Hello !

Nous y voilà... Ce n'est pas en début de chapitre que j'ai envie d'ajouter quoi que ce soit, si ce n'est que je vous souhaite une excellente lecture.

Treizième chapitre, long, mais je pense qu'il en vaut la peine. Je l'espère de tout coeur.

J'espère qu'il vous emportera.

Il n'y avait pas meilleur titre pour lui que cette phrase qui résume non seulement la vie de ce personnage, mais aussi ce couple si charismatique. Il n'y a pas meilleure phrase pour résumer tout un chemin de vie, que l'on se doit tous d'appliquer.

"Life is about more than just surviving."

Bonne lecture :)


« Que fait-on ? » demande Echo, le regard empli d'inquiétude.

Lorsque je stoppe mon cheval en arrivant à leur hauteur, je regarde attentivement les alentours. Des femmes et des enfants sortent alors de leurs maisons, et nous observent curieusement. Que vient faire leur Roi ici, et … Heda ? Heda est en vie ? Voilà ce qui se lit dans chacun de leurs regards. Cette incompréhension, mêlée à la surprise et l'inquiétude de nous voir parmi eux. Nous ne pouvons pas créer un élan de panique, mais nous devons faire vite. Personne ne sait exactement combien de temps nous avons, et autant nous pouvons avoir des jours devant nous, autant tout peut…

Je n'ai pas le temps de finir ma pensée, que le sol se met à légèrement trembler, soulevant au passage quelques petits cailloux, et je dévie donc de suite mon regard vers l'horizon. Je n'y vois rien, et la distance me paraît si énorme que je me demande même comment un danger aussi lointain peut nous atteindre. Comment une chose aussi lointaine peut nous menacer de manière aussi imminente, et pourtant, il me suffit de repenser à l'enseignement de Titus, et à nos origines : à la façon dont la Terre est devenue si hostile, juste avant que Becca PramHeda ne nous permette à nouveau de l'apprivoiser. Ma monture est en train de s'énerver sous mes jambes, et tandis que la population commence à manifester une certaine nervosité, je fais demi-tour, et reviens vers Roan. Les regards tout autour de nous sont subitement submergés d'un élan de panique.

« Heda… » me presse t'il de prendre une décision.

J'inspire profondément, et sens mon corps tout entier se tendre. Nous n'avons pas le temps de rentrer sur Polis. Mais si nous restons ici, dans la peur de ne pas pouvoir parvenir à la capitale sains et saufs, combien de temps allons-nous encore tenir ? Je balaie rapidement des yeux la petite cinquantaine de personnes qui se trouve plus ou moins devant nous, et dont certaines commencent à réellement paniquer, lorsqu'une autre secousse vient ébranler le sol sous nos pieds. Mais que se passe t'il réellement ? Pourquoi la terre se met-elle à trembler comme cela ? Pour la première fois depuis bien longtemps, je dois lutter contre un soudain sentiment de peur qui m'oppresse, pour ainsi garder mon esprit clair, et surtout mon calme qui peut s'avérer salutaire. J'ai un peuple à guider. Je dois trouver une solution, prendre une décision… Et vite. Mais quel réel choix ai-je ? Soit je nous expose au risque de tous mourir en partant pour Polis maintenant, avec cette centrale qui peut à tout moment exploser et tout rafler sur son passage. Soit je nous condamne à nous enfermer dans un bunker, mais qui sait pour combien de temps ? L'air devrait rester respirable en cas d'explosion, nous n'aurions qu'à survivre à cette dernière, qui ne devrait occasionner que des dégâts minimes selon Bellamy, mais je n'en sais pas assez pour savoir si je prends le risque…. J'ai besoin de précisions, et la seule personne qui aurait pu m'en donner se trouve actuellement entre la vie et la mort. Je dois pourtant prendre une décision, immédiatement, et lorsque je relève enfin le regard, je croise ceux de Roan, Echo et Octavia qui m'observent en silence.

« Nous partons pour le bunker. Ne rentrez pas dans les détails, nous devons quitter au plus vite les lieux, c'est tout ce qu'ils ont besoin de savoir… Pour l'instant.» leur annoncé-je, d'une voix grave et forte. « Roan, ce village est bien le seul aux alentours ? Le seul directement menacé ? » lui demandé-je confirmation, alors qu'il acquiesce d'un signe de tête.

Echo et Octavia élancent leurs chevaux pour faire le tour du ledit village, et répandre aussi rapidement que possible la nouvelle et surtout distribuer les ordres. L'agitation et la panique s'emparent subitement de l'atmosphère, et des cris s'en élèvent quand un grondement vient briser le silence qui semble régner au dessus des Plaines abandonnées, se dessinant à l'horizon. Nos regards effrayés se posent alors dans cette direction, et je sens mon cœur se serrer subitement.

« VITE ! » crié-je à Octavia, qui, suivie de quelques personnes, commence déjà à rebrousser chemin vers l'autre côté de la montagne.

Chaque mère tient fermement son enfant par la main, l'entrainant de façon presque violente, aussi vite que possible derrière elle. Chaque homme essaie d'emporter quelques effets personnels avec lui, mais certains en laissent même tomber, préférant finalement ne pas s'encombrer de futilités : juste le strict nécessaire, des armes et leur famille. Echo vient juste de me rejoindre, et de me demander avec inquiétude où est son Roi, alors que maintenant nous devons partir parce que nous n'avons plus le temps. J'ai l'impression que tout s'effondre autour de nous, ne laissant place qu'au chaos. Des images de TonDC complètement détruite viennent obscurcir ma vision, opprimant ma tête et accaparant ainsi mes pensées l'espace de quelques instants. La peur que je lis dans chacun des regards que je croise ne me laisse pas le temps de respirer, parce que je sais que chacun ignore tout de la gravité de la situation bien qu'ils savent désormais tous une chose : ils sont en danger. Comment empêcher un homme d'avoir peur quand une menace inconnue peut attenter à sa vie à tout moment, sans qu'il ne puisse rien y faire ? Je serre les dents et déglutis difficilement, puis observe à nouveau Echo, qui m'aide à guider les hommes derrière Octavia. Puis je regarde derrière moi, aussi inquiète qu'elle, et cherche à apercevoir Roan. Sans succès… Où est-il ? Nous ne sommes pourtant qu'à moins de cinq cent mètres du bunker, mais la route paraît interminable pour cette population apeurée qui coure aussi vite qu'elle le peut. Lorsqu'un petit garçon s'entrave et tombe violemment sur le sol, sa mère stoppe ses pas en s'apercevant que son fils se trouve quelques mètres en arrière, pendant que je saute de cheval et l'aide à se relever. Echo à mes côtés qui maintient mon cheval, toujours plus agité, je repousse le garçon dans les bras de sa mère, qui le saisit fermement et le soulève avant de se remettre à courir. Je m'apprête à remonter à cheval, quand nous entendons un bruit sourd derrière nous. Le visage d'Echo se fige littéralement, tout comme ma main posée sur l'encolure de ma monture, qui ne peut à présent que ressentir son stress. Le ressentir et le comprendre. Mon regard se durcit, et je n'ai pas le temps de me remettre en selle que déjà elle s'élance….

Je sais ce que ce bruit associé à ce nuage de poussière, qui s'élève du flan même de la montagne à une centaine de mètres devant nous, signifie. Je sens mon cœur se serrer, et jette un rapide regard par dessus mon épaule droite, pour vérifier qu'ils sont tous en sécurité. Je sais qu'Octavia les guide, et assurera du mieux qu'elle peut leur sécurité au vu des circonstances. Dans un cri, j'élance mon cheval à la suite de celui d'Echo, et même si je sais que cela peut ne servir à rien, je ne la laisserai pas aller vérifier seule. Je sens ma poitrine se tirer, et ai l'impression qu'on se précipite droit vers un enfer, duquel on pourra peut-être ne pas ressortir vivantes. Lorsque nous arrivons à hauteur de l'origine de ce bruit qui nous a glacé le sang à toutes les deux, je relève mon regard vers le flan de cette montagne si menaçante, pour en voir des débris s'apprêter à tomber. A nous tomber dessus.

« Echo, nous devons faire demi-tour, le terrain va s'effondrer ! » lui ordonné-je en criant, violemment.

Mais elle ne m'écoute pas, et se contente de m'adresser un regard aussi déterminé que peiné. Je n'y vois pourtant aucun affront à mon égard, et je sais que ce n'est pas moi qu'elle défie à cet instant précis. Ce n'est pas contre moi qu'elle se bat mais bien contre cette nature, si forte et imprévisible, qu'au fond elle sait ne pas pouvoir vaincre. Mais elle n'abandonnera pas pour autant.

« ROAN ! » hurlé-je de toutes mes forces, en balayant du regard les environs. « ROAN ! »

Je ne nous laisserai pas mourir ici pour autant, mais je ne peux pas non plus renoncer à tenter de le trouver jusqu'au dernier moment. Mais quand est-ce que nous arriverons réellement au dernier moment ? Qui va le déterminer ? Cet éboulement témoigne bien de notre impuissance et de notre absence de contrôle sur tout ce chaos qui nous entoure, et pourtant, nous sommes deux encore debout au milieu de cette poussière qui encombre et obstrue nos voies respiratoires. Nos chevaux ont du mal à avancer au milieu de ce terrain complètement parsemé de milliers de roches tombées quelques instants plus tôt, et c'est pour cette raison que j'en descends pour continuer à pieds. Echo fait de même, et alors qu'elle se précipite au milieu de ce terrain accidenté, avec cette montagne qui menace toujours de s'effondrer à nouveau, je lui hurle d'un ton sec et autoritaire d'être prudente. Elle comprend à mon regard que je ne nous autorise raisonnablement que quelques minutes de recherches, et que je ne mettrai pas davantage nos vies en danger. Le village que nous avons quitté quelques minutes plus tôt n'est à présent plus, l'avalanche de roches a tout emporté sur son passage, ne laissant aucun espoir de retrouver un quelconque survivant. Au fond de moi, je sais que nous prenons un risque inconsidérable, mais je ne peux lutter contre cet espoir de peut-être retrouver Roan, qui par miracle, ne se serait pas trouvé là. Pourquoi ne nous a t'il pas suivies alors qu'ils avaient TOUS des ordres ? A chaque pas que je fais sur ces rochers, je rage contre le Roi d'Azgeda qui une fois encore m'a désobéi. Soudain, je stoppe mes pas, et inspire profondément tout en me redressant. La roche sur laquelle je me trouve me donne une vue plus dégagée de cet enfer dans lequel nous nous trouvons, me rappelant un peu que malgré sa stabilité, tout peut encore s'écrouler à tout moment sous mes pieds sans que je ne puisse lutter. Nous n'avons aucun contrôle, et rester ici plus longtemps ne sert à rien. Si Roan était là, il est impossible qu'il ait survécu. Tout est détruit, il n'y a plus âme qui vive, hormis Echo et moi.

Pourtant, une petite voix lointaine m'empêche de crier mon ordre de repli à la chef des armées d'Azgeda. Comme un murmure empli de désespoir qui vient délicatement caresser mes oreilles, et je tente sans réellement savoir pourquoi de l'isoler de ce silence morbide qui nous entoure. Comme si ce même silence était le plus bruyant qui soit, je tente de me concentrer sur cette voix. Comme un besoin inexplicable de l'identifier. Pendant ces quelques instants, plus rien d'autre n'existe autour de moi. Je ne vois plus rien, ne sens plus rien, et n'entends que cette voix, ce murmure, juste avant que mes yeux ne se posent sur le flan de cette montagne…

« ECHO ! » lui hurlé-je de toutes mes forces, tout en me précipitant en courant vers elle, qui se trouve à à peine quelques mètres devant moi.

Le sol se remet à trembler dans un grondement assourdissant et mon cœur s'arrête aussi vite que mes jambes me portent dans sa direction. Sans avoir le temps de réfléchir, ni même d'analyser quoi que ce soit, je la vois se retourner et regarder avec effroi cette terre qui s'éboule au dessus de sa tête, pendant que je me jette sur elle pour la plaquer violemment contre une roche qui, peut-être, nous sauvera la vie vu son inclinaison. Nos corps viennent brutalement marteler le sol à quelques mètres de l'endroit initial où elle se trouvait sous la force de mon plaquage. Je pousse un cri de douleur en heurtant mon coude à la réception contre ce que je pense être une pointe d'une roche, et la douleur m'irradie tout le bras pendant que je puise dans mes dernières forces pour le bouger et mettre mes deux mains sur ma tête. Ainsi j'espère la protéger, et la protéger la sienne par la même occasion. Je sens le corps immobile d'Echo contre le mien qui ne bouge pas davantage, et peux presque croire que le ciel se déchire littéralement au dessus de nous, tant le bruit est assourdissant. La tension de nos corps nous paralyse, ou alors peut-être est-ce parce que nous le sommes réellement ? Lorsque je respire à nouveau l'air poussiéreux qui nous entoure, je peux sentir ma cage thoracique se soulever, bien que difficilement, et me tirer sous la violence du choc qui en fait, m'a littéralement coupé le souffle. Mon coude me lance atrocement, et je serre les dents tout en ouvrant à nouveau les yeux et en bougeant les orteils. Histoire de vérifier que cette douleur qui me tiraille ne vient bien que de mon coude, et pas d'une autre partie de mon corps. Puis je prends appui sur mon bras droit pour retirer mon poids de son corps à elle, et je la vois en train de m'observer, le regard empli de peur. Après quelques instants comme cela, elle se passe la main dans les cheveux, pour en retirer du sang dans un grognement. Mais elle sait comme moi que je viens juste de lui sauver la vie. Je me relève, et regarde cette roche qui nous a malgré tout protégées de celle qui a bien failli nous tuer. Je souffle de soulagement, pendant qu'elle est toujours au sol, en train de reprendre petit à petit ses esprits, puis je lui tends rapidement une main. Dans un regard aussi confus que reconnaissant, bien que silencieux, elle la saisit.

« Merci. » me murmure t'elle, alors que j'acquiesce d'un signe de tête, accompagné d'un regard déterminé.

« Nous ne pouvons pas rester plus longtemps. » conclus-je.

Elle sait que j'ai raison, et se résigne à me suivre lorsque je me mets à avancer le plus vite possible au milieu de ce terrain aussi accidenté qu'imprévisible. Les chevaux ont fui bien plus loin, et j'ose espérer que leur instinct de survie les aura guidés et ainsi protégés. Mais cela signifie que nous sommes à présent seules, et que nous devons survivre et nous sauver. Lorsque j'entends Echo trébucher derrière moi, je me retourne et la vois serrer les dents de douleur. Sa jambe en sang l'empêche d'avancer plus vite, et je fais quelques pas en arrière pour la soutenir. Mais avant cela, je jette un rapide coup d'œil à sa cuisse, dont la chair est entaillée sous son pantalon, déchiré lui aussi surement au cours de notre chute. Je lui saisis le bras et l'aide à se hisser sur cette roche par dessus laquelle nous devons passer pour être au maximum en sécurité. Juste après, le terrain est légèrement plus stable, et plat. Lorsqu'elle prend appui sur moi pour en descendre de l'autre côté, elle pousse un cri à la réception, et dans un regard silencieux, je fais preuve de compassion. Le désespoir qui règne en ces lieux ne nous laisse pas d'autre choix que celui d'espérer ensemble nous en sortir, et rejoindre le seul endroit où nous serons en sécurité à quelques centaines de mètres d'ici. Cette traversée sera un douloureux enfer pour Echo, mais elle comme moi savons que c'est aussi notre seule chance de survie, en admettant que cette centrale nous laisse même le temps d'y arriver. Lorsqu'un petit nuage de fumée s'en élève à l'horizon, nous stoppons subitement nos pas pour un court moment, les regards apeurés et le souffle quelque peu coupé. Mais rapidement, nous reprenons nos esprits, et continuons notre marche à travers ces décombres laissés derrière eux par ces éboulements. La montagne donne l'impression de nous hurler sa rage, et pourtant la plus grande peur que nous ressentons ne provient pas de cette géante de la nature, mais bien de l'horreur que nous les hommes, nous lui avons infligée par le passé. Parce qu'une centrale nucléaire n'est pas issue de la nature… Comme un doux revers de médaille… Pendant que nos pieds foulent de manière aussi incertaine que régulière le sol, je relève subitement le regard en entendant un son qui ne m'est pas inconnu. Le regard surpris d'Echo, lorsque je la lâche et me précipite par dessus quelques pierres, est vite remplacé par un de soulagement.

« Roan… » soufflé-je dans un mélange de soulagement et d'inquiétude, lorsque je réalise qu'une de ses jambes est complètement prise au piège sous un ensemble de roches, et une en particulier.

Arrivée à notre niveau, Echo regarde son Roi, dont le visage ensanglanté est crispé par la douleur.

« Mon Roi… » lui murmure t'elle, le regard empli d'inquiétude, quand à son tour elle réalise la gravité de la situation.

Après lui avoir accordé un bref regard, je me relève et tente de dégager sa jambe. Après avoir sorti les petits, je tente de soulever le plus gros rocher qui la bloque toujours. Mais Roan se met à hurler lorsque ce dernier lui retombe dessus parce que je viens de le lâcher. Dans un cri de rage que je contiens pas, je réalise que je ne peux pas le bouger seule. Echo lui pose alors la main sur le torse, et je saisis mon épée, ce qui provoque un élan de panique chez eux lorsqu'ils me regardent la lever au dessus de sa jambe. Mais dans un regard déterminé, je ne leur laisse pas le temps de protester, ni même de me demander ce que je compte en faire, et la plante violemment juste à côté de son genou, avant de l'enfoncer de toutes mes forces. Puis je sors ma deuxième, et fais de même au plus proche de son pied, de l'autre côté de ce rocher, que je ne peux visiblement pas soulever à mains nues. Echo n'ayant pas tous ses appuis à cause de sa jambe blessée, notre seule chance est de se servir de mes armes pour faire levier suffisamment longtemps pour dégager la jambe de Roan. Nous n'aurons qu'une seule chance… Mais je sais qu'Echo le comprend. C'est notre seule et unique chance. Roan doit avoir les os brisés, et…

« Echo… » lui signifié-je d'un signe de tête de se rapprocher, pendant que Roan se tort de douleur. « Nous n'aurons qu'une seule chance. » lui dis-je doucement.

Elle acquiesce, et s'agenouille tant bien que mal, à proximité de sa jambe, prête à la tirer dès que je lui permettrai de le faire. Sans cela, nous n'aurons pas d'autres choix que d'abandonner Roan, et lorsque je croise son regard, je sais déjà qu'il a lui-même pensé à cette éventualité. Mais pas moi… Pas s'il y a une autre solution. Mon regard se pose sur mes deux armes, sur qui tout repose désormais. Puis je les empoigne fermement, et mets toute ma force et mon poids dessus, en forçant sur mes deux épaules d'une manière aussi douloureuse que déterminée. J'en hurle de douleur, et m'agrippe aux poignées de mes épées aussi férocement que possible. Tout se passe en une seconde, une seule petite seconde pendant laquelle j'ai senti la pierre bouger sous le poids de ma rage et de ma détermination. Mais lorsque je relâche, je ne sais malheureusement pas si cette seconde a suffi. Ce n'est que lorsque je serre les dents pour étouffer toute cette douleur et cette tension que j'ai ressenties parcourir chacun de mes muscles, et que je regarde enfin Echo, que je peux de permettre de souffler à nouveau et de laisser tout cela retomber. La jambe de Roan est désormais libre, tout comme son sang qui se répand à présent sur le sol. Echo plonge ses mains sur sa blessure pour essayer de la maintenir fermée, pendant que je m'empresse de déchirer ma manche. Puis je saisis l'une de mes épées et la pose contre sa jambe avant de l'entourer avec le bout de tissu, sous le regard gratifiant et incertain d'Echo. Puis je serre de toutes mes forces sur chaque bout pour comprimer la blessure, avant de refaire un nœud et de serrer à nouveau. Je tente d'arracher de la même manière ma deuxième manche, qui malheureusement résiste plus que la première, alors je demande à Echo de l'entailler, et de finir par m'aider à l'ôter. Elle s'exécute, et m'aide par la suite à bander le bas de la jambe de Roan, afin que l'épée qui sert de stabilisateur tienne solidement en place contre son membre. Puis, sans tarder, nous lui saisissons les bras et l'aidons à se relever, ce qui ne se fait pas sans douleur pour lui. Après avoir passé ses bras autour de nos épaules, et avoir demandé d'un regard silencieux à Echo jusqu'où elle pourrait aller dans son état, compte tenu des centaines de mètres qu'il nous reste encore à parcourir, nous commençons à avancer. Mais avant cela, je retire du sol ma deuxième épée, et la remets sur mon dos. Puis nous essayons d'avancer le plus rapidement possible pour fuir cet enfer qui ne demande qu'à nous engloutir. Je ne fuis pas grande chose dans la vie, je n'ai même jamais fui jusqu'à présent. Je ne fuis pas la mort, je dirai même que je l'embrasse. Mais aujourd'hui, je préfère encore plus embrasser la vie.


Lorsque nous voyons enfin une silhouette se dessiner au loin, un petit sourire incontrôlable se dessine sur mon visage. Quand elle s'approche rapidement de nous, je n'en suis que plus ravie et soulagée, bien que ma raison me rappelle que les portes du bunker devraient être fermées actuellement. Mais Octavia nous attendait, et lorsqu'elle regarde l'état gravissime de Roan, elle marque un temps d'arrêt, juste avant de venir me prêter main forte. Mais je l'arrête et lui demande de remplacer plutôt Echo, qui après une hésitation, lui cède la place. Et c'est ainsi que nous parcourons les derniers mètres, qui, si nous arrivons à les franchir, seront je l'espère salutaires. Octavia n'aurait pas dû ressortir, mais notre dévotion nous porte bien souvent au-delà de notre raison. Je ne peux que le comprendre lorsque je passe enfin la porte du bunker qu'Echo maintient ouverte le temps que nous descendons Roan, qui s'assoit sur les marches de l'escalier dès que possible. Je remonte en direction de la porte, et observe une dernière fois ce ciel qui va perdre dans très peu de temps cette beauté que je lui aime tant. Nous n'avions finalement pas quelques jours. Octavia me rejoint, et je saisis la poignée de cette porte, pendant qu'elle regarde à son tour l'immensité de cette nature qui paraît pourtant bien calme vu d'ici. Le calme avant la tempête...

« Allons-nous survivre, Heda ? » me demande t'elle.

« Nous allons très vite le savoir. » me contenté-je de lui répondre, tout en fermant les portes devant moi.

Pendant que je les verrouille, je ne peux m'empêcher de penser à Mount Weather et à cette vie sous terre que je me refuse d'avoir. Pourtant, je sais que c'est notre seule chance de survie. Mon instinct me dit que nous n'aurions jamais eu le temps de suffisamment nous éloigner, et en l'occurrence de rejoindre Polis. La terre n'a cessé de me démontrer jusqu'à présent que j'ai raison. Nous devons nous éloigner des portes, et finalement, la seule chose qui me rassure quand j'en condamne l'accès pour une durée indéterminée, c'est de savoir que Clarke est à présent à Polis, et que l'avenir de la Coalition est assuré, et entre de bonnes mains. Les seules, si ce n'est les miennes, qui sont capables de la guider, et qui lui permettront de renaitre de ses cendres une bonne fois pour toutes. Cette pensée me fait sourire, parce que malgré tout l'espace d'une seconde, je ne pense pas à la gravité de la situation. Mon seul regret est de ne pas lui avoir dit à quel point je l'aimais avant qu'elle ne parte.

Je descends les quelques marches et observe ces hommes et ces femmes en contre-bas qui attendent patiemment que quelque chose se produise. Quelque chose qu'ils redoutent, qui les terrifie, et qu'ils ne comprennent pas. Lorsque les regards apeurés se relèvent vers moi, je rehausse le mien et tente de leur transmettre toute ma détermination et mon espoir que ces portes se ré-ouvrent rapidement. Je nous pense sincèrement en sécurité, et pendant que tous me témoignent autant de gratitude de les avoir menés ici que d'incertitude quant à la position dans laquelle je nous ai mis, je décide de prendre la parole pour clarifier la situation :

« Je ne sais pas combien de temps nous resterons ici, mais cet endroit est notre seule chance de survie à ce qui se prépare. A ce qui nous guette de manière imminente. » commencé-je d'une voix posée.

« Qu'est-ce qui nous guette, Heda ? » s'empresse de me demander une femme, qui serre contre elle son petit garçon d'une dizaine d'année, que je ne tarde pas à reconnaître.

J'inspire, et les regarde tous un à un.

« Une centrale nucléaire à l'autre bout des plaines abandonnées, qui est sur le point d'exploser. »

Une grande incompréhension s'empare de la pièce, ce qui fait relever le regard d'Echo vers moi. Je ne tarde pas à continuer :

« Nous sommes en sécurité ici, et ne sortirons que lorsque je serai sûre que nous ne craignions rien. Nous rejoindrons Polis à ce moment-là. »

« Mais sans vouloir t'offenser Heda, nous ne voulons pas aller à Polis, nous sommes chez nous ici. » intervient un homme, sans aucune agressivité dans la voix.

« Il n'y aura plus rien ici après. » lui réponds-je, aussi fermement que désolée. « Nous repartirons à Polis pour que votre Roi reçoive les soins nécessaires… »

Lorsque je dis cela, je suis parcourue par un sentiment d'incertitude incontrôlable, me procurant un frisson que je dissimule pourtant à tous. Je ne pense pas réellement ce que je viens de dire, pour la simple et bonne raison que lorsque mon regard se pose sur Roan, allongé et couvert dans un coin de la pièce, je réalise qu'il n'a surement plus beaucoup de temps devant lui. Il a perdu beaucoup trop de sang, et pourtant j'ai envie de croire qu'il possède suffisamment de force pour combattre ce mal qui le ronge, et survivre. Le problème est surtout que nous n'avons rien ici pour le soulager, ni les connaissances médicales de Clarke, ni même de quoi faire des cataplasmes. Nous sommes enfermés sous terre, et je sais au fond de moi que Roan ne reverra peut-être jamais la lueur du jour. Je décide donc d'aller le voir, et ne rajoute rien de plus dans l'immédiat. Echo veille à son chevet, lorsque je vois Octavia revenir avec une aiguille en métal incandescente et un fil de pêche, qu'elle a trouvé je ne sais où.

« Laisse-moi te recoudre. » demande t'elle à Echo.

« Non. »

« Echo… » murmure une voix enrouée, ce qui l'interpelle, et lui fait agrandir, presque à contrecœur, un peu plus le trou de son pantalon.

Roan déglutit difficilement, et pendant qu'Echo s'éloigne avec Octavia, je prends place auprès de lui, et observe son état en silence.

« Je ne vais pas survivre, tu le sais comme moi. » me murmure t'il.

« Tu comptes abandonner si facilement ? » lui réponds-je, comme pour le provoquer.

Je ne lui ai jamais parlé de cette façon. Mais je sais qu'il a raison, et ne compte pas pour autant le lui dire.

« Pourquoi as-tu désobéi ? » lui demandé-je, en reprenant tout mon sérieux.

« Je ne t'ai pas désobéi Heda, je suis juste… » tente t'il de me répondre avant de se tordre sous une douleur qui l'accable, juste avant de continuer péniblement « Je… suis juste reparti en arrière en entendant un homme appeler à l'aide. »

Mon regard s'intensifie.

« Il n'y avait personne d'autre en vie, Roan. »

« Je sais, il a été enseveli sous mes yeux, sans que je ne puisse rien faire, et juste avant qu'une autre avalanche ne s'abatte sur moi. La suite, tu la connais. »

« Repose-toi. » lui dis-je pour clôturer la discussion, avant de commencer à me relever.

Mais sa main saisit mon poignet, ce qui me fait me retourner.

« Azgeda prête allégeance à ta Coalition, Lexa. Alors promets-moi de respecter ta parole, et de les protéger. Promets-moi de ne pas les faire payer pour les crimes de ma mère. »

« Je n'ai rien à te promettre du tout, Roan. » me contenté-je de lui répondre, avant d'ajouter : « Azgeda fait partie de ma Coalition, et ce n'est pas moi qui mettrait en péril cela. Je ne l'ai jamais fait. »

« Je sais. Mais si je ne survis pas… »

Pour toute réponse, je plonge mon regard dans le sien, et partage ses inquiétudes. Puis il regarde Echo, qui sous l'aiguille d'Octavia, serre les dents de douleur.

« Elle est la seule à pouvoir les guider à tes côtés. » me dit-il dans un souffle résolu, et en même temps plein d'espoir.

Je sais ce que Roan cherche à faire. Il cherche à savoir à quel point mon alliance avec Echo peut être stable et durable, compte tenu de notre passé.

« Ce n'est pas elle qui a tué Costia. » murmure t'il.

Lorsqu'il me dit cela, je me retourne vers lui, la gorge serrée et le regard sceptique.

« Kalan l'a fait. Echo n'est pas innocente, aucun de nous ne l'est, mais c'est lui le véritable responsable. Ma mère et lui.» m'avoue t'il dans un demi soupir.

Je sens mon ventre se nouer, et ma respiration se saccader. Chaque muscle de mon visage pourtant impassible jusqu'alors, témoigne maintenant de la peine qui surgit dans mon regard, à l'image de la rage qui m'envahit. Mon poing se resserre, ce qui ne manque pas d'échapper à Roan, malgré son état. L'intensité et la gravité de ses traits me prouvent qu'il ne ment pas. Il ne tente pas d'inventer un mensonge, dans l'espoir vain que j'accorde mon entier pardon à Echo pour avoir torturé et tué Costia, même si ce n'est pas elle la réelle responsable. Non, aussi douloureuse que soit cette révélation, il m'apparaît qu'elle est avant tout le dernier élément d'un passé que j'ignorais jusqu'à présent. La mort de Costia me hante depuis des années, mais c'est aussi parce que j'ignore réellement ce qu'il s'est passé au moment même de sa mort. Nia est et restera pour moi la principale coupable, parce que c'est elle qui a donné l'ordre. Mais j'ai longtemps naïvement pensé que l'ancienne Reine avait donné le coup salutaire, jusqu'à ce qu'Echo avoue l'avoir torturée, ce qui finalement est aussi affreux, si ce n'est plus, qu'une mort soudaine. Là, j'ai réalisé que Nia n'avait pas donné le coup salutaire, mais Echo non plus. Kalan… Je lève les yeux au ciel, essayant d'étouffer mes larmes de colère envers cet homme que je déteste plus que quiconque à cet instant, puis je les dévie vers Echo, de qui je croise alors le regard. Dans cet échange silencieux, je tente d'apercevoir sa rédemption. Je déglutis amèrement, et finis par la voir regarder le sol juste avant de me regarder à nouveau, une once de regret et de remord dans le fond des yeux. La mâchoire serrée, je n'ai qu'une envie : rentrer à Polis, et rendre justice une bonne fois pour toutes à Costia.

« Ta mère était trop lâche pour le faire elle-même. » lâché-je dédaigneusement à Roan.

