide d'un petit sort, l'alimenta du combustible qu'il avait trouvé puis attrapa son sac. Il en sortit de quoi s'occuper, un grimoire en l'occurrence, et s'assit à proximité des flammes.

Les heures défilèrent et l'aube pointa le bout de son nez. La nuit se retira avec lenteur et le ciel au-dessus de la forêt s'embrasa progressivement. Les bois s'éveillèrent, de même que le Rôdeur qui, en groggy, alla même jusqu'à marmonner une salutation amicale au pyromancien. Ce dernier referma l'ouvrage qu'il étudiait, le posa sur ses genoux, les deux mains sur la quatrième de couverture avant de répondre tranquillement.

Le Golem émergea une demi-heure plus tard et Balthazar lui offrit gracieusement un petit bol du ragout préparé avec le chevreuil que le Rôdeur avait dépecé la veille. Ce fut au tour des Hobbits de quitter le royaume des songes. Pippin fut étonnamment le premier à les rejoindre, puis Sam, ensuite Merry et, finalement, Frodon.

Deux heures passèrent avant que tous soit bien réveillés et fin prêt à reprendre la route. Le demi-diable invoqua Brasier pour la première fois sous les yeux des petits hommes et ceux-là s'extasièrent devant le phénomène tandis que Grunlek et Grand-Pas chargeaient Bill. La monture élémentaire fut quant à elle tenue de porter les sacs de nourriture, et plus particulièrement celui contenant la viande de chevreuil.

Le voyage reprit. Cette fois le Rôdeur les emmena un peu plus au nord et ils se retrouvèrent bientôt à longer le lac à-travers un semblant de plaine piquetée de très nombreux buissons. Ils en profitèrent pour remplir leurs gourdes, et à raison. Le prochain point d'eau en vue n'était rien d'autre qu'un grand marécage un peu brumeux, qu'ils atteignirent en fin de matinée, juste avant de prendre un repas frugal. En soi, l'itinéraire était intelligent : les cavaliers peineraient à les rattraper à-travers un tel endroit.

Sauf que l'exclamation de dégoût du pyromancien n'échappa ni aux Hobbits ni à Estel quand son pied s'enfonça malencontreusement dans une tourbière. Une boue infâme dormait sous l'eau stagnante. Sa botte s'en décolla dans un affreux bruit de sussions et il pesta à plusieurs reprises. Les plaintes de Merry et Pippin peinant derrière lui eurent cependant raison de son aigreur. Eux étaient pied-nus, ce qui n'était pas son cas. Balthazar les prit tant en pitié qu'il les installa sur le dos de Brasier étant donné que le cheval n'était pas autant chargé que le poney devant eux. Il reprit l'invocation par la bride et continua courageusement son chemin dans cet enfer de moustiques et d'eau sale, puante, dégoûtante, ignoble, innommable, vomitive.

Et pour ne rien arranger, il se mit à pleuvoir en début d'après-midi.

Cette fois le demi-diable ne retint pas sa langue. Il se mit à insulter et maudire à voix basse tout ce qui existait, usant à bon escient ― de son point de vue en tout cas ― de sa vertigineuse connaissance des différents patois du Cratère. Il battit en retraite sous la capuche de sa cape de voyage quand une goutte salvatrice lui rentra sournoisement dans l'œil gauche. Grunlek, Grand-Pas et lui trébuchèrent à de nombreuses reprises et bientôt, ils ne furent bientôt plus que des amas de tissus boueux et trempés, « bons à attraper la crève » selon les dires acerbes du mage d'humeur exécrable.

Traverser cette « saloperie » leur prit tout l'après-midi. Ils en sortirent épuisés, sales et sur les nerfs. Les Hobbits avaient effectué des roulements sur le dos de Brasier, alors ils n'osèrent protester quand le Nain et les deux Hommes prirent la décision de s'arrêter à la sortie du marais lorsque le soir arriva. Un Balthazar fâché attacha ses cheveux crasseux avec un bout de corde qui trainait dans son sac. Il aida toutefois à délester les montures de leurs chargements et alluma un feu avant de s'éclipser sous l'œil inquiet de son ami et celui passablement sombre d'Estel. Il eut également la très juste impression d'effrayer les Hobbits en passant comme une furie à leur niveau. Il en oublia presque de révoquer Brasier.

