Chapitre 1

- Alors, Sanders, que pensez-vous de Jane Bennet ? Elle est ravissante, n'est-ce pas ?

- Sans doute, oui. Mais j'ai l'impression qu'elle est très orgueilleuse aussi. Avez-vous vu sa façon de se comporter ? Elle sourit à tout le monde, mais ne montre aucun intérêt particulier à qui que ce soit. Elle ne doit pas nous juger digne de son intérêt.

- Dans ce cas, elle risque d'être déçue. Sa beauté ne suffira pas à attirer un prétendant sérieux, surtout si elle les rebute par son attitude. Je l'aurai cru trop gentille pour faire preuve d'un tel dédain envers autrui. Depuis que je l'ai rencontré, je ne l'ai jamais entendue dire du mal de qui que ce soit, contrairement aux autres dames. Beaucoup de jeunes filles célibataires sont jalouses d'elle.

- Je suis sûr qu'elle serait très surprise de l'apprendre. Elle n'en comprendrait sûrement pas la raison.

- Ce n'est pas comme sa sœur. Elle, elle est intelligente et ne cherche pas à le cacher. Elle ne se soucie pas de savoir qu'elle humilie certains messieurs en leur démontrant leur propre sottise. Je crois même qu'elle prend un grand plaisir à se moquer d'eux.

- Avez-vous remarqué Darcy ? Il ne la quitte quasiment jamais des yeux. Et il l'invite à danser à chaque bal.

- Miss Elisabeth n'a pas l'air heureuse de ce fait.

- J'ai l'impression que son intelligence a un défaut car elle ne semble pas comprendre ce qui est évident pour tout le monde. Darcy a décidé de la courtiser.

- Oui. Et miss Bingley et ses pareilles sont folles de rage à cette idée. Avez-vous vu de quelle manière la première dénigre miss Elisabeth.

- Oh ! Nous n'avons rien à craindre. Elle est parfaitement capable de se défendre. L'avez-vous entendue, l'autre jour, se moquer de la couleur de sa robe en lui disant qu'elle ignorait que c'était l'époque du Carnaval. Miss Bingley est devenu presque aussi orange que sa robe.

- Il est évident qu'elle a les goûts vulgaires d'une parvenue et qu'elle ne s'en rend pas compte. Sait-elle que sans l'influence de Darcy, plus personne ne l'inviterait.

- Je crois qu'elle est trop imbue de son importance pour s'en rendre compte.

- Eh bien, elle a au moins découvert, que, pour Mr Darcy, elle ne signifie rien du tout. Ce qui doit être très humiliant pour elle.

- Ce n'est pas quelqu'un d'intéressant.

- En effet. Miss Bennet est peut-être orgueilleuse, mais elle, au moins, ne calomnie pas les autres.

- Et elle ne cherche pas à manipuler ses admirateurs pour s'assurer de son pouvoir sur eux.

Il y eut un bref silence.

- Savez-vous à quoi je pense. Je crois que miss Bennet est peut-être tout simplement timide. C'est pour cela qu'elle ne montre pas ses sentiments en public et qu'elle se montre polie envers tout le monde sans faire de favoritisme. De toute évidence, elle ne veut pas faire croire à un homme qu'elle éprouve quelque chose qui n'existe pas.

- Surtout à un homme dont elle ne connaît pas les intentions. Ce serait un véritable miracle si toutes nos jeunes filles agissaient ainsi.

- Oui, mais il ne faut pas rêver. Savez-vous ce que je crois ? Je pense qu'elle a une préférence pour Bingley, même si elle ne le montre pas ouvertement.

- Mais si elle ne l'encourage pas un peu, elle risque de le voir se détourner d'elle.

- Hélas, oui. Et vous pouvez compter sur ses sœurs pour le détourner d'elle.

- Je ne crois pas qu'il l'écouterait, à moins que Darcy ne soit du même avis.

- Je ne crois pas qu'il prendra le risque de voir miss Elisabeth lui tourner le dos s'il contribue à blesser sa sœur.

- Non. Je pense qu'il pourrait s'arranger pour découvrir ses sentiments afin d'éviter une déception à son ami.

- Miss Bingley sera furieuse. Elle a sans doute compris que Darcy était perdu pour lui. Avez-vous remarqué qu'elle cherche déjà un remplaçant parmi les plus beaux partis ?

- Oui. C'est assez drôle de la voir se faire dédaigner par eux.