« Ma mère était beaucoup de choses Lexa, tu le sais aussi bien que moi. Mais… » commence t'il, juste avant de serrer les dents de douleur sous mon regard extrêmement dur, « la Coalition est la voie du changement pour nous tous. Si tu survis à cela, tu pourras finir ce que tu as commencé, et tous les guider sur un chemin beaucoup plus prometteur pour chacun des hommes qui aura pu survivre à tout cela. Chacun a le droit à une seconde chance, je l'ai eue moi-même grâce à toi. Tu auras besoin d'elle pour… Tu auras besoin de quelqu'un de confiance à leur tête, et elle est ton meilleur atout. » continue t'il en la regardant, qui parle à présent avec Octavia.

J'inspire profondément. En me disant cela, je comprends que Roan n'en a plus pour longtemps, et que ce qu'il me demande, c'est mon accord pour la proclamer Reine à sa suite. Après lui, il n'y a plus de sang royal, et je sais qu'Echo est la personne la plus respectée et la plus à même de les diriger. Mais la réelle question, et au fond celle que Roan me pose réellement, c'est de savoir jusqu'à quel point moi je décide de lui accorder ma confiance ? Au point de la placer sur le Trône ?...

« Elle ne te trahira pas. »

« Elle n'en aura pas l'occasion sans que cela ne lui coute la vie, et celle de tout son clan s'il le faut. » lui réponds-je, sans ajouter quoi que ce soit de plus.

Il comprend ma position, et acquiesce d'un signe de tête, que je lui retourne, juste avant de m'éloigner silencieusement. J'emprunte alors le couloir, sans réellement savoir pourquoi. Je n'ai plus envie de penser, et ai juste besoin de faire le vide. Mais lorsque j'arrive à hauteur de cette pièce, je ne peux m'empêcher de m'y arrêter. Sans un mot et sans même un souffle, je fais un pas dedans et me retrouve à nouveau face à ces chaines. Je sens ma gorge se serrer lorsque j'y revois Niylah pendue devant moi, morte. Je me pince les lèvres quand mes plus sombres pensées me rattrapent, parce que même si je sais que ce n'est pas ici que Costia est morte, je ne peux m'empêcher de me demander si sa torture ressemblait à cela, ou si elle était encore pire. Je pose par réflexe mes mains sur mon abdomen, comme pour essayer d'étouffer la douleur, mêlée à la rage que je ressens viscéralement. Le rage de n'avoir rien pu faire. J'ai envie de crier, mais je ne peux pas. J'ai pourtant déjà passé des heures entières à pleurer Costia, mais jusqu'au bout de cette quête pour laquelle elle a donné sa vie, jusqu'au bout, j'aurai toujours été rattrapée par cette douleur incontrôlable, et ces révélations ou ces évènements qui me ramènent de manière irrémédiable vers elle. Je sens alors des larmes couler sur mes joues, et ferme les yeux, pour essayer de reprendre contenance. Je suis seule, dans cette pièce, seule confrontée aux dernières révélations que je viens d'entendre qui mettent ainsi un terme à toutes ces interrogations que j'ai depuis des années concernant les circonstances de sa mort. Ce n'est que lorsque je rouvre à nouveau les yeux que je la vois devant moi. Les mains libres, et le visage ensanglanté, elle est pourtant sereine, et me sourit. Je tends la main et tente désespérément de la toucher, mais je comprends vite que je ne peux pas. Son sourire, toujours aussi radieux que la dernière fois que je l'ai vue, vient alors danser naturellement avec le mien, juste avant que je ne mette ma main qui vient de tenter de la toucher sur mes lèvres, pour essayer de la sentir une dernière fois. Mais lorsqu'elle pose sa main mutilée sur son propre cœur, tout en me regardant avec un amour infini, je sens sa chaleur enivrer le mien, et enfin je peux souffler. Elle est définitivement libre. Je suis définitivement libre de cette ignorance. Maintenant que je sais réellement ce qu'il s'est passé, maintenant que je connais tous les responsables, je suis enfin libre… libre d'avancer, de pardonner et de voir plus loin que cette nuit-là, où elle m'a été enlevée. Mon regard plongé dans la douceur du sien, je le comprends enfin. Sa bonté a toujours guidé ses pas, et son courage a toujours été un exemple pour moi. J'ai toujours tenté d'honorer sa mémoire mais mon ignorance m'a toujours maintenue dans mon propre cauchemar, l'emprisonnant ainsi pendant des années auprès de moi. Je n'ai pas besoin de l'emprisonner pour la savoir à mes côtés dans chaque pas que je fais, et c'est ce qu'elle me fait comprendre à cet instant précis. Maintenant, je vais pouvoir la libérer. Maintenant, je sais. Je suis en train de lui sourire, et de lui dire silencieusement à quel point je l'aime et l'aimerai toujours, lorsque cette douleur qui me consume de l'intérieur à chaque fois que quelqu'un me ramène à elle, s'envole de manière aussi imprévisible que spontanée. D'un coup, je n'ai plus mal, je ne sens plus ce poignard me torturer, et transpercer mon cœur, je ne sens plus cette corde étrangler mes entrailles, je ne sens plus ces mains autour de mon cou m'empêcher de respirer tant ma gorge est comprimée. Je suis là, le regard plongé dans le sien, et je n'ai plus mal. Pour la première fois depuis que je l'ai perdue, je n'ai plus mal. Je pense à elle, je ne pense qu'à elle. Je revois chacun de ses sourires, ressens chacun de ses gestes et chacune de ses caresses, j'entends chacun de ses rires, et n'oublie rien de la douceur de sa voix. J'arrive même à sentir sa main sur ma joue, et je n'ai plus mal. Je déglutis enfin librement. J'ai enfin trouvé mon absolution… Les mots de Clarke me reviennent en tête, et prennent alors une profondeur que je pensais avoir saisie depuis longtemps, mais il me manquait quelque chose… « Life is about more than just surviving » me murmuré-je à moi-même, devant le sourire radieusement heureux de Costia, juste avant qu'elle ne s'estompe sous mes yeux, me laissant là, seule, mais en paix avec moi-même.

Soudain, les murs se mettent à trembler violemment, me tirant de mes pensées, et je me précipite en courant vers la pièce principale dans laquelle chacun des regards est à présent tourné vers cette porte, qui est désormais la seule et unique chose qui nous protège d'une mort certaine. Les enfants crient de peur, et la terreur s'empare de chaque personne présente. Octavia se précipite vers moi, mais je ne bouge pas. Je ne peux rien faire de plus, et je me contente de regarder cette porte comme tout le monde, en espérant qu'elle ne cède pas, et en me disant que finalement, nous n'avions que quelques heures devant nous, et non quelques jours. Mais au moins, dans l'immédiat, nous sommes tous en vie… ou presque. Quoi qu'il arrive, je suis prête à l'affronter, et à l'accepter.


Cela fait maintenant déjà deux jours que nous sommes bloqués sous terre, et l'état de Roan ne cesse de se dégrader. La vie ici s'est organisée autour du peu de moyens dont nous disposons, mais qui nous ont au moins permis de survivre ces dernières quarante-huit heures. Les portes n'ont pas cédé, alors hors de question que nous ne cédions à une quelconque panique. Fort heureusement, chacun a su trouver en lui la force d'affronter cette vie ici-bas du mieux qu'il le peut, en attendant patiemment de pouvoir à nouveau espérer affronter la nouvelle vie qui va s'offrir à nous au dehors. Je regarde, comme à peu près la plupart de mon temps ces deux derniers jours, ces portes en me demandant quand est-ce que nous pourrons les franchir sans risques. Et à vrai dire, je n'en sais strictement rien. Personne n'a pu me dire si je pourrai ouvrir ces foutues portes, qui ont été salutaires, sous quelques jours ou quelques mois. Le regard dur et pensif, je n'envisage pas cette deuxième solution, et l'état de Roan, qui arrive désormais à peine à respirer, me le rappelle drastiquement. Quand il tente de tousser sans y parvenir parce qu'il est à bout de force, je décide qu'il est temps. Temps de savoir réellement ce qu'il en est dehors, même si je n'ai pas vraiment l'espoir de trouver quoi que ce soit qui ait survécu à cette explosion. Je veux au moins savoir si l'air est respirable, c'est tout ce qui m'importe, et si cela est le cas, nous pouvons partir dès lors pour Polis. Echo s'approche à son tour de moi, mais je ne lui laisse pas l'opportunité d'ouvrir la bouche, peu importe ce qu'elle a à me dire, avant de saisir une épaisse couverture en silence, et de me diriger vers la porte, sous les regards affolés de mon peuple. Non, ils ne sont pas prêts à vivre sous terre comme des rats, mais après de multiples discussions, ils connaissent aussi les risques. Si l'air est irrespirable, nous pouvons tous mourir. Pourtant, aucun ne tente de m'arrêter, et lorsque j'ordonne à ce que toutes les couvertures soient réquisitionnées et apportées ici, tout le monde obéit.

« Laisse-moi y aller, Heda. » me demande Octavia, pendant que je m'entoure la figure.

« Non. »

« Pourquoi ? »

« Echo ! » l'appelé-je, alors qu'elle quitte le chevet de Roan pour nous rejoindre sur les plus hautes marches. « Je veux que vous refermiez cette porte dès que je suis sortie, en la condamnant. Est-ce que c'est bien clair ? » leur ordonné-je, pendant qu'elles acquiescent, leurs regards aussi graves que le mien. « Que tout le monde se couvre le visage et s'éloigne de la porte ! » haussé-je la voix.

« Comment vas-tu savoir si l'air est réellement respirable ? » s'inquiète Octavia, dont l'expression trahit son incompréhension.

« Mon sang me protège davantage que le vôtre, mais je ne suis pas immortelle. Je ne vais pas envoyer l'une d'entre vous qui va mourir en quelques minutes à peine, alors que moi j'aurai une chance de survivre, et de ne pas suffoquer de suite. Ce qui me laisse une chance de survie supérieure à la vôtre, et une vraie chance de savoir si l'air est respirable pour vous. Alors n'ouvrez cette porte que si je vous demande de le faire. Je vais revenir. Mais en attendant, protégez notre peuple. » leur demandé-je dans une détermination sans faille.

Lorsque je leur accorde un dernier regard, je décide de placer en Echo la même confiance qu'en Octavia, pour faire preuve de bon sens, et comme une énième façon de réellement me prouver que dans l'intérêt de tous ici, elle a bel et bien dépassé ce passé de haine comme elle me laisse l'espérer depuis qu'elle s'est agenouillée de son plein gré devant moi. Je leur adresse un signe de tête, et soulève enfin le crochet qui déverrouille ces portes.

A peine ai-je passé aussi rapidement que possible l'ouverture, qu'elles se referment derrière moi dans un grincement qui résonne de manière disproportionnée. Et pour cause… L'autre je regarde autour de moi, je ne vois qu'une nature morte, complètement ravagée comme si un souffle destructeur avait tout raflé sur son passage. J'ai d'ailleurs déjà vu un simple missile à l'œuvre, alors cela… Je me demande quand même comment l'homme peut à ce point tout détruire, tout ce qui nous nourrit et nous permet de vivre. Tout ce qui nous gratifie de sa présence… Et nous ne savons que le détruire. J'inspire en tentant de sentir le moindre signe de toxicité dans l'air, qui viendrait brûler mes poumons ou mon nez. Rien dans l'immédiat. Je décide alors de faire quelques pas prudents au milieu des décombres, et balaie du regard l'horizon, qui me paraît encore plus plat et sans vie que d'habitude. Puis je me retourne vers le flan de la montagne, après m'en être un peu éloignée pour avoir suffisamment de recul et la contempler… Elle n'a pas bougé et se tient toujours droite, plus majestueuse que jamais, au milieu de cette nature morte. Mais ses parois ne sont plus les mêmes, ravagées elles aussi. Les quelques arbres qui auparavant les ornaient sur une dizaine de mètres de hauteur ne sont plus, complètement calcinés, si ce n'est déracinés. Je fronce les sourcils et sens ma gorge me serrer, mais ce n'est pas l'air qui m'oppresse, c'est l'horreur que je contemple. Après quelques minutes à n'entendre que le bruit de mes pas résonner, je décide de découvrir un peu plus mon visage pour essayer de savoir plus rapidement si je nous expose à un quelconque risque. Ma peau ne me brûle pas, je respire normalement, et ne sens rien de plus désagréable que l'odeur de la mort et de la destruction qui émane de ces lieux. Mes yeux balaient le paysage, à la recherche du moindre signe de vie, que ce soit animal ou végétal, ce qui voudrait dire que l'air est définitivement respirable. Mais je ne trouve pour l'instant rien, alors je ne sais toujours pas si mon sang m'immunise complètement ou pas. Et je dois absolument le savoir avant de prendre une décision, qui si je me trompe, sera fatale à tout mon peuple, alors que nous avons survécu au pire. Je déambule à présent au milieu de ce qui étaient anciennement des bâtiments, lorsque mes yeux se posent d'un coup sur une chose qui m'interpelle. Je m'avance vers elle délicatement, et finis par m'accroupir, en enlevant totalement ma capuche. Un sourire se dessine alors sur mon visage, et mes doigts viennent caresser ce tout petit bourgeon qui, subitement, se redresse à leur contact. Seul être vivant au milieu de ce désert de désolation, il est l'espoir que j'espérais trouver en sortant. Cette plante en devenir est non seulement la preuve que l'air est respirable, et que donc Raven avait raison en disant que les dégâts seraient moindres, mais il est aussi la promesse d'une fertilité de la terre. Il est la promesse que ces terres seront, avec de la patience et du respect, à nouveau cultivables et viables. Je souffle de soulagement, et décide sans plus attendre de faire demi-tour.

Lorsque je frappe fort à la porte, elles s'ouvrent presque instantanément. Me voyant le visage totalement découvert et soulagé, Octavia n'a pourtant pas la réaction que je pensais lui voir. Certes, dans son regard il y a de nouveau de l'espoir, mais pourtant un profond désespoir y persiste encore. Je durcis alors mon regard et comprends de suite que quelque chose ne va pas. Je descends rapidement les escaliers pendant qu'elle m'emboite le pas, juste après lui avoir dit de laisser la porte ouverte. Un rayon de soleil vient alors baigner la pièce principale, et sa chaleur se poser sur quelques visages qui le contemple sans bouger. Je ne m'attarde pas sur ce genre de réaction, qui est pourtant ce que je souhaitais plus que tout voir ces derniers jours. Lorsqu'ils me font place, et que je m'avance vers Roan, je trouve Echo complètement désemparée à genoux à ses côtés. D'un signe de main, j'ordonne à tous de se reculer. Lorsqu'il me voit, Roan esquisse un léger sourire. Je ne sais pas si c'est lorsqu'il me voit, ou lorsqu'il sent enfin la chaleur du soleil sur sa main glacée, et bleutée. Mais l'éclat de vie qui s'empare de son regard est clairement le dernier qui le traversera, et quelque chose me dit qu'il m'attendait. Il attendait mon retour pour être sûr que son combat se terminera honorablement, dans le respect de sa promesse, et dans l'espoir d'un avenir meilleur pour son peuple.

Je serre les dents et déglutis. Mon regard envers lui n'est pas dur, mais il est bel et bien déterminé.

« Je veux que tu les guides aux côtés de Lexa, Echo. » murmure t'il, à bout de forces. « Je veux que tu honores ma promesse faite à la Coalition, et que tu promettes à notre peuple un avenir meilleur. » s'adresse t'il à elle, alors qu'elle ne peut retenir ses larmes.

Sa dévotion envers son Roi est sans équivoque, et sa peine bien réelle. Lorsqu'il lui dit cela, elle pose sa main sur la sienne, et tente de ravaler ses sanglots. Puis, elle détourne son regard vers moi qui me tiens debout, à côté de Roan. Cet échange est une promesse qu'elle compte bien honorer. Quand son Roi vient poser son regard agonisant dans le mien, j'incline respectueusement la tête, lui faisant comprendre que oui, j'accepte de placer Echo à la tête d'Azgeda, et de lui laisser la même chance qu'à lui de marcher à mes côtés. L'infinie gratitude que je lis dans son regard lui permet surement de partir serein. Il se retourne à nouveau vers Echo, dans ce qui sera surement sa dernière action, et lui dit :

« Tout repose à présent sur toi, Reine d'Azgeda. Ne me trahis pas. »

« Je ne le ferai pas… mon Roi. » lui répond t'elle, dans un sanglot étouffé par autant de fierté et d'honneur, que de peine.

Pendant qu'elle abaisse sa tête contre sa poitrine, je peux voir les yeux de Roan se fermer, et c'est ainsi que devant Octavia, Echo et moi, le Roi d'Azgeda rend son dernier soupir.

« Yu gonplei ste odon, Roan, Heihefa kom Azgeda. » prononcé-je d'une voix haute et forte, pendant que tous les regards autour de nous s'inclinent respectueusement, et que la pièce toute entière est en deuil.

Echo tire alors la couverture et l'abaisse sur sa tête, couvrant ainsi entièrement le défunt. Lorsqu'elle relève enfin la sienne vers moi, je lui appose un regard aussi fort que déterminé, et à sa grande surprise, lui tends un bras par dessus le corps désormais sans vie qui nous séparent. Elle se relève, et après avoir rehaussé son port de tête, je peux lire dans son regard autant de volonté d'honorer sa parole que de détermination à marcher à mes côtés à présent, ce qui me permet d'attendre patiemment qu'enfin elle le saisisse. Quand ses doigts viennent entourer mon avant-bras, je plonge mon regard dans le sien.

« Monin ona ai Kongeda, Haiplana kom Azgeda. » lui dis-je, déterminée.

« Ai badan yu op en nou moun, Leska Kom Trikru. » me répond t'elle avec la même intensité.

Désormais, je sais qu'un avenir nouveau s'ouvre à nous. Je sais qu'en l'acceptant dans ma Coalition en tant que Reine, je respecte la volonté de Roan, tout comme je sais qu'Echo fera en sorte de ne jamais salir sa mémoire, ni son souhait le plus cher qui était de permettre à son peuple d'obtenir un meilleur avenir, à mes côtés. Pour la première fois dans le regard d'Echo lorsqu'elle prononce ces mots et me jure ainsi fidélité en tant que Reine, je n'y vois plus aucune trace de ce passé qui nous a meurtries toutes les deux, mais je n'y vois que la promesse d'un futur bien plus prometteur que tout ce que nous avons été capables de faire ensemble jusqu'à présent. Elle incline alors la tête, et je lui rends tout le respect qu'elle me témoigne. L'époque où Azgeda était une menace pour nous tous et un danger pour la Coalition est maintenant derrière nous, et je sais qu'aucune de nous deux ne tolèrera à l'avenir que qui que ce soit, ou quoi que ce soit, ne mette cela en péril. Nous avons toutes deux bien trop perdu pour en arriver là, et s'il y a bien une chose que j'ai appris à ne pas remettre en cause au fil des années, c'est bien la dévotion d'Echo.


Lorsque nous nous approchons enfin des portes de la Capitale, j'entends des cris s'élever de l'autre coté, juste avant de les voir s'ouvrir devant nous. Malgré la fermeté de mes traits, je ne peux m'empêcher de sourire légèrement, profondément soulagée que nous soyons enfin rentrés chez nous. Echo et Octavia se tiennent à mes côtés, et je lève la main ordonnant que l'on s'arrête en attendant que les portes ne soient complètement ouvertes. Puis je me retourne et les regarde tous. La plupart n'ont même jamais mis les pieds ici, et vont découvrir pour la première fois Polis et son effervescence. Pendant qu'ils observent avec attention et stupéfaction la hauteur des murs d'enceinte et des bâtiments qui se trouvent devant nous, je me remets en marche. Tous nous regardent pénétrer dans la cité, et les têtes s'inclinent sur mon passage, quand je croise le regard d'un de mes ambassadeurs, qui, après avoir accordé un rapide regard à Echo, me salue. Cela doit faire plus de trois jours maintenant que Clarke a dû revenir, et je suis même surprise de ne pas la trouver ici, alors qu'elle doit être prévenue. D'un coup, la foule s'écarte pour laisser un homme qui arrive en courant vers nous, et se précipite vers Octavia pour l'enlacer. Sa tête plongée dans ses cheveux, il la soulève et la fait tourner, juste avant de la reposer au sol dans un sourire partagé qui illumine littéralement leurs deux visages. Je continue dans ma lancée, et le cortège me suit. Malgré le fait que mon cœur soit aussi léger de trouver Polis dans cet état, c'est-à-dire intact, il n'en est pas moins lourd de ne pas la voir. Mais où est-elle ?

Je réponds à toutes les salutations que je croise dans la rue, pendant que je continue d'avancer en direction de la Tour. Le regard droit et le pas confiant, je ne tarde pas à rencontrer un visage familier qui se démarque des autres quand des hommes s'écartent pour la laisser passer. Imposante et fière, les traits d'Indra s'adoucissent pourtant lorsqu'elle se retrouve face à moi. Dans un regard silencieux, elle me transmet toute sa joie et son soulagement de me voir revenir, une fois encore, en vie. Sa gratitude n'a pas d'égale, et c'est sans tarder qu'elle me tend un bras des plus respectueux. Je l'attrape et la remercie dans un hochement de tête d'avoir maintenu Polis en mon absence. Je peux même constater que des travaux d'aménagements et de reconstruction ont démarré, histoire de cacher au plus vite toute trace de peine et de désolation qu'a pu connaître la cité ces dernières semaines. Indra est décidément l'une de celles à qui je peux faire aveuglément confiance. Un sourire se dessine sur ses lèvres et elle n'a pas plus besoin de parler que moi. Je ne retiens pas non plus le mien lorsqu'il se dessine sur mon visage, embelli par ma détermination et ma fierté.

« Où est Roan ? » me demande t'elle néanmoins, en réalisant qu'Echo seulement se trouve à mes côtés.

« Roan est tombé. » lui réponds-je. « J'aimerai d'ailleurs que tu fasses préparer le corps. »

Lorsqu'elle regarde par dessus mon épaule, elle peut ainsi voir le corps du Roi d'Azgeda recouvert d'un linge. Hors de question de le laisser derrière nous. Silencieusement, je sens les interrogations d'Indra lorsqu'elle plonge à nouveau son regard dans le mien. Mais elle ne proteste pas, et se contente d'obéir et d'ordonner à ses hommes de prendre en charge le corps. Echo me remercie du respect dont je fais preuve pour leur chef, et accompagne Indra. Je m'apprête à reprendre ma marche lorsqu'une personne sort à son tour de la foule qui m'entoure, et à ce moment-là, mon visage s'illumine. Je peux pourtant sentir de nombreux regards posés sur moi, et notamment ceux de Bellamy et Octavia, qui me suivent toujours. Je m'approche d'elle, pendant qu'elle ne bouge pas, et une fois à sa hauteur, je lui passe un doigt délicat dans les cheveux, tout en lui souriant. Je me sens en paix, et son sourire réchauffe mon âme. La chaleur de sa main sur ma joue n'a pas le temps de la réchauffer avant que je ne l'enlace. Je la sens plongée dans mes cheveux, pendant que ses bras rassurants me serrent un peu plus, me faisant oublier toute la rudesse du monde qui nous entoure. Je ne m'étais jamais autorisé cela dans les rues de Polis, mais qu'importe... Ma mère est là, tout comme moi. Je souris et quand elle brise notre étreinte, je peux lire toute sa fierté dans son regard, et tout son bonheur sur son visage.

« Je savais que tu reviendrais. » me dit-il dans une infinie douceur.

Mais je n'ai pas le temps de lui répondre que subitement, tout se fige autour de moi. Je relève les yeux, et alors que ma mère s'écarte de mon passage, je vois une silhouette apparaître au milieu de dizaine d'autres, suivie d'une personne que je connais bien, et d'une enfant. La démarche mal assurée et les traits tirés de fatigue, Clarke apparaît pourtant devant moi telle un rayon de soleil qui a du mal à percer au milieu d'un ciel orageux. Ses cheveux à moitié tressés se soulèvent avec la brise et viennent lui fouetter légèrement le visage, pendant que mes mains lâchent petit à petit celles de ma mère. La bouche à moitié ouverte, je peux voir l'hésitation s'emparer de son regard, parce que le bleu de ses yeux n'est pas apaisé, et laisse place à une multitude de nuances, ce qui est très caractéristique d'un certain regard de Clarke : celui de la confusion. Elle me voit… Mais l'espace d'un instant ne réalise pas que je suis bien là. Elle fait un pas en avant, et ce n'est que lorsque je plonge mon regard dans le sien qu'elle me revient… Sa poitrine se soulève alors au rythme de ses pas, de plus en plus rapides, et j'ai à peine le temps de lui sourire qu'elle se précipite à mon cou, laissant tomber toutes les apparences que nous nous tuons pourtant à préserver depuis le début. Son soupir de soulagement mêlé à celui de désespoir qu'elle abandonne dans le creux de mon oreille se mêle à ma joie d'enfin la retrouver. Dans un sourire, je passe mes bras autour de sa taille et la serre avec tellement d'intensité que personne ne pourrait nous séparer. L'odeur sucrée de sa peau enivre mes narines, et je ne peux pas décrire la plénitude que je ressens quand la douceur de ses mains remonte de mes épaules à ma nuque, à laquelle elle s'agrippe de toutes ses forces. Ce genre de moment fait partie de ceux pour lesquels je reviendrai toujours auprès d'elle. Je la sens sourire, juste avant que je ne brise à contrecœur notre étreinte, dans laquelle pourtant je désire plus que tout me perdre indéfiniment. J'ai tellement de choses à lui dire, tellement de confessions à lui faire, mais pour l'instant, le moment n'est pas approprié. Je m'impose encore un certain moment pour cela, et ce n'est pas celui-ci. Je lui pose les mains sur les joues, et tout le reste se passe pourtant de mots. Puis je détourne mon regard vers Gaïa, à côté de qui se tient cette enfant, au regard aussi vert que le mien, mais à la chevelure ondulée bien plus claire. Elle n'a pas la blondeur de Clarke, mais ses cheveux tirent plus du châtain clair que du châtain foncé, ce qui reste très rare chez nous. Je fais quelques pas dans sa direction, et l'observe. Dans un premier temps, elle baisse les yeux, et je pourrai croire qu'elle fait preuve d'une certaine timidité, mais il n'en est rien. Et lorsqu'elle les relève enfin vers moi, je réalise que son histoire n'est peut-être pas si différente de la mienne : il n'y a aucune crainte dans son regard, mais juste de l'insouciance, mêlée pourtant à une conscience de la vie bien supérieure à la moyenne pour son jeune âge. Il y a aussi une grande force intérieure et un grand courage qui brillent au fond d'elle. J'appose mon regard dans celui de Gaïa, qui reste silencieuse et saisit malgré tout de ses deux mains les épaules de l'enfant, qui ne doit pas avoir plus de cinq ou six ans. Ce n'est qu'une enfant… mais pas n'importe quelle enfant.

« Voici Tasya. » me dit Clarke dans un sourire. « C'est… »

« Je sais qui elle est… » l'interrompe-je, mon regard toujours posée sur elle. « Bonjour, Tasya. » lui dis-je doucement.

« Bonjour, Heda. » me salue t'elle de sa petite voix pourtant bien mature.

Clarke et moi devons discuter. Je demande donc à Gaïa d'amener l'enfant en salle du Trône, où je viendrai la voir plus tard. Dans l'immédiat j'ai d'autres priorités, bien que je sache pertinemment que Tasya en sera bientôt une. Je n'avais juste pas prévu que Gaïa la ramène aussi rapidement sur Polis, et j'aurai voulu au préalable pouvoir m'assurer de son entière sécurité ici.


Le visage de Clarke m'apparaît comme extrêmement contrarié et je sais qu'en mon absence, beaucoup de choses ont reposé uniquement sur elle. Maintenant je suis là, et les choses vont changer. Son inquiétude et sa tension sont communicatives, et je sais qu'elle a besoin de moi. Alors que nous avançons dans le hall d'entrée de la tour, en nous dirigeant vers les escaliers qui mènent au premier étage, j'entends une voix m'interpeller et me retourne donc, juste avant de revenir sur mes pas pour aller à sa rencontre. Dans une allure aussi féline qu'imposante, Luna s'avance lentement vers moi. Son regard n'est cependant pas aussi joyeux que ce que je m'attendais à voir lorsque nous nous reverrions, et c'est au lieu de cela un mélange confus d'émotions que j'y lis. Elle esquisse cependant un léger sourire en arrivant à ma hauteur, juste avant d'incliner la tête respectueusement en guise de salut. Je lui rends, et après une légère hésitation, je m'approche d'elle et l'enlace rapidement. Elle prend quand même le temps de me rendre mon accolade et lorsque je veux la lâcher, c'est elle qui maintient légèrement la pression autour de mon dos, juste avant de me libérer. Je me plonge alors dans son regard, sous celui toujours aussi perturbé de Clarke, et mes traits se figent pendant que je souffle en relevant la tête, comprenant la raison de son inquiétude...

Dans un geste compatissant, mais sans ajouter un mot de plus, je pose ma main gauche sur son épaule droite, pendant qu'elle incline la tête, comme si elle se résolvait à abandonner l'espoir futile auquel elle se raccrochait jusqu'alors. La peine que je vois se dessiner sur son visage me rappelle celle que je lui ai connue après la perte de Costia, et l'espace d'un instant, je me demande pourquoi nous sommes obligées de perdre autant de monde. Elle pose alors sa main sur mon avant-bras, en signe de remerciement. Je déglutis en ressentant son désarroi.

« Je suis désolée, Luna… » lui murmuré-je d'une voix douce, à peine audible.

« Il y a tellement de choses que j'aurai eu à lui dire à elle aussi. Mais nous n'en avons jamais le temps, n'est-ce pas ? » me répond t'elle, sarcastiquement.

Soudain, une silhouette apparaît à l'autre bout de la pièce derrière elle, le visage en sueur, et je relève d'un coup la tête pour l'observer. Les yeux de Clarke se figent alors dans ceux de sa mère, sur le visage de laquelle un sourire discret finit par timidement se dessiner. En nous voyant faire, Luna se retourne, et c'est à ce moment-là qu'Abby nous annonce dans un soupir soulagé, qui redonne immédiatement espoir à mon amie :

« Elle est réveillée. »

Luna marque un temps d'arrêt, tout comme Clarke, pendant que je réalise à mon tour que Raven n'est finalement pas morte. Non seulement elle n'est pas morte, mais en plus, elle est réveillée. Un sourire se dessine sur mes lèvres, et malgré le fait qu'Abby nous invite à la rejoindre, je reste muette et immobile. Clarke qui vient de s'élancer à la suite de Luna finit par se retourner, s'apercevant que je ne les suis pas, et je lui adresse un sourire pendant qu'elle revient vers moi.

« Tu ne viens pas ? » me demande t'elle en fronçant les sourcils.

« J'irai la voir plus tard.»

« Lexa… » me dit-elle, hésitante, ne sachant visiblement pas comment agir.

Elle se demande surement si elle doit aller voir son amie qui revient d'entre les morts, ou si elle doit faire passer son devoir avant tout, et passer les prochaines minutes en ma compagnie, à discuter de la situation ici, et de tout le reste. Tout ce qui guide nos pas chaque jour, et ce qu'il nous incombe de gérer.