C'est pourquoi Balthazar prit la sage décision de disparaitre de leur vue à tous pour une grosse partie de la soirée.

Il longea la tourbe où il régnait un silence pesant avant son arrivée. Un silence comme il les détestait, un silence comme celui dans lequel il avait baigné pendant plus de huit mois. Un silence mort. Un silence que les ténèbres venaient consolider à mesure qu'elles enveloppaient la région dans leur manteau. Et peu-à-peu, le demi-diable retrouva son calme.

Après avoir brûlé rageusement les quelques arbustes jalonnant son chemin.

Le mage se tint un moment devant sa dernière victime, les mains croisées dans le dos et les yeux fermés. Il respirait l'odeur que dégageait feu le petit arbre qui s'était tenu là jusqu'à ce qu'il n'arrive et ne décide de sceller son sort sur un coup de tête. Il inspirait et expirait avec lenteur, son visage illuminé par la lueur ondoyante des flammes déchainées. Il ne vit pas la nuit tomber, trop concentré sur les reflets mouvants du brasier sur ses paupières closes. Orange sur noir. Lumière sur obscurité.

Lumière sur obscurité.

Lumière.

Le pyromancien rouvrit brusquement les yeux et leva la tête. Il admira un instant le voile de nuages qui recouvrait le ciel. Puis tenta de percer l'obscurité autour de lui et de son arbuste enflammé.

Et se rendit compte de son erreur.

Voyager discrètement ? Entendu. Alors quoi de mieux que d'allumer l'équivalent d'un phare près de leur campement et sur un espace plat de plus d'une dizaine de kilomètres ? Que pouvait-il donc leur arriver de mauvais, hein ? Se faire repérer ? Quelle idée saugrenue.

Balthazar entendit soudainement un bruit non-loin de lui. Le genre de bruit qui laissait à présager qu'une grosse créature venait de tomber dans un des pièges naturels du marais sur sa gauche. Alors il fit volte-face de manière à avoir les autres arbrisseaux embrasés bien en vue et commença à courir.


Le pyromancien bondit littéralement au milieu du bivouac, le souffle erratique, et surprit tant le Rôdeur installé à proximité du feu qu'il sauta sur ses pieds, l'épée au clair. L'acier luisit tandis que l'arme s'abaissait lentement quand son propriétaire reconnut le nouvel arrivant.

« On a … un problème. » éructa difficilement le mage à court d'air. « Je crois que … que je nous ai fait repérer ... Désolé. »

La colère traversa les iris clairs de leur guide et Balthazar apprécia encore moins l'expression peinte sur les traits altiers d'Estel. Il la détesta à un tel point qu'il souhaita quasiment n'avoir jamais proféré de telles paroles. Or le mal était fait et un silence de plomb s'était abattu sur le groupe tout entier. Le demi-diable, qui commençait d'ailleurs à accuser le contrecoup de sa course, se serait presque attendu à se faire embrocher si le Nain ne s'était pas levé et posté entre eux afin de parer l'éventualité d'un affrontement.

« Vous avez intérêt à me dire que c'est une de vos plaisanteries, Mage. » proféra le Rôdeur menaçant.

« J'ai bien peur qu'il ne soit pas d'humeur à plaisanter, aujourd'hui. » intervint le Golem d'un calme olympien. « S'il s'avère que nous nous sommes réellement fait repérer, nous ferions mieux de nous préparer à une attaque puisque, de toute évidence, nous ne pouvons lever le camp. »

« Et pourquoi pas ? » demanda Balthazar avec un froncement de sourcil.