- Je plains le malheureux qui aura le courage de l'épouser.

- Moi aussi. En ce qui concerne Darcy, je ne suis pas sûr qu'il se soit rendu compte que miss Elisabeth ne le porte guère dans son cœur.

- Il est tellement habitué à voir les jeunes femmes célibataires lui courir après, qu'il n'imagine pas que l'une d'elles pourrait le dédaigner.

- Il pourrait avoir une surprise.

- Quoi ? Vous ne pensez pas sérieusement que miss Elisabeth pourrait repousser Darcy.

- Elle en est tout à fait capable. Pauvre Darcy. Il ne se rend pas compte que son attitude froide et dédaigneuse repousse les gens.

- Mais il n'est pas ainsi avec elle.

- Je crois qu'elle n'a pas compris. Sans doute leur première rencontre ne s'est pas très bien passé. Bingley m'a dit qu'il avait insulté miss Elisabeth la première fois qu'il l'a vue. Il l'a jugée tolérable, mais pas assez belle pour le tenter.

- Il est évident qu'il a changé d'avis.

- Sans doute. Mais miss Elisabeth l'ignore. De toute évidence, elle doit croire qu'il s'adonne à une sorte de jeu.

- Je dois danser le prochain ensemble avec elle. Je pense que je vais lui dire quelques mots en faveur de Darcy.

- Je ne suis pas sûr que cela fonctionne.

- Si sa sœur est timide, comme je le soupçonne, elle ne pourra pas nier le fait qu'un homme pourrait en souffrir mais ne pas réagir de la même manière. Darcy est un homme honorable. Il mérite d'être heureux et, pour vous dire la vérité, je crois que miss Elisabeth est exactement la femme qu'il lui faut. Sa nature enjouée l'aidera à devenir un peu moins sérieux. Il est trop austère pour son âge.

- Il faut le comprendre. Il a de lourdes responsabilités. Nous avons de la chance d'avoir encore nos pères. Lui doit s'occuper de son domaine et veiller sur l'éducation de sa jeune sœur.

- C'est un lourd fardeau, en effet.

- Il ne faut pas oublier toutes les mères de famille qui cherchent à attirer son attention sur leurs filles.

- Oui. Et lady Catherine de Bourgh qui prétend qu'il est promis à la sienne. C'est à mourir de rire.

- Il y a autre chose. Savez-vous que je l'ai entendue parler de Wickham avec sa sœur, l'autre jour ? En m'excusant de mon indiscrétion, je l'ai interrogée. Le gredin s'est permis de calomnier Darcy dès qu'il a eu le dos tourné, ce qui montre sa lâcheté. Croit-il réellement que Darcy supportera cela très longtemps ?

- Ce gredin aurait dû être envoyé en prison depuis longtemps. Il n'a ni honneur ni principes. Il vole les commerçants, ne paye même pas ses dettes de jeu et déshonore les jeunes filles.

- Miss Elisabeth devrait prendre garde. Elle a des sœurs plus jeunes qu'elle dont deux qui sont fascinées par les hommes en uniforme. Or, Wickham s'est engagé dans la milice, ce qui lui facilite ses projets de séduction. Si Darcy a des intentions sérieuses envers miss Elisabeth, il se pourrait que Wickham cherche à en tirer un profit.

- En épousant l'une des cadettes, peut-être ?

- Sans doute. A moins qu'il ne préfère gâcher les projets de Darcy en déshonorant l'une d'elles.

- Je crois qu'il ne peut pas supporter le fait de n'être que le fils d'un intendant. Quand je pense qu'il a eu la présomption de croire que le père de Darcy allait lui léguer tout ses biens au mépris des droits de son fils !

- C'était vraiment prétentieux de sa part. Darcy a eu raison de le remettre à sa place.

- Mais il a juré de se venger de cette humiliation.

- Oui. C'est une chance que je me sois rendu à Ramsgate et que j'ai vu ce gredin en compagnie de miss Darcy. Ses intentions étaient évidentes.

- Il vaut mieux éviter d'en parler. Il ne faudrait pas nuire à la réputation de miss Darcy.

- Oh, elle ne risque rien. Elle ne l'avait vu que deux fois avant que je ne les voient. Ce n'est pas suffisant pour que Wickham puisse jouer son jeu de séduction. Comme Darcy a été immédiatement averti, il n'y a rien à craindre. Bien sûr, la gouvernante est à blâmer, mais Darcy s'est débarrassé d'elle. Je doute fort qu'elle dise un mot sur le sujet. Sinon, elle risquerait de le payer cher.