« Vas la voir, c'est ton amie, et elle a besoin de toi. Retrouve-moi après, nous discuterons à ce moment-là.»

Elle s'abstient de me répondre quoi que ce soit, mais son regard parle de lui-même. Ce qui m'importe pour l'instant, c'est de la savoir un peu plus soulagée que quelques minutes auparavant. Raven est vivante, alors que visiblement elles la pensaient toutes condamnée. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais je tâcherai de demander à Clarke plus tard. Dans l'immédiat, je me contente d'ordonner à ce que le bucher funéraire soit dressé sur la place, parce que dans quelques heures, nous honorerons ceux qui sont tombés pour que d'autres soient toujours vivants aujourd'hui. Je redresse mon regard et avance d'un pas déterminé à travers les couloirs de cette Tour, pour laquelle j'ai tant donné. Cette Tour qui symbolise bien plus que les erreurs du passé, et qui se dresse pourtant encore là, droite et fière, malgré le temps qui défile. Rien ne l'a jamais détruite… parce qu'au delà de toute la violence qu'elle a connue, je reste persuadée que ce que ce n'est pas cela qui la tient encore debout aujourd'hui... ce n'est rien d'autre que l'espoir qu'elle représente.


Après avoir parcouru ces couloirs que je connais si bien, seule, parce que j'ai ordonné à ce qu'on ne m'accompagne pas, je reviens dans l'un de ceux que j'ai le plus arpenté de ma vie. Il y règne un silence qu'à la fois j'apprécie, qui me rassure, mais qui malgré tout me fait aussi frissonner. J'inspire profondément, pendant que mes yeux le balaient, l'obligeant presque à me livrer les moindres secrets qui auraient pu m'échapper en mon absence. Au dessus de moi, il ne reste que deux étages. Les deux que nous avons pris avec Luna et Clarke, lorsque nous avons repris Polis il y a maintenant plusieurs jours. Le temps me donne l'impression de défiler si vite, alors que seulement quelques jours se sont écoulés, et il me rappelle sans cesse que nous, simples humains, ne sommes pas et ne serons jamais ses maitres. Alors que je foule le sol d'un pas aussi léger que déterminé, mes chaussures frôlent les tapis qui ne manquent pas de me rappeler leur histoire. Les portes qui défilent de chaque côté au fur et mesure que j'avance m'évoquent des souvenirs, certains plus douloureux que d'autres. Le meuble en bois posé sur ma droite retient mon attention, et les fleurs séchées qui l'ornent me procurent un sourire, lorsque mon doigt les caresse délicatement. Puis, pensive, je déglutis et m'avance vers la porte qui se trouve juste à côté, et lorsque je la pousse, la pièce inhabitée qui s'offre à moi me laisse un sentiment amer de peine, mêlée à de la colère. Mon regard se durcit, et mon cœur se serre, alors que je pénètre à l'intérieur. Silencieusement, j'observe cette pièce, dans laquelle personne n'est venu depuis que son occupant l'a quittée. Pas même moi… Je m'approche de son lit et perds mon regard quelques instants sur ces couvertures recouvertes de quelques peaux qu'il m'est déjà arrivé de lui remettre alors qu'il dormait profondément, peu de temps après son arrivée à Polis. A côté du lit en métal usé par le temps se trouve une petite table de nuit en bois, sur laquelle un objet me ramène à ma triste réalité. La mâchoire crispée, je me pince les lèvres juste avant de lever les yeux au ciel de culpabilité, lorsque je serre ce petit pendentif dans ma main droite. Aden y tenait énormément, et comme tout Natblida, je lui demandais de ne pas se rattacher à des éléments de son passé, afin de se concentrer sur son devoir et son avenir. C'est donc naturellement qu'il ne le portait jamais. J'aurai dû être là… Aden était le plus prometteur de mes novices, mais au delà de cela, il était surtout un jeune homme dévoué et aimant. Il avait toutes les qualités requises pour me remplacer le jour où mon combat serait terminé. J'aurai dû être là pour lui, et pour chacun d'eux. C'était mon rôle d'empêcher cela, bien que je sois consciente des faits, ils étaient tous sous ma protection. Mes yeux se posent sur ce fauteuil, dans lequel je me revois assise un jour de pluie battante. J'étais venue le trouver dans sa chambre, juste avant de commencer un cours magistral avec les autres sur l'histoire de nos origines. Il me vouait une admiration sans faille, mais ce n'est pas cela que j'aimais chez lui, c'était sa force. Sa grandeur d'âme et sa bonté, malgré son jeune âge. La douceur de son regard qui portait tout son courage. Je me sentais plus proche de lui que d'aucun autre Natblida, et même si tous auraient été capables de me succéder, Aden restait mon plus grand espoir. Pourtant, je ne l'ai pas épargné, et ne l'ai absolument pas favorisé. Bien au contraire… J'ai même été bien plus dure avec lui qu'avec aucun autre, en particulier lors des entrainements au corps à corps, ce qui ne rassurait pas nécessairement Titus. Il me sentait trop impliquée avec mon Natblida, et n'a cessé de faire valoir son opinion, jusqu'au jour où je lui ai rappelé notre tout premier combat. A partir ce cet instant, il s'est abstenu de critiquer mon implication envers Aden, et n'a plus jamais mis en doute mon choix et mon objectivité. Je glisse son collier dans ma poche, et reprends la direction de la sortie, juste avant de me retourner une dernière fois en regardant cette pièce, et de n'en fermer la porte avec un pincement au cœur. Oui… Nous avons tous beaucoup perdu. Il n'était qu'un enfant, mais comme nous tous, il croyait en un avenir meilleur. Il croyait en la Coalition, et pas uniquement parce que je lui ai appris à le faire, mais parce qu'il croyait en son potentiel et la voyait par lui-même évoluer chaque jour.

Moins d'une minute plus tard, je me retrouve à l'étage de ma propre chambre, dont le sol, que j'ai laissé derrière moi jonché de corps sans vie, a été minutieusement nettoyé. Clarke a bien dû s'en assurer depuis son retour à Polis. Il n'y a plus aucune trace de combat, plus aucune goute de sang, ni aucune odeur de mort. J'ai le cœur lourd, mais Clarke réussit pourtant à m'extirper un sourire lorsque mes yeux contemplent cette lumière tamisée éclairant ce long couloir. De part et d'autres des murs, des bougies brûlent dans leurs chandeliers, et à l'image de mon cœur qui se réchauffe en les voyant, elles animent également l'ambiance plutôt morose de ce long couloir. Compte tenu de sa longueur, la seule fenêtre à son extrémité ne suffit pas à le baigner dans sa totalité de sa lumière naturelle, j'ai donc pris le parti il y a des années de l'éclairer davantage avec des bougies. J'avance naturellement en direction de ma chambre, dont les lourdes portes sont de loin les plus imposantes de l'étage.

Soudain, je stoppe mes pas malgré le fait que je sois presque arrivée à destination, et détourne la tête à gauche. Je sens mon cœur se serrer violemment, et hésite un instant, juste avant de finalement poser ma main sur la poignée et de l'abaisser. Dans un crissement dû au travail du bois, je la pousse, et décide d'affronter les souvenirs qui refont surface de cette chambre, si violemment que j'ai presque l'impression de me retrouver pousser en arrière lorsque j'en franchi le seuil. Je ne sais pas réellement ce que je m'attends à y trouver, mais déjà je sens mes jambes fléchir, et ma cicatrice me tirailler si fortement que j'appose ma main droite dessus, par réflexe. Les traits de mon visage sont aussi crispés que ma poitrine, et pourtant, je fais encore un pas en avant, en regardant le sol où je me suis effondrée, devant le regard horrifié de Clarke. J'appuie sur mon abdomen, qui se remémore le déchirement de ma chair sous cette balle qui me pénètre, et la douleur qui m'irradie, paralysant le moindre de mes muscles. Je ressens la chaleur de mon sang couler entre chacun de mes doigts, et me rappelle alors du combat que mon corps a mené pour survivre. Lorsque je m'approche du lit, je n'y vois que le désarroi et l'effroi de Clarke, et que mon sang sortir de manière incontrôlable de mon corps… J'entends ses pleurs et ressens son infinie peine pendant que j'essaie malgré tout de lui faire comprendre à quel point je l'aime, et à quel point je m'en remets à elle pour préserver et honorer mon héritage. « I don't want the next commander. I want you. » Ses mots ont résonné dans ma tête encore et encore, m'empêchant de sombrer lorsque quelques fois j'ai failli abandonner pendant ma convalescence. Je saisis machinalement les barreaux en métal de son lit, et le regarde, emprisonnée l'espace d'un instant dans mes douloureux souvenirs de cette nuit-là. Puis mes yeux dérivent vers cette petite cheminée qui se trouve derrière, sur laquelle reposent quelques bougies, et sont attirés plus précisément par un détail bien particulier qui accapare de suite mon attention. Je fais le tour du lit, et m'en approche délicatement pour saisir cette feuille de papier, que je reconnais de suite. Je ne pensais même pas revoir un jour ce dessin que Clarke a fait de moi, un jour où je me suis endormie devant elle sur le divan de ma chambre. Ce dessin qui représente une partie de moi que peu de personnes connaissent, m'offrant à elle dans toute ma vulnérabilité. Ce jour-là, nous étions seules, et ce jour-là était un jour où l'espace d'un instant et d'une lecture, nous avions décidé d'oublier tout le monde qui nous entoure. C'était un moment de quiétude comme j'en avais peu. Et j'avais même fini par m'assoupir en plein après-midi, juste avant de me faire réveiller par un rêve au travers duquel l'Esprit des Commanders s'était adressé à moi par le biais de toutes leurs voix réunies, me criant en rêve de faire attention. Toutes ces voix qui résonnaient dans ma tête et me mettaient en garde parce que je m'égarais du chemin qui a toujours été le nôtre. Je souris en caressant le contour de mon visage, et me surprends à penser que seule Clarke a su immortaliser ce moment de paix de cette façon-là. Comment ce dessin est-il toujours là ? Je le tiens encore dans mes mains lorsque je fais demi-tour, observant toujours plus dans ses moindres détails cette pièce, qui pourtant n'a pas l'air habitée. Tout a été remis en place, le lit changé, mais elle n'y dort apparemment pas alors que c'est la sienne. Je souffle de contentement, et décide de quitter cette pièce, en emportant avec moi cette part d'elle que je refuse de laisser derrière moi. Je n'ai qu'un couloir à traverser, et légèrement sur ma gauche, je pose cette fois-ci sans hésiter mes mains sur ces deux portes, qui desservent ce lieu de quiétude, qui m'a tant manqué. Jusqu'à présent, je ne savais pas ce que j'allais trouver derrière ces portes. Roan aurait pu prendre possession de cette pièce au même titre que de mon Trône, mais il n'en a rien fait. Je le sais, parce que je le sens. Mon sens de l'observation ne me trompe jamais. Lui ne l'a pas fait, mais une autre personne ne s'est surement pas privée de le faire, ce qui me me contrarie. Qu'importe, aujourd'hui elle n'est plus, et la seule présence que je perçois à présent baigner ces lieux est celle de Clarke. Je m'avance et descends la petite marche, juste avant de m'approcher du pied de mon lit, sur lequel mes doigts se baladent naturellement. Je décide d'en faire le tour pour aller déposer avant toute chose ce dessin sur ma table de chevet, puis j'observe la totalité de cette pièce dans une profonde inspiration. Je suis bien, et sereine. J'ai tellement vécu en ces lieux, tellement aimé, mais aussi tellement souffert. Cette chambre fait partie intégrante de moi. Abandonnant certains souvenirs sans pour autant les renier, mon regard se porte quelques instants sur cette fenêtre, que je ne tarde pas à ouvrir pour sortir sur le balcon. De là, l'avenir s'ouvre devant moi, et la détermination qui jaillit de mon regard ne laisse aucune place au doute quant à ce que j'envisage pour lui.


Je saisis la dernière boucle de mon bustier et la resserre sur mes hanches, juste avant de ne croiser mon propre regard dans la glace. Sans même le dévier, je plonge mes doigts dans ma poudre et commence à me dessiner mon maquillage de guerre. Le vert de mes yeux tranche avec le noir et me donne un regard perçant, que je connais parfaitement bien. Pourtant, celui d'aujourd'hui me paraît différent et je ne saurai en expliquer la raison. Mes pensées dévient vers Clarke, et Raven. J'ai beaucoup de questions à lui poser, pour combler la désagréable sensation que j'ai d'avoir manqué énormément de choses. Je saisis le poignard de mon père posé juste à côté du lavabo, et l'accroche à ma cuisse. Costia adorait que je le porte ainsi, mais c'est bien souvent en pensant à Anya que je le fais. J'esquisse un léger sourire en me laissant entrainer dans des bribes de mon passé. Je nous revois dans cette baignoire avec Costia, partageant l'amour infini que nous nous portions, mais je n'ai plus le cœur lourd. Je suis juste reconnaissante d'avoir eu la chance de vivre ce moment, même si aujourd'hui encore, j'aurai tout donné pour pouvoir le vivre à nouveau. Je redresse la tête, et finis par sortir de la salle de bain pour me rapprocher de ma tête de lit juste de l'autre côté de la cloison, et de saisir mon épaulette. Mes yeux se déportent à nouveau sur ce dessin, et je ne les en détache que lorsque quelqu'un frappe à la porte. J'ai à peine le temps de répondre tout en regardant mon invité que je sais déjà de qui il s'agit. Personne n'aurait devancé ma réponse pour pénétrer dans la pièce, sauf elle… Avec un sourire légèrement timide, elle referme délicatement la porte derrière elle, juste avant de me regarder à nouveau.

« Je l'ai retrouvé dans ta chambre. » lui dis-je doucement, en désignant son dessin d'un signe de tête.

Clarke fait quelques pas en avant pour se retrouver face à moi, juste avant de l'attraper afin de mieux l'observer. Je sais que ce n'est pas la première fois qu'elle le fait.

« Je ne l'ai jamais terminé. »

« Il est parfait comme cela… » lui murmuré-je, en posant ma main sur la sienne.

Ça se voit bien que tu ne maitrises pas l'art du crayon. » me répond t'elle dans un haussement de sourcil légèrement moqueur.

C'est une des nombreuses choses que j'aime chez Clarke, même si ce n'est selon moi pas toujours utilisé à bon escient : son ironie, relevée par une pointe de sarcasme. Je ne peux pourtant pas m'empêcher de lui rendre son sourire, juste avant qu'elle ne repose le dessin à sa place.

« Je l'ai retrouvé dans ma chambre, dans le tiroir dans lequel je l'avais laissé dans l'intention de le finir juste avant… » continue t'elle avec hésitation. « … juste avant que tout ne s'effondre sous mes yeux. »

Après quelques secondes de silence durant lesquelles nous échangeons un regard lourd de sens et empli d'affection, elle reprend naturellement, sans que je n'ai besoin de lui demander quoi que ce soit :

« Raven était entre la vie et la mort depuis notre retour à Polis. Son cœur s'est arrêté en même temps que le mien lorsque j'ai entendu cette détonation retentir derrière les montagnes… Je la pensais condamnée… Je n'ai jamais vu une personne aussi forte qu'elle se battre pour sa vie… A part toi. »

« L'envie de vivre peut faire des miracles, Clarke. Si nous n'en avons pas fini avec cette vie, et que nous avons possibilité de choisir, nous ne passons pas à une autre… » lui réponds-je en m'approchant doucement d'elle.

« Que s'est-il passé là-bas, Lexa ? » me questionne t'elle, en apposant sa main sur ma joue.

« C'était un véritable chaos, mais nous avons survécu… Roan a été blessé, et a succombé juste avant que nous ne puissions sortir sans risque de ce bunker dans lequel on a trouvé refuge… Que s'est-il passé ici ? » lui demandé-je à mon tour, en recouvrant sa peau de la mienne.

« Jasper est mort. Il s'est ôté la vie hier, sous le regard de Monty… » me dit-elle, non sans peine dans la voix.

Pourtant, la seule et unique chose qui m'attriste est sa peine, uniquement due à sa compassion pour le mal-être de son ami, et pas sa mort en elle-même. Je n'appréciais pas Jasper, et sa disparition est à mon sens une bonne chose. La meilleure chose qui soit pour lui, si cela le libère du poids de son passé qu'il n'a pas eu la force d'affronter et d'apprivoiser, et pour les autres, parce qu'il s'avérait dangereux pour nous tous et pour la Coalition. Il aurait fini par s'élever contre le système de paix que nous allons remettre en place maintenant que nous avons survécu, par contrariété, par mal-être, par stupidité… qu'importe la raison, quelque chose me dit qu'il ne serait jamais passé au dessus de sa peine et n'aurait pu qu'accumuler des mauvaises décisions, me forçant même à intervenir… Et si ce n'était pas moi, cela aurait été elle… Clarke se pince les lèvres, et déglutit. Je sais aussi ce qu'elle a vécu avec lui, et peux donc malgré tout comprendre son ressenti.

« Je suis désolée. » lui murmuré-je, sincèrement compatissante envers elle. « Tu sais ce que je… »

« Je sais… » me coupe t'elle la parole. « Mais il n'en restait pas moins mon ami, même si nous avions nos différents. »

« J'en suis consciente. Et nous l'honorerons aux côtés de Roan, et de Niylah, si tu le souhaites. »

Dans un signe de tête, elle me fait part de sa gratitude, tout en étouffant des sanglots lorsque j'évoque cette dernière. Niylah comptait beaucoup pour Clarke, et celle qui a jadis été mon amie est morte elle aussi pour tous nous protéger. Clarke et moi le savons toutes les deux… et lui en sommes toutes deux reconnaissantes.

« Le bûcher est d'ailleurs presque terminé. Je venais te le dire.»

« Très bien. Alors, allons honorer nos morts, et rassemblons une bonne fois pour toutes les vivants. »

Je commence à sortir de la chambre, Clarke sur mes talons, juste avant de me retourner une ultime fois vers elle. Je sais que nous n'avons pas le temps de parler maintenant, et que nous sommes attendues en bas, mais il y a quand même une chose qu'elle doit savoir, avant que nous ne quittions cette pièce…


Lorsque nous nous avançons au milieu de nos hommes, un passage se créer au fur et à mesure que les têtes s'inclinent respectueusement. Ma révélation n'a pas laissé Clarke indifférente, et je la sens quelque peu tendue à mes côtés. Je lui accorde un regard, accompagné d'un hochement de tête auquel elle répond, pendant que nous avançons. Mes hommes sont tous là, peu importe leur clan d'origine, ils sont tous présents. Nous arrivons finalement à hauteur d'Indra, à côté de laquelle se tiennent toutes les personnes sans lesquelles ce moment n'aurait surement pas eu lieu. Il aurait certes eu lieu, mais n'aurait surement pas eu la même importance. Les traits déterminés, je rehausse mon port de tête en les saluant et en croisant absolument chacun de leurs regards. Dans un silence solennel, et une atmosphère pesante, j'enjambe la première marche qui me permet de surplomber toute l'assemblée et de leur faire face. Des centaines d'hommes et de femmes sont là, attendant que leur chef ne se prononce. Mais pour la toute première fois, je ne sens aucune hostilité, ni aucun aucune haine s'en élever. De chacun de leur regard émerge la même gratitude d'avoir survécu à ce que nous avons traversé. Peu importe leur origine ou leur statut dans notre société, nous partageons tous cela, et c'est pour cette raison que je sais le moment propice à entendre ce que je m'apprête à leur dire. Ils comptent sur moi, et il est de mon devoir de continuer de les guider. Je le fais déjà depuis de nombreuses années, j'ai partagé beaucoup de conflits, de guerres, de victoires, de défaites, de craintes, d'espoir avec chacun de ses hommes, qu'ils le sachent ou non. Chacun d'eux m'importe au point que notre passé doive être enfin mis de côté une bonne fois pour toutes, pour envisager un meilleur avenir, maintenant que nous avons la chance d'en avoir un qui s'offre à nous. Mon regard dévie dans celui de Clarke, sans qui tout cela n'aurait jamais été possible. Sans Clarke et son peuple, sans qui nous serions tous morts à l'heure qu'il est. Puis je regarde Indra, qui ne me quitte pas des yeux en m'accordant toute son admiration et sa dévotion, et lui adresse un signe respectueux de la tête. Pour Anya. J'inspire profondément, et lève un instant les yeux au ciel, pour contempler ses épais nuages bien bas, qui nous menacent de leur pluie. Qu'importe, après eux, le soleil réapparaitra. Ainsi fonctionne notre monde, parce que l'un ne va pas sans l'autre. Aux côtés d'Indra, Octavia se tient droite et fière, ses deux mains liées devant elle, comme j'ai bien souvent l'habitude de le faire. Lincoln aurait été fier de ce qu'elle a accompli, et aujourd'hui, je peux enfin réellement reconnaître sa valeur et sa loyauté que lui a su voir en elle. Sans Lincoln, nous n'en serions surement pas ici, mais il a fallu que lui aussi perde la vie pour en arriver là. Et entre elle et Luna, Gaïa m'observe le regard empli de fierté, en tenant par les épaules cette enfant qui ne détache pas ses yeux, aussi innocents que déterminés malgré son très jeune âge, de mon visage. Luna… Je ne peux la voir à cet instant sans sentir mon cœur, bien que léger, se serrer en pensant à sa sœur. La première personne qui aurait été ici, fière, reconnaissante et riche de ce que je m'apprête à dire, aurait été Costia. Pas un jour ne passe sans qu'elle ne me manque, mais pas un seul jour ne passe non plus sans que je ne fasse tout pour honorer sa mémoire. Sans elle, Luna n'aurait jamais été là, parce que si un seul événement avait été différent, absolument tout le serait aujourd'hui. Et qui peut dire si cela aurait été meilleur ou pire pour nous tous ? Nous ne pouvons pas changer le passé… Je me perds de manière aussi furtive que salutaire dans le regard de mon amie, me permettant ainsi d'y entrevoir ceux que nous avons perdus. Je jurerai y apercevoir Liam, puis Astria, puis Costia, juste avant de revenir à la réalité avec Luna. Kane, Abby et Bellamy se tiennent là, attendant tous respectueusement que je prenne la parole, comme tous mes autres chefs de Clans et Ambassadeurs. Tout est à recréer, nous allons devoir donner une nouvelle identité à cette Coalition, qui va de paire avec le changement que je veux que nous opérions ensemble. Ce changement pour lequel nous nous sommes tant battus, et avons tous tant perdu. Bon nombre d'entre ces hommes a une impression d'avoir perdu une partie de leur identité, toutes leurs croyances se sont en partie effondrées en même temps que la technologie est arrivée dans leurs vies, manquant de tout détruire au passage. Ils ont perdu un ou plusieurs membres de leur famille, ont vu leur système politique tomber au milieu de cette apocalypse, ils m'ont vue moi mourir, puis revenir d'entre les morts. Ils ont vu Luna revenir à mes côtés, alors que pour beaucoup ils la pensaient morte depuis des années, ils ont vu une guerre être évitée et des clans s'allier sans aucune obligation militaire, mais avec juste comme motif la survie. Ils n'ont jamais pensé de cette manière, mais ils l'ont fait, ils ont été capables de s'allier sans aucune obligation autre que la vie, et je les sens aujourd'hui prêts à ce réel changement. Avant de prendre la parole, il y a un regard que je veux croiser, et je n'ai pas besoin de bien longtemps le chercher pour le trouver. A côté de deux de ses hommes, Echo se tient là, la tête haute, et finit par l'incliner un court instant en guise de salutation respectueuse à mon égard lorsque nos regards se croisent. Clarke détourne la tête dans sa direction, et je peux l'apercevoir du coin de l'œil déglutir, comme si elle luttait malgré tout contre d'incontrôlables incertitudes qui l'envahissent.

Alors, en pensant à tout ce que j'ai vu, tout ce que j'ai vécu, tout ce que j'ai partagé avec chacun de ces hommes, en pensant à Costia, mon père, Anya, Lincoln, Astria, Liam, Gustus, Titus, Niylah, Roan, à tous les hommes qui sont morts pendant ces guerres que nous avons menés les uns contre les autres, mais aussi ensemble contre des ennemis communs, en pensant à cette bataille que nous venons juste de gagner ensemble… ce combat pour la vie… C'est en pensant à tout cela, et forte de tous ces esprits qui habitent mon âme chaque jour que je prends la parole, me tenant juste à côté des trois corps que par la même occasion nous allons honorer :

« Aujourd'hui, nous sommes tous réunis pour célébrer nos morts, mais nous sommes surtout réunis pour célébrer la vie. La qu'ils nous ont permis de garder. » commencé-je d'une voix puissante et déterminée, accaparant absolument tous les regards, et captivant toutes les âmes autour de moi. « Aujourd'hui, nous nous tenons encore debout parce que nous avons survécu. Nous avons saigné, nous avons perdu des femmes, des maris, des guerriers, des pères, des mères, des enfants, des amis, des mentors. NOUS AVONS SAIGNE MAIS NOUS SOMMES TOUJOURS LA ! » m'écrié-je, alors que des cris s'élèvent maintenant de la foule.

Je plonge un instant mon regard dans celui de Clarke, pendant qu'elle acquiesce en entendant nos hommes approuver ainsi le début de mon discours.

« Nous sommes toujours là parce que nous nous sommes battus pour cette Terre qui est la nôtre, et sur laquelle nous avons tant vécu, tant créé ensemble. Malheureusement, nous nous sommes aussi beaucoup battus les uns contre les autres sur cette même Terre… Mais aujourd'hui, AUJOURD'HUI, il est temps pour nous d'évoluer, et de saisir cette chance que NOTRE Terre nous permet d'avoir. Aujourd'hui, nous avons été plus forts que la technologie, nous avons été plus forts que ce mal qui a émergé de la tête de ce peuple qui a autrefois habitué cette même Terre, et qui a fini par en disparaître parce qu'il ne l'a pas vénérée. Eux n'ont pas respecté cette richesse qui leur était généreusement donnée… Eux, ne sont pas notre passé à nous, mais ils font partis du passé de cette Terre qu'ils ont bien failli réduire en cendres. Et nous avec… Mais nous sommes toujours là, nous sommes désormais son peuple, et nous sommes toujours vivants parce que nous nous sommes battus ensemble. TOUS ensemble. Chacun d'entre nous, sans exception. » leur dis-je dans autant de force que de charisme, alors qu'aucun élan de protestation ne se fait entendre. « Nous avons créé tout ce que cette folie meurtrière a bien failli nous enlever, ces centrales ont presque eues raison de nous, et elles ne sont que les vestiges d'un passé de folie que nous ne VONLONS pas perpétuer. Alors faisons en sorte, ENSEMBLE, de ne pas le faire. Faisons en sorte de construire un futur dans lequel nos enfants pourront grandir sans l'ombre de la mort planant au dessus de leurs têtes, dans lequel nos ainés pourront les regarder s'épanouir sans avoir peur de les voir mourir et enlevés à eux par une guerre qu'ils n'auront pas choisie, mais de laquelle ils n'auront pas pu les protéger. Donnons à nos enfants une réelle chance de cultiver cette Terre dans l'harmonie et la paix… Nous avons survécu à tout cela… » continué-je en pointant du doigt l'horizon « … Uniquement parce que nous avons été capables de nous élever ensemble contre cette menace. Parce que les Treize Clans se sont élevés ENSEMBLE contre leur plus grand ennemi. Et ce n'est pas la mort, parce que non, nous n'avons pas peur de la mort. Cet ennemi, ce n'est pas elle… C'est la folie de l'être humain. Cette folie dont il est capable, et qui a entrainé nos ancêtres à leur perte, qui a entrainé cette Terre que nous chérissons tant et qui nous nourrit chaque jour vers un dédale de cendres, sur lesquelles aujourd'hui encore nous marchons. Parce qu'elle a su renaitre, et nous avec elle. Kom graun, oso na groun op. Kom folau, oso na gyon op. »

Un puissant cri s'élève alors du cœur de mes hommes, tous clans confondus. Cet espoir naissant enflamme mon âme, et j'esquisse un sourire porté par un regard victorieux. Je comprends alors que chacun écoute, mais surtout que chacun entend ce que je dis. Le regard surpris de Luna laisse transparaitre une lueur d'espoir qu'elle n'a encore jusqu'à présent jamais osé vraiment entrevoir. NOUS sommes un seul et même peuple, il n'y a plus de clans qui comptent à cet instant précis, et c'est bien pour cet espoir-là que je me suis battue toute ma vie. De la Terre nous naissons. Des cendres, nous nous relèverons.

« Alors aujourd'hui, c'est le cœur lourd, mais aussi plein d'espoir que je me tiens devant vous. C'est le cœur combatif, l'âme victorieuse, et l'esprit béni par mes ancêtres que je me tiens ici. Ai laik Heda. Et c'est tous ensemble que nous allons honorer nos morts, sans lesquels nous ne serions surement ici pour le faire. Aucun de nous ne le serait. Roan, Roi d'Azgeda, a donné sa vie pour qu'aujourd'hui chacun de nous puisse espérer un avenir pour son enfant. Mais aujourd'hui… » continué-je, en tendant la main en arrière pour que mon homme me donne une torche, que je saisis alors avant de reprendre : « … Aujourd'hui, nous n'honorons pas uniquement ces trois personnes. Nous n'honorons pas uniquement Roan Kom Azgeda, Niylah Kom Trikru et Jasper Kom Skaikru. Nous honorons avec eux chacun des morts qui ont donné leur vie pour qu'on en arrive ici. Nous avons perdu trop de chefs, trop de guerriers. Nous avons tous trop perdu. »

Après un regard adressé à Echo, dont les yeux rougis retiennent tant bien que mal des larmes qu'elle se refuse de laisser dévaler sur ses joues, je monte encore d'une marche et embrase le petit bois sous le corps de Roan, qui siège légèrement surélevé par rapport aux deux autres.

« Yu gonplei ste odon, Haihefa Roan Kom Azgeda. » haussé-je encore davantage le ton, pendant que le crépitement des flammes résonne de plus en plus, brisant le silence jusqu'alors interrompu par la puissance de ma voix.

Puis je détourne le regard vers elle, qui se demande pourquoi je n'embrase pas le reste du bûcher. Il y a encore si peu de temps, à l'époque pourtant bien proche mais si différente, le fait que j'honore ainsi le Roi d'Azgeda aurait été source de conflit, les autres clans auraient protesté et les conséquences auraient été désastreuses. Le fait qu'un membre de la Skaikru soit brulé et honoré aux côtés d'un membre de Trikru aurait été tout aussi incompris et inaccepté. Mais aujourd'hui, tout est différent… Aujourd'hui, ENFIN, tout est différent.

« Wanheda… » la prié-je de se joindre à moi en lui tendant la torche.