« Parce que cela voudrait dire qu'il faut abandonner nos montures, nos provisions et notre matériel. » répondit froidement leur guide. « Et ceci n'est pas pensable : il nous reste un peu plus d'une semaine de marche avant d'arriver à Fondcombe. Alors si vous souhaitez réellement voyager le ventre vide, sans rien pour vous protéger et mourir de la main de l'Ennemi, allez-y, et je vous ouvre la route avec un immense plaisir. Au moins vous nous offrirez une chance de charger Bill et de nous enfuir. Ainsi je pourrai enfin parler de vous comme d'une personne nécessaire à cette expédition. »

Le demi-diable, comme Grunlek, ne trouva pas les mots pour répondre. Il était plutôt remarquable de constater qu'Estel n'avait pas haussé la voix pendant sa tirade. En fait, son ton était aussi posé qu'à l'accoutumée, et c'était exactement cela qui rendait le venin de ses paroles plus nocif que tout autre.

Toutefois, ce ne fut pas suffisant pour éveiller complètement la colère pourtant sous-jacente de Balthazar. En fait, il sentit même un peu d'amusement poindre et le titiller.

« Très bien. » finit-il par lâcher. « Battez-vous seul si cela vous chante. Sur ce ― une chance que je n'ai pas sorti mes affaires, n'est-ce pas ? ― je m'en vais. »

« Bob … »

Le demi-diable leur tourna sèchement le dos et chercha son sac du regard. Il le trouva près de celui de Grunlek, tout près du feu, comme s'il n'attendait que lui.

Balthazar s'en empara et, sans un mot ni un regard de plus, s'enfonça dans l'obscurité moite des abords du marais.


Aragorn était troublé.

A la fois par la présence du Nain mais aussi par son absence de réaction face au départ impromptu de son comparse. Grunlek était resté de marbre devant les quatre Hobbits et le Rôdeur. Ils s'étaient attendus à tout. Sauf à ce qu'il reste et ne dise rien.

Le Dúnadan et lui avaient donc veillé toute la nuit, sans interruption, avaient exécutés plusieurs rondes autour du camp. Et effectivement, ils avaient été repérés. Néanmoins, cela avait été un moindre mal : des bêtes valaient toujours mieux que Cavaliers Noirs. Le Rôdeur les avait mis en déroute à l'aide d'une torche et de sa lame. Les créatures avaient filé puis la nuit s'était finalement passée. Or elle n'avait pas été reposante du tout : la crainte que les animaux reviennent avait été leur seule compagne pendant leurs longues heures de veillée et le peu de sommeil qu'ils récoltèrent était hanté par l'angoisse.

Le jour se leva malgré tout sur la petite compagnie et ils purent repartir peu de temps après l'aube. Leur route les ferait cette fois sortir des marais et les conduirait vers des hauteurs balayées par des vents salvateurs, vierges de forêts, où aucune ville n'était bâtie.

Grunlek était toujours là.

Serein. Paisible. Et pas inquiet pour deux sous. Ou bien il le cachait très bien. Aragorn était proprement incapable de lire quoi que ce soit derrière l'expression tranquille du Nain au bras mécanique. Ils reprirent donc leur route comme si rien ne s'était passé. Tout le monde parut d'ailleurs éviter de parler de ce qui s'était déroulé la veille, tant et si bien qu'une drôle d'impression saisit chaque membre de la marche à la gorge. Ce n'était pas clair dans tous les esprits et, pourtant, personne n'osait poser les questions.

« J'espère que nous atteindrons le Mont Venteux pour la tombée de la nuit. » les avait prévenu Aragorn après avoir chargé le poney. « Allons messieurs, pressez-vous. »

L'absence de Brasier se faisait ressentir et les suivait de près. Personne n'osa cependant s'en plaindre. Les Hobbits eurent d'ailleurs la délicatesse de ne pas parler du Mage, même à voix basse, pendant la marche.

Au bout du compte ce fut Aragorn qui prit le Nain en aparté après lui avoir fait signe de le rejoindre en tête de file pendant qu'ils faisaient route à-travers un sous-bois aux arbres rachitiques. Leur progression était ralentie à cause du terrain accidenté : un tapis de feuilles mortes recouvraient le sol et cachait de ce fait rochers et racines. C'était amusant dans un premier lieu. Ca devint rapidement un handicap et l'atmosphère s'alourdit lorsque le Dúnadan trébucha une énième fois par mégarde.

Grunlek le rejoignit donc.

