Holé ! J'aurai finalement réussi à publier ce chapitre avant la semaine prochaine \o/ . Il fallait que je le finisse vite parce qu'à partir de demain, je serai à Toulouse pendant une semaine sans Internet et ça m'aurait fait chier de devoir attendre la rentré pour le poster. Bref, j'espère comme toujours que ce chapitre vous plaira. A vrai dire, vos appréciations seront vraiment importantes car ce chapitre est une sorte d'exercice où je tente de nouveaux trucs. De nouvelles formes de narration que je ne suis absolument pas sûr de maîtriser mais qui, je l'espère, sont assez cool pour vous faire passer un bon moment.

Bonne lecture et merci vous tous :)


La vie n'est pas un long fleuve tranquille – Chapitre 2

Shinddha.

Shinddha, tout ira bien maintenant. Laisse-toi guider et souviens-toi. Souviens-toi de ta vie, ce que tu as vécu jusqu'à aujourd'hui.

Raconte-moi.

Oui, Shinddha. Tu te souviens quand tu as fabriqué ta première fronde ? Tu étais vraiment très jeune à l'époque, tes parents s'étaient gravement inquiétés qu'il t'arrive quelque chose. Tu échappais toujours à leur vigilance sans le vouloir et malgré toutes leurs précautions. Tu étais tellement curieux et fugace ! Un autre jour encore, bien des années plus tard, ils t'avaient cherché pendant près d'une journée entière. Tu avais encore disparu et cette fois-ci, ils craignaient un enlèvement par des brigands ou des bêtes sauvages. Mais toi, tu allais très bien, toujours vers l'avant, jamais au même endroit. Tu étais loin, bien loin de la lisière de la forêt où se situait ton village, tu te souviens ?

C'était une petite troupe de villageois qui t'avait retrouvé. Tu appris plus tard que tout le village s'était divisé en petits groupes pour partir à ta recherche. Cela faisait plusieurs heures que personne ne t'avait vu et les alentours pouvaient vite devenir dangereux pour un enfant de cet âge. Tu ne comprenais pas pourquoi tout cet engouement autour de cet empressement à te retrouver et à te surveiller. Tu n'avais rien fait de mal, tu ne faisais que courir au milieu des lapins et des écureuils en te servant de cette nouvelle fronde pour toucher les plus hautes feuilles des plus hautes branches des arbres les plus vieux. Mais ni tes parents ni le reste du village ne comprirent, ne pouvaient comprendre.

Ils m'ont pris ma fronde.

Oui. Comment pouvaient-ils refuser un jouet à un enfant alors que tous les autres pouvaient se battre avec des épées en bois ? Alors tu as commencé à vouloir… te venger. À ta manière. À la manière d'un enfant de dix ans. Tu multipliais les bêtises et bravais les interdits, créant toujours plus de bruit et de chaos. Tu ne voulais pas leur faire de mal, non non, mais tu voulais qu'on te remarque, faire du bruit pour chahuter les voisins, un peu ta mère aussi.

Mais finalement, tu ne pourras le nier, le sang du clan Kory coule dans tes veines. Sa fierté et ses mœurs sont gravées en toi et jamais rien ne pourra te les retirer. Tu avais toute cette force enfouie en toi mais pour l'instant, toi et les autres ne le voyiez pas.

Tu songeais déjà à ce que pourrait ressembler ton futur. Tes racines t'avaient fait aimer la nature et tes parents t'avaient appris à respecter ceux qui l'habitaient. Cependant, tu t'imaginais mal passer toute ta vie à vendre des légumes pour les mêmes visages de mémés qui se bousculaient et se confondaient. L'aventure ? Pourquoi pas mais, malgré ta naturelle solitude, cela signifiait abandonner les siens. Comment gagner et répandre la fierté des Kory si on les abandonne ? Ton cœur était tiraillé et les années n'arrangeaient rien.

Continue. Raconte ce qui est arrivé ensuite. Ce qui a fini par arriver un beau jour.

Un beau jour, quelque chose te décida. Tu ne pensais pas qu'un tel jour puisse arriver, tu te rappelles ? Résigné à accepter et développer ce qu'il a vu de tes talents, ton père t'a offert le plus beau des trésors. Un arc. Ton premier arc.

L'arc de papa.

Tu n'étais même pas un adolescent à l'époque mais le temps du petit garçon toujours puni. D'autres anciens du village étaient d'abord réticents à cette idée mais ils ont vite constaté que c'était ce qu'il y avait de mieux pour toi et pour calmer ta frénésie.

