Juste la fin.
C'était juste la fin.
Juste eux trois, trop de souvenirs derrière les paupières, trop de mots oubliés et de promesses égarées. Juste eux trois alors que tout, enfin, semblait rentrer dans l'ordre – cet ordre étrange où la majorité des gens ignoraient les monstres tapies sous leurs lits, et où un groupe de chasseurs bougons leur sauvait les fesses en permanence. Juste eux trois, affalés dans un coin du monde, les corps meurtris et les âmes en peines.
Juste eux trois, comme toujours. Comme ils n'avaient jamais cessés de l'être. Sammy et Dean dés l'instant où John avait fourré le ballotin blanc dans les bras de l'ainé. Cas' comme s'il avait toujours été là, ange silencieux veillant sur eux.
Adossé à la carcasse de Baby, sa tôle noire avachie, abimée, rayée, brillant sous le soleil levant de ce foutu jour, Dean serrait Sam contre lui. Il serrait son petit-frère, Sammy. Il le serrait comme il avait serré cette minuscule chose rose qui l'avait observée de ses trop grands yeux. Il le serrait convulsivement, comme si sa chaleur pouvait encore faire gémir cet enfant grandi trop vite, son petit-frère qui resterait à jamais son bébé, son gosse mal élevé. Comme si sa chaleur atteignait encore cette âme pure dont il n'avait jamais doutée au final, cette âme que le Paradis avait toujours rejetée à tort.
Comme s'il pouvait encore protéger Sammy.
L'amulette coincée entre ses doigts, eux-mêmes crochetés à ceux du gamin qu'il rêvait de pouvoir rouspéter encore une fois à cause de la longueur de ses cheveux, il avait depuis longtemps cessé de pleurer, les yeux perdus dans l'immensité qui s'offrait à lui, sur les vies qui grouillaient quelque part au delà des arbres qu'il entrevoyait. Ces vies qui ne saurait jamais qu'elles pouvaient continuer parce que ce casse-cou de Sam avait fait ce qu'il fallait. Parce qu'ils avaient tout les trois fait ce qu'il fallait. Des vies qui continueraient, insouciantes, longues et pleines de rires, de peines, d'amours non partagés et de mariages. De bambins ingrats et de factures à payées. Des vies qu'ils n'avaient jamais connues. Longues et monotones. Chiantes au possible. Des vies pour lesquelles ils tueraient en l'instant.
Lentement, avec la dernière part de tendresse et de douceur qu'il lui restait, bataillant contre la douleur qui engourdissait ses muscles, il tendit l'autre main. La pulpe de ses doigts crissant sur la terre sèche, tâtonnant à la recherche d'une autre. D'une chaleur rassurante.
Castiel glissa ses doigts dans les siens, enroulant leurs phalanges avec plus de tendresse encore que Dean n'en avait crut possible. Plus encore que toute celle qu'il avait put lire dans les yeux de sa mère. Plus que dans les yeux de Sammy.
Leurs regards se croisèrent alors que Dean se sentait pester intérieurement contre la pointe lancinante qui fit craquer son cou. Contre le morceau froid de tôle qui s'enfonçait dans sa hanche. Contre l'immobilité de ses jambes. Contre l'absence de sensation qui remontait lentement son corps, menaçant ses poumons et son cœur.
Le bleu de Cas' était plus sombre qu'il ne l'avait jamais été. Deux océans calmes, profonds. Gorgés de souvenirs et de tristesses. De trahisons. De mensonges. D'espoir. De tous ces non dits, de tous ces faux semblants. De ce qui avait toujours été évidents pour eux. Qu'importe s'ils ne l'avaient pas mené comme l'avait attendus les autres. S'ils avaient préféré les actions concrètes que les instants seul à seul. Les regards entendus que les baisers torrides.
Juste eux trois, sur une vieille route d'Amérique, les corps couverts de sang et de poussières. Les grâces et les âmes qui s'essoufflent. Leurs doigts crochetés ensembles. Leurs derniers souffles.
Juste eux trois.
Parce qu'il n'y avait jamais rien eu d'autre au fond.
Juste une vieille histoire de famille.
Juste la fin.