« Il y a un souci ? »

Aragorn fut pris au dépourvu par la question autant que par la branche d'arbre sur son chemin. Son esprit et son pied butèrent de concert. Le Dúnadan se rattrapa bien vite et toussota. Puis :

« Pourquoi êtes-vous toujours là ? »

C'était abrupt. Et quand bien même, cette question le taraudait.

« Parce que cet imbécile a oublié sa couverture. »

Venue de nulle part, la réponse eut pour effet de doucement faire rire le Rôdeur. Cependant, il cessa vite car le visage du Nain ne laissait transparaitre absolument aucune trace d'humour.

« Vraiment ? » s'enquit-il après quelques secondes de silence.

« Vraiment. » rétorqua Grunlek, et il se tourna brièvement et pointa Bill, tiré par Sam.

« Et que dois-je en conclure ? »

« Que s'il ne revient pas pour nous, il reviendra au moins pour ça. »

Aragorn voulait bien y croire.

La journée et leur périple se poursuivirent sans événements notables. Ils dégustèrent rapidement un repas en bordure de plateaux dont ils commencèrent l'ascension après le déjeuner. Le terrain était relativement dégagé mais en dénivelé, alors ils peinèrent à suivre le rythme imposé par le Rôdeur. Le Dúnadan était pressé. Le Mont Venteux n'était probablement pas la cachette idéale mais au moins ils auraient de quoi s'abriter cette nuit. Et puis il n'y avait que ça aux alentours.

Ils atteignirent les ruines de la tour d'Amon Sûl en début de soirée. Il coupa une discussion entre le Nain et les Hobbits sur les différentes manières de cuire la viande de canard pour leur annoncer qu'ils étaient arrivés à ce qui leur servirait d'abri. Sans surprise, les petits hommes gravirent la colline avec beaucoup plus d'entrain, trop heureux d'enfin s'arrêter, manger et se reposer.

Il y eut toutefois un contretemps : Bill ne pouvait pas monter avec eux dans la tour et ils furent forcés de s'installer au pied de celle-ci, sur le flanc sud du monticule, dans une petite cavité taillée à même la roche et au fond de laquelle ils découvrirent un escalier grimpant jusqu'aux hauteurs.

Le Rôdeur s'absenta alors, désireux de patrouiller autour du Mont Venteux, mais leur donna néanmoins de vieilles épées sortit d'on ne sait où ― probablement de ses affaires à lui ― pour se défendre en cas de besoin. Certes l'endroit était propice mais ils n'avaient aucune échappatoire s'ils se faisaient piéger. Il confia donc les Hobbits à Grunlek, qui acquiesça doucement avant de le laisser partir.

Ce n'est qu'en descendant la colline qu'il eut le sentiment dérangeant qu'on l'observait.

Aragorn se retourna, ses bottes crissant contre les cailloux du chemin improvisé.

Juste à temps pour apercevoir le visage préoccupé du Nain au bras d'acier.


Balthazar tira vivement sur les rênes de Brasier. L'animal renâcla, s'arrêtant malgré tout, et laboura la terre de la route à l'aide de ses sabots.

Quelques heures s'étaient écoulées depuis l'arrivée de la nuit. Le pyromancien avait peut-être faim et froid mais il n'avait pas tenu à s'arrêter pour autant, plus au nom de l'entêtement qu'autre chose. Toutefois, depuis le début de la journée, il n'avait croisé aucune âme et il n'y avait aucun panneau pour lui indiquer une ville ou juste un village. Il n'y avait rien. Cette région était tout bonnement vide. Il y avait juste un vent glacial, fort à décorner les bœufs. Et ça soufflait, soufflait, soufflait dans ses oreilles, encore et encore, inlassablement, et ce même s'il avait relevé sa capuche. Dieu que c'était désagréable. Le hurlement des bourrasques couvraient tout le reste, impossible d'entendre quoi que ce soit d'autre. Pire, le vacarme l'empêchait de se reposer.

Il n'avait pas dormi depuis son départ, en premier lieu parce qu'établir un campement en solitaire était une idée aussi saugrenue que dangereuse, surtout si les spectres rôdaient. L'épuisement l'avait si rapidement gagné qu'il avait conjuré sa monture pour voyager au pas, et il avait bien fait : piquer du nez sur une monture lancée au galop aurait put mener à quelques tragiques conséquences. Il dormit peu et mal.