Clarke marque une légère surprise, mais n'hésite pas une seule seconde à gravir les quelques marches qui nous séparent, juste avant de ne saisir la torche, sous les regards médusés, bien que conciliants, des membres de l'Assemblée. Aucun murmure, ni aucune protestation. Pas même de la part des membres du clan d'Echo, qui se contentent d'honorer leur Roi d'une manière respectueuse, bien que cela ne fasse pas partie intégrante de leurs traditions. La haine et l'irrespect de Nia pour tout ce qui n'est pas leurs coutumes me paraît bien loin lorsque je les observe. En ce moment de deuil, plus rien d'autre ne comte, et je sais que nus touchons enfin en but. Je connais mes hommes, chacun d'eux…

Après un regard lourd de sens échangé avec moi, mais n'ayant rien de plus à ajouter dans l'immédiat, Clarke se contente d'embraser les deux corps de ses amis, non sans peine. J'entends sa respiration hésitante, malgré le bruit du bois qui crépite face à nous, et peux presque sentir le froid qui lui glace le sang malgré la chaleur du brasier.

« Kom chilnes yu na ban sishou-de au,

Kom hodnes yu na hon neson-de op,

Gouthru klir hashta yu soujn

Kom oso las soujon ona graun-de.

Mebi oso ni hit choda op nodotaim… »

Lorsqu'elle prononce cette complainte, et que ces mots dévalent ses lèvres, le temps se fige pendant un instant qui paraît être une éternité. Pendant que les flammes de sa torche entrent en contact avec le bois, l'embrasant littéralement, je détourne le regard vers notre peuple, et la seule vision que j'en ai est une de celles qui me coupent le souffle. Chacun de leurs regards, absolument chaque flamme qui brule au fond d'eux subitement se ravive, mêlant de la mélancolie avec un profond respect. Clarke ne s'aperçoit pas de suite de toute cette admiration pour elle qui s'élève désormais de cette foule… Cette complainte est propre aux Skaikru, et aucun autre clan ne s'était jamais senti concerné par ces mots jusqu'à présent, qui pour eux n'avaient aucun sens, d'autant plus qu'ils n'étaient jamais prononcés en Trigedasleng. Mais aujourd'hui, naturellement, elle les dit dans notre langue natale, et à cet instant, chaque être présent ici-bas qui les entend se sent concerné. Tout prend un sens… Un réel sens. Chaque regard témoigne maintenant son implication dans cette partie de notre histoire. Lorsqu'un des Ambassadeurs pose un genou à terre, je les regarde tous l'imiter un à un, dans une vague humaine aussi majestueuse que magnifique, octroyant ainsi légitimement à Clarke la place qui lui revient à mes côtés. C'est à ce moment-là que cette dernière se retourne à son tour et les observe. Lorsqu'Echo incline la tête à son tour, je décide de plussoyer ce lien entre la Skaikru et les autres clans que Clarke vient à l'instant de revaloriser. Je sais pertinemment qu'à présent mes hommes la respectent, et lui sont reconnaissants de nous avoir en grande partie tous sauvés. Je sais que Clarke est respectée, je sais que Wanheda a son entière place à Polis, et que c'est belle et bien elle qui aurait du et pu les guider si je n'étais pas revenue. C'est la seule qui aurait pu faire honneur à cet héritage de paix que je voulais tant laisser derrière moi, ils l'auraient suivie, et chaque jour elle me le prouve encore davantage. Le cœur battant à mon tour d'admiration et de respect pour cette femme, qui se tient encore aujourd'hui à mes côtés et que j'ai vu tant évoluer depuis notre rencontre, je lui adresse un sourire empli d'une infinie fierté, puis l'invite silencieusement à encore observe ce qu'il vient juste de se produire. Nos peuples sont à nouveau réunis, et c'est à l'image de la force et de l'amour qui nous lient avec Clarke que la Coalition renait entièrement de ses cendres, plus unie, plus forte et plus vivante que jamais.

« Mebi oso na hit choda op nodotaim » rajouté-je, alors que nos pensées se tournent vers tous ceux que nous avons perdu pendant que nos regards, eux, se perdent sur cette foule qui valait malgré tout la peine qu'on se batte pour elle, et qu'on saigne pour elle.

Pendant que les corps se consument dans nos dos, je commence à descendre les quelques marches qui me séparent de la foule, suivi de près par Wanheda. Devant nous, nos hommes ont toujours un genou à terre, et attendent tout simplement que je leur ordonne de se relever. Mais je n'en fais rien… pas avant de me trouver face à elle, qui fini par relever le regard voyant mes pieds apparaître devant elle. La flamme qui l'illumine n'est plus du tout celle que j'ai pu y voir par le passé, et c'est dans ce silence environnant que je lui témoigne à mon tour le respect dont le défunt roi d'Azgeda m'a supplié de faire preuve à son égard.

« Levez-vous ! » ordonné-je d'une voix forte et claire à l'ensemble de l'Assemblée, qui ne tarde pas à obéir.

Tous se lèvent, sauf Echo, devant laquelle je me tiens toujours, droite et fière. Lorsque je fais un pas en avant, je l'observe un instant, pendant qu'elle ne cherche même pas à exécuter mon ordre. En temps normal, n'importe qui aurait cru qu'elle contestait mon ordre, moi la première. Mais pas cette fois. Devant les regards tantôt inquiets, tantôt dubitatifs, je lui adresse un regard ferme et déterminé dans un premier temps, alors que je sens celui de Clarke peser sur mes épaules. Je sais à quoi elle pense, et quelles sont ses craintes. Mais je n'en ai pas, et c'est donc naturellement que je viens officiellement faire preuve de compassion envers Echo, laissant ainsi aux yeux de tous une fois encore les rancœurs du passé derrière nous. Lorsque je lui tends une main, elle hésite un instant à la saisir, et ce n'est que quand je sens la pression de ses doigts autour de mon avant-bras, que je lui donne une impulsion nécessaire pour qu'elle se relève enfin, et me fasse face. Sous les regards ébahis mais silencieux de mes hommes, y compris ceux qui n'ont jamais eu confiance en ce clan et en elle particulièrement, je plonge mon regard dans le sien.

« Bienvenue dans ma Coalition, Reine d'Azgeda. »

La détermination de ma voix ne laisse place à aucun doute. Echo incline légèrement la tête en guise de remerciements des plus respectueux, et sans me lâcher le bras, ne tarde pas à me répondre avec la même détermination :

« Je jure fidélité à la Coalition, et à toi Heda. Mon armée et ma loyauté sont tiennes. »

Des cendres de notre passé, nous nous relevons.


Lorsque je tire avec force les grilles métalliques qui me séparent de ce couloir sombre, dans lequel quatre de mes hommes armés se tiennent en alerte, je lance un regard à Clarke, juste à mes côtés. Le visage grave et sévère, elle redresse la tête avant de l'incliner, me signifiant ainsi qu'elle est prête. Je fais alors un pas en avant, tandis que mes hommes nous saluent respectueusement, tout en nous faisant place. De part et d'autres de nous se trouvent les cellules, dans lesquels les prisonniers sont soigneusement gardés et surveillés avant d'être jugés et condamnés. Il est très rare que je descende ici bas, Titus était celui qui s'en chargeait, et c'est d'ailleurs ce qui explique la surprise que j'ai pu lire dans le regard de mes hommes lorsque les grilles de l'ancien ascenseur de service se sont mises à crisser, interpellant leur attention, et qu'ils nous ont vues à l'intérieur de la cage. Heda et WanHeda qui descendent, ensemble… La situation est plutôt exceptionnelle, et peu de prisonniers peuvent se vanter de susciter un tel intérêt. Seulement, celui que nous nous apprêtons à aller voir n'est pas n'importe qui… Il n'est pas un prisonnier ordinaire, et depuis que Clarke l'a fait enfermer ici, elle a bien dû insister pour qu'aucun mal ne lui soit fait en attendant mon retour, qu'elle espérait fortement. Pour parvenir à le maintenir en vie, elle a dû donner des ordres stricts, et même faire doubler la garde pendant un temps, juste après son retour à Polis, pour éviter que le contrôle de la situation ne lui échappe. Ce prisonnier-là, beaucoup souhaitent sa mort, nous les premières. Ce sombre couloir dans lequel nous continuons d'avancer jusqu'à sa cellule est chargé d'une tension insoutenable, qui ne manque pas d'échapper à Clarke. Ses mains sont aussi crispées que sa mâchoire, et son regard aussi profond et soucieux que rancunier. Je serre les dents à mon tour, et lui accorde un dernier regard, lorsque je comprends que la cellule en question est la prochaine sur notre droite. Un garde se tient juste devant, et d'un geste silencieux, mais ferme et autoritaire, je lui ordonne de s'éloigner, nous laissant ainsi seules avec le prisonnier. Il acquiesce et dépose dans la main que je lui tends le trousseau de clé. Puis, je fais un pas en avant et me tourne désormais vers cet homme, qui se tient assis sur sa caisse en bois de l'autre côté des grilles, contre le mur. Les mains croisées devant moi, tenant toujours les clés, je pose mon regard haineux dans le sien, tandis que Clarke se tient désormais à ma gauche, et l'observe elle aussi avec dédain et mépris. Kalan finit par se lever, et esquisse un sourire provocateur. A la demande implicite de Clarke, j'insère la clé dans le gros cadenas, et l'ôte dès que le verrou a sauté. Clarke m'accorde un regard déterminé, avant de tirer la grille et de pénétrer dans sa cellule. Le fait de savoir Kalan enchainé me rassure, et si je n'avais pas pensé cela réellement nécessaire pour Clarke, nous ne serions pas descendues. Mais je préfère être présente au moment où elle le fait plutôt que de m'y opposer, la poussant ainsi à le faire sans moi, et m'ôtant par là-même toute possibilité d'intervenir en cas de problème. Non pas que je sous-estime Clarke, mais je connais Kalan... Je connais mieux que personne sa soif de sang, celle qu'il partageait avec Nia, et celle-là même qui brule encore et toujours dans son regard à cet instant précis. La main posée sur mon épée et la hargne au cœur, je jette un rapide coup d'œil au poignard de Costia que Clarke porte accroché dans son dos. Cette arme fait désormais partie d'elle, et la suit partout, ce qui me réjouit surtout dans un moment comme celui-ci. WanHeda lui déverse toute sa rancœur, et prend enfin la parole face à lui, dans un mépris qui est bien pire encore que celui qu'elle m'a un jour adressé, juste avant de me cracher dessus.

« Tu vas être jugé et condamné demain pour tes crimes devant la Coalition toute entière, et devant Heda. Raven a survécu, je tenais à te le dire de vive-voix avant que ta sentence ne tombe. Tu n'as pas tout pris, Kalan. Tu n'as pas gagné. Elle a survécu… » lui dit-elle dans un mélange de hargne et de violence exceptionnelle.

Je connais Clarke, elle a besoin de le voir de ses propres yeux et de se confronter à lui seule à seul, pour enfin pouvoir avancer, et mieux appréhender le jour de son jugement… à savoir demain, devant la Coalition toute entière. Elle a besoin de lui dire elle-même que Raven avait survécu, et qu'il ne lui a pas tout pris. Elle ne pouvait pas venir le lui dire avant, vu que Raven s'est réveillée tout récemment et que tout s'est enchainé trop vite depuis mon retour à la Capitale, dont Kalan a bien-sûr eu écho. L'absence de surprise dans son regard quelques instants plus tôt lorsqu'il m'a vue à l'angle de sa cellule témoigne de son absence d'ignorance. Il savait que j'étais revenue. Alors que Clarke tourne les talons et est presque à mon niveau, j'observe Kalan et ce que je vois dans son regard à cet instant précis m'annonce la tonalité des prochaines secondes à venir. Je n'ai malheureusement pas le temps d'aller chercher celui de WanHeda Pour la prévenir, avant qu'il n'ouvre la bouche et ne lui déverse alors toute sa violence et sa provocation. Je sais dès à présent que rien n'arrêtera Clarke.

« Elle a simplement survécu parce que je n'ai pas fini de m'occuper d'elle…. » lance t'il, alors que je fais un pas en avant et que Clarke, elle, stoppe les siens, sans bouger dans un premier temps.

La tension qui charge cette cellule fige tout en une seule seconde. Je n'ai pas à intervenir, Clarke doit elle-même gérer cela à sa manière. Elle sait que nous ne pouvons pas tout nous permettre malgré nos envies. Malgré ce désir ardent qui brûle au fond de nous de lui faire payer ses crimes, nous ne pouvons pas faire ce que nous aimerions faire. Nous ne nous sommes pas battues et n'en sommes pas arriver là pour céder à sa provocation, et le laisser faire tout voler en éclats. Ce serait trop facile, et nous lui laisserions avoir enfin le pouvoir qu'il recherche depuis si longtemps. Il doit être jugé. Je redresse la tête et attends patiemment de voir Clarke enfin franchir cette cellule pour en sortir, et je prendrai alors sa suite. Je sens son hésitation, je sens sa rancune et sa haine... Je les sens me fouetter en plein visage, et si seulement Kalan…

« Tu aurais dû entendre ses cris quand je lui ai ôté son dernier souffle, et quand mon épée lui a arraché les tripes… »

Je me tends, et l'espace d'une seconde me surprends même à avoir envie de laisser Clarke se jeter sur lui telle une furie que rien ni personne n'arrête, sans intervenir. Sa lame menace à présent sa gorge, tandis que sous la violence de son attaque, elle l'a plaqué contre le mur dans un bruit sourd. Des gouttes de sang commencent à couler le long de sa gorge, sous la pression de son poignard qui comprime gravement sa carotide et commence à entailler sa chair. La rage de Clarke est viscérale… aussi viscérale que celle de Kalan qui a ôté la vie de Niylah.

« Clarke… » tenté-je de la réfréner, d'une voix aussi ferme et autoritaire que déterminée.

Mais elle ne m'écoute pas. Les dents serrées et les yeux embrumés, je la vois clairement lutter de toutes ses forces contre son envie de tirer une bonne fois pour toutes sur sa main gauche, clôturant ainsi ce cercle de haine. Le regard de Kalan ne la supplie absolument pas de l'épargner, il n'est au contraire que provocation, et s'il pouvait encore parler, il le ferait. Il continuerait, l'invitant même à lui prendre la vie en lui épargnant ainsi l'humiliation devant la Coalition, mais l'arme qui à présent entaille sévèrement sa gorge l'en empêche.

« Clarke ! » haussé-je la voix, pour la ramener à moi, pendant que je fais un pas vers elle, avec l'intention d'utiliser la force s'il le faut.

Si elle ne le libère pas immédiatement, elle va m'obliger à intervenir, et je ne veux pas. Je ne veux pas m'opposer à elle face à lui. Je serre les dents, et aggrave encore mon regard lorsque, fidèle à moi-même, je décide de lui faire confiance. Je stoppe alors mon avancée et reste finalement légèrement en retrait, attendant avec impatience ce moment où elle va comprendre que si elle ne bouge pas, si elle n'ôte pas sa menace envers lui, elle va sacrifier bien plus que la simple vie de Kalan qui ne vaut pas grand chose, et que je méprise autant qu'elle. Elle va sacrifier beaucoup plus que ça, et au fond d'elle-même, elle le sait. C'est d'ailleurs la seule et unique raison qui fait qu'elle n'a toujours pas tiré sur sa main gauche, qui pourtant la démange. Elle n'est pas comme ça. Clarke n'est pas une tueuse sanguinaire, et elle et moi le savons.

Lorsqu'enfin elle relâche son ennemi aussi violemment qu'elle l'a emprisonné, dans un cri de rage aussi profond que son amertume contre lui, je ne peux m'empêcher de me sentir soulagée, alors qu'elle ne l'est absolument pas. Sans m'adresser un mot de plus, elle préfère sortir de la cellule aussi rapidement qu'elle a attaqué son hôte. Aussi rapidement, et avec autant de détermination. La rage au cœur et la haine dans le regard, elle disparaît, et lorsque que je m'apprête à la suivre sans accorder une seconde de plus de mon attention à ce traitre, je stoppe mes pas sous sa voix, qui résonne à nouveau dans mes oreilles.

« Tu es faible, Heda… » commence t'il d'un ton dédaigneux, tandis que je me retourne, bien déterminée à lui manifester mon mépris, et lui adresse un léger sourire, à mon tour aussi fier que provocateur.

« C'est aussi ce que Nia a passé sa vie à me répéter. » lui réponds-je, d'un air narquois, et avec une prestance qui, l'espace d'un instant, le paralyse. « C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle a fini empalée sous ma lance. » reprends-je, à présent menaçante.

Cette piqûre de rappel le transperce en plein cœur, et a l'effet escompté. Kalan aimait Nia, je l'ai compris il y a un moment déjà. Sa dévotion envers elle n'avait d'égal que son amour.

« Ta Reine est morte parce qu'elle m'a défiée, et le même sort t'attend. Ton amour pour elle est ce qui t'aura porté à ta perte. Ton amour de la torture sera ta propre pénitence. Je te ferai endurer le pire que tu pourras endurer, la torture que tu as fait connaître à Raven, à Niylah, et à tous les autres ne seront rien, comparées à celle que moi je vais t'infliger. » lui murmuré-je calmement, mais avec hargne et détermination.

Je peux le voir déglutir face à mes menaces, et l'expression de son visage me confirme qu'elles sont prises au sérieux, et l'inquiètent réellement. En plus de répondre à ses provocations, mais pas forcément comme il l'aurait voulu, je lui prouve que le pire pour lui est encore à venir. Son désarroi se lit un instant sur son expression faciale. Comment puis-je faire encore pire que ce que lui-même prend autant plaisir à faire ? Il hésite malgré tout, et refuse en un sens de croire que j'en suis capable. Mais il ne me connaît pas. Il ne sait pas jusqu'où je suis capable d'aller… Et je lui ferai payer, dans la pire des souffrances qui soit, dans celle que lui ne sera pas capable de supporter. Mais je ne le ferai qu'avec l'appui de la Coalition, parce que je veux qu'il voit ce qu'il a tenté de détruire l'abattre, juste avant que je ne lui donne personnellement le coup salutaire. Je ne respecte pas cet homme, je le méprise même de toute mon âme, et c'est alors tout naturellement qu'il fait exactement ce que je m'attends à ce qu'il fasse : essayer une fois encore de me provoquer.

« Alors essaie de faire aussi bien que ce que j'ai fait avec Costia. » me dit-il dans un sourire narquois, qui vient juste de réapparaitre au coin de ses lèvres.

Mon cœur s'arrête subitement, et mes dents se serrent encore davantage tant je me retiens de le frapper, de même le battre à mort, et de regarder son sang tapisser les murs de cette prison sous la virulence de mes coups. Je sens ma respiration irrémédiablement se couper, pendant que mes traits se figent de douleur. Pourtant je reste impassible, et seul mon regard se vide contre mon gré quelques instants, mais malheureusement suffisants pour qu'il le remarque. Je me blâme aussitôt de lui avoir laissé ce pouvoir et reprends contenance, malgré toute la douleur intérieure qui me tiraille, à me donner envie d'hurler. Je donnerai tout ce que j'ai pour le frapper, ici et maintenant, mais le faire ne serait que faire ce que j'ai interdit à Clarke un peu plus tôt. Nous avons dépassé ce mode de fonctionnement. Le faire ne serait que le laisser gagner, et Costia ne mérite pas cela. Je me contente donc de reprendre contenance, avec toute la force que je possède, et vais chercher au fond de mes entrailles la même force qui m'a permis de rester debout après son décès, la même qui m'a permis de continuer d'avancer chaque jour sans elle et de construire tout ce que j'ai construit… et que je ne lui permettrai jamais de détruire. Jamais… Surtout pas en utilisant le nom de Costia, alors que c'est en son nom que je l'ai bâti. Aussi douloureux que cet instant est, il m'offre aussi un moment de paix que je n'attends pas… Jusqu'à présent et depuis que je pense connaître la vérité, j'ai toujours cru qu'Echo était celle qui avait fait tout cela… à Costia… à celle que j'ai aimé aussi passionnément qu'intensément. J'ai toujours cru qu'Echo était celle qui l'avait torturée juste avant de la tuer sur ordres de sa Reine, puis Roan est venu tout bouleverser en m'avouant la responsabilité évidente de Kalan, et le fait qu'il l'avait tuée. Sachant pertinemment la violence avec laquelle ils torturent dans ce clan, une part de moi n'arrivait pas à dépasser cela. Une part de moi gardait toujours une rancœur envers Echo malgré tout... Mais par ces mots, Kalan vient de m'avouer que son implication n'était peut-être pas aussi importante dans la mort de Costia que ce que je pensais depuis le début… La torture a été orchestrée et effectuée par les soins de l'ancien assassin de Nia, et non par ceux d'Echo, qui n'est finalement surement pas celle qui a fait le plus endurer à Costia... Lorsque je relève enfin le regard à son attention, un léger sourire au coin des lèvres et un soulagement tout à fait perceptible, Kalan en est totalement désorienté. Pourquoi un sourire après de telles révélations et l'évocation de la torture de celle qui avait tout mon amour ? Pour la première fois, de la peur paraît dans le fond de ses yeux, juste avant qu'il ne les dévient vers les barreaux de sa cellule, ce qui me laisse comprendre qu'une tierce personne vient juste d'apparaître dans son champ de vision. Je pense à un retour de Clarke, mais lorsque je me retourne, je m'aperçois vite que je me suis trompée.

Le regard aussi intransigeant que ferme, Echo se tient à présent là, et finit par pénétrer à son tour dans la cellule, sans prononcer un seul mot. Les traits fermés, il fut un temps où j'aurai douté de ses réelles intentions. La voyant ainsi vêtue, et surtout ici présente sans Roan, Kalan comprend de suite que le Roi n'est plus. Il en arrive à esquisser un sourire satisfait, ce qui déplait fortement à Echo, bien qu'elle s'abstienne dans un premier temps de répondre à son regard provocateur et irrespectueux.

« Notre bon Roi n'a visiblement pas régné bien longtemps… »

Sa nouvelle reine ne peut alors s'empêcher de s'approcher dangereusement de lui, ce qui me met en alerte. Je sais de quoi Echo est capable, et manquer ainsi de respect à Roan peut à tout moment faire dégénérer la situation. Kalan doit être jugé devant la Coalition, et par elle, sinon tous ces efforts auront été presque vains, mettant en péril la paix et l'absence de violence que je revendique avec tant d'ardeur et de conviction. Echo et moi savons pertinemment ce que Kalan cherche à faire, et c'est pour cette raison que malgré une grande hésitation et une rage évidente dans le regard, elle finit par se reculer de nouveau, tout en serrant fortement la mâchoire.

« Tu es tellement faible que tu acceptes aujourd'hui de t'agenouiller devant celle qui a tué ta Reine, trahit ton propre clan, tué ton père… Et tu penses naïvement qu'elle te pardonnera réellement d'avoir tranché la gorge de celle qu'elle aimait ? » nous provoque t'il narquoisement.

Immédiatement, le regard d'Echo s'anime à nouveau dangereusement, mais j'y perçois aussi des remords que je ne suis pas habituée à y voir. Le mien se durcit, alors que je ne comprends pas réellement ce qu'il veut dire par là, bien que consciente de ses réelles intentions, et je sens ma colère m'envahir de plus en plus, crispant les muscles de mon visage. Je me dois pourtant de ne pas répondre à ses provocations, et espère qu'Echo fera de même. Mais lorsqu'elle s'approche à nouveau de lui, je comprends que quelque chose ne va pas… Suis-je dans l'erreur ? Qui a réellement tué Costia ? Qui a donné le coup salutaire ? La main serrée d'Echo sur le manche de son épée, le regard plus menaçant que jamais, je fais finalement un pas en avant, et interviens d'une voix autoritaire et forte pour la stopper dans son action à venir.

« ECHO ! » lui ordonné-je, stoppant ainsi de justesse ses pas, alors qu'elle lutte contre son envie de mettre fin à ce manque de respect ou à cette vérité qu'elle refuse de voir ainsi lui être rappelée en ma présence...

« Tu es encore plus faible que ce que je pensais. » continue t'il de la provoquer, dans un regard si dédaigneux, que moi la première je désire plus que tout en finir. « Je n'ai jamais compris ce que Nia te trouvait… Tu ne vaux pas mieux que son fils, qui était une honte pour notre clan. Une honte au sang royal. Tu ne vaux pas mieux que toute la vermine que nous éliminons depuis des années… » continue t'il en détournant le regard vers moi.

Soudain, Echo le saisit violemment par le col, et lui attrape la gorge en le plaquant, d'une seule main, avec une force impressionnante contre le mur. A seulement quelques millimètres de son visage, la rage au ventre, je n'ai pas d'autres choix que d'hausser la voix à l'encontre de la Reine d'Azgeda.

« LACHE-LE ECHO ! » crié-je, avec autant de force de détermination.

Alors, elle le frappe de toutes ses forces au visage, juste avant de laisser tomber son emprise, en regardant avec satisfaction le sang qui vient de tapisser le mur juste à côté de son épaule. Kalan crache par terree et met quelques secondes à s'en remettre, pendant qu'Echo plonge son regard haineux dans le mien. J'incline la tête et lui ordonne d'un geste silencieux de s'éloigner de lui, pendant qu'à mon tour, je l'observe, toute aussi haineuse qu'elle. Tandis qu'il finit par se relever en prenant appui sur son genou, il s'essuie à peine la bouche de ses mains enchainées, et murmure à l'intention de sa reine comme ultime provocation :

« Tu es aussi faible que ton père. »

Elle s'apprête à se jeter à nouveau sur lui, quand je lui signifie de s'abstenir en mettant mon bras juste devant sa poitrine. La fermeté de mon regard croisant le sien lui déconseille fortement cette fois de me désobéir. Cependant, l'espace d'une seconde, elle comprend que je ne laisserai pas cela impuni. Elle sait comme moi ce qu'il cherche. Il cherche à briser ce que nous avons eu tant de mal à construire. En provoquant Echo de la sorte, en la poussant à le tuer, il la pousse à trahir sa parole envers moi, et à mettre à mal ma position, et la sienne, au sein de à la Coalition. Il tend à briser cette alliance naissante, et en laquelle nous tous croyons. Si Echo cède à ses pulsions, elle lui permet de le faire, et ça… je ne peux pas l'accepter. Sa poitrine se lève violemment contre mon avant-bras, et je sens toute sa tension communicative parcourir mon bras. Kalan sait que la seule chose qui le maintient encore en vie à cet instant est ma détermination à sauver tout ce que lui tente de détruire.

« Sa faiblesse lui a couté sa vie, et si tu ne prends pas celle de Lexa, TA faiblesse te coutera la tienne. »

« La haine de Nia n'est plus Kalan, Azgeda fait désormais partie de ma Coalition, et ta propre faiblesse et ta haine ne briseront pas ce que nous allons construire ensemble avec ta Reine. » lui réponds-je, aussi dédaigneusement que possible.

« Tu crois vraiment que ton clan te suivra ? Nos hommes ne respectent que la force…. Tu n'es pas digne de nous mener… » s'adresse t'il à cette dernière.

« Nous ? » lui répond violemment Echo, en lui coupant la parole. « Il n'y a pas de nous, parce que tu n'en fais plus partie. Les traitres n'ont plus de place à mes côtés. JE suis Reine désormais, et toi tu n'es RIEN. Tu n'es rien pour moi, tu n'es plus rien pour ces hommes, et Roan a déjà fait preuve d'indulgence en t'épargnant, mais je ne ferai pas la même erreur. » le menace t'elle, ce qui provoque un petit sourire au coin des lèvres de Kalan. « Celui que tu considères comme faible, tu lui dois ta vie. Je respectais Nia, mais aujourd'hui je sais que sa haine ne nous aurait menés nulle part. Aujourd'hui je le sais, et Roan le savait autant que moi. »

« Tu vas payer pour tes crimes, Kalan. » me contenté-je de compléter les dires d'Echo. « Le semblant de pouvoir que tu as autrefois possédé n'est plus qu'un vague souvenir illusoire aujourd'hui. Il est mort en même temps que ta Reine, qui a osé me trahir, a osé défier Heda et a osé tuer Sannah. » continué-je en m'approchant à nouveau de lui, jusqu'à lui murmurer, plus hargneuse que jamais. « …. Qui a osé tuer Costia, et mettre en péril la Coalition. Tu es fini Kalan, et comme je te l'ai déjà dit, je veux que tu vois toute ta vie de haine s'effondrer. Je veux que tu vois tout ce que tu as combattu et renié toute ta vie vaincre. Je veux que tu vois la Coalition vaincre, et se relever de tout ce que nous avons traversé, alors que toi tu ne seras que la poussière sur laquelle elle marchera… »

Voyant qu'il ne parvient à rien briser en dépit de tous ses efforts, qu'Echo affiche un regard satisfait et approbateur de mes paroles, Kalan se décompose petit à petit… Malgré la position de force qu'il pensait avoir, il en arrive à réaliser que tout n'est en fait qu'illusion, comme rattrapé par sa dure réalité. En face de lui se trouve une alliance plus forte et plus sincère que jamais, et ni Echo, ni moi, ne lui permettons d'en douter. Il sera bel et bien jugé, il comprend qu'il sera surement tué, mais surtout que sa mort ne fera aucune différence. Il n'est rien, et il n'a rien d'autre que notre mépris. Il n'est pas fort, mais faible… Il est même plus faible que jamais, insignifiant, presque inexistant, et cela le déconcerte au point de le voir perdre contenance juste devant nous… A présent nous nous délectons du spectacle. Ses traits se tirent, puis se figent. Sa rage ne cherche même pas à s'exprimer, tant elle est complètement étouffée par notre force qui s'impose juste devant lui. Complètement contenue par la force qu'Echo et moi représentons. Il ne peut rien face à moi… face à nous. La rage et la violence ne peuvent rien face à l'espoir.

Je regarde alors Echo d'un air satisfait et victorieux, et sans un mot, prends la direction de la sortie en sachant pertinemment qu'elle va marcher dans mes pas. Je viens de passer la porte quand la voix de Kalan s'élève une dernière fois de la cellule, nous stoppant toutes les deux :

« Ma plus grande erreur a été de ne pas tuer ton père en même temps que Sannah…. » murmure t'il avec dégout, la bouche ensanglantée par le coup de toute à l'heure octroyé par sa Reine.

Le regard d'Echo qui se terrifie à l'entente de ces propos, tandis que je lui saisis le bras, et l'entraine avec moi avant-même qu'elle ne puisse réagir. Elle comprend comme moi ce que cela signifie… Elle comprend alors que toutes ses certitudes s'effondrent, et que toute sa vie a été bâtie sur un mensonge. Elle comprend irrémédiablement que des vies ont été prise à cause d'une vengeance qui n'avait pas lieu d'être, et que tout n'était qu'illusion. Elle, comme moi, réalisons qu'une grande partie de notre passé commun n'aurait jamais été comme cela si nous avions su l'une comme l'autre la vérité. Alors que je fais signe à mes gardes de reprendre position, et que nous pénétrons sans un mot de plus dans la cage d'ascenseur, la Reine d'Azgeda étouffe ses larmes, et ce n'est que lorsque je plonge mon regard dans le sien que pour la toute première fois, nous nous comprenons. Pour la toute première fois, je peux voir la femme blessée par sa propre histoire, qu'elle pensait connaître et sur laquelle elle a fait reposer tous ses choix, qui pour certains lui ont presque tout couté. Pendant qu'elle se mord l'intérieur de la lèvre, je déglutis et lève les yeux au ciel, silencieusement mais aussi rageusement qu'elle ne souffle, retenant ses cris de haine. La nervosité d'Echo ne me laisse pas indifférente, et d'un coup, elle se retourne violemment et frappe de toutes ses forces cette cage métallique, pendant que je l'observe d'un œil averti, sans pour autant bouger. Elle pousse un cri de rage et laisse enfin ses larmes dévaler ses joues, en perdant toute contenance devant moi, abandonnant ainsi toute façade. Si un jour on m'avait dit que ce genre de moment pouvait arriver entre elle et moi, je ne l'aurais pas cru. L'extrême vulnérabilité d'Echo, portée par ses regrets et ses remords, est la seule chose qui habite actuellement cet espace clos dans lequel nous nous trouvons. Nous deux, seules, face à notre passé si tumultueux… Aussi calmement que possible, je me tiens face à elle, et ce n'est que lorsqu'elle se retourne enfin vers moi, les yeux humidifiés, qu'enfin elle se confronte à toute ma force… Bien-sûr que je réalise. J'ai tué son père, pensant qu'il était l'assassin de Sannah, mais…

« Nia n'a jamais su. Elle n'a jamais su la vérité. » rage t'elle.

