Chapitre posté une semaine à l'avance, vu qu'il ne s'y passe pas grand chose. "Le calme avant la tempête", si je devais le nommer ce chapitre. Petite pause avant que G ne passe à l'action, ahah.

(Harley Cat : Bien sûr que je lis mes reviews, j'y réponds même par message parfois. C'est la moindre des choses. Je te remercie merci énormément pour tes compliments, et je suis heureuse de savoir que ce que j'écris te plaît et t'aide ! Courage !)


Les médecins avaient toujours cette attitude indolente mais néanmoins sérieuse si propre à leur métier. Ils avaient une voix grave - exprimant leur épuisement - et un ton neutre lorsqu'ils parlaient, ou bien, quelques fois, plus énergique. Ils possédaient de grandes mains douces avec de la poigne. Qu'importait l'âge du médecin en question, tous avaient plus ou moins les mêmes mains. Chose que le Don remarqua lorsqu'ils se la serrèrent. L'homme en face de lui avait un visage bienveillant, des yeux ronds et fatigués, un air las. Il semblait impatient de quitter les lieux, quoiqu'intrigué d'avoir mis un pied dans le manoir du Parrain de la mafia la plus influente de l'Underground. Lorsqu'il était arrivé, il avait affirmé que son métier ne consistait pas à s'immiscer dans les affaires de ses clients ou bien à se soucier des activités qu'ils exerçaient. En clair, il ne dévoilerait rien au sujet de cette visite au manoir à quiconque. Supposons que c'était ce que l'on appelait le secret professionnel.

« Je vous remercie, dit G dans un chaleureux sourire. »

Ils se saluèrent. Le Don l'accompagna jusqu'au grand portail de la cour. Le médecin s'engagea dans la rue adjacente. La lumière des belvédères dissipait à peine l'obscurité qui engloutissait New Home. Les bâtiments qui se dressaient dans les rues et dominaient la ville, n'étaient plus que des ombres inquiétantes qui surplombaient les lieux.

Il y a moins d'une heure, Brett et Trent avaient appelé à propos de Mary. Tout s'était déroulé correctement et la femme était saine et sauve, protégée par la mafia jusqu'à ce que les investigations quant au meurtre de son mari prennent fin. Une affaire de réglée. G traversa le couloir, entra dans la chambre à coucher de Kitten. La pièce était peu éclairée, les rideaux à moitié tirés afin que la lumière de l'extérieur ne vienne pas déranger l'occupante.

La femme était hors du lit, appuyée contre la commode, la main sur le front et tentait désespérément de calmer une soudaine migraine. Elle reporta son attention sur lui. Elle arborait une piteuse apparence. Livide, elle était. Mal vêtue, le vêtement qui glissait le long de ses avant-bras. Il laissait apparaître les nombreuses blessures sur ses épaules et la naissance de ses seins. Frisk tremblait et pourtant, elle se tenait debout comme si son état était stable. Malheureusement, il était loin de l'être.

« Tu devrais te reposer, proposa le Parrain d'un ton doux. Tout à l'heure, tu as perdu connaissance. Il te faut du repos désormais.

- Quarante-huit heures, dit-elle. Et je ne me souviens que de quelques fragments. Flous, en plus. Que s'est-il passé, Don G ? Dites-moi.

- Nous en reparlerons plus tard.

- Je sais qu'ils m'ont droguée, je sais qu'ils m'ont violée, lâcha-t-elle, la voix brisée par la haine. Mais ce ne sont que des souvenirs vagues et j'aimerai davantage de détails. J'aimerai savoir ce qu'il s'est passé, exactement. J'estime être suffisamment concernée par cela, Don G. »

Il ne pouvait refuser. C'était son droit. Elle voulait connaître la vérité, elle devait la connaître. Ils s'installèrent donc sur le flanc du lit puis, à contre-cœur, il lui raconta. Il lui raconta tout ce que ses deux hommes de main avaient raconté. Elle avait attentivement écouté, parfois avait acquiescé jusqu'à ce que cela se termine. Elle n'apparaissait pas troublée, seulement songeuse. Qui sait à quoi elle pouvait penser. G aurait voulu lui caresser le dos pour la réconforter, mais il savait qu'elle haïssait être considérée comme quelqu'un de faible psychologiquement. Alors il n'en fit rien.

Le silence devint maître de la pièce. Plus un mot, plus un bruit, aussi minime soit-il. Kitten avait le regard posé sur ses poignets bandés. Elle retira les bandages imbibés de sang, observa les profondes blessures provoquées par les liens. D'un geste minutieux, les doigts de sa main gauche effleurèrent le poignet droit. Elle se perdit dans des pensées lugubres. Les secousses de son corps ne semblaient jamais pouvoir cesser. La drogue faisait encore effet mais elle était là, bien avec lui, comme si elle avait les idées claires. Il était évident que ce n'était pas le cas. Pourtant, elle était assise sur ce lit à converser d'un ton calme malgré les horreurs subites, les blessures, la migraine, la dépression et la fatigue écrasante.