C'était infernal.

Le mage leva les yeux vers les cieux revêtus comme d'un manteau de nuages, troués par endroit. La Lune surgissait de temps en temps de ces ouvertures et brillait aussi longtemps que possible. Puis la tourmente la ravalait toute ronde pour mieux replonger le monde dans le noir. Et quel noir. C'était à se demander comment ce semblant de tempête ne parvenait pas à tout simplement l'emporter ailleurs. Les ténèbres étaient tenaces, imperturbables. Angoissantes lorsqu'on devait les traverser seul. Elles écrasaient le mage et tourmentaient son esprit échauffé. Les flammes de sa monture n'étaient guère suffisantes pour éclairer son chemin, il y voyait sur à peine deux mètres. Et il ne pouvait conjurer la moindre étincelle : le vent l'éteignait systématiquement.

Deux malheureux mètres n'étaient rien quand on se savait entouré d'une vaste étendue de terres sauvages et vides d'activités humaines. N'importe quoi pouvait venir de n'importe quel côté. N'importe quand.

C'était précisément pour ça qu'il avait arrêté sa monture. Il avait cru apercevoir une silhouette loin devant lui pendant une brève sortie de l'astre nocturne. Une forme massive. Ca n'avait pas duré longtemps, ça avait été tout aussi fugace que l'apparition de la Lune. Il ne savait pas ce que c'était, n'avait pas envie de le savoir. Pourtant il savait qu'il allait y être confronté. Lui était comme une luciole, repérable sur une longue distance. Une cible parfaite. La chose, qu'importe ce qu'elle était, avait l'avantage de pouvoir se dissimuler dans l'obscurité. Pas lui.

Le demi-diable était là, statique. Seul. Désarmé. Affamé. Fatigué. Transi.

Juste comme Estel l'avait prédit.

Il sursauta brutalement sur la selle de Brasier à l'instant où sa perception s'affola et que son esprit ― en chœur avec sa partie démoniaque ― lui somma de faire demi-tour. Il était revenu. Balthazar le sentait. C'était juste infect pour lui de constater qu'il y était tout aussi réceptif que les Neuf. Et en parlant des spectres, ceux-ci devaient déjà être sur sa trace.

Le pyromage n'était pas très loin de l'émanation et fut surpris de constater à quel point il avait été lent à voyager. Ou alors c'avait été le Rôdeur qui avait été le plus rapide. Quelle coïncidence adéquate. C'était ironique d'avoir à voler au secours de ce crétin présomptueux auquel il ne voulait justement pas donner raison.

Le mage renifla et ne tergiversa pas plus longtemps. Brasier fit volte-face et, sous l'impulsion de son cavalier, rebroussa chemin à toute allure. Là où Il se trouvait, Grunlek y était aussi. Et juste pour ça, ça valait bien de revenir aider les Hobbits et du Rôdeur.

Balthazar en vint à se dire qu'il courait définitivement à sa ruine alors qu'il se penchait sur l'encolure de l'invocation. La bête filait dans la nuit et sur la route déserte, véritable bolide de flammes bleues, et il s'accrochait aux rênes autant qu'il le pouvait afin de ne pas être expulsé de selle à chaque foulée.

Ils ne tardèrent pas à parvenir en vue d'une colline et s'engagèrent sur le simulacre de sentier caillouteux qui y conduisait. Et à mesure qu'ils s'approchaient, que la Lune se dégageait des nuages, la colère et la peur du mage grandissaient, enflaient. Sur les hauteurs du monticule se dressaient les ruines d'une tour qui, à ne point en douter, devait autrefois être une place forte de la région, pour quelque raison que ce soit. Maintenant, ce n'était plus rien qu'un vieil édifice éventré, aux pierres grises et tristes. C'était abandonné, c'était inhospitalier. Et, pire que tout, c'était un piège : il n'y avait aucune issue. Juste l'esquisse branlante d'un sommet.

Et au sommet, Lui.