- Eh bien, miss Bennet devrait être prévenue du danger que représente Wickham.

- Je l'ai fait. Je lui ai dit tout ce que je savais à son sujet. Elle avait l'air incrédule. Je dois avouer que j'ai été surpris de découvrir qu'elle avait cru tout ce qu'il lui racontait sans autre preuve que sa parole. Et naturellement, il a dit uniquement du mal de Darcy. Je lui ai fait clairement comprendre que Wickham n'était pas digne de confiance et que ses sœurs pourraient être en danger en sa présence. Elle a promis d'avertir qui de droit.

- Wickham sera furieux.

- Peut importe ! Il ne pourra pas accuser Darcy. Je pense qu'un long séjour en prison le remettra à sa place.

- Tant mieux. Il n'aura que ce qu'il mérite !

?

Elisabeth Bennet se réveilla en sursaut. Elle se redressa dans son lit et regarda autour d'elle, effarée, se demandant où elle se trouvait. Il lui fallut un peu de temps pour se rendre compte qu'elle se trouvait dans son lit, à Longbourn.

Quel rêve étrange ! Elle n'arrivait pas à comprendre comment il s'était imposé à son esprit. Tout cela lui paraissait imposable !

L'idée que Mr Darcy pourrait la courtiser était risible. Pourtant, elle devait se rappeler les paroles de Charlotte. Elle était certaine que Mr Darcy l'admirait. Elle-même pensait qu'il la méprisait. Cependant, elle ne possédait aucun argument pour le justifier. Certes, il l'avait dédaignée au bal de Meryton, mais elle se rendit compte qu'il avait dit clairement son peu de goût pour la danse. Et la grossièreté dont sa mère avait fait preuve en lui adressant la parole sans lui avoir été présentée et cela, dans le seul but de le convaincre de l'inviter à danser, n'avait pas dû contribuer à lui donner une bonne opinion d'elle.

Et peu de temps après, Mr Bingley avait tenté de le convaincre d'inviter la même jeune femme. Elle aurait dû se sentir humiliée par ce fait. Pas étonnant qu'elle ait mal jugé Mr Darcy lorsqu'il avait refusé. Après tout, si elle avait été blessée, c'était entièrement de sa faute. Elle n'aurait jamais dû écouter une conversation privée. Elle n'avait eu que ce qu'elle méritait.

Elle réfléchit un long moment et se rendit compte qu'elle ne s'était pas montrée très polie elle-même.

A part lors du bal, il s'était toujours montré polie avec elle chaque fois qu'ils avaient conversé. C'était elle qui s'était montré discourtoise en se montrant à peine polie à son égard. Et comme il devait ignorer qu'elle avait entendu sa remarque désobligeante, il ne devait sans doute pas comprendre la raison de son attitude. A moins qu'il ne l'interprète de travers. C'était tout à fait plausible.

Mr Darcy était-il réellement timide ? Elle se souvint des paroles de Charlotte le lendemain du bal, sur le fait que Mr Darcy était tout à fait agréable en présence de ses intimes. Ce n'était pas impossible. Sur le moment, elle avait trouvé cela absurde. Mais comment aurait-elle pu le savoir ? Mr Darcy était un étranger pour elle. Elle ne savait rien de lui.

Elle se rappela aussi la réaction des matrones lorsque Mr Bingley et ses compagnons étaient entrés dans la salle de bal. Il y avait eu des chuchotements sur leur fortune. Sa mère elle-même avait clamé le montant des revenus de Mr Darcy en croyant chuchoter alors que tous ceux qui l'entouraient l'avaient probablement entendue. Et Mr Darcy était tout près d'elles. Elle avait vu le dégoût dans son regard mais, sur le moment, n'y avait pas prêté attention. Comment avait-elle pu se montrer aussi sotte ?

Elle comprenait qu'il puisse se sentir mal à l'aise à l'idée de se retrouver au milieu de gens assez présomptueux pour croire qu'un homme de son rang pourrait s'intéresser à leurs filles. Elle se rendit compte que c'était la véritable raison du ressentiment de sa mère : le dédain de Mr Darcy pour l'une de ses filles.