« Nia était capable du pire. » me contenté-je de lui répondre, en toute sincérité.

« Nia aimait mon père… Et mon père aimait Nia. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles elle… »

« On ne refait pas le passé Echo. »

« Non, mais si tu avais su que ce n'était pas lui, tu n'aurais pas tué mon père. » me dit-elle, sans parvenir à dissimuler sa peine.

Je prends une profonde inspiration, en déglutissant. Je sais qu'elle a raison, et oublie l'espace d'un instant toute cette haine qui a guidé nos pas pendant plusieurs années pour lui répondre, sincèrement et compatissante :

« J'aurai tué l'assassin de Sannah, uniquement. Ton père ne m'a jamais dit qu'il n'était pas le responsable. »

« Bien-sûr que non, il ne l'a même pas avoué à sa propre fille, il était bien trop dévoué à Nia... Comme je l'ai été moi-même… » se reproche t'elle.

Je sais très bien qu'à cet instant précis, elle regrette amèrement d'avoir dévoué sa vie à une femme emplie de haine et d'ambition, en la mémoire de son défunt père, l'amenant ainsi à suivre le cercle de violence de Nia, et à me haïr plus que quiconque, pour une raison qui finalement n'avait pas lieu d'être. Sauf qu'aujourd'hui elle réalise que les choses auraient pu se dérouler autrement. Tout aurait pu être différent… Elle lève la tête vers le haut, alors que l'ascenseur arrive enfin en haut de la Tour. Lorsque j'en ouvre les portes, et m'apprête à les passer, elle m'interpelle, m'obligeant à lui faire face à nouveau :

« Il y a quelque chose qu'il faut que tu saches. » commence t'elle, pendant que je rehausse le regard, dans l'attente d'entendre ce qu'elle a à me dire. « Après avoir bâti ma vie sur un mensonge, il y a une chose qu'il faut que tu saches. Je n'ai pas envie de construire notre future alliance sur le même type de fondation que notre passé l'a été. »

Elle sait désormais par l'expression de mon regard qu'elle a toute mon attention, et ma gratitude d'agir de cette façon, en faisant preuve d'autant de dévotion. Ainsi elle me fait part une fois encore de son implication et de sa sincérité dans ce que nous envisageons comme avenir ensemble. J'incline la tête en guise d'approbation, juste avant qu'elle ne continue :

« C'est bien moi qui ait tuée Costia. Mais… je n'avais pas pour ordre de le faire, lorsque je l'ai fait. » me confesse t'elle, alors que mon regard se durcit, et que je déglutis, en serrant les dents. « Un soir, je suis allée la voir… Il y avait une chose que j'admirais chez elle, et que je respectais malgré tout. Elle avait cette force… et cette détermination à ne jamais te trahir, quoi qu'elle endure, quoi qu'on lui inflige. Toutes les tortures avaient été vaines, elle n'abaissait pas les armes. Elle avait ce courage de faire face à ce que Kalan lui faisait vivre depuis plusieurs jours, encore pire que ce que tu as pu voir dans le bunker, et qui a couté la vie à Niylah… Je respectais et quelque part admirais profondément la résistance de Costia… »

Alors que ces mots si douloureux sortent de sa bouche, je ne peux empêcher mon esprit de divaguer, et mes pensées de se replonger dans ce passé atrocement douloureux. J'inspire aussi profondément que possible, pendant qu'elle continue, me permettant enfin d'avoir le sentiment de, cette fois, savoir l'entière vérité sur cet événement qui a hanté mes dernières années.

« Quand je suis allée la voir ce soir-là, alors que personne ne le savait, je voulais quelque part me confronter à elle. Je ne savais pas si je l'admirais de nous résister, ou si je la haïssais de ne pas te trahir, et de ne pas nous donner ce que nous voulions. Elle avait beau être à demi-morte, son esprit lui, était bel et bien immortel. Elle était indestructible, Lexa. J'y suis allée dans le but d'essayer avec elle autre chose que la torture physique, je voulais la torturer autrement, même si je ne savais pas exactement comment, mais en arrivant devant elle… l'admiration que je lui portait malgré moi m'a empêché d'y parvenir. Nous avons échangé quelques mots, parmi lesquels elle m'a dit une chose que je n'ai jamais oubliée, mais qui ne prend son réel sens qu'aujourd'hui… Ce soir-là, Costia m'a dit qu'au cours de sa torture, Kalan lui avait avoué vouloir ma perte, parce qu'il me pensait faible comme mon père, et que les faveurs de Nia n'auraient jamais dues être pour mon père mais pour lui-même…. Je ne l'ai pas crue… Je… » s'arrête t'elle, en déglutissant difficilement.

Mon ventre se noue, pendant que je reste pourtant immobile face à elle. Ma poitrine me tiraille, et ma gorge se noue fortement, mais je ne bouge pas d'un millimètre.

« Je ne l'ai pas crue, Lexa. Aujourd'hui, je sais qu'elle m'avertissait, mais à l'époque, je… Je ne l'ai pris que comme une provocation. »

« Pourquoi l'as-tu tuée, si tu n'en avais pas l'ordre ? » lui posé-je malgré tout la question qui me brûle les lèvres depuis le début de la conversation.

« Je l'ai tuée parce que j'ai réellement compris ce soir-là, dans son regard et au cours de cette conversation, qu'elle ne nous dirait jamais rien. Je l'ai tuée parce qu'une part de moi la respectait autant qu'une autre part de moi te haïssait. Je l'ai tuée parce qu'après m'avoir parlé, après m'avoir dit que la haine de Nia aller finir par un jour mener notre clan à sa perte, je lui ai demandé à quel point elle t'aimait et te serrait fidèle… »

« « Ici, maintenant et pour l'éternité. » » terminé-je sa phrase, en déglutissant difficilement et en ravalant mes larmes.

« Je suis désolée. Je… Je n'ai jamais dit à Nia la vérité, tu es aujourd'hui la seule à la connaître, et je te dois bien cela. J'ai toujours dit à Nia que Costia avait tenté de me tuer, mais ce n'est pas vrai. Elle méritait selon moi plus que de mourir comme une simple prisonnière, c'était une guerrière, et j'ai toujours admiré son courage. Nia a ensuite pris la décision de te faire envoyer sa tête… Je l'ai tuée mais je ne suis pas celle qui l'ait torturée, bien qu'à l'époque je l'aurai fait avec honneur pour servir Nia. Kalan a compris que j'étais la réelle responsable de sa mort, mais c'est un secret qui est resté entre Nia, Kalan et moi. Roan n'a même jamais su que j'étais celle qui avait tué Costia et a toujours pensé que c'était Kalan. Il n'a encore moins su les réelles raisons de mon acte… Je suis vraiment désolée, et pour qu'on puisse partir sur de réelles bonnes bases, je te dois l'entière vérité, et de sincère excuses, Heda… »

Une multitude de sentiments conflictuels s'emparent de moi à cet instant… De la peine, de la colère, de la rancœur, mais aussi de la gratitude, du soulagement, et une sensation de liberté et d'apaisement. Je souffle, et après avoir levé les yeux au ciel en entendant la sincérité et les remords d'Echo, tout en prenant en considération ce que nous venons juste d'apprendre, je finis par reposer mon regard dans le sien qui n'est alors qu'un mélange d'amertume et de regrets. Au fond de moi, je sais que même si je l'ai toujours haïe d'avoir ôté la vie à Costia, elle lui a peut-être été salutaire. Imaginer sa souffrance est ce qui me hante depuis des années, et par sa confession, Echo me confirme que chaque minute passée à Azgeda n'a été que souffrance et déchirement pour Costia. Elle a abrégé sa torture, là où moi je n'ai pas pu intervenir. Elle l'a en un sens libérée, là où moi je n'ai pas pu faire. Costia était le genre de personne qu'on ne pouvait qu'admirer, et je ne remets pas en doute l'honnêteté d'Echo à ce propos. Elle aurait pu ne rien me dire, elle aurait pu taire cette partie de son passé qui a aussi fortement influencé le mien. Mais l'attitude de Kalan quelque instants plus tôt a surement changé la donne, et je sais juste que si les choses avaient été différentes, nous n'en serions peut-être pas là aujourd'hui. En tout point… Je déglutis et lutte contre cette douleur qui oppresse ma poitrine, alors que l'échange de nos regards silencieux est lourd de sens. C'est donc difficilement, mais quelque part enfin libérée d'un poids qui pèse sur mes épaules depuis trop longtemps déjà, que je finis par rompre ce silence dans lequel nous nous confrontons toutes deux aux blessures de nos passés respectifs, mais pourtant bien liés :

« J'apprécie le fait que tu m'aies dit tout cela. »

« Aujourd'hui, j'aurai préféré ne pas avoir à le faire. Si Kalan… » maugrée t'elle, haineuse contre lui..

« Kalan sera jugé pour ses crimes. » lui affirmé-je avec détermination dans le regard et la voix, pendant qu'elle acquiesce d'un signe de tête reconnaissant. « Je ne laisserai rien ni personne s'opposer à ce que le sommet de demain déterminera pour notre avenir à tous. Il paiera pour ses crimes, envers moi, envers la Coalition, envers son propre clan, et envers toi. »

Après l'avoir saluée d'un signe de tête lui signifiant qu'il est maintenant temps pour elle de prendre congé si elle n'a rien d'autre à ajouter, je tourne les talons et commence à me diriger vers la salle du Trône, tandis qu'elle fait demi-tour pour aller vaquer à ses occupations et responsabilités. J'inspire profondément, soulagée d'avoir enfin, grâce à elle, pu mettre la lumière sur les éléments manquants concernant la mort de celle que j'ai aimé avec autant de dévotion que de passion. Malgré la douleur que ces révélations ont fait resurgir, je me sens à présent libérée, et ait l'impression de voir le visage apaisé de Costia apparaître devant moi, alors que je pose mes mains sur les poignées des lourdes portes. Après une seconde d'hésitation, durant laquelle je me retrouve face à elle, et à son sourire radieux et enfin soulagé, je finis par les pousser et pénétrer dans cette salle qui m'a vue évoluer, et devenir celle que je suis aujourd'hui… avec un sourire apaisé illuminant mon visage.


Le soleil baigne de sa luminosité décadente la pièce, alors que trois silhouettes se dessinent devant moi, apparaissant de plus en plus distinctes, au fur et à mesure que je marche vers elles. Debout devant le Trône, les trois m'observent avancer, aussi majestueusement que naturellement, en foulant le tapis qui s'étale des portes jusqu'au Trône. Gaïa et Clarke m'accordent un sourire, et ce n'est que lorsque j'arrive à enfin à leur hauteur que je passe mes mains derrière mon dos, et observe à présent l'enfant qui se tient aux pieds de Clarke. J'incline légèrement la tête et esquisse un sourire à son attention. La détermination qui jaillit du bleu-vert de ses yeux n'est pas sans me rappeler la mienne à son âge. L'insouciance de son petit visage rond vient ainsi nuancer l'extrême maturité qui en ressort. Tasya me regarde fixement, avec autant de douceur que d'admiration, et elle se pince ses lèvres pulpeuses avec cette façon si délicate et si mignonne, juste avant d'incliner la tête avec un respect que l'on perçoit peu chez les enfants de son jeune âge. Elle n'est pas non plus sans me rappeler Aden lorsqu'il est arrivé à Polis… bien qu'il était légèrement plus vieux qu'elle. Puis elle m'accorde un sourire presque naïf, auquel je réponds, sous le regard attendri de Clarke. Elle n'a que six ans, et n'est qu'à l'aube de sa vie. Lorsque je la regarde, je revois chacun des visages de Natblidas que j'ai connus, que ce soit ceux contre qui je me suis battue ou ceux que j'ai élevé pendant des années, et qui se sont faits lâchement tuer. Je revois chaque enfant dont le destin était plus ou moins écrit en raison de son sang. Je me revois moi, enfant, alors que j'étais encore insouciante et inconsciente de ce que la vie me réservait, alors que je ne me posais pas la question de ce que chaque choix que je ferai aurait comme conséquence. Lorsque je regarde la beauté de ce visage, j'inspire profondément, et réalise que cette enfant mérite de tout savoir, elle mérite que je lui enseigne tout ce que je sais, parce que cette enfant, comme tout les autres, est notre avenir. Ce sont eux notre avenir… Nos enfants, ceux que nous élevons et à qui nous transmettons notre savoir et nos valeurs. Tasya représente tout ce pour quoi notre futur doit être différent de notre passé… Elle et tous les autres… Et alors que nous sommes à l'aube de ce réel changement, son regard me rappelle qu'ils méritent mieux. Ils méritent de connaître des jours meilleurs que leurs parents. Elle est natblida, alors que tous ne le sont pas… mais tous sont notre descendance. Je suis perdue dans cet échange qu'elle et moi partageons, lorsque la douceur de la voix de Clarke me ramène à la réalité :

« Lexa… » m'interpelle t'elle, alors que je détache enfin mon regard de Tasya, qui à présent, se rapproche de Gaïa, et vient se positionner devant elle, tout en me regardant.

« Heda… » renchérit Gaïa, me rappelant que je dois me prononcer concernant cette enfant.

« Tasya restera ici à Polis avec moi, et je lui apprendrai tout ce que je sais. Je la formerai. » confirmé-je bien à Gaïa, qui acquiesce dans un sourire presque soulagé. « Mais je ne le ferai pas uniquement parce qu'elle est Natblida… » continué-je, ce qui maintenant la surprend. « Où sont tes parents ? » m'adressé-je directement à la concernée.

« Ils sont morts. » me répond t'elle, avec un tel aplomb que cela en est presque déconcertant.

J'admire sa force. Et c'est donc tout naturellement que je continue de m'adresser directement à elle, en oubliant Gaïa. Seule Clarke reste dans mon esprit présente à mes côtés, alors que je plonge mon regard dans celui de Tasya.

« Veux-tu rester ici à Polis, avec moi ? »

Lorsque je lui demande cela de cette façon, Gaïa ne peut s'empêcher de contester, et je lève alors la main pour lui signifier de ne pas intervenir. Je m'adresse à Tasya, et ne veut que sa réponse, sans tenir compte des traditions ou des obligations, mais uniquement de ce qu'elle a envie de me répondre. Après avoir adressé un geste ferme à la fille d'Indra, et sous le regard quelque peu déconcerté mais tout à fait compréhensible de Clarke, je réitère ma question d'une voix douce à cette enfant, qui, après avoir lancé un regard empli de surprise à Gaïa, puis à Clarke, me regarde à présent avec des yeux ronds, juste avant de laisser un léger sourire apparaître sur le coin de ses lèvres. C'est alors qu'elle s'avance dans ma direction, et du haut de son jeune âge, vient me répondre de sa voix fébrile, mais déjà bien assez déterminée :

« Oui, Heda. »

J'incline alors la tête en guise d'approbation, et ne tient pas compte de ce que peut en penser Gaïa. J'ai laissé le choix à Tasya, et après plongé mon regard dans celui de Clarke pendant un instant alors qu'elle sourit, je m'adresse à nouveau à cette enfant, dont je ne veux pas que la destinée soit déterminée par son sang, en lui murmurant :

« Alors je vais t'apprendre tout ce que je sais, à commencer par m'appeler Lexa. Je vais t'apprendre ce que j'ai moi-même appris, je vais t'enseigner comment fonctionne le monde, comment évoluer dans notre monde, et te faire découvrir tout ce qu'il a à t'offrir. Mais je vais avant tout t'enseigner une chose que tout le monde devrait savoir, une chose que personne ne devrait oublier, et que je n'ai moi-même réellement compris que bien tard… » lui dis-je, juste avant de relever mon regard vers ce regard empli de bienveillance et d'amour qui se pose sur nous, et c'est en m'y perdant dedans que je termine ce que je suis en train de dire à Tasya dans un sourire « Je vais t'apprendre à vivre… »


Alors que je referme derrière moi la porte de cette chambre, qui sera désormais celle de Tasya, un léger sourire dessiné au coin des lèvres, je traverse le couloir et me dirige vers la mienne. Le soleil est à présent totalement couché, et seules les bougies qui brulent de manière quasiment continue illuminent cette pièce, si chère à mon cœur et dans laquelle je me sens si bien. J'en foule le sol délicatement en me dirigeant vers mon lit, juste avant d'ôter mon manteau et de le déposer sur ce canapé en plein milieu de la pièce. Je me dirige ensuite vers la fenêtre, juste avant de me dévêtir à présent de ma ceinture, et de laisser tomber mes bottes sur le sol. Puis je me livre au silence qui règne à nouveau sur la ville, en inspirant profondément depuis ma balcon cet air de sérénité qui m'a tant manqué. Je sais que Clarke ne va pas tarder, elle avait des choses à régler avec sa mère et Kane avant le sommet de demain. J'ai d'ailleurs demandé à Gaïa de tenir le rôle que Titus tenait en un sens auparavant à mes côtés, et lui ai donc ordonné d'aller annoncer ce fameux sommet, prévu demain en fin d'après-midi, en la présence de tous les ambassadeurs, les chefs de clan, et leurs seconds. Je veux que la Coalition soit au grand complet. Ce sommet sera décisif, et lèvera une fois pour toutes le voile sur mes plans concernant son futur. Suite à ma requête, Clarke a tenu à aller consulter sa mère, ainsi que Kane, pendant que je m'occupais d'attribuer à Tasya ce qui sera à l'avenir sa chambre. Je souffle en me disant qu'il y a beaucoup de choses dont je dois discuter avec Clarke la concernant, mais ce que j'envisage pour la Coalition est au cœur des pensées de WanHeda, et je le sais parfaitement. Tant que ce sommet ne sera pas passé, il y a trop d'incertitudes pour elle pour entrevoir de manière définitive quoi que ce soit concernant cette enfant. Et en un sens, je lui donne raison, bien que je sois quand même déterminée à respecter ma parole faite à Tasya… Nous devons d'abord discuter de ce que j'entrevois, et la réaction des membres de la Coalition sera déterminante… Je lève mes yeux vers le ciel et observe à présent la lune, qui éclaire la totalité de la ville. Elle est pleine ce soir, et je souris à cette pensée, parce que la pleine lune est une chose que j'ai toujours adoré. Les étoiles qui l'entourent laissent apparaître des formes parfois liées aux constellations, et parfois totalement différentes… La montagne qui se dessine en plein milieu du ciel actuellement en est la preuve évidente.

Soudain, je me retourne en entendant la porte s'ouvrir, et décide alors de revenir vers le centre de la pièce… Je n'ai même pas pris le temps de me démaquiller, et c'est dans un haussement de sourcil et un regard moqueur que Clarke me le fait d'ailleurs remarquer, pendant qu'elle ôte ses chaussures et les balance juste à côté du pied du lit. Je me tiens droite et l'observe sereinement, avec un petit sourire en coin, en train d'à présent enlever sa veste, laissant ainsi apparaître le haut dénudé de son buste. Malgré la gravité de la situation, malgré tout ce qui se jouera demain, ce qui se déroule sous mes yeux me paraît tellement habituel, tellement familier et simple, que je n'arrive pas à dissimuler ce sourire de bien-être qui illumine mon visage. Ce n'est que lorsque Clarke arrête de bouger pendant quelques secondes, en se perdant dans mon regard alors qu'elle se trouve à quelques mètres de moi, qu'elle finit enfin par me rendre mon sourire. Le bleu de ses yeux se mêle alors naturellement au vert des miens, et la beauté qui en ressort ne peut que nous aveugler. C'est donc ensemble que nous faisons un pas en avant, sans un mot de plus, jusqu'à nous trouver à seulement quelques millimètres l'une de l'autre… Je fais glisser délicatement mon pouce droit sur le contour des lèvres de Clarke, qui, comme moi, n'a aucune envie de parler… Elle étouffe un petit rire, tout en laissant sa main parcourir mon cou, puis de l'apposer sur une mèche de mes cheveux qui tombe sur le côté de ma joue. Pourtant, ils ne sont pas non plus détachés, et mon visage est pourtant relativement dégagé… Mais cette mèche rebelle n'échappe absolument pas au regard de Clarke, qui entreprend d'en reprendre le contrôle, tout en me dévisageant aussi tendrement qu'amoureusement. Je balade alors à mon tour mes doigts fins sur l'intégralité de sa mâchoire, frôlant sa peau qui ne peut s'empêcher de répondre à la douceur de mes caresses, juste avant de les laisser naturellement descendre le long de son cou, jusqu'à son buste. Le creux de son entre-seins attire incontestablement mon regard, ce qui la fait râler… Parce que Clarke ADORE se perdre dans l'immensité de mon regard, et c'est donc d'un geste délicat qu'elle me relève le menton, pour venir poser ses yeux dans les miens. Je lui souris, et viens chercher ses lèvres, en inspirant profondément. Puis je me délecte de la chaleur humide de son baiser, et attire son corps tout entier contre le mien, l'emprisonnant avec moi dans une étreinte fusionnelle. Au contact de ma peau, je sens la sienne frémir... Rien ne pourrait briser notre baiser, si ce n'est elle, lorsqu'elle me repousse félinement. Son regard toujours perdu dans le mien, un sourire radieusement coquin pendu au coin des lèvres, elle descend ses mains le long de mes hanches et les amènent devant moi, juste avant que je ne sente mon ventre se tendre de désir. Son index vient doucement déboutonner mon pantalon, et je ne peux m'empêcher de l'attirer contre moi. J'ai immédiatement besoin du contact de sa peau, j'ai envie de sa chaleur et de partager la vie qui m'habite avec elle. Elle abaisse alors mon pantalon, et je ne peux empêcher ce sourire niais d'apparaître sur mon visage, pendant que son pied vient à présent finir d'abaisser le tissu, duquel je ne tarde pas à sortir mes propres pieds pour regagner toute l'aisance que je désire dans mes mouvements. Les mains délicatement entreprenantes de cette fille à qui je m'offre totalement ce soir se promènent librement sur les courbes de mon corps, pendant que les miennes viennent se perdre sur l'échancrure de son dos. Je couvre son buste de baiser, pendant qu'elle laisse échapper un râle de plaisir, et lorsque mes doigts viennent glisser dans son épaisse chevelure blonde comme les blés, elle se cambre légèrement, s'offrant à présent à son tour totalement à moi. La lumière tamisée de la pièce vient baigner nous deux corps, qui en quelques minutes à peine se retrouvent totalement dénudés, pris d'une frénésie de désir passionnel. Je sens l'étreinte de Clarke autour de mon bassin, et je prends un plaisir inconditionnel à laisser mes mains courir sur chaque parcelle de son dos, sans aucune restriction. Sans casser le rythme de la danse de nos baisers tendres mêlés à nos sourires aimants et passionnés, Clarke me saisit alors la main et la porte à hauteur de nos deux visages, tout en entremêlant nos doigts, qui se mettent naturellement à danser ensemble en parfaite osmose. Nous les regardons un instant, puis décidons de suivre leur mouvement. L'harmonie qui règne en ces lieux nous rappelle toujours plus pourquoi la vie vaut la peine d'être pleinement vécue… La beauté de Clarke à cet instant n'a d'égale que sa bonté… Je l'aime, pour ce qu'elle est, pour sa force, sa sensibilité, sa vulnérabilité, son courage, sa compassion… Je viens saisir sa nuque et l'attire vers mes lèvres, pendant qu'elle répond à mon baiser enflammé que vulnérable... Puis elle rompt notre étreinte et m'entraine par nos mains toujours liées vers le rebord du lit, où elle finit par s'asseoir, le regard pétillant de vie et d'amour pour moi. Je la pousse encore un peu plus, pour qu'elle soit bien assise au milieu de ces couvertures de peaux, et passe alors ma jambe droite par dessus les siennes… Juste avant de venir m'asseoir sur ses cuisses, tout en venant m'agripper voluptueusement à ses reins. Elle vient alors à son tour poser ses mains sur mes hanches, avant de les faire courir sur mes fesses, pendant que je frissonne et que ses lèvres viennent s'accrocher presque désespérément aux miennes. Nos cœurs battent à l'unisson… d'un seul et même son, sur le même octave… plus rien d'autre ne saurait exister autour de nous. Il n'y a dans cette pièce que nous deux vies, nous deux âmes qui s'aiment, nos deux corps qui dansent ensemble, et cette douce mélodie enivrante qui émane de nos baisers. Il n'y a que nous, et rien que nous. Il n'y a pas de passé, pas de futur, une absence totale de peur, de remords ou de regrets. Il n'y a que la vie et l'amour infini que nous nous portons… Je viens glisser mes doigts aussi fins que délicats le long de ses flans, pour regagner sa nuque, tandis que mes pouces caressent à présent ses joues. Je sens alors mon regard habité par tout l'amour que je lui porte. Je le sens pétiller… Et c'est avec et dans cette lumière chaudement tamisée, que je peux percevoir alors naturellement chaque étoile briller dans le bleu du ciel de ses yeux. Chaque étincelle est un joyau que je me dois de préserver et de chérir.

« Je t'aime… » me murmure t'elle dans un sourire, auquel je réponds d'un regard silencieux, mais bien amoureux. « Je t'aime infiniment, Lexa. Je ne te l'ai jamais dit, mais je t'aime. Je donnerai ma vie pour toi, je mourrai pour toi, et… »

« … » lui réponds-je finalement en apposant sensuellement mon pouce droit sur ses lèvres.

Puis, j'appose mon front contre le sien, pendant que je sens le contact de sa peau enflammer la mienne au niveau de ma poitrine. Je sens sa respiration s'accélérer, jusqu'à devenir haletante, et pendant que nos nez se frôlent, je caresse aussi ses lèvres avant la folle envie de les embrasser.

« Je ne veux pas que tu donnes ta vie pour moi, Clarke… Je ne veux pas que tu meures pour moi… Parce que je veux que tu vives pour moi, et avec moi. Je te veux à mes côtés, parce que je t'aime, Clarke Kom Skaikru… Je t'aime infiniment, d'un amour que je ne pensais plus jamais pouvoir ressentir. Tu m'as permis de revivre. »

« Tout comme toi tu m'as permis de pleinement apprendre à vivre… » me répond t'elle, dans un sourire des plus sincères.

C'est alors en toute vulnérabilité, en parfaite confiance et dans une infinie plénitude de bien-être qu'elle vient déposer un baiser empli d'amour sur mes lèvres, comme elle ne l'avait encore jamais fait, pendant qu'elle s'allonge, en m'entrainant avec elle. Elle s'offre entièrement à moi, et, soulagée de ces quelques mots échangés desquels nous ne doutions pourtant pas, elle m'aime… inconditionnellement. Elle se sent en sécurité, et me remet les clés de son cœur. Son cœur que clairement, personne n'a jamais possédé de cette manière... Mais Clarke ne me dit pas seulement, à travers cet instant d'amour éternel que nous partageons, que je suis spéciale à ses yeux… Non, Clarke me fait aussi comprendre qu'elle est honorée et reconnaissante d'être aujourd'hui à mes côtés, là où personne n'a jamais été hormis Costia. Clarke se sent heureuse, réellement heureuse, d'avoir ce qu'elle considère comme la plus grande chance et le plus grand bonheur de sa vie. Je plonge mon regard dans le sien, et l'espace d'un instant, nous restons immobiles, nos corps entremêlés et surtout liés par la chaleur de nos cœurs. Je ne peux m'empêcher de sourire radieusement, et pendant qu'elle se perd dans la profondeur et l'intensité de mon regard, de lui répondre silencieusement que notre amour est aujourd'hui ce qui nourrit nos âmes. Cet amour ne nous consume pas… Au contraire, il nous élève. Nous avons souffert, mais nous sommes toujours là, ensemble, et belles et bien plus fortes que jamais.


Lorsque j'ouvre les yeux, la lueur des bougies éclaire toujours la pièce, et je détourne la tête pour regarder Clarke, qui dort profondément à côté de moi, un sourire pendu aux lèvres même pendant son sommeil. Je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour lorsque je fais glisser mon doigt le plus délicatement possible sur son front, avec l'idée d'enlever la mèche qui retombe sur son visage et vient en casser la magnifique courbe. Sa main droite posée sur ma poitrine, plus précisément sur mon cœur, j'ose à peine bouger et pourtant… Je la saisis, et la dépose à la place de ma tête sur mon oreiller, alors que je hisse hors du lit en prenant bien garde de ne pas la tirer du doux rêve que visiblement elle est en train de faire. Elle râle. Mais Clarke râle tout le temps, endormie ou réveillée, ce qui me fait d'ailleurs rire en soupirant. Heureusement, le fait de me lever ne lui a pas ôté ce sourire si radieux et apaisé sur le visage. Pendant que je saisis ma fine tunique en soie qui me sert de robe de chambre et me la passe sur les épaules, je ne peux m'empêcher de la regarder, et même l'admirer… Son corps à moitié découvert m'offre un spectacle dont je pourrai volontiers me délecter toute ma vie. Puis d'un pas léger, je me dirige vers la salle de bain, et entreprends d'enfin terminer de me démaquiller, histoire d'ôter toutes ces marques qui n'ont pas résisté à nos ébats amoureux. Puis, une fois que c'est fait, je reviens dans la pièce principale et vérifie qu'elle dort encore. Elle a changé de position, mais n'a toujours pas ôté son sourire de son visage, ce qui me ravit. Je ramasse alors nos affaires et les dépose sur le canapé, juste avant d'aller sur le balcon. La brise fraiche de la nuit vient courir sur mes épaules à demi dénudées, ce qui m'oblige à ajuster ma tunique pour les recouvrir convenablement. La légèreté du tissu permet malgré tout au vent de s'engouffrer dessous, une seule cordelette le tenant accroché autour de ma taille. Mes cheveux à présent complètement défaits se soulèvent également, pendant que je les rassemble sur mon épaule gauche et souffle d'apaisement en contemplant le ciel étoilé, et sa lune qui illumine toute la ville endormie à mes pieds. Je me sens bien… Bien et sereine.