Le mage mit pieds à terre et se précipita sans attendre dans la première entrée qu'il vit. Il grimpa rapidement un escalier et déboucha sur une cavité vide. Sur son sol mourraient toujours les braises d'un feu qu'on avait voulu éteindre en hâte, comme en témoignait les cendres éparpillées et les restes d'un repas autour du petit cercle de pierres. Il avisa ensuite l'escalier creusé dans la paroi du fond, fronça brièvement les sourcils mais le gravit malgré tout.

Balthazar déboula au milieu d'un chaos sans nom, composé d'épées abimées et de capes noires, de gants et de bottes de métal. Le tout s'agitait, vivant et mort à la fois, s'incarnait sans être. Il n'y avait pas de mot assez fort pour décrire le sentiment que ces cinq abominations inspirèrent au demi-diable. C'était quelque chose proche de la plus froide des terreurs et la plus brûlante des rages. Peur et colère s'entremêlaient, anarchiques, submergeaient son âme.

Parce que quatre autres silhouettes gisaient sur le sol poussiéreux de la vieille tour : parmi elles, figée comme la statue au pied de laquelle il était étendu, il y avait Grunlek. Le demi-diable ne pouvait pas dire s'il était mort ou vivant.

Quatre des cinq spectres se tournèrent pour lui faire face. Le dernier était penché sur les Dieux savaient quoi ― ou qui. Il mit un peu plus de temps à réagir à l'arrivée inopportune du pyromancien. Toutefois, d'un mouvement unique ils levèrent chacun leur épée et avancèrent. Sur lui. Pour lui.

L'air exhalé par le mage se consuma et des flammes jaillirent de ses narines. Les écailles de son visage s'étendirent, grignotèrent la moindre parcelle de sa peau, aussi affamées que Balthazar l'était en cet instant. Mais sa faim, il l'avait enterrée avec le froid et la fatigue.

Ses mains griffues s'embrasèrent à leur tour. Le vent n'y put rien. Il eut beau souffler, rugir, tenter de dévorer le demi-diable de sa froideur, celui-ci l'avait dépassé.

Balthazar projeta un véritable mur de feu sur les cinq Nazgûls face à lui et le cri qu'il poussa ce faisant n'avait d'ailleurs plus grand-chose d'humain. La fournaise, haute, immense, s'abattit sur les spectres à la manière d'un mythique déluge et se sustenta de leurs capes. Jusqu'alors noires, maintenant dévorées par les flammes et plus lumineuses que jamais, elles exécutèrent un ballet complexe, fou, tandis que leurs porteurs se ruaient à l'extérieur de la tour. La nuit et ses habitants se turent quand ils ourdirent leurs cris de mort et demeurèrent effroyablement muets même lorsque les plaintes déchirantes des Nazgûls se furent évanouies.

La confrontation avait été étonnamment brève, réglée en un coup, une vague qui avait pourtant nécessité une grosse partie de la psyché du pyromancien. Il ne comprit pas pourquoi le combat ne s'était pas prolongé, et n'eut pas l'occasion d'y réfléchir plus longtemps : ses forces déjà moindres le quittèrent définitivement. Faim, froid, épuisement … Tous trois reprirent son corps d'assaut, chacun voulant en clamer la gouvernance. Finalement, Dame Fatigue eut raison de lui. Ses écailles disparurent peu-à-peu, reprirent leur place sur ses pommettes, et ses mains se regarnirent d'ongles simples et humains.

Il le vit malgré sa nausée et sa vue brouillée. Estel. Enfin, il devina que c'était lui. Il voulut l'apostropher, ouvrit d'ailleurs la bouche dans cet objectif. Ne le fit finalement pas. A la place, il recula fébrilement jusqu'au mur le plus proche, celui adjacent aux escaliers dont il avait émergé, et s'appuya contre la pierre.

Les ténèbres le happèrent et il bascula comme une poupée de chiffon.


Voilà donc le second chapitre, qui fait un peu office de transition je l'avoue, et pour lequel j'ai un avis relativement mitigé. Mais s'il vous plait, alors c'est parfait. Dites-moi si c'est le cas, si vous trouvez des choses à redire, si des choses ne sont pas claires.

Amour, palpation de genoux et grains de blé ! A la prochaine fois !