Lizzie était certaine que si elle avait eu la moindre chance d'attirer son attention sur une de ses filles, elle aurait fait en sorte qu'il porte son choix sur Lydia. Elle était complètement aveugle à ses défauts. L'idée que Mr Darcy puisse s'intéresser à une fille de quinze ans, sans éducation, mal élevée, totalement ignorante des bonnes manières, était risible. Mais elle savait que sa mère serait incapable de comprendre une telle chose. Elle était dépitée de son dédain pour ses filles et c'était pour cette raison qu'elle se montrait grossière avec lui. Elle allait devoir la mettre en garde. Si elle offensait Mr Darcy, celui-ci serait bien capable d'user de son influence pour convaincre Mr Bingley de s'en aller et cela ruinerait complètement son projet de le marier à Jane. Oui. Il valait mieux qu'elle lui fasse peur en lui faisant comprendre que son attitude pourrait leur coûter cher. Si, en plus, elle pouvait l'obliger à mieux surveiller le comportement de Kitty et de Lydia, ce serait encore mieux. Mais elle ne se faisait pas d'illusions à ce sujet.

Elle devait réfléchir aussi à d'autres parties de son rêve. Il y avait celle qui concernait Mr Wickham. Les deux hommes qui parlaient avaient clairement dit qu'il n'était pas digne de confiance. Sa première réaction était de rejeter un tel argument. Mais elle savait qu'elle ne pouvait pas le faire sans faire preuve de malhonnêteté. Elle ne savait rien de Mr Wickham en dehors de ce qu'il avait dit lui-même. Elle se rendit brusquement compte de l'inconvenance qu'il y avait à ce qu'in parfait étranger se permette de parler de ses affaires personnelles à une inconnue qu'il venait à peine de rencontrer.

Puis, elle se souvint qu'il avait affirmer qu'il ne fuirait pas devant Mr Darcy, que si sa présence le dérangeait, il n'avait qu'à s'en aller lui-même.

Et il y avait autre chose. Mr Wickham avait affirmé qu'il ne dénoncerait pas Mr Darcy par respect pour la mémoire de son parrain. Pourtant, à peine avait-il quitté la région qu'il s'était empressé de répandre l'histoire dans toute la ville. Comment avait-elle pu ne pas voir cette contradiction ? Elle s'était vraiment montrée complètement stupide !

Tout le monde semblait penser qu'il fallait plaindre Mr Wickham à cause de ses malheurs. Cependant, elle se rendit compte qu'il était choquant qu'un homme qui prétendait avoir une vocation pour l'église se permette d'en calomnier un autre publiquement dès qu'il avait le dos tourné. Ce n'était pas un comportement digne d'un gentleman, et encore moins d'un homme d'église. Elle se demanda ce qu'il avait fait au cours des cinq dernières années. Pour se retrouver seulement maintenant dans la milice, c'était assez bizarre.

Elle se rappela brusquement les paroles de Mr Darcy. Il avait dit que Mr Wickham était doué pour se faire des amis, mais pas pour les garder. Qu'est-ce que cela pouvait-il vouloir dire ? Serait-ce en rapport avec le caractère de Mr Wickham ? Ce n'était pas impossible. Et il y avait les paroles de Mr Denny. Il avait dit clairement que Mr Wickham n'était pas venu au bal dans le but d'éviter Mr Darcy. Et il l'avait confirmé, le lendemain en prétendant qu'il craignait un éclat de la part de Mr Darcy. Pourquoi aurait-il fait une chose pareille lors d'un bal donné par un ami, en présence de nombreux invités ? C'était impensable ! Après tout, s'il avait voulu provoquer un scandale, il aurait pu le faire lors de leur rencontre dans la rue de Meryton. Mais non. Il l'avait à peine salué avant de faire demi-tour. Mr Wickham ne cherchait-il pas à cacher sa propre lâcheté ? Aurait-il, d'une manière ou d'une autre, tenté de nuire à un membre de la famille de Mr Darcy ? Cela pourrait expliquer le ressentiment de ce dernier à son encontre.