Elle se souvenait de tout, désormais. Kitten commençait à observer chaque blessure de son ventre avec attention. Plus elle voyait d'hématomes, plus elle se refermait sur elle-même. Malgré la proximité, G sentait la femme s'enfermer au cœur de son esprit torturé par une mémoire qui émergeait de sa torpeur.

« Vous savez, débuta le Don pour capter son attention. J'ai connu une jeune femme qui a vécu cela; elle était devenue incapable de s'ouvrir aux autres, de communiquer avec des étrangers dans la rue. Avant cet incident, elle était quelqu'un d'absolument adorable et serviable. Cet incident l'a changé de manière radicale. Cette pauvre femme, j'ai voulu la protéger mais elle vivait dans la crainte perpétuelle et se cachait des autres. Quelques mois plus tard, elle fut de nouveau la victime de cette horreur, à cause de ces mêmes personnes. J'étais abasourdi. (il marqua une pause) C'était avant que je devienne un Parrain, je devais avoir dans les alentours de dix-neuf ans. Je n'avais pas encore connaissance de tout ce que l'on pouvait faire subir à d'autres individus. J'ai essayé de la protéger, mais elle s'est suicidée.

- Vous l'aimiez ?

- Oui, répondit-il. Je ne devais pas me laisser abattre, alors je suis allé de l'avant. Je ne l'avais connu que quelques mois mais je n'ai jamais voulu l'oublier. Pourtant, j'avais ce goût amer du regret. Lorsque je me la remémorais, j'étais saisi d'un grand chagrin... J'ai cru que jamais il ne cesserait. »

G saisit les poignets meurtris de la femme, les posa sur ses cuisses. Il entreprit de boutonner la chemise de celle-ci de façon soignée, afin de la dissuader d'observer davantage ses séquelles. Elle ne fit aucune remarque. Kitten semblait désorientée, comme si elle peinait à se maintenir consciente.

« Je me suis aperçu que cet amour que je lui portais n'était que superficiel. En l'espace de quelques semaines, ce chagrin avait disparu et seuls restaient les souvenirs. Ils me faisaient sourire. Le regret s'était dissipé, comme si j'avais oublié cette femme. (il passa une mèche de ses cheveux derrière son oreille) Peut-être parce que j'aimais une personne plus importante à mes yeux. Cette personne, vous pensez à elle chaque jour, vous ne souhaitez que son bonheur. Durant des années, vous prenez soin d'elle, vous la chérissez. »

Elle demeurait silencieuse, la joue contre la main du Don. Celui-ci la caressa dans un sourire puis la retira.

« Jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Définitivement. Dès lors, vous comprenez réellement ce qu'est le chagrin. Le chagrin ne peut s'éteindre et vous en subissez les conséquences. Vous peinez à vous retrouver, vous devenez l'ombre de vous-même. Malgré tout, vous parvenez à vous attacher à d'autres individus. Ces individus prennent peu à peu de l'importance jusqu'à devenir des membres de votre famille, jusqu'à ce que le désir de les protéger soit plus puissant qu'il ne l'était pour cette personne perdue. »

Kitten respirait bruyamment, plongée dans cette même réflexion qu'il y a quelques minutes. Elle observait ses paumes contusionnées puis reporta son attention sur G. Il arborait une expression bienveillante, rassurante.

« Pour quelle raison me parlez-vous de cela ?

- Ai-je vraiment besoin d'une raison ? dit-il. Il y a des choses inexplicables, certains de mes comportements en font partie intégrante. Maintenant, repose-toi. Même une heure ou deux, qu'importe.

- Je ne peux pas, répondit-elle sèchement. Je dois leur rendre la pareille. Je ne pourrais pas me reposer convenablement tant qu'ils seront en vie, tant qu'il sera en vie. N'y allez pas sans moi, Don G. »

Son regard croisa celui de son Consigliere. Le sien était animé d'une flamme écarlate. Sa pupille devint d'un rouge inquiétant, teinté par la couleur d'une intense Détermination. Son âme dégageait une impressionnante aura, comme si la puissance de celle-ci s'était accrue. Intimidante. Frisk était devenue intimidante, voire effrayante. G ignorait encore l'étendue des pouvoirs d'un humain, mais ces pupilles écarlates devaient être l'avertissement d'un massacre imminent.

« Bien sûr, reprit le Parrain. En revanche, Kitten, je t'en prie repose-toi. Tu n'aboutiras à rien dans ton état actuel. Peut-être veux-tu que je t'apporte un peu de thé ?