Soudain, je sens des bras rassurants presque protecteurs m'entourer, et sa tête vient se blottir dans mon cou, évitant difficilement ma chevelure incontestablement emprise au vent. J'esquisse immédiatement un sourire, et viens passer mes bras autour des siens qui tiennent ainsi mes hanches. Nos deux corps se balancent au rythme d'une musique imaginaire, partageant ainsi un câlin d'une pure beauté. Je sens le sourire de Clarke se dessiner sur son visage, et c'est alors dans une voix douce que je m'adresse à elle, tout en gardant mon regard porté au loin sur l'horizon :

« Qu'est-ce que tu fais debout à cette heure-ci ? »

« Je pourrai te poser la même question… » me répond t'elle dans un sourire que je sais quelque peu provocateur.

« Je m'enivre du silence de la nuit… Regarde à quel point ce ciel est magnifique, empli d'étoiles qui scintillent toutes plus les unes que les autres… Tu sais…» lui confié-je, songeuse, mais profondément heureuse « Nous avions pour habitude de les observer de longues heures durant avec Costia. Je n'avais jamais réellement réussi à retrouver ce plaisir de le faire depuis qu'elle est morte, hantée par la sensation qu'il me manquait quelque chose. Je n'arrivais plus à retrouver cette totale sérénité que je ressens à cet instant précis en le faisant… »

Je sens ses bras exercer une légère pression compatissante, et sa pomme de main vient chercher la mienne pour la saisir. Son souffle s'appose sur mon cou, tandis que sa joue se colle contre la mienne. Je sens alors la chaleur de ses lèvres venir effleurer ma peau, me déversant ainsi toute sa tendresse.

« Je rêvais à l'instant d'un ciel identique… »

« Ah oui ? » lui souris-je.

« Oui, sous lequel tu te tenais, nue, au pied d'une cascade. Les étoiles parsemaient le ciel, et te baignaient et même te bénissaient de leur lumière, te rendant presque irréelle. » me raconte t'elle, pendant que j'étouffe un petit rire, presque gêné. « Je te regardais, en parcourant la moindre de tes courbes, gracieusement sublimées par la lumière se reflétant sur l'eau. J'ai encore l'image parfaitement en tête, la végétation, toi… Tes tatouages, tes bras en l'air et tes cheveux mouillés tombant sur tes reins… Je vais d'ailleurs en faire un dessin. » conclut-elle, dans un petit rire amusé, qui traduit sa fierté s'avoir eu cette idée.

Puis elle s'éloigne sous mon regard quelque peu amusé, dans le but de prendre à son tour une tunique à enfiler. Mais lorsque ses yeux se posent sur nos armes, qui se trouvent sur un présentoir juste à côté de la fenêtre, elle marque un temps d'arrêt, et l'expression de son visage change presque totalement. Je m'avance alors vers elle, silencieuse et concernée.

« Dans ce rêve Lexa, nous étions heureuses, et c'est sincèrement la première fois que j'envisage vraiment, même dans mes rêves, la possibilité de ce genre de futur depuis que je suis sur Terre… Nous étions heureuses, et ce n'était pas un climat de guerre qui nous entourait. Nous vivions en paix, et le monde n'était pas celui que nous connaissons. Il n'était pas violence, horreur et mort… Ce rêve, c'était la première fois que j'ai osé, même inconsciemment, réellement envisager ce que le monde pourrait être… Ce que NOUS, nous pourrions être… Ce que notre avenir ensemble pourrait être… » me dit-elle, sur le ton de la confession, bien qu'une certaine peur se manifeste sur l'expression de son visage.

« Nous touchons au but, Clarke… » lui réponds-je d'un ton rassurant, en m'approchant un peu plus d'elle, « Le sommet de demain nous offrira surement l'espoir d'un avenir sans violence. Nous avons réussi à parcourir tout ce chemin, et aujourd'hui, nous sommes sur le point de parvenir à changer les choses d'une manière définitive et irrémédiable. Le changement a déjà commencé, et … » continué-je, tout en posant mes bras sur ses épaules, jusqu'à entourer sa nuque. « Peut-être que ce rêve peut devenir prémonitoire. »

« Et si le sommet ne se déroule pas comme on le prévoit… ? Et si la Coalition ne te suit pas dans tes idées ? Il se passera quoi ? » ne peut-elle s'empêcher de douter.

« La Coalition a déjà commencé à me suivre. En un sens, elle réclame ce changement… Trop de choses ont déjà changé pour continuer à agir comme nous l'avons toujours fait. Demain, justice sera rendue et nous pourrons enfin tous partir sur de nouvelles bases. »

« Tu as l'air bien confiante, Lexa… Tu es visionnaire, ce qui n'est pas le cas de tout le monde et… »

« Si je ne le suis pas, alors qui le sera ? Si nous ne leur montrons pas une nouvelle voie, alors qui le fera à notre place, Clarke ? » lui réponds-je, dans une extrême douceur emplie de détermination. « Un jour, tu m'as dit que quelqu'un devait faire le premier pas, que je pouvais être le genre de leader qui les amène sur un autre chemin. Te rappelles-tu ? Je t'ai entendue à ce jour-là, alors aujourd'hui, je te demande de m'entendre quand je te dis que j'ai confiance en leur courage de faire face à l'inconnu et à leur envie de vivre, et non plus de survivre. Nous avons tant traversé, nous avons survécu, mais nous avons perdu. Tous… Moi la première… J'ai perdu ce que j'aimais le plus en ce monde… Alors oui, je crois profondément que le moment du grand changement est enfin arrivé. Je crois que nous n'avons pas fait cela pour rien, j'en suis intimement convaincue. Mon esprit me le dit, mon instinct me le crie... Et je sais que tu y crois aussi… Sinon nous n'en serions pas là. »

« Bien-sûr que j'y crois… Mais Lexa, je crois aussi qu'ils t'ont déjà trahis. Tous autant qu'ils sont… »

« Nous en avons déjà discuté, ils pensaient faire ce qui était le mieux à ce moment-là pour leurs peuples. Mais aujourd'hui, les choses sont encore bien différentes… Je sais comment leur parler, et je sais comment me faire entendre. Pour la toute première fois depuis que je les dirige Clarke, pour la première fois, je ne doute pas de leur capacité à juger d'eux-mêmes, et de leur envie de paix. Les treize clans veulent aller dans la même direction, et j'ai passé ma vie à l'espérer, et à travailler pour que cela arrive. Chaque décision que j'ai prise, chaque choix que j'ai fait, chaque espoir que j'ai placé en chacun d'eux, chaque sacrifice… tout cela a servi un but qu'aujourd'hui la Coalition est sur le point d'atteindre. Je suis Heda, et mon rôle est de les protéger et de les guider. Je ne l'ai jamais fait aussi bien qu'aujourd'hui… »

« Tu l'as toujours aussi bien fait Lexa… si tu n'avais pas fait tout ce que tu as fait, si tu n'avais pas sacrifié autant, si tu n'avais pas eu la force de les fédérer et d'entrevoir depuis bien longtemps ce qu'aucun autre n'a entrevu, ils n'en seraient pas là. Ils te doivent tout, NOUS te devons tout… y compris le fait d'en être là aujourd'hui. Personne d'autre que toi n'a jamais pu les guider de la sorte, et personne d'autre que toi ne le pourra…. Ils ont besoin de toi… » me répond t'elle, comme peinée par cette vérité.

« Je le sais… Je sais ce que j'ai fait, et c'est justement ma place de me tenir face à eux demain, et de leur donner encore une fois tout ce que je dois leur donner, y compris les clés d'un nouvel avenir. Et si c'est le prix à payer pour obtenir la paix et changer notre manière de vivre, qu'il en soit ainsi, je me tiendrai face à eux… De toute façon, j'ai choisi de prendre cette responsabilité il y a bien longtemps, c'est aussi une partie de ce qui me définit. La réelle question est… le feras-tu cette fois encore à mes côtés ? »

Malgré les craintes de Clarke concernant le sommet de demain, malgré ses appréhensions quant à ce qu'il en ressortira, je peux voir dans son regard qu'elle n'a aucune hésitation à ce sujet, bien qu'elle aurait espéré autre chose. Elle espérait une autre issue pour nous deux, mais je ne peux pas lui offrir maintenant… Je sais que c'est une forme de déchirement pour elle, mais nous ne pouvons pas refaire le passé… Mais nous pouvons en revanche changer l'avenir de tout un peuple. Elle comme moi le savons. C'est donc avec plaisir et soulagement que je reçois pour toute réponse un « Bien-sûr », porté par la détermination de son regard.

« J'ai une dernière chose à te demander… »

« Oui… » me répond t'elle, totalement affirmative et sûre d'elle, alors que je n'ai même pas encore posé la question, ce qui me fait lever un sourcil de surprise. « Oui Lexa, je resterai ici à Polis, et oui, j'apprendrai aussi à Tasya tout ce que je sais, et je lui enseignerai à tes côtés tout ce que je serai capable de lui enseigner. Et… je la protègerai, comme toi tu le feras. »

Lorsqu'elle me dit cela, je souris en me demandant comment Clarke a pu savoir... Comment a t'elle pu savoir que mes espoirs concernant Tasya dépassent aujourd'hui tous ceux que j'ai eu par le passé pour mes autres Natblidas ? Dans son regard, je ne tarde pas à trouver ma réponse. Dans son sourire, je comprends aussi son envie de s'impliquer auprès de cette enfant. Tasya ne sera pas formée comme les autres l'ont été, elle ne sera pas formée uniquement pour son sang… Elle sera élevée dans le savoir, la connaissance et dans un climat de paix. C'est comme cela que Clarke a su que je voulais parler d'elle : parce que Tasya fait pleinement partie du changement à l'aube duquel nous nous tenons, et elle en est parfaitement consciente.

« Elle est natblida, mais cela reste avant tout une enfant. Si la Coalition accepte ce que tu veux amener comme changement, alors tu pourras aussi… »

« Je pourrai changer cela. Le Conclave n'a désormais plus de raison d'être. La flamme est détruite… »

« Et c''est en un sens bien ce qui m'inquiète pour demain… » finit par me répondre Clarke, le regard bien soucieux et pensif.

Je m'approche alors un peu plus d'elle, et l'enlace contre moi. Je comprends ses inquiétudes, et j'aurai tout à fait pu les partager. Mais pourtant, je n'arrive pas à me soucier de demain. Adviendra ce qu'il adviendra, le changement est en marche. Alors dans l'immédiat, je veux juste, pour l'une des premières fois de ma vie, réellement profiter de ce moment… Pas parce que cela pourrait être le dernier, bien que je sois consciente que les certitudes n'existent pas, mais parce que j'ai envie de croire que ce ne sera pas le dernier. J'ai envie de me raccrocher à cet espoir de toutes mes forces, et tout me porte à croire que ce n'est absolument pas un acte naïf et désespéré, mais plutôt le fruit d'un dur labeur et d'une vie entière passée à le façonner.

« Ne pense pas à demain… » murmuré-je à Clarke, d'une voix rassurante et apaisante, tandis qu'un sourire hésitant se dessine sur son visage, « Et rejoins-moi dans cette cascade pour la fin de la nuit. »


Quand je pousse les portes de la salle du Trône, Tasya sur mes talons, je pénètre dignement à l'intérieur, et inspire profondément pendant que je m'avance vers la pièce majeure qui la compose et se tient droite et fière en son centre, juste en face de moi. Mes yeux se posent sur chaque détail de ce siège, et l'espace d'un instant, je me revois assise dessus, à dispenser un cours à mes jeunes novices. Je sens ma gorge se serrer lorsque mes pensées se promènent sur le souvenir de chacun de leurs visages attentifs à mes paroles, et sur chacun de leurs regards admiratifs. J'ai toujours mis un point d'honneur à leur transmette moi-même certaines choses, parce que je considère qu'être Heda n'est pas seulement être fort, ni avoir le savoir nécessaire, ou encore posséder la connaissance. Pour être un bon Heda, il faut ce que j'ai taché de leur apprendre chaque jour : de la force, de la sagesse et de la compassion. Etre Heda n'est pas seulement être capable de guider et gouverner des guerriers et une armée, mais c'est être capable de fédérer des hommes. J'inspire profondément, et stoppe mes pas quelques secondes, en passant mes mains derrière mon dos, adoptant une attitude professorale sans même m'en rendre compte. Je professais, et j'aimais ça. J'ai aimé enseigner tout ce que je pouvais, non seulement tout ce que je me devais de leur enseigner, mais j'ai fait bien plus que cela, n'en déplaise à Titus pour certaines choses. Ces enfants ne représentaient pas seulement ma lignée, ils n'étaient pas que cela… J'avais malgré tout une forme d'affect pour chacun d'eux, bien que leur sang traçait déjà une partie de leur avenir…

Je veux que cela change. Je veux que cela aussi change. Liam est mort pour cela, tant sont déjà morts pour cela. Et tous l'ont fait par devoir. Tous ont fait preuve d'un courage qu'on leur a appris à avoir. Je me retourne vers Tasya, qui se tient juste derrière moi et m'observe silencieusement du haut de ses six années. Ce n'est qu'une toute petite fille, qui pourtant dégage tellement de force, suscitant ainsi toute mon admiration. Le bleu-vert de ses yeux me font partager toute sa détermination. Elle est déjà en âge d'apprendre certaines choses, mais la première qui me tient à cœur de lui enseigner est l'une de celles à laquelle j'ai personnellement toujours accordé énormément d'importance. Il est encore tôt ce matin, mais la lumière du soleil levant baigne déjà la pièce de toute sa beauté. L'aube est propice à ce que je prévois, et c'est donc naturellement que je suis allée réveiller Tasya aux premières lueurs du jour, alors même que Clarke dormait encore profondément lorsque j'ai quitté notre chambre.

« Suis-moi. » lui murmuré-je dans un sourire, tandis que je me dirige sur la droite du Trône.

Puis je commence à montrer l'escalier en colimaçon, duquel chaque marche est ornée d'une bougie, dessinant ainsi une spirale de lumière. Lorsque la nuit est tombée, cela lui confère même un aspect intemporel et mystique que j'aime particulièrement. La hauteur des marches, presque trop haute pour Tasya, la font peiner un peu lors de leur ascension et elle met donc bien évidemment plus de temps que moi à les monter. Une fois arrivée à l'étage, je me retourne et l'observe patiemment les grimper avec un léger sourire au coin des lèvres, juste avant de jeter un coup d'œil à la vue plongeante que nous offre cette hauteur. La Salle du Trône prend d'ici une toute autre dimension, ce qui ne manque pas non plus d'interpeller Tasya, qui, à présent, regarde elle aussi vers le bas avec un regard empli d'admiration. Une grande fierté brille dans le fond de ses yeux, et un sourire se dessine immédiatement sur sa petite bouche, laissant ainsi échapper l'espace d'un instant cette petite lueur d'insouciance et d'innocence qu'elle se donne tant de mal à dissimuler. Sous mon regard attentif et protecteur, elle s'agrippe ensuite aux barreaux, et se penche légèrement pour observer plus particulièrement le Trône lui-même. Puis, après un long moment au cours duquel elle se perd très certainement dans des pensées plus folles les unes que les autres, je finis par accaparer à nouveau son attention et brise ce silence serein dans lequel nous nous trouvons, en appelant son prénom d'une voix douce. Je lui souris légèrement en inclinant un peu la tête, l'invitant ainsi à me rejoindre, pendant que je m'assoie devant elle en tailleur. Tout en me rejoignant, elle observe avec des yeux emplis d'émerveillement cet étage, aussi simple que sophistiqué, sur lequel seuls quelques ouvrages relativement poussiéreux sont posés sur des étagères en bois, de part et d'autres de quelques armes joliment exposées.

Sous son regard insistant et surtout curieux, je réponds à son interrogation silencieuse :

« Ce sont les armes de prédilection des précédents Heda. L'épée que tu vois juste devant toi, c'est celle de Sannah, à qui j'ai succédé. Et l'arc qui surplombe toutes les armes, c'est celui de Becca PramHeda, la toute première Heda... » expliqué-je, juste avant de l'inviter à me rejoindre d'un signe de la main « Viens t'asseoir à côté de moi.»

Elle m'imite alors et se positionne à son tour en tailleur, face à moi. Ses petites mains balaient le tapis moelleux sur lequel nous sommes assises, et lorsque je pose délicatement mes mains sur mes genoux, elle ne tarde pas à faire de même.

« Avant toute chose, tu dois apprendre à te concentrer sur toi-même, et à préserver ton énergie physique et mentale. Pour cela, je vais t'enseigner une pratique qui deviendra bien plus qu'une simple pratique disciplinaire, mais avant tout un art de vivre. Méditer te permettra de conserver ta lucidité face au monde qui nous entoure, et surtout face à toi-même. Plus tôt tu apprends, plus tu pratiques, et plus tu sentiras ses bienfaits. Méditer, c'est respirer… C'est abandonner tes pensées, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Mais ce n'est surtout pas te forcer à ne plus penser… C'est laisser tes pensées arriver, mais apprendre à ne pas les retenir, ne pas les emprisonner et les laisser partir aussi vite qu'elles sont venues… C'est apprendre à respirer et à lâcher prise. C'est lâcher prise face à ce qui est l'extérieur, mais tu ne seras jamais plus connectée à toi-même et à ton énergie vitale, que lorsque tu médites. Cela va te demander de la patiente, de la persévérance et du temps… »

« D'accord… Heda. »

J'entends les portes s'ouvrir, et Tasya me regarde, sans bouger, pendant que je l'invite à fermer les yeux et à commencer son initiation. Elle inspire profondément, réceptive à tout ce que je lui ai dit auparavant. Des pas montent l'escalier et la blondeur de ses cheveux apparait rapidement dans le dos de la petite, qui pour autant ne bouge pas. Je sais pourtant qu'elle est encore bien présente avec nous, mais il faut un début à tout. Le processus d'apprentissage est long et périlleux, et demande énormément de concentration et de compréhension. Le regard bienveillant et fier de Clarke se pose alors sur elle, juste avant de croiser le mien dans un sourire sincère qui m'est adressé, mais qui concerne aussi Tasya. Malgré le pas léger avec lequel elle se déplace, le bois craque sous ses pieds tandis qu'elle se rapproche de moi, et vient s'asseoir silencieusement à mes côtés. Je sais que Clarke veut apprendre cet art, et le moment est peut-être venu de lui permettre de s'y essayer. Les principes, elle les connaît, mais le faire dans une même énergie communicative, avec une même intention, elle n'en a jamais eu l'occasion jusqu'à présent. Après un sourire échangé, elle pose ses mains en silence sur ses genoux et détend sa nuque jusqu'à relâcher complètement ses épaules. Je pose ensuite ma main sur son ventre, et peut ainsi le sentir se relâcher à son tour petit à petit au contact de mes doigts apaisants et rassurants. Les yeux fermés, le visage maintenant complètement détendu, Clarke inspire profondément, et se laisse aller petit à petit à mes conseils avisés.

« Sentez votre respiration circuler sans encombre, librement, dans tout votre corps. Du bassin au sommet du crâne, sentez son circuit, sentez vos organes respirer les uns après les autres, et battre chacun de leur pulsation primitive. Sentez les communiquer… N'emprisonnez pas les pensées qui viennent. Ne les retenez pas. » leur expliqué-je, tout en me mettant moi-même en état de méditation.

Je suis capable de garder conscience, même pleinement conscience de ce qui se passe autour de moi, tout en lâchant totalement prise… Des années de pratique me le permettent. Tout devient alors plus limpide, mais tout devient aussi plus serein.

De longues minutes s'écoulent, et nous restons ainsi, chacune centrée sur nous-même, mais finalement, réellement connectées les unes aux autres.


Lorsqu'on frappe à la porte, nous ouvrons toutes les trois subitement les yeux. Je ne réponds pas de suite, mais prends le temps de me relever, pour rejoindre le bord de la balustrade d'où je peux observer le bas de la pièce.

« Entrez ! » réponds-je d'une voix forte.

Clarke me rejoint, avec Tasya qui s'approche à son tour de nous, pendant que notre interlocuteur pénètre dans la pièce. Le visage de Clarke s'illumine d'un coup, et elle commence à descendre rapidement les escaliers, pendant que je fais de même de manière beaucoup moins précipitée, suivie de près par l'enfant. C'est quand même avec un profond respect et un sincère sourire, bien que parfaitement dosé, que je salue Raven lorsque je me retrouve presque face à elle et qu'elle me regarde enfin, après que Clarke ait décidé de rompre leur étreinte. La revoir debout me réjouit, et je ne peux me sentir que reconnaissante qu'elle aille bien après ce qu'elle a traversé. Sans elle, nous ne serions plus là, et je ne le sais que trop bien. C'est donc en pensant cela que je m'approche enfin d'elle, et alors qu'elle fait malgré tout preuve de respect en me regardant à son tour, je ne tarde pas à prendre la parole :

« Je suis ravie de te voir à nouveau debout, Raven. » me contenté-je de lui dire dans un léger sourire en coin.

Son petit sourire à l'attention de Clarke, qui bien entendu, lui rend, témoigne du fait qu'elle soit touchée par ces quelques mots. Cette petite excitation qu'on lui connaît si bien finit cependant par laisser rapidement place à un air grave sur son visage. En fronçant légèrement les sourcils face à son amie, elle glisse sa main dans la poche de son pantalon, et, tout en inspirant profondément, elle en extrait une chose qu'elle renferme dans un premier temps au creux de sa main. Puis, elle se retourne vers moi, juste avant d'accorder un regard à cette enfant, puis de s'adresser directement à moi, réellement concernée, et me tend la main pour que je saisisse ce qu'elle contient. Lorsque mes yeux se posent dessus, elle prend la parole :

« Je n'ai malheureusement pas pu la sauver… »

La flamme, complètement détruite, git désormais dans ma pomme de main, et je sens le regard presque apeuré de Clarke qui l'observe. Elle déglutit, tout comme Raven, pendant que moi j'inspire profondément, et ferme un court, très court, laps de temps les yeux. Puis je regarde Tasya, qui ne doit pas comprendre de quoi nous parlons, ni même les conséquences de la destruction de cet objet, pour la simple et bonne raison qu'elle ignore ce qu'il est.

« Merci de l'avoir ramenée. » me contenté-je de simplement dire, alors que je peux lire la confusion sur le visage de Clarke qui aimerait en parler davantage.

Mais dans mon regard, elle comprend rapidement que ce n'est ni le lieu, ni le moment. Nous ne sommes pas seules, et Tasya n'a pas à être concernée par cela. Elle le sera déjà bien assez tôt. Raven ne peut pourtant pas s'empêcher d'ajouter :

« Que vas-tu faire sans elle ? Que… »

« Raven…. » lui demande alors implicitement Clarke de se taire, tout en désignant du regard Tasya.

« Je vais faire ce que j'ai toujours fait. » me contenté-je cependant de répondre à sa question, dans une voix aussi déterminée que calme.

Je resserre alors mes doigts dessus, sans rien ajouter à ce sujet-là, et la range dans ma poche. Puis je redresse mon port de tête et regarde à nouveau Raven, dont l'incompréhension est plus que visible sur le visage.

« Je suis sincèrement contente que tu ailles bien. Sans toi, rien n'aurait été possible. » lui dis-je, solennellement.

« Merci… » me répond t'elle. « Je n'aurai rien pu faire sans Bellamy et… » déglutit-elle difficilement en cherchant à évoquer Niylah.

Clarke pose immédiatement sa main sur son bras dans un geste compatissant.

« Nous l'avons honorée comme il se doit. » la rassure t'elle alors que Raven agite la tête en guise de compréhension, et de regret de ne pas avoir été là. « Je suis désolée que tu n'aies pas pu être présente… »

« Tu n'y peux rien… Je… Je vais aller voir Luna. Je sais qu'elle m'a veillée… » finit-elle par conclure, en ravalant presque ses larmes.

Nous acquiesçons toutes deux d'un hochement de tête, et après un regard peiné adressé à son amie, elle fait demi-tour, et quitte la pièce d'un pas boiteux. Je peux voir alors Clarke inspirer profondément, avant de souffler de contrariété. Je sais que la culpabilité de Raven concernant la mort de Niylah la concerne, mais tandis que je regarde cette dernière sortir de la pièce, je ne peux qu'être confiante quant à sa capacité à guérir, y compris de cette perte. Raven est forte, et aujourd'hui, je peux même dire qu'elle est l'une des personnes les plus fortes que je connaisse.

Le sommet va bientôt avoir lieu, et avant cela, il me reste encore une chose à faire. Une chose qui aujourd'hui, prend tout son sens, et doit être faite avant que nous nous présentions devant la Coalition toute entière. J'ouvre alors la porte, et demande à l'un de mes hommes de raccompagner Tasya auprès de Gaïa. Clarke s'accroupit, et lui saisit les épaules avant de lui adresser un petit sourire silencieux, lui demandant de m'écouter, auquel l'enfant répond, juste avant de dévier le regard vers moi.

« Nous te retrouverons dans quelques heures. » lui murmure Clarke, ce que j'approuve d'un petit sourire accompagné d'un hochement de tête.

Et alors qu'elle s'éloigne accompagnée, Clarke, qui a bien compris que nous avons besoin d'être seules, m'interroge d'un regard suspicieux. Elle ne sait pas ce que j'envisage, et ce qui peut ainsi justifier qu'à seulement quelques heures de ce qui déterminera notre avenir à tous, j'envisage de nous réserver du temps rien qu'à nous. Quelque chose lui échappe dans mon intention. Je lui adresse du coup un léger sourire, mais sans lui dire un mot de plus, et commence à marcher en lui tournant les talons, l'incitant à me suivre. Ses questions vont bientôt obtenir une réponse, et je sais pertinemment que peu importe ce qu'elle imagine en ce moment, elle est très loin de la vérité…


Clarke n'est jamais entrée dans cette salle. Seul Titus et moi le faisions, et c'est vrai qu'hormis lors de très rares occasions, la porte reste close. Son regard surpris se tourne alors vers moi, pendant qu'elle avance petit à petit vers le centre de la pièce où se trouve une table recouverte d'un tissu, qui fait clairement office d'autel, et à côté de laquelle se tient une petite desserte en métal supportant une grosse boite métallique. Juste devant les yeux abasourdis de Clarke par la magnificence du symbole sacré inscrit en gros sur le mur face à elle, je me dirige vers les rideaux partiellement déchirés qui pendent à la tringle de la fenêtre, et les saisis pour les ouvrir d'un geste vif. Un rayon de soleil pénètre alors au travers de la pièce, illuminant l'autel, et pendant que Clarke observe attentivement tous les murs de ce petit sanctuaire, qui est chargé d'une atmosphère aussi spirituelle que sacrée, j'entreprends d'allumer les chandeliers se trouvant de part et d'autre de ladite pièce. La luminosité est ainsi bien plus chaleureuse, malgré le fait que nous ne soyons pas dans le cadre d'un rituel.

« Où sommes-nous ? » me demande t'elle, en levant un sourcil de stupéfaction.

« Dans un sanctuaire de Becca PramHeda. » lui réponds-je en terminant d'allumer le dernier chandelier de la pièce. « Assis-toi sur l'autel, s'il-te-plait. »

Bien que dubitative et incompréhensive, Clarke s'exécute assez facilement, pendant que j'ouvre maintenant la boite métallique qui se trouve à côté d'elle, toujours sous son regard interrogateur.

« La pièce juste en face de celle-ci est celle où se déroulait le Conclave. Elle n'est normalement à nouveau ouverte que lorsqu'il est déclaré, donc n'a pas été ouverte j'imagine depuis mon propre Conclave, vu que celui de mes Natblidas n'a jamais eu lieu… Et c'est ici, dans cette pièce, que le rituel de l'Ascension se fait, une fois le Conclave terminé. » lui expliqué-je en préparant le matériel. « Au cours de ce rituel, j'ai été tatouée, et notamment sur le bras. Dans notre société, le tatouage à cet endroit représente notre rang hiérarchique. Tous les chefs sont tatoués… Il est important qu'à présent tu le sois aussi avant le sommet de toute à l'heure, parce que tu es WanHeda, Clarke. »

Au lieu de me donner une quelconque réponse verbale, Clarke se contente d'acquiescer, me faisant part de son approbation. Puis elle dépose doucement sa main gauche sur mon avant-bras, m'incitant à arrêter les derniers préparatifs pendant quelques instants, et je viens alors plonger mon regard dans le sien. Emplie de détermination, elle me dit, avec un sérieux à la hauteur de la symbolique de ce tatouage :

« Je suis peut-être née dans le ciel, mais je viens de la Terre, tout comme toi. Mon cœur n'est pas Skaikru… Mon cœur est Grounder. »

Je lui souris, profondément fière de cette déclaration, qui me rappelle à chaque instant un peu plus pourquoi je l'aime tant. Cette force qui émane d'elle pendant qu'elle relève la manche de son haut, découvrant ainsi son bras, me fait frissonner d'une manière incontrôlable. D'un geste assuré, j'approche alors l'aiguille de son bras et commence à marquer lentement sa peau, tandis qu'elle se colore en même temps qu'elle gonfle et rougit sous mon doigt. Aucune souffrance n'apparaît sur les traits de son visage, sur lequel se lit uniquement une profonde fierté de se tenir là aujourd'hui, à mes côtés, et d'embrasse ce rôle qu'enfin elle accepte d'endosser pour notre peuple tout entier. Elle comprend l'implication de ce tatouage, elle connaît sa symbolique, et enfin elle accepte totalement ce qu'il représente… En définitive, ce qu'elle est et a toujours été… Enfin elle accepte d'être non seulement pour elle, mais aussi pour les autres, le guide qu'ils voient tous en elle depuis le début. Elle est née pour cela… Comme moi.

« Il y a bien longtemps que tu aurais dû avoir ce tatouage, je prévoyais de te le faire avant que tu ne repartes auprès des tiens. » lui avoué-je, en continuant de meurtrir son bras.

« Je ne prévoyais plus de partir… » me répond t'elle, sur le ton de la confession, tout en regardant fixement le mur.

Je souris, jusqu'à ce qu'elle continue ce qu'elle s'apprête à m'avouer :

« Ma place n'était désormais plus à Arkadia, elle était à Polis avec toi, c'est encore de là que je pouvais le plus agir. Avec toi… J'en étais consciente, Lexa. Je ne prévoyais plus de partir lorsque je me suis réveillée. Je n'ai juste jamais eu l'occasion de te le dire avant de… » finit-elle, en me regardant à présent, pendant que j'essuie les mini gouttes de sang, qui apparaissent à la surface de sa peau juste après le passage de l'aiguille.

« Tu es là où tu dois être maintenant… Il n'y a rien à regretter…WanHeda. »

« Nous sommes ce que nous sommes. » esquisse t'elle un sourire fier malgré tout. « Nous en avons surmonté des choses ensemble, n'est-ce pas ? »

Je souffle en esquissant un sourire, sans rien répondre de plus. Mais elle sait que je lui donne parfaitement raison. Notre histoire n'est pas facile, elle ne l'a jamais été jusqu'à présent et est toute en nuance, à l'image de nos responsabilités respectives. Pendant que ma main délicate finit sa courbe, mon autre main tend correctement sa peau afin que le trait soit parfaitement net. Le motif que je lui dessine porte une symbolique bien plus puissante que tous ceux que j'ai pu voir jusqu'à présent, mais Clarke l'ignore encore… Elle me fait confiance et s'en remet totalement à moi pour déterminer ce que ce tatouage doit représenter. Si quelqu'un le sait, c'est bien moi. C'est alors patiemment qu'elle me laisse terminer durant de longues minutes, sans ajouter un mot de plus. Je la vois à peine serrer les dents durant l'intégralité du processus, sous le tiraillement pourtant incessant de l'aiguille.