Et il y avait cette histoire de cure. Elle se demanda s'il était réellement possible de ne pas respecter le contenu d'un testament. Maintenant qu'elle y réfléchissait, cela lui paraissait douteux. Il y avait probablement d'autres personnes qui en connaissaient l'existence. Et il était peu probable que Mr Darcy puisse réellement ne pas tenir compte de son contenu. En fait, le legs de la cure dépendait de la façon dont il avait été fait. D'ailleurs, elle se demandait si Mr Wickham avait été ordonné. Si ce n'était pas le cas, cela expliquait peut-être pourquoi Mr Darcy avait refusé de lui octroyé la cure. Il aurait pris l'argent sans les responsabilités qui vont avec, ce qui aurait été malhonnête. Donc, il devait y avoir d'autres raisons à ce refus. Peut-être que c'était Mr Wickham lui-même qui avait refusé la cure et qu'il avait reçu de l'argent à la place. Dans ce cas, il ne pouvait faire valoir le moindre droit.

Elle se souvint brusquement que, dans son rêve, les deux hommes avaient mentionné un événement concernant la sœur de Mr Darcy. Elle en fut profondément indignée lorsqu'elle comprit ce que cela signifiait. De toute évidence, Mr Wickham avait l'intention de séduire miss Darcy et peut-être de la convaincre de fuguer. Cela lui aurait permis, non seulement de s'approprier sa dot qui devait être considérable, mais aussi de se venger de Mr Darcy en lui faisant du mal. Quel homme méprisable !

Avait-il réellement agi ainsi ? Il avait été question de Ramsgate. Miss Darcy avait dû s'y rendre pendant l'été. Mr Wickham s'y était-il rendu dans le but de piéger miss Darcy avec la complicité de la gouvernante et Mr Darcy était-il arrivé avant qu'il ne soit trop tard, sauvant sa sœur d'un mariage malheureux ? Si cet événement avait eu lieu récemment, il n'était pas surprenant que Mr Darcy ne soit pas heureux de se retrouver à un bal en compagnie d'inconnus tout juste capables de spéculer sur sa fortune et son domaine.

Si un tel événement s'était réellement produit, alors elle pouvait comprendre qu'il devait encore se sentir bouleversé par cet événement.

Pas étonnant qu'il était de mauvaise humeur au bal et peu disposé à danser ou même à se montrer sociable. Si, en plus, il devait supporter les mines de miss Bingley, cela avait dû suffire pour le pousser à être grossier, surtout après la conduite de sa mère. Elle pouvait lui trouver des excuses.

Lizzie repoussa les couvertures. Elle avait décidé d'oublier tout cela pour le moment. Elle s'habilla rapidement et descendit l'escalier pour se rendre dans la salle à manger. Comme il était encore tôt, seul Mr Bennet était présent. Il sourit en voyant sa fille :

- Eh bien, Lizzie, vous sentez-vous en forme pour le bal ?

- Le bal ? répéta-t-elle d'un air perplexe.

Elle n'avait pas connaissance qu'il devait y avoir un bal dans les prochains jours.

- Ce soir, précisa Mr Bennet. Votre mère est très excitée. Vous la connaissez. Elle n'a pas encore vu Mr Bingley et ne sait même pas s'il plaira à Jane, mais elle a décidé de les marier. Et elle fera tout son possible pour atteindre son but.

- Mr Bingley ? Mais…

Elle s'interrompit brusquement. Elle venait de voir la date du jour sur le journal que lisait son père et venait de comprendre que, sans qu'elle sache comment, elle avait fait un retour en arrière de plusieurs mois. Ce qui signifiait qu'elle avait le pouvoir de changer les choses.

Elle ne savait pas comment elle allait s'y prendre, mais elle trouverait un moyen. Elle ferait en sorte que les sœurs de Mr Bingley et Mr Darcy n'aient pas la possibilité de tromper Mr Bingley avec leurs mensonges. Mais elle devait parler à son père. Parviendrait-elle à le convaincre ? Elle l'ignorait. Mais elle devait essayer.

- Pensez-vous que Jane ait une chance de plaire à Mr Bingley, Père ? demanda-t-elle.

- Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible, Lizzie. Votre sœur est douce, aimable, gentille, bien élevée. Il n'y a aucune raison pour qu'un homme ne l'aime pas.

- Sans doute, oui. Mais nous savons, tous les deux, que cela n'aboutira à rien du tout. Vous savez parfaitement que Maman trouvera le moyen de tout gâcher, comme à son habitude.

- Que voulez-vous que je fasse ? Je ne peux pas l'empêcher de bavarder.

- Je croyais que vous étiez son mari. Vous êtes certainement en mesure de lui imposer votre autorité. Mais vous ne vous en donnez pas la peine. Et vous n'avez aucune idée du mal que cela fait à notre famille. Vous ne voulez pas voir la réalité en face.

- De quoi parlez-vous ?