- Non, merci. »


Tirée d'un cauchemar, elle eut du mal à revenir à la réalité. Elle sentait les draps chauds, l'oreiller qui soutenait sa tête meurtrie par la migraine. Son corps était endolori, il peinait à se remettre de ce terrible incident dont elle exigeait vengeance. Les blessures, malgré les soins apportés par Don G, persistaient et la douleur redoublait par moment. Si bien qu'elle en devenait insupportable. Son esprit fut confus pendant quelques instants, jusqu'à ce que les souvenirs resurgissent. Ces mauvais souvenirs.

Elle était piégée, les jambes tremblantes et le corps envahi par le poids de la drogue. Malgré la volonté de résister face à ses agresseurs, elle s'écroula sur les pavés. Elle lutta quelques minutes de plus, essayant tant bien que mal de se redresser et de faire face à ses adversaires. Impossible. Sa vision se déforma. Les trois cadavres des hommes qu'elle avait tués étaient étendus au beau milieu de la route, une flaque de sang qui s'était formée sous leurs corps qui se réduisaient en poussière. Les autres monstres vociférèrent des injures et la soulevèrent avec difficulté. L'un d'eux se mit à la rouer de coups. « Enfoiré d'humain de merde ! Tu les as tué ! », hurla-t-il. Assommée par les effets toxiques, elle s'évanouit. Elle fut réveillée par une désagréable sensation. L'esprit embrumé, elle ne parvenait pas à comprendre ce qu'il se passait. Où était-elle ? Frisk se débattit, remarqua qu'elle était prisonnière de liens qui lacéraient la chair de ses poignets. Ils étaient serrés bien trop fort, ils manquaient de couper sa circulation sanguine. Elle ne voyait rien, si ce n'étaient des tâches floues et indistinctes.

Cela faisait des années qu'elle n'avait pas ressenti la panique. Elle sentit un vent frais parcourir sa peau, tandis qu'on lui retirait ses vêtements. Ses vêtements du bas. Elle réagit. Ce n'était pas son cerveau qui lui ordonnait de réagir, mais bien son corps. Il lui ordonnait de se débattre, de trouver un moyen de se libérer. Ses jambes n'avaient pas été liées, alors elle s'en servit. Elle se cambra pour frapper, sentit qu'elle avait touché quelqu'un au niveau du visage. Cet individu se répandit en invectives. Kitten ne comptait pas en rester là, persévéra. Elle frappa, encore et encore. Bientôt, un liquide poisseux s'écoula le long de ses pieds. L'avait-elle tué ? Deux autres vinrent saisir ses jambes afin de les maintenir. La victime de ses coups se pencha sur elle mais n'était qu'une tâche floue. Le monstre se mit à la frapper au niveau du ventre, de la poitrine tout en l'insultant. Une intense douleur la saisit. Cette douleur remontait jusque dans sa gorge, se répandait dans tous les muscles de son corps. Elle ne parvenait pas à crier. Aucun son ne sortait de sa bouche, comme si ses lèvres étaient figées. Son cœur battait si fort dans sa poitrine, qu'elle crut qu'il allait exploser.

Ces individus qui osaient l'humilier de la sorte, elle voulait se ruer sur eux, leur arracher la peau et les os, les réduire en poussière. Elle en était incapable dans son état actuel. C'était à peine si elle avait conscience de ce qu'il lui arrivait. Son corps lui disait de se défendre, de riposter contre les coups de poings que son agresseur lui infligeaient. Quelque chose entre ses cuisses. Des rires, des paroles qui avaient peiné à se détacher des éclats. Frisk sentit son estomac se nouer, des nausées lui prendre la gorge et une sensation qu'elle voulut réprimer. En vain. Dieu, ce qu'elle aurait voulu la réprimer. Les rires redoublèrent. Malheureusement, elle n'avait rien pu faire, en proie à cette infamie. L'immonde créature s'était retirée, la saisit par le col de sa chemise pour la soulever. On lui avait craché au visage, mais elle ne pouvait réagir. Son état s'affaiblit de nouveau. Elle sombra de nouveau dans l'inconscience.

Frisk s'aperçut que la place à ses côtés était vide, que les bras de G ne l'enlaçaient plus. Le Don avait refait correctement le lit, du moins la place qu'il avait occupé. Malgré son corps douloureux, elle parvint à s'extirper du lit. Sa vision devint floue, comme si on lui avait retourné le cerveau. Elle se vêtit, remonta ses cheveux en un chignon minimaliste. Puis, la femme se dirigea jusqu'à la porte de la chambre, se rendit dans le couloir avant de rejoindre le séjour. G s'y trouvait, le téléphone à l'oreille, un cigare dans l'autre main. Il avait le regard posé sur un vase de pivoines rouges qui avaient fière allure.