Lorsque je dépose finalement l'instrument sur l'autel à côté d'elle, elle comprend alors que c'est enfin terminé. Rougie et gonflée, sa peau se débat clairement contre cette substance étrangère qui vient l'agresser. Presque à l'image de notre relation, elle va pourtant finir par l'accepter, et la voir finalement faire partie intégrante d'elle-même. Je suis l'encre de Clarke et elle est la mienne… Lorsqu'elle fait rouler son épaule vers l'avant, pour finalement pouvoir enfin découvrir le motif, la seule interrogation dont elle me fait part est « Pourquoi ? »

« Parce qu'entre le ciel et la terre… Il y a la vie. Tu l'as dit toi-même, tu es née dans le ciel, mais tu écriras ton histoire et mourras sur Terre. Tu auras vécu entre les deux, à l'image de cet arbre qui prend ses racines dans le sol, se nourrit de lui, mais a besoin de l'air pour respirer, vivre et s'épanouir. Tu n'appartiens pas à un clan en particulier, Clarke. Tu n'appartiens pas seulement au Ciel, ou à la Terre. Tu fais le pont entre les deux… Tu appartiens à la Vie. Tu ES comme cet arbre… Cet Arbre de vie. Voilà la réelle signification de WanHeda. La vie et la mort sont indissociables, tout comme le ciel et la terre. Et comme je te l'ai déjà dit, tu ne sèmes pas la mort sur ton passage, tu insuffles un renouveau à la vie. » lui expliqué-je d'une voix douce, mais belle et bien sûre de moi.

« … Je ne pouvais pas plus me sentir chez moi qu'auprès de toi. Que dans cet arbre… » finit-elle par me répondre, dans un petit sourire reconnaissant et touché.

J'acquiesce d'un signe de tête, fière, honorée et profondément touchée qu'elle perçoive les choses de cette façon. Il y a cependant un petit détail qu'elle n'a toujours pas remarqué, et lorsque mes yeux le regardent avec insistance, elle fait de même et l'aperçoit enfin. Surprise et émue, elle relève soudainement la tête dans ma direction. Au centre de l'Arbre, j'ai apposé de manière indélébile le symbole sacré. L'infini…

« Etre Heda n'est pas qu'une question de sang. La Flamme n'est pas la seule et unique chose qui détermine qui est digne d'être Heda et de porter cet héritage. Elle ne définit pas toutes les responsabilités de ce rôle, et bien avant même d'être digne de la porter, il faut avoir le courage de l'embrasser pleinement. Tu as aujourd'hui toute la légitimité de porter toi-aussi ce symbole sacré, pour tout ce qu'il représente pour nous, notre histoire, notre passé, nos coutumes, pour chacun des hommes présents dehors… Pour ce qu'il représente pour toi, et pour moi... »

Elle se pince les lèvres, et redresse le regard tout en abaissant son haut et en prenant pleinement conscience de ce que cela signifie. En lui gravant cela, je ne lui ai pas juste fait l'honneur de l'élever là où est sa place désormais en tant que chef aux yeux de notre peuple, c'est-à-dire à mes côtés, mais elle sait que je lui fais par la même occasion une toute autre promesse… Celle de nous unir aussi dans un tout autre lien que celui du leadership. Je nous ai aussi unies dans un lien encore plus sacré que celui du devoir et des responsabilités… Ce lien, c'est celui du cœur. Alors oui, ce symbole représente énormément, et c'est pour elle le plus grand honneur qu'elle pouvait recevoir que de se le voir graver de manière indélébile sur la peau. Dans l'échange silencieux que nous nous accordons, elle et moi le savons. Tout comme nous savons qu'à présent, il est désormais temps d'aller enfin nous préparer pour ce sommet, que nous attendons depuis bien longtemps, et sur lequel tout notre futur va reposer.


C'est vêtue de ma tenue et de mon maquillage bleuté de cérémonie que je me présente à mes deux hommes qui gardent l'entrée de la salle du Trône, dont les portes sont encore closes. Leurs regards emplis d'admiration et de respect pour moi, leurs deux mains n'attendent que mon ordre pour finalement les pousser, m'ouvrant ainsi le passage vers ce que j'espère enfin être un avenir meilleur pour nous tous, et que je m'apprête majestueusement à emprunter. Je ne porte cette robe qu'en de rares occasions, mais aujourd'hui est un jour particulier, et je ne voulais pas me présenter devant eux avec la tenue que je porte essentiellement pour annoncer un départ pour la guerre. Pourtant, je sais pertinemment que ce que je m'apprête à affronter sera mon ultime bataille, celle pour laquelle je me suis préparée toute ma vie. Celle pour laquelle j'ai tout sacrifié. J'inspire profondément, tout en réunissant toute la force et la concentration nécessaires pour mener à bien ce discours. Le regard intense, et la tête haute, je me tourne néanmoins une dernière fois vers Clarke, elle aussi en tenue de cérémonie. Plus belle et gracieuse que jamais, elle se tient à ma droite et pénètrera donc à ma suite dans cette pièce. Toute aussi forte que moi, elle plonge son regard dans le mien, avant que je ne lui adresse un léger sourire en coin. Nous y sommes… Nous savons ce que nous risquons, mais nous savons aussi ce que nous espérons gagner. Nos rôles nous incombent de nous tenir ici, et c'est avec autant de détermination que de sagesse que je vais leur faire part à tous de ce que j'envisage pour la suite. WanHeda va marcher à mes côtés, et c'est en me sentant fière et d'autant plus forte de cette alliance, que je lève enfin légèrement la tête à l'attention de mes hommes, leur signifiant que le moment est venu.

Les portes s'ouvrent devant moi, m'offrant le passage vers l'avenir que j'embrasse sans même hésiter une seule seconde. Sous les regards admiratifs et plus que respectueux qui se posent sur moi, je m'avance majestueusement, d'un pas léger mais bien imposant, au milieu des têtes qui s'inclinent de part et d'autres. La distance qui me sépare de ce Trône ne fait que diminuer, pendant que je sens les regards me suivre, jusqu'à ce qu'ils ne se portent sur Clarke, qui termine de s'avancer à son tour, pour venir se placer à ma droite lorsqu'enfin je leur fais face. De chaque côté du tapis rouge qui traverse la pièce et que nous venons juste d'emprunter, se trouvent les treize sièges des ambassadeurs. Je balaie de suite la salle d'un rapide coup d'œil pour m'assurer que tous sont bien présents. Puis je leur fais signe de prendre place, sans un mot, mais dans un geste qui en dit aussi long. Je m'apprête à ébranler tout ce qu'ils connaissent, leurs certitudes et leurs convictions, mais je les pense sincèrement enfin prêts pour cela. Sous le regard bien que déterminé mais quelque peu incertain de Clarke, qui tend à me le rappeler, je sais que tout n'est pas pour autant encore gagné… Je ne l'oublie pas. Je sais à quoi je m'expose, mais je m'apprête aussi à faire une chose que je n'ai jamais faite auparavant, et une chose qui, je l'espère, va définitivement tout changer.

J'inspire profondément tout en les observant silencieusement pendant un instant. Dans mon regard, ils ne peuvent lire que ma détermination, mon envie, mon devoir et mon courage d'aujourd'hui leur faire face à tous. Ils ne peuvent y voir que la force que mon histoire m'a donnée, cette même force avec laquelle j'ai tâché de les guider au mieux pendant toutes ces années, et qui aujourd'hui, me permet encore de me tenir face à eux la tête haute. Je sais ce qu'ils attendent de moi, je sais ce que mon devoir implique, et j'estime ne pas avoir faiblit au cours de toutes ces années passées à leur tête. Cependant, il y a peut-être des choses que je n'ai jamais faites, et leur parler de la façon dont je m'apprête à le faire fait partie de ces choses-là. Tous sont ici, tous ont répondu à l'appel… Absolument tous, tous les clans, tous les chefs de clans, tous les ambassadeurs et tous les seconds. Je peux croiser des regards fiers et honorés, dont celui d'Indra, qui se tient à côté de Kane, et d'Octavia. Clarke aurait dû être assise sur ce siège attribué à la Skaikru, mais ce n'est aujourd'hui plus sa place, et la question ne s'est donc même pas posée : elle se tient à mes côtés. Abby y est assise à sa place, et je comprends qu'elle a finalement pris le rôle d'ambassadeur de son clan. Bellamy est également présent, pour la Skaikru, parce qu'il est en charge de leur armée. Lorsque mon regard croise le sien, il incline la tête avec respect, pendant que je lui réponds. Octavia quant à elle, se tient aux côtés d'Indra, et sa fierté de s'y trouver ne laisse place à aucun doute. Lincoln aurait normalement été à ses côtés, et dans le regard que nous échangeons toutes les deux en cet instant, elle peut comprendre qu'à mes yeux, elle lui a fait le plus grand honneur qu'elle pouvait lui faire. Agir comme elle l'a fait ces derniers jours est digne du respect que Lincoln lui témoigner. Aujourd'hui, je la respecte à mon tour pleinement, et sa dévotion pour la paix ne fait plus aucun doute à mes yeux. Puis je dévie mon attention vers la droite du tapis, pour venir l'accorder à Luna, qui se tient droite et fière de pouvoir malgré tout se trouver aujourd'hui dans cette salle en toute légitimé. Je n'aurai quoi qu'il en soit pas permis qu'il en soit autrement... La force qu'elle dégage n'est pas sans me rappeler celle de Costia, que je me surprends même à imaginer à ses côtés, jusqu'à la voir. Son esprit est bien ici, avec sa sœur. Un frisson me parcoure d'ailleurs l'échine, pendant que je déglutis en lui témoignant le plus grand respect. Le lien qui nous unit avec Luna fait partie de ceux dont ni le temps, ni la mort, ni le pouvoir n'ont eu raison. J'ai toujours protégé cette femme, dont les valeurs ont bien souvent pu paraître bien différentes des miennes, mais sans réellement l'être. Chacune d'entre nous a suivi un chemin différent, en allant malgré tout dans la même direction, et nous battant pour la même cause. Nous avons eu les mêmes défis, livré les mêmes batailles, connu les mêmes pertes. Nous avons su évoluer dans ce respect mutuel que nous nous portons, et ce, malgré nos divergences d'opinion. J'incline la tête en guise de salutation, ce qu'elle ne tarde pas à me rendre. A sa gauche, Echo relève la sienne lorsque nos regards se croisent. Puis elle l'incline, sans un mot supplémentaire. J'observe ensuite chacun des neufs autres chefs de clans, pour terminer par Raven, qui est présente elle aussi dans le fond de la salle, aux côtés de Gaïa et Tasya. L'espace d'un instant, j'ai même l'impression que quatre silhouettes silencieuses, que je ne connais que trop bien, se tiennent juste en face de moi à l'autre bout de la pièce, au milieu de tous ces regards qui me sont dévoués. Devant les portes à présent closes, je peux jurer qu'elle m'observe, plus fière et honorée que jamais. Anya se tient là, un regard victorieux et un léger sourire aux lèvres, face à moi, avec à ses côtés Astria, qui dans sa douceur naturelle ne détache pas non plus ses yeux de moi. Liam et mon père inclinent à leur tour tous deux la tête à mon attention, dans un petit sourire partagé. Je peux presque leur parler silencieusement, je peux les sentir, et finis par réaliser que finalement qu'ils sont réellement là. Ils sont absolument tous là, parce que ce qui se joue aujourd'hui ne s'est jamais joué avant, et que l'enjeu vaut leur entière présence. Ce qui va se jouer ici et maintenant n'a pas d'égal. Ils le savent tous… Ils ont toujours été là, mais à cet instant précis, je sens chacune de leur présence parcourir la surface de ma peau, et je sais que si je me sens d'autant plus forte aujourd'hui, c'est parce que je ne suis pas seule. Aujourd'hui je réalise peut-être pour la première fois depuis toujours, que je ne suis pas seule à guider et à porter mon peuple tout entier. Chacun d'eux se tient à mes côtés et leurs forces s'unissent à la mienne. Costia, Anya, Astria, Lincoln, mon père, Liam, Gustus, Titus, Roan, Aden et tous mes autres novices, Niylah… Tous sont présents dans cette pièce avec moi, et tous attendent patiemment que j'aille au bout. Alors je vais honorer chacune de leur mémoire comme il se doit, en ne cherchant pas à les venger, mais à leur rendre justice. C'est donc ainsi en me présentant devant l'entière Coalition, à la place qui est la mienne et sans aucune arme, mais en ayant leur entière attention, que je finis par prendre la parole dans une voix plus forte que jamais, portée par mon charisme qui s'en trouve décuplé :

« Aujourd'hui nous sommes réunis tous ensemble pour parler et décider de l'avenir que nous voulons avoir. La Coalition est désormais au complet, et plus forte que jamais. Les treize clans en font partie, et tous ensemble, ils la forment. NOUS la formons. » commençé-je, les obligeant ainsi à se sentir concernés tous autant qu'ils sont, et plus important encore, sur un pied d'égalité. Sous le regard admiratif et concerné de Clarke, je continue : « Je suis Heda. C'est mon droit de naissance, je suis Heda parce que je suis Natblid,a et parce que j'ai été choisie par l'esprit de Becca PramHeda pour vous guider et vous gouverner, vous protéger… et ce, depuis plusieurs années. J'ai créé cette Coalition pour nous laisser une chance de former quelque chose de bien plus grand que treize clans qui, séparément, ne sont pas aussi forts. J'ai honoré la mémoire de Becca PramHeda durant toutes ces années, ai fait mon devoir… Et pourtant, j'ai échoué. » leur dis-je, alors qu'un élan de surprise s'élève subitement de l'assemblée.

Clarke me regarde alors avec de grands yeux dubitatifs, juste avant d'inspirer profondément en se résignant à m'accorder une fois encore toute sa confiance… Difficilement, elle s'abstient donc d'intervenir. Je sais à quoi elle pense, et je connais ses craintes les plus profondes. Je l'imagine très bien me crier intérieurement, voir me supplier de ne pas dire certaines choses. Le regard incompréhensif d'Indra, qui se refuse elle aussi d'entendre de tels propos, vient à son tour se heurter au mien, pourtant toujours aussi déterminé lorsque je reprends la parole, ramenant ainsi de suite le calme autour de moi :

« J'ai échoué, comme chacun d'entre vous. NOUS avons tous échoué, parce que nous avons tous beaucoup trop perdu pour en arriver là. Nous avons perdu du temps, nous avons perdu de la force dans des batailles que nous avons menées pour de mauvaises raisons, et inutilement pour la plupart. Nous nous sommes battus entre nous, pour finalement plus y perdre qu'y gagner. Nous avons perdu beaucoup… et beaucoup trop, alors que nous aurions pu l'éviter. Comme vous, j'ai perdu un père, un mentor, un professeur, des amis, des guerriers… j'ai perdu le premier amour de ma vie… » avoué-je pour la toute première fois face à eux, pendant que le regard d'Indra se durcit, et qu'Echo déglutit lorsque je croise le sien. « J'ai perdu Costia Kom Floukru, prise par Azgeda… » appuyé-je alors concrètement mes propos, avec cette force qu'ils me connaissent tant malgré la dure réalité à laquelle je me, et nous, confronte. « J'ai perdu Anya Kom Trikru, prise par Skaikru, j'ai perdu Astria Kom Floukru prise par les hommes de la Montagne… J'ai perdu Liam Kom Floukru au nom de Becca PramHeda, et Titus ou encore Gustus, en mon propre nom… » continué-je, devant les regards abasourdis et définitivement tous concernés par mes mots. « Nous avons tous perdu, et bien souvent pour les mauvaises raisons. Je vous ai toujours menés au travers des plus grandes batailles, et si nous avons triomphé et avons pu survivre jusqu'à présent, c'était parce que dans ces moments-là, dans ces batailles que nous n'avons pu éviter et qui avaient un réel sens pour notre survie, je ne menais pas Onze, Douze, ou Treize Clans… Mais bien un seul ! Je menais UNE SEULE armée contre les Mountains Men, et nous avons triomphé !... Je pensais du moins que nous avions triomphé, mais à quel prix ? La Montagne nous a pris bien trop de vies pendant de longues années, nous plongeant dans un climat de peur et d'insécurité, et j'ai mis un terme à tous cela. Mais je n'ai pu le faire qu'en vous unifiant face à cet ennemi commun… En ralliant la Skaikru à nous, alors que nous étions en guerre juste avant contre eux… Parce que nous avons fait pendant bien trop longtemps des autres clans nos ennemis, alors que les vrais ennemis se trouvaient là, dehors, et nous regardaient nous entretuer. Non seulement ils nous prenaient nos familles, mais se délectaient aussi de nous voir nous prendre nous-même des vies entre nous. Pourtant, nous avons quand même vaincu cette Montagne. Mais à quel prix ? Au prix que WanHeda extermine tout un peuple, innocents pour la plupart, qui se contentaient de suivre aveuglement leurs chefs, dans l'espoir de survivre comme nous tous, ce qui les a finalement conduit à leur perte. Elle n'a fait que ce que j'aurai fait à sa place, mais qui aurait pu être évité si leur chef avait pris d'autres décisions, ne condamnant ainsi pas leur propre clan pour avoir tenté de réduire les nôtres à néant. Alors oui, nous avons vaincu cet ennemi… Il n'a eu que ce qu'il méritait pour avoir torturé les nôtres, mais beaucoup d'entre eux étaient aussi innocents. Des femmes, des enfants… La folie d'un chef peut avoir de bien plus graves conséquences que son indulgence ou son bon sens... L'avidité de pouvoir, et la folie vengeresse et meurtrière de Nia a bien failli couté à Azgeda la même chose. Roan s'est battu pour que son peuple retrouve sa place légitime auprès de la Coalition, dans l'espoir qu'avec elle, son avenir soit meilleur. Il a donné sa vie dans ce but, s'élevant ainsi contre ce passé de violence que sa mère a désespérément tenté de faire perpétuer. Il a redonné à son peuple son réel prestige, et je respecte cela, permettant par la même occasion à chacun d'entre nous de survivre. Anya est morte en tentant de créer une alliance avec un clan qui était à l'époque un ennemi pour nous, pour vaincre LE réel ennemi qui se trouvait en fait sous la Montagne. Lincoln est mort à cause de la folie vengeresse d'un membre de la Skaikru, comme Trois cents hommes de l'armée de Trikru… Aucun de vous n'ignore ces faits. Costia…. Est morte à cause de la folie de Nia. J'aurai pu la venger, et détruire Azgeda toute entière à la suite de cela. Mais je ne l'ai pas fait. Beaucoup peuvent penser que c'est de la faiblesse… alors qu'ils le disent ?... » leur donné-je l'occasion de me défier.

« Pourquoi ne l'as-tu pas fait ? » ose alors me demander Echo, pendant que tous les regards, certains plus accusateurs que d'autres, se tournent vers elle.

« Parce que j'aurai pu prendre des décisions bien différentes à maintes reprises, et bien que beaucoup d'entre elles aient été contestées, je n'en regrette aucune. Parce que mon rôle n'est pas de voir seulement pour moi-même… Mon rôle dépasse chacun des vôtres, et est de voir pour nous tous. JE SUIS HEDA… et être Heda ne signifie pas assouvir mes propres désirs à n'importe quel prix. J'ai toujours essayé de prendre les meilleures décisions pour nous tous, Echo. Et je n'ai jamais hésité une seule seconde à faire les sacrifices nécessaires pour parvenir à mes fins. Je peux être sans pitié s'il le faut, mais être Heda signifie aussi faire preuve de force. Et la violence n'est pas toujours synonyme de force. Nia en a parfaitement fait les frais, sa violence lui a couté la vie et a failli lui couter bien plus encore. Roan a fait preuve d'indulgence, tout comme moi, et aujourd'hui nous en sommes là. Pourquoi n'ai-je pas vengée Costia en tuant tout un clan alors que j'aurai pu le faire ?... Parce que la Coalition était plus importante. » admets-je, en déglutissant difficilement, mais plus convaincante que jamais. « Mon rôle est de vous protéger, et de vous offrir l'opportunité de faire mieux que ce que nous avons déjà fait jusqu'à présent. Je me dois de vous prouver que notre futur peut être bien meilleur que la souffrance et la perte que chacun de nous a déjà vécu. Si nous n'avions pas été tous unis, nous n'aurions jamais vaincu la Montagne. Si nous n'avions pas tous été ensemble, nous n'aurions jamais vaincu cette intelligence artificielle, et si nous n'avions pas agit ensemble, nous n'aurions sûrement pas survécu à cette menace nucléaire. Notre réelle force n'est pas dans la haine de notre passé, mais dans l'espoir de notre futur. »

Je peux voir le respect pour mes convictions s'élever de certains regards, tandis que d'autres restent encore dubitatifs. Je rehausse alors la tête, et inspire profondément.

« Le sang appelle le sang a toujours été notre manière de fonctionner, mais cela nous a aussi beaucoup couté, parce que au nom de ce principe, cela a divisé nos clans. » reprends-je, tout en plongeant ma main dans la poche de ma robe.

Sous le regard presque apeuré de Clarke, qui subitement comprend ce que je m'apprête à faire, j'en sors un petit objet que je dissimule toujours pour l'instant au creux de ma main. Je lui demande silencieusement de me faire confiance… une dernière fois… Je la vois serrer la mâchoire, juste avant d'incliner très légèrement la tête à mon attention, me signifiant ainsi qu'elle accepte. Tout va se jouer maintenant. Tout repose sur les quelques minutes qui vont suivre, et au cours desquelles elle ne sait pas encore précisément ce que je vais leur dire.

« Les récents évènements ont définitivement changé notre société. Je ne vais pas vous mentir, ni même maintenir ce climat de peur et de violence dans lequel nous avons évolué jusqu'à présent. Nous avons peut-être eu des victoires en agissant ici, mais nous avons aussi bien failli tout perdre, tous autant que nous sommes. Alors aujourd'hui, je suis Heda en m'adressant à vous tous, mais je suis aussi Leksa Kom Trikru, Kom Floukru, Kom Azgeda… Kom Sankru, Kom Trishanakru, Kom Louwoda Kliron, Kom Boudalankru, Kom Podakru, Kom Delfikru, Kom Yujledakru, Kom Ouskejonkru, Kom Ingranronakru, Kom Skaikru… Nous sommes UN SEUL peuple, et c'est mon peuple. Je me suis toujours battue pour lui, et quand j'ai créé cette Coalition il y a quelques années maintenant, quand je vous ai invités à vous joindre à moi et vous ai fédérés, je l'ai fait pour arriver un jour à CELA… à un jour comme aujourd'hui. Je l'ai fait pour nous rendre plus forts que jamais, et pour pouvoir un jour vraiment espérer cette paix que nous touchons du bout des doigts aujourd'hui. Aujourd'hui, nous marchons enfin ensemble dans la même direction, et aujourd'hui nous ne serions pas là si ceux que nous considérions nos ennemis il y a encore si peu de temps, n'avaient pas été là. Aujourd'hui, notre réel ennemi n'aurait jamais été vaincu si Azgeda ou Skaikru n'avaient pas été là. Nous ne serions plus là si Trikru et Floukru n'avaient pas unis leur force. Nous n'aurions plus été là, tous autant que nous sommes, si la Coalition n'avait pas été capable de renaitre de ses cendres au milieu de ce chaos, si chacun des clans ici présents n'avait pas agit dans l'intérêt de tous, avant d'agir dans son propre intérêt. Vous avez déjà bien trop évolué pour désormais faire marche arrière, ou renier ces changements. Ma plus grande victoire en tant qu'Heda n'est pas d'avoir vaincu la Montagne, ni même de savoir qu'une technologie n'a pas eu raison de nous... Ce n'est pas de voir qu'AUJOURD'HUI, nous n'avons pas succombé à des centrales nucléaires. Ma plus grande victoire est de NOUS voir ici, tous ensemble, et de voir la Coalition renaitre de ses cendres alors que tout aurait pu la détruire. » haussé-je la voix, en agitant mes deux mains devant moi au rythme de mes paroles, juste avant de leur présenter enfin la Flamme, devant les regards fiers et concernés par mon discours. « La Flamme n'a pas survécu, mais NOUS oui. La Coalition a survécu, et ce n'est pas parce que nous avons suivi nos traditions, mais parce que nous avons su les dépasser et nous adapter. Parce que nous avons su laisser nos blessures derrière nous, et avons décidé que la vie valait vraiment le coup d'être vécue. Parce que nous avons enfin compris que la violence est un chemin bien plus facile à emprunter que la paix, mais aussi bien plus douloureux. Parce que nous avons été capables d'être forts ! Etre Heda a toujours été jusqu'à présent un droit de sang, et un choix de l'Esprit des Commanders, qui aujourd'hui n'est plus. Cet esprit que nous avons toujours vénéré est ce qui a permis à Raven de tous nous sauver de cette menace, alors nous devons continuer de l'honorer… Mais plus de la façon dont nous l'honorions jusqu'à présent. Nous avons tué en son nom, mais aujourd'hui, nous devons VIVRE en son nom, parce que sans la Flamme, nous serions tous morts. » continué-je, en leur présentant les restes de ladite Flamme.

Devant moi, l'assemblée s'agite, et des murmures désorientés s'en élèvent. Je sais que certains ont peur de se confronter à ce changement, je sais que chacun d'eux se demande, maintenant qu'ils ont le temps de vraiment se poser la bonne question, ce que leur avenir peut être sans tout ce qu'ils considéraient comme leurs repères… Sans ce qui guidait leurs pas jusqu'à, c'est-à-dire leurs convictions et leurs traditions. Ebranler toutes les certitudes d'un homme peut s'avérer être une tâche délicate, mais aujourd'hui elle est plus que nécessaire. Il n'y a pas de retour en arrière possible après tout ce que nous avons vécu, et ne pas embrasser ce changement nous fait courir à notre perte à tous. Nous ne survivrons pas à l'avenir sans cela.

« Que proposes-tu, Heda ? » s'élève alors la voix de l'Ambassadeur de Podakru, soutenue par celui de Trishanakru. « Où veux-tu en venir ? »

Je lève alors subitement les mains pour leur demander de retrouver leur calme, pendant que j'inspire profondément, en relevant toujours plus mon regard, satisfait en une sens par cette intervention, à leur attention. J'ai le temps de voir le regard inquiet et incertain qu'Abby adresse à sa fille, avant d'entreprendre une réponse :

« Etre Heda n'est pas seulement une question de sang. J'ai été choisie par la Flamme, et… je continuerai à assumer mon rôle, même sans elle. Lorsque j'ai créé la Coalition, j'ai créé avec elle des règles, que vous avez toujours le droit d'invoquer. Si vous ne voulez plus que je vous gouverne, alors votez. Vous connaissez nos lois, et je m'y plierai encore aujourd'hui… » lui réponds-je, tout en m'asseyant enfin dans mon Trône, et en apposant mes deux mains sur les accoudoirs.

Alors que mon regard reste fier, celui de Clarke se terrifie. Pourtant je sais qu'elle lutte intérieurement entre son devoir qui lui incombe de faire respecter cette règle, et de me laisser agir au mieux dans le bien commun, et ses sentiments personnels, qui lui implorent de ne pas me laisser me mettre en danger de la sorte. Selon mes propres règles, ils peuvent me demander de me retirer en me défiant. Si leur avis est unanime, je suis normalement soumise à un combat de mise à mort, à l'image de celui demandé par Nia et qui a fini par lui coûter la vie. Mais les choses sont désormais différentes, je sais comme elle que certains clans ne s'élèveront pas contre moi, alors ce qui l'inquiète est de savoir réellement pourquoi j'agis comme cela. Je ne tarde pas à lui apporter une réponse, tout comme au reste de ma Coalition, qui ne sait pas réellement comment réagir à ces propos après m'avoir écoutée pendant de longues minutes, et surtout avoir entendu mon discours de non violence…

« Selon mes propres lois, vous pouvez me défier et me demander de renoncer au Trône. Vous pouvez me défier dans un combat à mort. Aujourd'hui, je vous dis qu'en arriver à cela n'est plus nécessaire… Aujourd'hui, la Flamme n'existe plus, et être Heda n'est donc plus qu'une unique question de sang et d'être choisi pour tous vous gouverner… » continué-je avant de reprendre après un succinct temps de pause : « Je ne resterai moi-même Heda que si l'entière Coalition veut que je le reste. » leur annoncé-je fermement, surprenant ainsi chacun d'eux, sauf Kane qui esquisse un sourire particulièrement fier. « Aujourd'hui, je vous laisse totalement libres de choisir si vous voulez toujours me suivre ou non. Par le passé, JE dirigeai la Coalition et vous aviez alors le choix d'en faire partie ou non. Aujourd'hui, VOUS êtes la Coalition, et je vous demande de choisir si vous voulez que je continue à la diriger ou non. » terminé-je, en leur laissant quelques instants de répit et d'intense réflexion.

« Tu nous appelles à un vote démocratique ? Et tu te plieras entièrement au choix de la Coalition ?... » clarifie alors Kane, en s'adressant par la suite aux autres membres de l'Assemblée, juste après que j'ai acquiescé. « Heda nous laisse totalement libres de notre choix. Je pense que c'est un droit sans précédent dans votre société, et à l'image de la société de paix qu'elle s'évertue à faire naître sur les cendres de celle de violence qui nous a tous tant coûté par le passé. Lexa nous a fédéré, et nous a amené là où personne d'autre n'a pu nous amener… mais surtout ENSEMBLE. Je sais que Skaikru ne s'est pas toujours bien comporté, ET je sais que nous sommes responsables de beaucoup de morts. Certains clans plus que d'autres, et nous en faisons partis… Cette Coalition est désormais, et plus que jamais, notre meilleur espoir à TOUS… Et elle l'est parce que Lexa est à sa tête. »

Je remercie silencieusement Kane pour son respect, tandis que Clarke se tend de nervosité à mes côtés. Le regard sérieux et presque sévère, elle attend patiemment d'entendre les objections qui peuvent s'élever face à nous…

« Je vote pour. » conclut-il en reprenant sa place.

« Je vote pour. » se prononce alors à sa suite Indra, le regard ferme et déterminé.

« Moi aussi. » affirme ensuite Luna, d'une voix posée.

Les autres membres de la Coalition échangent des regards dubitatifs ainsi que des murmures confus, tandis que je les observe silencieusement. C'est une situation sans précédent pour eux, et je ne peux que les comprendre.

« J'espère que tu sais ce que tu fais… » me murmure Clarke, le regard profondément soucieux, de manière à ce que seule moi entende.