- Ce n'est pas seulement le comportement indécent de Maman qui pose un problème. Il y a aussi celui de Lydia. Je sais que vous mettez cela sur le compte de la sottise, mais c'est un peu trop facile. Je dirais que c'est surtout le fait de votre négligence. Vous n'avez rien fait pour corriger leurs défauts. Et nous allons tous en subir les conséquences. Si vous n'agissez pas très vite, Lydia pourrait détruire notre famille. Que ferez-vous alors ? Vous cacher dans la bibliothèque, comme d'habitude, pour ne pas avoir à vous soucier de ce qui se passe ? Mettrez-vous aussi sur le compte de la sottise le fait que Lydia commence à avoir la réputation de se conduire comme une fille publique ?

Mr Bennet sursauta, choqué par les paroles de sa fille.

- Vous exagérez, Lizzie.

- Vraiment ? Vous n'avez jamais vu Lydia aguicher des hommes, même de parfaits inconnus. Et Maman semble trouver cela tout à fait normal. Notre famille est respectée, pour le moment. Mais cela ne durera pas. Vous n'avez jamais vu comment elle se conduit dans les rues de Meryton. Ce n'est pas de la sottise, c'est un manque évident d'éducation. Lydia est une proie facile pour les séducteurs sans scrupules, ceux qui s'amusent avec les jeunes idiotes avant de les abandonner sans se soucier des conséquences. Que ferez-vous si une telle chose arrivait, Père ? Détestez-vous Lydia au point de vouloir faire sciemment son malheur ?

- Bien sûr que non ! protesta Mr Bennet d'un ton indigné.

- Alors, il est temps que vous imposiez des règles. C'est la même chose pour Kitty et Mary. Vous devriez prendre la peine de leur parler et de voir les défauts de leur éducation. Et cesser de vous moquer constamment de Maman. Un tel manque de respect est indigne d'un gentleman.

- C'est la première fois que vous me dites cela, fit remarquer Mr Bennet, visiblement choqué par les paroles de sa fille.

- J'ai pris conscience, récemment, que j'en étais arrivée à mépriser ma mère et que cela provient de votre manque flagrant de respect à son égard sous mes yeux. Vous ne tenez aucun compte de ses sentiments. Vous auriez pu faire en sorte de mettre de l'argent de côté pour augmenter nos dots et assurer son avenir mais vous n'en avez rien fait. Vous n'avez pas tenté de freiner son goût pour le gaspillage. Nous avons peu de choses pour nous recommander, à part notre réputation. Si nous nous trouvons confrontées au ridicule, que nous restera-t-il ?

Mr Bennet regarda sa fille. De toute évidence, elle était très sérieuse et attendait de lui qu'il se comporte comme un chef de famille digne de ce nom. Il en fut persuadé lorsque Lizzie ajouta :

- Je serais très malheureuse si je devais en arriver à vous mépriser, Papa. Ne me causez pas la douleur de me faire éprouver un tel sentiment.

Mr Bennet n'eut pas le temps de répondre car il entendit un bruit de voix. Mme Bennet et ses autres filles entrèrent bruyamment dans la pièce.

Lizzie réprima un soupir. Elle ne savait pas ce que cette conversation allait donner. Rien du tout, probablement. Elle ne se faisait pas d'illusions. Ce serait sans doute trop difficile pour son père de changer ses habitudes. De plus, elle savait que sa mère ne manquerait pas de se plaindre de tout changement qui ne serait pas à son avantage. Son père saurait-il lui imposer son autorité ? Allait-il tenter de le faire ? Elle n'en était pas certaine.

Elle fut distraite de ses réflexions par le discours de sa mère qui était persuadée que Mr Bingley épouserait Jane. Il ne pouvait en être autrement. Lizzie en était choquée.

- Quoi ? Vous voudriez que Jane épouse un inconnu sans rien connaître de son caractère ni même de ses projets ? N'avez-vous aucun souci de sa réputation pour vous abaisser à faire des commérages à son sujet ? Votre échec avec Mr Harrison ne vous a pas suffit ? Vos discours indécents l'ont tellement indigné qu'il a préféré s'en aller plutôt que de se retrouver apparenté à une femme aussi mal élevée. Recommencez vos vantardises et vous obtiendrez le même résultat ! Et ensuite, vous trouverez le moyen de vous plaindre alors que vous en serez la seule responsable !

Mme Bennet était indignée par les paroles de sa fille.