« Le sang coûte trop cher, dit-il. Je ne veux plus que la Famille soit impliquée là-dedans, je ne veux plus qu'elle soit en danger. »

Il discutait sérieusement mais lorsqu'il vit Kitten, l'expression de son visage s'adoucit. Elle ne fut pas réceptive. Ses pensées étaient polluées par cet homme, Mr Grant. Elle n'avait qu'une seule volonté en tête : le tuer. Le squelette expulsa une bouffée de fumée, mit fin à sa conversation dans une brève salutation.

« Tu t'es assez reposée ? demanda le Parrain. Je t'ai préparé quelque chose. J'ai pris en considération les conseils du médecin. »

Frisk n'avait jamais su comment se comporter face au Don. Il était un homme respectueux, miséricordieux, protecteur et plus soucieux de ses proches que de lui-même. La première fois, Kitten avait été déconcertée de découvrir quel genre de personne il incarnait. Elle avait peiné à lui faire confiance, se disant qu'il allait lui faire un coup bas mais il n'avait rien fait de tel. Il avait pris soin d'elle, comme d'un propre membre de sa famille. Encore aujourd'hui, elle ne s'y était pas toujours pas habituée.

Lorsque l'on vivait dans la pègre, hors de la protection de Don G, l'on s'imaginait un personnage cruel et avide de pouvoir, trouvant un certain plaisir à étendre son joug à travers l'Underground. Depuis qu'elle était entrée dans la Famille, lui ainsi que les membres qui la composaient s'étaient révélés être des personnes avec une éthique, des principes et des valeurs. Ils éprouvaient du mépris envers ceux qui ne respectaient pas les droits fondamentaux de chaque habitant des souterrains, et n'hésitaient pas à les enfreindre afin de rétablir une certaine justice. « Notre justice est erronée. Nous tuons pour l'établir, elle ne peut être véritable. Mais nous restons des monstres, notre désir de vengeance ne pourra jamais s'éteindre. », disait-il. Malheureusement, il n'avait eu d'autres choix. S'il voulait mettre définitivement fin aux problèmes engendrés par un fauteur de troubles, alors il devait le tuer. La mafia devait imposer son autorité. Don G préférait l'argent au sang. Lorsqu'il prenait la décision de tuer quelqu'un, il le faisait à contre-cœur mais ne laissait rien paraître. Sa décision, il l'assumait jusqu'au bout. Il considérait qu'il était souvent trop tard pour les regrets, surtout lorsque le mal était fait. Considération que lui-même peinait à prendre en compte.

Kitten l'admirait. Elle admirait sa sagesse, sa force et ses talents. Tout filait droit avec cet homme, tant son autorité était grande et influente. Malgré tout, il restait une personne douce et aimante, dont les cicatrices du passé n'avaient pas influé sur sa manière d'être. Mais il avait cette fâcheuse tendance à se remettre en question. Sa vision des choses s'était transformée depuis l'assassinat de son cadet, mais il s'était efforcé à croire en une poignée de monstres. Une poignée de monstres qui lui était fidèle et lui vouait une confiance aveugle. « Je ne peux les trahir. N'existe-t-il rien de pire ici-bas que les séquelles psychologiques ? J'ai sûrement tort, mais j'aime penser que j'ai raison sur certains points. C'est prétentieux, n'est-ce pas ? ». Aux yeux de Kitten, cela n'avait rien de prétentieux ou d'égoïste. Ce qu'il pensait, ce qu'il disait... Pour elle, tout s'avérait être une vérité. Peut-être avait-il tort. Qui pouvait le savoir ? Peut-être avait-elle été influencée par cette admiration qu'elle lui portait. Mais qui s'en souciait ?

« Kitten, ne te perds pas dans tes pensées, dit G. Nous réglerons le problème cette après-midi, avant que Mr Grant ne parvienne à prendre la fuite. Même s'il y parvenait, il n'irait pas loin. L'Underground n'a pas une superficie semblable à celle de la Surface.

- Qu'en sera-t-il de Don Dreemurr ? hasarda-t-elle, les bras croisés.

- J'aurai une conversation avec lui une fois tout ceci terminé. Il me comprendra, il me donnera raison. Aucun Parrain digne de ce nom n'accepte que l'on commette un crime envers sa Famille.

- Ai-je déshonoré la Famille ?

- Profite de cette après-midi pour imposer l'image que tu souhaites renvoyer, Kitten. »

Sur ces mots, il lui tendit une cigarette qu'elle refusa. G sourit puis quitta la pièce. Jamais il ne fallait accepter une cigarette de la part du Don. A l'époque, lorsque son cadet était encore en vie, il en fumait tout autant que le cigare. Désormais, il n'en consommait que lorsque la nostalgie le saisissait. Accepter une cigarette revenait à une sorte de trahison. C'était avec ce type de geste qu'il analysait la personne en face de lui, qu'il jugeait si elle était digne de la Famille ou non.