Tu manquais cruellement de pratique. Manier un arc, ce n'était pas la même chose que manier une fronde. Tu te souviens comment tu avais du mal à bander la corde au début ? Mais tu avais du talent. Tu progressais vite et même si tes parents n'étaient pas des experts, ils t'apprirent les bases avec moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Ton père disais souvent que tu étais le diamant brut dont il fallait voir l'éclat pour le tailler. Toi, tu étais rempli de fierté. Bien sûr, tu étais bien trop jeune pour accompagner les chasseurs et chasseuses mais tu commençais à comprendre ce que ton père voulait dire par « unité du clan ». Qu'importe les distances, les mers, les montagnes qui les séparaient, les membres du clan Kory resteraient toujours fiers, toujours frères.

Ton rêve d'aventure semblait plus palpable que jamais. Tu allais devenir en un rien de temps un adolescent fort et digne et tu allais partir voir les merveilles du monde et lui montrer de quoi était fait le sang de ton clan. Tu disais toujours « et dans trois ans, je m'en ira. J'entends le loup et le renard chanter » et les gens s'amusaient en dansant et en chantant autour de toi.

Alors tu es parti. Trois ans plus tard. La vie te tendait la main alors tu lui as saisi le bras. Prêt à en découdre avec elle, à l'enlacer passionnément, à l'embrasser fougueusement. Tu n'étais pas inquiet pour les tiens, ils étaient forts, sages et courageux.

Papa. Maman. Où êtes-vous ? Je ne veux pas grandir. J'ai besoin de vous, restez près de moi. Revenez ! À tout jamais ! Prêts de moi...

On ne manquera de rien, t'avaient-ils dit, on saura se débrouiller, ne t'inquiète pas pour nous ! Et tu les avais crus. Alors tu es parti.

Tu savais que tu reviendrais, ce n'était qu'un premier voyage initiatique. Le premier d'une liste que tu comptais allonger, la première trace que tu allais laisser.

Tu as vu les forêts les plus nobles. Tu as senti les fleurs les plus pures. Tu as écouté les oiseaux les plus mélodieux. Tu as caressé les animaux les plus doux. Tu as goûté les eaux des cascades les plus sauvages. Tu plaignais ces pauvres âmes enfermées dans les villes tout en prenant grand soin de les éviter. Comment pouvaient-elles vivre avec leurs sens ainsi étouffés alors que celui de la vie t'était si apparent ?!

Toi-même qui avait grandi au milieu des arbres, tu n'avais pu approcher si profonds trésors naturels. L'arc de ton père sur le dos, tu découvrais et apprenais la sérénité. Les maisons bleues sur les collines et les gens qui vivaient là semblaient désormais familiers. Ces petits chemins qui sentent la noisette avaient des airs de fêtes et n'avaient plus aucun secret pour toi.

C'était si paisible. Si… tranquille.

Oui, c'est le mot. Tu étais serein. Calme pour la première réelle fois de ta vie. Tu avais l'impression d'avoir résolu un grand déséquilibre intérieur.

Si tranquille et si apaisé que tu t'étais déconnecté de la réalité. Ton voyage avait duré bien plus longtemps que prévu. Tu avais emprunté le chemin du retour, des nuages blancs plein la tête et accompagné de la hâte de raconter aux tiens toutes ces choses que tu avais vues. Qu'il y a-t-il ? Tu t'agites. Tu ne veux pas que je raconte la suite ?

Si. Il le faut. Mais… j'ai peur. Des cauchemars qui reviennent sans cesse.

Je sais, Shinddha. Mais tout est fini maintenant.

Tout est fini… tout est fini…

Tu flânais sur le chemin du retour, songeant à toutes ces créatures magiques et improbables qui devaient sans doute courir à travers tout le Cratère. Tu n'en avais encore jamais vues mais tu comptais bien les chercher une fois que tu seras rentré et que tu auras fini de raconter tout ce que tu avais déjà pu vivre lors de ce simple petit voyage initiatique.

Et puis tu l'as vu.

De loin, tu avais d'abord cru à un mirage, une illusion des plus sombres. Des plus étouffantes. Si étouffante que tes poumons la crachaient et protestaient. Puis plus tu t'approchais, avec frénésie, plus l'air rempli de fumée ne te laissait aucun doute sur le feu que tu avais vu.

Les feux de joie, les artifices, les lampions. Tu connaissais tout ça lors des fêtes propres au clan et à la région. Mais ce jour-là, aucune fête n'était en cours. Aucun lampion, aucun artifice, aucune joie ni aucun de ses feux. Ce qui brûlait, c'était les maisons parmi lesquelles tu avais grandi. C'était les corps des enfants de ton âge que tu côtoyais sans y penser. C'était les squelettes de tes parents, de ta mère qui, finalement, ne te donnera jamais de petite sœur.

Cette vision de cauchemar te frappa, déchira ton âme. Tout était fini. Ta vie, pourtant promise à un destin si bleu, n'était plus que cendres, sang et larmes. Comme ce qui restait des tiens.