- Comment pouvez-vous me parler ainsi, Lizzie ? N'avez-vous aucune compassion pour mes pauvres nerfs ?

- Ah oui, vos nerfs ! Ils vous servent toujours d'excuse pour vous plaindre. Vous inventez des maux imaginaires afin d'attirer l'attention sur vous. Et apparemment, cela ne vous dérange pas de traiter Jane comme une simple marchandise que vous êtes prête à vendre au plus offrant ? Vous ne vous souciez pas le moins du monde de ses sentiments. Vous avez décidé qu'elle devait se marier à un homme riche uniquement pour satisfaire votre propre confort et votre goût pour le gaspillage !

- Oh ! Comment pouvez-vous dire de telles horreurs ?

- Lizzie a raison, dit brusquement Mr Bennet en baissant son journal. Je vous rappelle, Mme Bennet, que Jane ne peut pas se marier sans mon consentement, bien qu'elle soit majeure. Je ne tolérerai pas d'entendre vos discours indécents la concernant. Ce n'est pas à vous de décider qui Jane sera susceptible d'épouser, c'est à elle et elle seule. Et pareil pour les autres. Vous ne chercherez pas à l'influencer ou à lui donner vos conseils ridicules sur la façon d'attraper un mari. Si jamais Mr Bingley envisageait de courtiser Jane dans le but d'un mariage, il le fera savoir en temps voulu mais il est hors de question que vous abordiez un tel sujet. M'avez-vous compris ? Désobéissez à mes ordres et vous en subirez les conséquences.

Un silence stupéfait se fit dans la pièce. Lizzie regarda son père, n'en croyant pas ses oreilles. De toute évidence, il avait décidé de tenir compte de ses paroles. Elle espéra qu'il allait continuer dans la bonne direction.

Mme Bennet ouvrit la bouche pour protester mais son mari ne lui en laissa pas le temps :

- Ne perdez pas votre temps à discuter, Mme Bennet. Je vous rappelle que vous m'avez juré obéissance. Je ne suis pas disposé à écouter vos discours. Vous allez obéir à mes ordres et je ne tolérerai pas de discussion, m'avez-vous compris ?

Le ton de Mr Bennet était parfaitement explicite aussi sa femme comprit-elle qu'elle ne gagnerait rien à protester. Lizzie se rendit compte que Mary semblait approuver son père. Ce qui était logique, étant donné sa nature.

Quant à Lydia et à Kitty, elles se regardaient sans rien dire. Sans doute se demandaient-elles si elles n'allaient pas subir le même sort que leur mère. Elles étaient assez égoïstes pour le craindre. Surtout Lydia qui avait été habituée, dès son enfance, à satisfaire tous ses caprices. Elle espérait que le mal pourrait être réparé, même si elle avait des doutes à ce sujet.

Le repas s'acheva dans un silence assez morne. Lorsque Mr Bennet se leva pour regagner sa bibliothèque, il demanda à Mary de l'accompagner. Celle-ci en fut surprise, mais elle obéit sans protester. Lizzie en profita pour s'éclipser. Elle s'était réveillée plus tard que d'habitude, et avait besoin d'aller respirer un bon bol d'air car le bal aurait lieu le soir-même. Elle s'attendait à ce que sa mère sème le chaos lorsque le moment serait venu de se préparer pour le bal.

Naturellement, elle le faisait exprès, mû par le désir d'attirer l'attention sur elle. C'était toujours pareil. Il fallait qu'elle se mette à crier comme si cela allait arranger les choses.

Alors qu'elle se dirigeait vers le Mont Oakham qui était son lieu de promenade favori, elle entendit les aboiements d'un chien, suivi d'un sifflement. Elle vit alors un morceau de bois atterrir à quelques mètres d'elle.

Le chien apparut et se précipita vers lui avant de le saisir entre ses crocs. Puis, il tourna la tête, vit la jeune fille immobile et courut vers elle. abandonnant son bâton à ses pieds, il s'assit et lui offrit la patte. Lizzie ne put s'empêcher de rire devant ce geste amical et la lui serra très gentiment.

C'est alors qu'une voix masculine se fit entendre :

- Où es-tu passé, Casanova ? Viens vite. Il est temps de rentrer.

Le chien se contenta d'aboyer. C'est alors qu'un cavalier fit son apparition. Lizzie leva les yeux et demeura muette de surprise.

C'était Mr Darcy !