Tu ne voulais pas y croire. Tu ne pouvais pas y croire. C'était impossible. Cela ne pouvait arriver ! Les larmes, la fatigue et la fumée dans tes poumons t'envahirent d'un coup et tu t'effondras sur le sol. Finis les rêves. Finies les histoires. Fini l'espoir. La réalité te frappa avec plus de force qu'un marteau de guerre. Tu hurlas alors de toute la puissance de tes poumons d'orphelin de patrie. Tu hurlas d'un cri bestial qui retentit dans tous les alentours. Tu hurlas la fin d'un rêve, d'une enfance, d'une origine. D'une vie.

Puis, dans ce paysage de cauchemar, tu le remarqua. Un drapeau planté fièrement dans une montagne de fruits qui prenait feu. Ta vision était troublée, concentrée sur ce symbole écœurant qui trônait sur tes terres.

Soulevé par tu-ne-sais-quelle-force, ton corps se dirigea lentement vers cet emblème de feu. Tes mains, autrefois d'enfant, saisirent le bâton et ce que tu vis t'acheva. L'emblème des sauvages de la région, des brigands barbares qui avaient décimé les racines qui te donnaient ta force.

La vue brouillée par les cendres et le ciel rougi, tu sentis naître en toi une toute nouvelle force. Ce sentiment qui t'avait soulevé pour saisir cet objet immonde entre tes mains se répandit en toi, tu ne devint plus que vengeance. Vengeance et haine.

Peu importe quand. Peu importe comment. Ceux qui étaient responsables allaient payer. Et tous ceux qui se mettraient en travers de ton chemin, homme, femme ou enfant, le payeraient tout autant !

Un océan me submerge. Mon esprit s'effaçait. Dis-moi… que suis-je devenu ?

Après cet événement, tu as erré. Tes flèches étaient précises, mortelles. Mais ceux que tu traquais avaient la puissance, la résistance et le nombre. Le chasseur devint bientôt le gibier. La proie de bêtes qui ne désiraient que terminer le travail qu'elles avaient commencé.

Plusieurs fois tu avais failli succomber lors d'embuscades contre toi. Des géants contre un enfant. Bien sûr, tu n'étais pas n'importe quel enfant, tu as réussi à en tuer plusieurs. Mais tu avais toujours l'impression qu'à chaque fois qu'un tombait, dix courraient sur tes traces. Blessé, malade, épuisé, ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'ils ne finissent par t'avoir à l'usure.

Ton esprit semblait lui aussi malade, tes jambes ne te portaient que par automatisme. Chaque pas que tu faisais dans cette forêt que tu ne reconnaissais plus était une véritable torture. Les couleurs des environs te paraissaient ternes, comme si elles disparaissaient peu à peu. Comme toi. Tu continuais d'avancer sans vraiment le savoir toi-même. Soudain, tes doigts et tes jambes touchèrent alors quelque chose d'étrange, de volatile. Tu mis plusieurs secondes à réaliser que c'était de l'eau. L'eau d'une rivière qui s'écoulait, pure… innocente ?

Sans trop savoir pourquoi, tu t'accrochais mentalement à cette eau. Comme si elle était la dernière échelle. Celle qui te rattrapera et t'empêchera de tomber dans ce gouffre sans fin.

Quelle erreur.

Cette minute d'inattention te fut fatale. Ils t'avaient retrouvé.

Dans un cri de guerre monstrueux, ils débarquèrent tous des fougères au alentours et tu reçu une flèche qui se planta dans ton flan qui te fit basculer. Ton corps d'enfant s'écroula, sanguinolant et tu sombras dans cette rivière.

Que suis-je devenu ? Raconte ! Ne me laisse pas seul !

Maintenant, je dois te laisser, Shinddha Kory. Il est temps pour moi de partir.

Non ! Ne me laisse pas ! L'eau… l'eau me submerge ! Mes poumons ne sont que feu !

Ce n'est pas ton destin de mourir ici, Shinddha. Tu vivras. Et désormais, ma puissance sera le fluide qui coulera dans tes veines. Ma psyché servira ta cause et ton être servira ma race.

Ne me laisse pas ! Tout est noir ! L'eau écrase mes poumons ! Pourquoi ? Pourquoi tu me laisses maintenant ? Alors toi aussi, tu m'abandonnes ? Pourquoi… pourquoi ? Ma vengeance ne sera donc jamais rassasiée ? Tout est noir, je me sens faible. Suis-je en train de couler ?

Je suis si fatigué.

Suis-je en train de couler ? Ou alors… on me remonte ? Quoi ? Qui est-ce ? Pourquoi ? La lumière, je la vois ! L'air, je peux le sentir dans mes narines ! Je me sens haleter. Une ombre s'approche. Mon sauveur ? Une voix. Une voix douce, féminine.

- Mère ! Grande sœur ! Vite, il est vivant ! Qu'on le ramène au village !