Mais je ne détache pas pour autant mon attention de ce qui se joue devant moi, et ne lui réponds donc rien. Les quelques instants qui vont suivre détermineront notre avenir à tous… Parce que si je reste Heda, je sais comment je veux les diriger désormais... Mais s'ils ne veulent plus que je les dirige, alors je n'aurai plus aucun pouvoir et me retirerai selon leur volonté et ma parole. Je les ai amenés là où je pouvais les amener, le reste dépend maintenant d'eux et non de moi. Je n'abandonne pas mes responsabilités, mais le choix est leur. Les choses ont changé, je ne peux plus m'imposer, et je veux plus le faire. Pour réellement avancer, ils doivent prendre eux-mêmes une partie des décisions concernant leur propre avenir, et la plus importante et la plus capitale doit être le choix de leur leader. S'ils me veulent, alors je saurai que rien ne viendra plus se mettre en travers de notre chemin… Je repense inconstestablement à ce jour où j'ai dit à Titus que je ne laisserai pas la peur de la guerre dicter mon agenda. Je ne laisserai rien le faire, alors je prends le risque… Ce risque qu'aucun n'a jamais osé prendre avant moi, parce que cela peut en être un, et je le sais… Mais si je ne le prends pas pour eux, alors qui le fera ?... Les laisser entièrement choisir qui il veulent suivre, sans guerre qui les menace, ni sans violence comme moyen de pression, EST un risque considérable. Mais j'accepte ce challenge. Leur hésitation est à l'image de ce changement qui s'annonce, et que je suis en train à cet instant-même de mettre en place. Subitement, je pense naturellement à Costia… Je revois son visage lorsqu'elle m'a dit que seule moi pouvait changer les choses… D'aussi loin qu'ils se souviennent, ils n'ont jamais pu choisir leur Heda, puisque le sang noir et la Flamme s'en chargeait pour eux. Je comprends donc le fait que tout cela les déstabilise, parce qu'ils veulent avant tout ce qui est le mieux pour leur clan, et désormais ils envisagent aussi les choses plus grandes, à l'échelle de la Coalition toute entière qui leur a permis de survivre. Aucune décision ne leur est imposée, et le choix est entièrement le leur, sans risque de représailles. Sans que leur place au sein de la Coalition ne soit menacée. J'inspire profondément et patiente qu'enfin ils se prononcent.

Lorsque qu'Echo, après quelques minutes de délibération, prend la décision de s'avancer au milieu d'eux, me rappelant Nia le jour où elle m'a défié, les chuchotements et les incertitudes sont aussitôt dissipés. Un silence s'impose dans la salle, et chacun l'observe attentivement, me faisant à présent face, droite, fière, et sûre d'elle. Clarke rehausse à son tour la tête, et durcit drastiquement son regard, qui témoigne de son inquiétude persistante. Je plonge alors le mien dans celui d'Echo, qui se retourne ensuite pour s'adresser à l'Assemblée. Compte tenu de l'incertitude des trois seuls Clans qui ne se sont pas encore prononcés, dont le sien, je considère ce qu'elle s'apprête à dire comme relativement déterminant… Bien que sur le principe d'un vote, je suis désormais élue majoritairement, et reste donc en place. Mais il est important pour moi d'avoir la totalité de leurs voix, et d'entendre tous les avis, ce qui me permettra bien plus facilement de mener la Coalition là où je veux réellement la mener.

« Azgeda a d'aussi loin que je me souvienne toujours montré une opposition au pouvoir en place. Pendant bien longtemps, nous avons commis l'erreur de remettre en cause Heda et son autorité, et pendant bien longtemps, nous avons agit uniquement pour notre propre clan sans jamais nous soucier des conséquences… Ni même du nombre de vies que nous prenions pour parvenir à nos fins, honorant plus que tout le principe du sang appelle le sang. Nous sommes peut-être le clan qui avons le plus honoré cela, parce que nous en avons fait notre UNIQUE principe de vie, guidé par le sang et pour le sang. Mais cela a aussi bien failli nous exterminer, avant même la technologie… Et comme Lexa l'a dit, sans son indulgence nous ne serions aujourd'hui plus là. Sans son indulgence, aucun membre de mon clan ne le serait, et il fut un temps où nous serions encore partis en guerre pour de mauvaises raisons contre elle. Aujourd'hui, je fais le choix pour mon clan et en son nom, en tant que Reine d'Azgeda, de marcher à ses côtés, et d'honorer mon serment d'allégeance envers cette Coalition. Et tant que cette Coalition existera, et que j'en serai une voix…. Je ne reconnaitrai que Leksa Kom Trikru comme légitime Heda. » dit-elle de manière déterminée, juste avant de se retourner vers moi à nouveau, et de me regarder droit dans les yeux. « Je vote pour. »

J'incline alors la tête en guise de respect, juste avant qu'elle ne reprenne sa place auprès de son Ambassadeur, qui plussoie la décision de sa Reine. J'entends Clarke pousser un léger soupir de soulagement à mes côtés, tandis qu'Indra, pour la première fois, témoigne d'une reconnaissance envers Echo. Les deux autres clans ne tardent par la suite pas à se prononcer, et c'est ainsi après de longues minutes de délibération, que je finis donc par enfin me lever à nouveau, et leur faire place dans toute ma prestance. Je descends alors deux marches, et leur adresse un léger sourire, qui leur communique toute ma force et ma détermination. Leur vote est unanime, et je ne peux que le réaliser lorsque chacun d'eux pose un genou à terre, au fur et à mesure que je m'avance en leur centre, sans que je ne demande quoi que ce soit. Une à une, les têtes s'inclinent, et je sens ma poitrine s'ouvrir si facilement, qu'elle me laisse une sensation de liberté que je n'ai que rarement ressentie. C'est à cet instant, et seulement à cet instant, que je me tourne légèrement sur la gauche, et plonge mon regard satisfait et fier d'en être ENFIN arrivée là, dans le sien à présent soulagé… et tout aussi libre que ne l'est ma poitrine. Je sens alors Clarke respirer le même vent d'espoir qui s'élève de cette pièce, dans laquelle chaque personne décide délibérément d'embrasser cette cause commune, pas par obligation, ni par peur, ou encore par ignorance ou méconnaissance de notre monde aujourd'hui…. Mais par choix. Uniquement par choix.

« Levez-vous, membre de la Coalition. » leur demandé-je d'une voix solennelle, juste avant de remonter à nouveau sur les quelques marches et de leur faire face, plus confiance que jamais. « Alors, maintenant que nous parlons d'une seule et même voix, faisons-le, ensemble. Mais avant de commencer, et afin de partir sur de bonnes bases, il y a cependant des choses que je veux éclaircir avec vous. Justice doit être complètement rendue. »

Maintenant qu'ils ont décidé de me suivre, je me dois de rendre justice, et de leur permettre ainsi de se sentir soutenus et totalement compris. Ils m'ont choisie, et la dernière chose qu'ils attendent de moi, la dernière chose que j'estime leur devoir, c'est l'entière justice, pour laisser enfin derrière nous ce passé tumultueux et douloureux. Je détourne la tête et m'adresse silencieusement à Clarke, qui comprend immédiatement ce que j'attends d'elle. Elle demande d'un regard ferme à Bellamy d'agir maintenant, pendant que toutes les attentions sont tournées vers elle. Puis, j'incline la tête à celle d'Echo, ce qui agite légèrement les autres membres de la Coalition. La Reine d'Azgeda transmet à son tour son ordre, et l'espace d'un instant, je plonge mon regard dans celui de Kane, qui ne peut s'empêcher de déglutir soucieusement. Le regard grave, quelque peu peiné, mais pourtant bien déterminé à faire ce qui est juste, il pose sa main sur l'épaule d'Abby, qui assise dans son siège, ne paraît pas plus rassurée. Je me redresse et croise les mains derrière mon dos, attendant patiemment que les portes à présent ouvertes, ne laissent apparaître les personnes que j'attends.

Soudain, tous les regards se tournent vers elles, lorsque Bellamy les franchit d'un pas pas lourd, et traverse l'Assemblée avec son prisonnier. Le regard ferme de Clarke se pose sur ce dernier, qui avance devant son ami sans un mot, bien qu'avec une attitude relativement fière, malgré son actuelle position qui n'est pas à envier. Derrière eux, l'homme d'Echo amène à son tour Kalan, qui lui, contrairement au premier prisonnier, a les mains liées. Son regard provocateur défie tous ceux des membres de la Coalition qu'il croise, ce qui fait s'élever de la foule un élan de contestation, voir de haine. Jusqu'à ce qu'il croise celui de sa Reine… qui ne lui adresse strictement aucune compassion, ce qui ne manque d'échapper à personne. Certains sont confus de cette situation, mais cela a néanmoins pour effet d'apaiser légèrement les tensions. Quant à moi, je me tiens face à eux, et demande d'un signe de tête à Bellamy de se retirer, pendant que les deux hommes se trouvent face à moi. Tous deux se tiennent droits, comme revendiquant une fierté dont ils n'ont strictement aucun mérite. Leurs ports de têtes sont identiques, mais leurs regards pourtant bien différents. L'un pourrait laisser transparaitre une forme de culpabilité, bien que sans regrets, alors que l'autre n'en démontre strictement aucune. La mâchoire serrée, mais plus calme que jamais, je prends alors la parole, d'une voix emplie d'autant de force que de détermination :

« Thélonius Jaha Kom Skaikru est remis devant la Coalition par son propre clan, pour être jugé pour ses crimes et son entière contribution à ce mal appelé Alie qui nous a causé tant de souffrance. Kalan Kom Azgeda est condamné par sa Reine à comparaitre devant nous aujourd'hui pour ses crimes contre les autres clans, y compris Trikru et Skaikru, mais aussi pour l'assassinat de Sannah, dont il a avoué le meurtre devant sa Reine et moi. Aujourd'hui, justice doit être rendue pour ces deux hommes, qui sont responsables de beaucoup de morts parmi nous. WanHeda… m'adressé-je à Clarke. »

Je sais que Clarke est celle qui les a convaincus de livrer Jaha à la justice, connaissant l'importance que cela aurait dans la fédération de la Coalition. Je ne lui ai pas demandé de le faire, mais elle m'a une fois encore prouvé qu'elle est faite pour cela… Je l'ai toujours su, bien avant elle-même, mais Clarke est faite pour guider dans la justice. Elle savait que sans cela, nos bases ne seraient pas aussi solides. Elle sait que justice doit être entièrement rendue aux yeux de la Coalition, et Skaikru et Azgeda sont les deux clans qui ont posé le plus de problèmes, et le plus de morts sur leur passage. Alors dans l'intérêt général, amener Jaha devant la justice est primordial. Cependant, elle l'a aussi fait en sachant que si cela se produisait, c'était d'une part parce que je restais à la tête de la Coalition et d'autre part, parce que la mort ne serait plus systématiquement la première chose réclamée comme sentence. Tout du moins, elle l'espère fortement... Alors ici et maintenant, je lui laisse une chance de convaincre la Coalition et, en tant que WanHeda aujourd'hui pleinement respectée des nôtres, de soumettre elle-même une proposition de sentence. Mais elle sait comme moi que si sa mort est réclamée à l'unanimité par les douze autres clans, nous n'aurons pas d'autres choix que de l'exécuter. C'est surement tout ce que son clan redoute… Le visage fermé, Clarke s'avance donc vers Jaha, et lui appose un regard empli de reproches.

« J'ai fait ce que j'avais à faire, Clarke, et tu le sais… » tente t'il…

« Non… » lui répond t'elle de manière méprisante. « Tu as mené une croisade dans l'espoir de retrouver ton fils. Mais Wells est mort, et tous nous offrir un monde dénué de tout sentiment, dans lequel nous n'avions plus aucun libre arbitre, ce n'est pas vivre Jaha. » se contente t'elle de compléter sa réponse, juste avant de s'adresser à la Coalition d'une voix ferme, porté par un regard déterminé, même si je sais que les mots qu'elle s'apprête à prononcer ne la laissent pas indifférente : « Jaha est coupable de beaucoup de crimes, mais nous le sommes tous. Nous avons tous pris une vie, nous avons tous fait de mauvais choix... »

Elle marque une pause dans son plaidoyer, et si je n'avais pas une totale confiance en elle, l'espace d'un instant, je pourrais croire qu'elle s'apprête à demander à ce qu'il soit épargné, et lavé de tous ses crimes. J'incline la tête, et voyant que je ne lui coupe pas la parole, personne n'ose le faire, bien que parmis les regards environnants, certains paraissent bien déroutés et incompréhensifs.

« Chacun d'entre nous a sa part de responsabilités dans toutes les souffrances que nous avons vécues. AUCUN de nous n'est complètement innocent. Mais Heda a raison… Justice doit être rendue pour qu'ENSEMBLE, nous puissions enfin avancer vers un avenir meilleur. Condamner à mort ceux qui l'ont déjà tant apportée autour d'eux ne serait que leur offrir une délivrance. Jaha a voulu, peu importe ses intentions premières, nous ôter à tous, son propre peuple le premier, notre capacité de jugement et nos sentiments, qu'ils soient bons ou mauvais. A quoi bon vivre sans ressentir quoi que ce soit ? Détruire la Cité des Lumières a été cause de beaucoup de souffrances pour bon nombre d'entre vous, mais je n'aurai jamais été obligée de le faire si Jaha n'avait pas permis qu'elle existe… S'il n'avait pas répandu délibérément cette technologie parmi les nôtres. Je n'ai pas besoin de vous rappeler toute la souffrance qu'elle a causé, toutes les tortures qui ont été endurées… La mort n'est pas la sentence que je demande, Heda. La mort n'est pas la sentence qu'il mérite. Je demande, en accord avec mon propre clan, qu'il soit exilé de nos terres, comme l'a été Emerson. » s'adresse t'elle à moi, pendant que j'intensifie mon regard à son attention, l'écoutant attentivement jusqu'à la fin. « Je demande à ce qu'il vive le reste de sa vie en exil, bien au-delà de nos frontières, en conflit avec lui-même et avec tous ces sentiments qui vont le hanter, chaque jour. Tous ces sentiments qu'il a voulu nous ôter, et que sa solitude ne cessera de lui rappeler. » finit-elle, en s'adressant aux membres de la Coalition, tout en appuyant son regard dans celui de Jaha, qui finit par déglutir et baisser les yeux devant elle.

J'accorde un regard à Kane, qui acquiesce dans une hésitation. Il serre la mâchoire, espérant très certainement que la Coalition entende le plaidoyer de Clarke. Je prends alors la parole, après qu'elle m'ait signifié qu'elle a terminé.

« WanHeda est celle qui est en droit de réclamer la sentence de cet homme. Elle est celle qui a dû intervenir pour rétablir une situation de terreur créé par un membre de son propre clan. Ma décision se remettra alors à la sienne, et je lui donne raison, condamner cet homme à une simple mort est bien trop facile. L'exil me paraît être une bonne décision, sage, et surtout juste. Le sang n'appelle désormais plus le sang. Mais les morts doivent malgré tout obtenir justice, et aucun crime ne restera impuni. Quelqu'un s'oppose t'il au jugement de WanHeda ? Et au mien ? » m'adressé-je à eux, dans un regard aussi déterminé que ne l'est ma voix.

Nous avons déjà vu une situation similaire avec le bannissement d'Emerson, et lorsque je déglutis en attendant de voir si un désaccord s'élève librement de mes Ambassadeurs, je peux voir dans leurs regards tout le respect qu'ils témoignent aujourd'hui à Clarke, ne s'opposant donc pas à son jugement. Elle est celle qui est capable de faire preuve d'autant de clémence que de force. Elle est capable de tuer, y compris un membre de son propre clan, et ils le savent tous. Mais ils savent surtout aujourd'hui qu'ils la considèrent comme celle qui a aussi sauvé beaucoup de vies, même au prix de beaucoup d'autres. Le respect pour elle que je peux lire dans leurs regards, et dans les têtes qui s'inclinent en guise d'approbation à cet instant précis, me témoigne encore une fois du chemin que nous avons été capables de parcourir ensemble. C'est lorsqu'un frisson de fierté me parcoure l'échine et qu'elle pose son regard dans le mien, que je prononce enfin la sentence que l'entière Coalition vient de proclamer pour ce prisonnier :

« Jaha Kom Skaikru, au nom de la Coalition, tu seras banni de la totalité de nos terres. Ton exil prend effet dès maintenant, et jusqu'à la fin de tes jours, sans aucune chance que ton jugement ne soit revu, ni par moi, Heda, ni par la Coalition, et peu importe tes actions à venir. La Coalition n'aura plus aucun lien avec toi, tu ne bénéficieras plus de sa protection, ni même de ses alliances, et je te condamne à une vie de solitude bien au-delà de nos frontières, avec pour seule compagnie tes propres démons. Le salut de ton âme ne te sera jamais accordé, pas même dans la mort. » statué-je d'une voix aussi ferme que méprisante à son égard.

Puis je fais signe à deux hommes de s'emparer de lui, qui après un rapide regard accordé à Kane qui n'ajoute pas un mot de plus, et sous celui sans pitié de Clarke, est escorté en direction de la sortie. Alors qu'elle se replace à mes côtés, je l'entends inspirer profondément, malgré tout soulagée que sa mort n'ait pas été réclamée. Elle déglutit avant de faire à nouveau face à l'assistance, pendant que les portes se referment. L'attitude provocatrice que je connais si bien à Kalan tend à se dissiper petit à petit, alors que la haine de son regard à notre égard, elle, ne désemplit pas. Bien au contraire… Son tour est venu, et il le sait. Sur le même principe, je me dois normalement de demander le jugement qu'Echo lui réserve, avant de le soumettre à l'entier Conseil. Mais le cas de Kalan est différent, et lorsque je plonge mon regard dans celui de sa Reine, je n'ai besoin de rien ajouter. Dans un léger mouvement de tête, elle me témoigne de son regret, mais s'abstient d'intervenir, s'en remettant ainsi totalement à moi. Il est temps de rendre justice à toutes ses vies qui ont été prises par sa faute, parmi lesquelles celle Sannah, du père d'Echo ou encore de Costia… Je fais un pas en avant, silencieuse mais belle et bien plus menaçante que jamais à son égard. Tout le monde s'attend à ce qu'Echo soumette son jugement, mais il n'en sera rien. Je vais PERSONNELLEMENT m'en charger. Lorsque Kalan le réalise, son regard change subitement, et de la peur y apparaît. Il sait… Il sait que malgré les changements que nous nous évertuons à implanter au sein de la Coalition, l'envie de vengeance de certains membres est encore bien présente. Il sait que la limite entre vengeance et justice est faible, et malheureusement encore bien trop facile à franchir pour beaucoup d'entre eux. Y compris pour sa Reine qui, si elle demande sa sentence, demandera sa mort. Il sait qu'en ne la faisant pas intervenir, je lui ôte cette chance salutaire d'embrasser sa propre mort, qu'il ne redoute pas et qu'il attend même. Dans son regard, je comprends qu'à chaque pas que je fais vers lui, je lui ôte encore un peu plus cette chance de saluer rapidement l'amour de sa vie dans la mort. Il sait que je suis actuellement son pire fardeau, sa pire ennemie et sa pire pénitence. Il comprend qu'il devra vivre chaque jour, et il y en aura de nombreux, avec cette image de moi lui ôtant tout espoir d'enfin obtenir ce qu'il désire. Dans un regard ferme, mais après un petit sourire non dissimulé en coin à son attention, je me place à ses côtés, sans même aucune crainte qu'il ne tante quoi que ce soit à mon encontre, tant son désespoir est à présent lisible sur son visage, et tant le sol se fend petit à petit sous ses pieds, sans qu'il ne puisse même caresser l'espoir de ne pas se faire engloutir au milieu des décombres de sa misérable vie. Puis je le dépasse, sous le regard aussi protecteur qu'avide de justice de Clarke, qui observe la scène depuis la droite du Trône. L'entière Coalition attend juste dans un silence le plus complet que je le brise enfin, clôturant définitement ce cercle de haine.

« Ai laik Heda. » dis-je d'une voix puissante, en m'adressant à toute la Coalition. « Et je vais rendre enfin justice à Sannah. Il était de mon devoir de la venger, et je pensais l'avoir fait il y a maintenant des années. Mais aujourd'hui, je sais que ce n'est pas le cas, et je vais faire bien plus que cela. Je ne vais pas offrir à ce traitre ce qu'il désire le plus. »

Kalan sert la mâchoire, et lorsqu'il commence à à peine bouger, Echo tente de faire un pas en avant pour le stabiliser, mais je l'arrête d'un signe de la main. Je compte bien le mettre littéralement à terre, je compte bien enfin le détruire, et en l'amenant devant la justice, alors c'est comme cela qu'ils seront réellement tous vengés. Je veux le voir s'effondrer devant moi.

« Cet assassin a tué votre précédente Heda. Mais… je ne vais aujourd'hui pas le tuer. Je ne vais pas le tuer parce que je lui ai promis de tout lui prendre… TOUT… sauf la vie. Je veux qu'il voit tout ce contre quoi il s'est battu toute sa vie s'élever devant lui. Je veux qu'il voit celle qui est sa Reine désormais mener son peuple sur un chemin différent, aux côtés de cette Coalition qu'il a tenté en vain de détruire, et à mes côtés… Je veux qu'il soit hanté jusqu'à la fin de ses jours par les visages des personnes qu'il a tuées, et surtout par ceux qu'il n'est pas encore prêt de retrouver dans la mort. Je veux qu'il voit les jours passer, et sa vie entière défiler sans plus jamais en être maître. Je veux qu'il goûte à cette absence de liberté de vivre qu'il a pris tant de plaisir à ôter aux autres. » continué-je avec tant de hargne et de mépris dans la voix, tout en parvenant à maintenir mon calme, imposant le plus grand respect face à moi. « Je ne condamne donc pas Kalan à la mort, ni même à l'exil. Je refuse qu'il goûte à nouveau à cette liberté d'exister, pas même en portant son fardeau et ses innombrables péchés. Non… »

Je m'apprête à continuer, et à prononcer enfin sa sentence, parce que je lis dans chacun des regards que je croise que personne ne s'y opposera. Pour la première fois, absolument chaque membre de ma Coalition comprend que la mort n'est pas la pire sentence pour cet homme. Parce qu'aucun n'ignore le goût pour elle dont il fait preuve toute sa vie durant. Et lui offrir cela, lui offrir le plaisir d'une dernière fois s'en délecter, n'est le désir d'aucune personne dans cette pièce. Kalan ne pouvait pas savoir que malgré la limite bien mince entre vengeance et justice, il est parfois possible d'obtenir les deux sans pour autant avoir à la franchir. Je le regarde d'une manière aussi méprisable que possible, la mâchoire serrée et la rage au cœur, lorsque je prononce d'une voix posée, presque solennelle, enfin sa sentence, en me tenant face à lui, à seulement quelques centimètres :

« Kalan Kom Azgeda, je te condamne à un emprisonnement à vie, ici même dans cette Tour, sous ma garde, et sous celle de l'entière Coalition. La lumière du jour que tu vois devant toi en ce moment est belle et bien la dernière que tu verras. » me contenté-je de statuer.

Rageux mais totalement désemparé, il pousse un cri de désespoir pendant qu'il s'effondre à genoux à mes y est, le sol s'est effondré… Il n'a même pas la force de se relever, et encore moins celle de m'affronter. Il n'a plus rien, pas même sa propre liberté. Tel le juste retour vengeur des choses, la justice vient de tout lui prendre. Alors qu'il en serait presque méconnaissable, son visage enfoui dans ses mains attachées, Echo le regarde sans aucune compassion et finit même par s'approcher de nous, sans que je n'intervienne. Après m'avoir remerciée d'avoir enfin rendu justice, et me donnant raison quand à sa sentence qui est bien pire que celle qu'elle aurait demandé, elle le saisit elle-même par le bras et, tandis qu'il ne tente même pas de se débattre tant sa défaite est lourde à porter pour lui, le mettant littéralement à terre, elle l'escorte jusqu'aux portes où deux soldats le prennent alors en charge. Elle ordonne alors qu'on l'enferme au seul cachot de la Tour dans lequel aucune fenêtre n'est présente. Mon jugement est tombé, et il est bien pire que la mort pour lui. Ces quelques pas qu'il s'apprête à faire dans ce couloir seront les derniers de liberté conditionnelle dont il jouira, réduisant ainsi sa misérable vie à l'inexistence… Lorsqu'Echo reprend finalement sa place, les portes se referment derrière elle, et tout le calme revient dans la salle du Trône. Je me dirige à mon tour vers mon Trône, et échange un regard vainqueur avec Clarke, qui esquisse un sourire parfaitement soulagé. Nous avons réussi. Je partage son sentiment de satisfaction, et après avoir regardé ce Conseil devant lequel nous nous tenons toujours, je commence à évoquer ce que j'envisage pour l'avenir. Maintenant que la justice est enfin rendue, nous pouvons avancer, et c'est forte de tout cet espoir que nous partageons tous ici, que je finis par prendre la parole pour leur expliquer que la mort n'est désormais plus ce qui guidera nos pas, mais qu'à présent ce sera bien la vie. Ainsi, j'abolie le Conclave tel que nous le connaissions jusqu'à présent, puisqu'il n'a plus lieu d'être. Cependant, lorsqu'un Ambassadeur me demande comment sera alors assurée ma descendance, je leur réponds en accordant un regard à cette enfant, qui se trouve toujours dans le coin de la pièce avec Gaïa, que le sang ne sera plus un critère pour me succéder. Je propose donc qu'un enfant de chaque clan soit choisi pour recevoir un enseignement ici, à Polis, auprès de moi et dans le respect des lois de la Coalition. Mais lorsque je serai amenée à être remplacée, un seul d'entre eux sera élu par le système d'un vote comme nous venons de le faire, et non plus d'un combat à mort. Chacun a perdu, au nom de l'honneur du sang, un jour un enfant. Chacun, aussi honoré soit-il, a un jour dû renoncer à une vie pour le pouvoir. Mais aujourd'hui, chacun comprend aussi que Heda n'a plus le même pouvoir sans la Coalition, et que leur avenir n'est plus une question d'honorer des traditions ancestrales. Après délibération, tous les espoirs se portent vers un avenir qui ne coutera pas la vie d'un enfant et qui mettra chaque clan sur un pied d'égalité, que ce soit par rapport à sa chance de diriger un jour cette Coalition, ou par sa légitimité à choisir Heda. Après des années de bataille, je peux aujourd'hui pleinement espérer que l'histoire ne se répètera pas, et que ce n'est plus la soif de mort qui guident à présent ces hommes, mais la soif de vivre. Je plonge mon regard dans celui de Luna, qui étouffe ses larmes. Je peux enfin voir sur son doux visage un sourire se dessiner, le premier depuis bien longtemps dans cette pièce qui pour elle, jusqu'à présent n'était assimilée qu'au pouvoir de Heda, et à tout ce qu'elle a perdu en son nom... Aujourd'hui, tout est différent, et aujourd'hui enfin, elle me sourit en ce lieu. Alors au moment où je la regarde, il n'y a plus qu'elle et moi, dans cette pièce… Elle et moi, heureuses, riant presque aux éclats, partageant cette victoire avec tous ceux que nous avons perdus pour en arriver là. Avec le sourire radieusement magnifique de Costia et le regard pétillant de vie de Liam… Avec le cœur empli de joie d'Astria, et la main rassurante de Lincoln sous le regard toujours protecteur et fier d'Anya… Nous avons énormément perdu, mais tout cela en valait peut-être la peine. Sans eux, j'aurai surement perdu espoir plus d'une fois, mais aucun d'eux ne m'a jamais abandonnée. Je leur devais bien cela, et à présent, je ne leur dois plus rien. Dans le regard infiniment gratifiant de Luna, je peux l'apercevoir faire la paix avec elle-même, considérant elle aussi avoir enfin honoré convenablement leur mémoire. Parce qu'elle m'a permis de faire ce que je fais aujourd'hui. J'incline la tête à son attention en lui témoignant tout mon respect et ma reconnaissance de s'être battue à mes côtés pour cela, pendant qu'autour de nous, de nouveaux marchés et de nouvelles ententes commerciales, mettant les ressources de chaque clan à l'entière disposition de la Coalition, et donc des autres clans, commencent à voir le jour.


Le crépuscule nous baigne de sa luminosité enivrante, et la vue sublime de Polis qui s'offre à nos pieds me réchauffe le cœur, malgré la fraicheur de la nuit tombante qui ne va pas tarder à apparaître qui commence à se faire sentir. Les derniers rayons de soleil font encore frissonner ma peau de plaisir, et c'est en esquissant un sourire que je regarde Clarke, debout à mes côtés. Nous observons toutes les deux ce tableau magnifique pendant quelques instants, sans échanger un seul mot. Juste au dessus de nos têtes, ce petit bandeau de tissu vieilli par le temps, se soulève de la branche de l'arbre de Becca PramHeda au rythme du petit vent frais, qui s'engouffre aussi dans nos cheveux. Je dirai même qu'il danse avec lui… Pour la toute première fois depuis que je l'ai accroché ici, je le regarde en souriant, me sentant légère et libérée. Me voyant faire, Clarke finit par se retourner vers moi, et par me poser sa main sur le bras, alors que je m'approche un peu plus du bandeau en question, jusqu'à le toucher. Mes doigts glissent sur lui, ou peut-être est-ce l'inverse, mais à son contact, je ferme les yeux une seconde, et m'enivre de la joie que sa sensation sur ma peau me fait ressentir. Alors, lorsque les doigts de Clarke se referment légèrement sur mon bras et que je peux sentir son souffle dans mon cou, je sais… Je sais qu'elle comprend, et ouvre à nouveau les yeux pour lui murmurer dans un sourire :

« Je l'ai accroché là il y a bien longtemps déjà… Elle a toujours veillé sur cette ville avec moi tu sais... »

« Et j'espère qu'elle le fera encore longtemps… » me murmure t'elle à son tour, pendant que je me retourne face à elle, et que je lui saisis les mains.

La présence de Costia baigne ses lieux, et tant Clarke que moi savons qu'il n'en sera jamais autrement. Mais je sais aussi que son amour ne me quittera jamais, tout comme celui que je porte désormais à Clarke, et qu'elle bénit. Costia aurait voulu que je me reconstruise, et je n'ai pu le faire qu'aux côtés de Clarke. Aujourd'hui, je me sens enfin libérée du poids de mes responsabilités envers mon peuple et envers Costia… Envers elle, et tout ce que j'ai perdu, et à qui je m'étais juré de rendre un jour justice. Maintenant que c'est chose faite, je suis libre… Je suis enfin libre d'exister pleinement, et d'entrevoir un avenir qui jusqu'à présent n'était qu'un vague espoir nourrissant les batailles de toute une vie...

La beauté de Clarke sous la luminosité du jour déclinante n'a d'égale que sa force, et le bleu de ses yeux ne laisse refléter que le bonheur qui enivre son âme à cet instant. Lorsqu'elle lâche mes mains, tout en me souriant, elle se les passe soudain derrière le cou, et en décroche sa chaine autour de laquelle pend l'anneau de mariage de sa mère. Je marque une légère surprise, ne comprenant pas bien où elle veut en venir, mais c'est dans un sourire des plus radieux et confiant qu'elle finit par relever le regard vers moi, juste après avoir regardé cette bague un court instant.

« J'ai déjà bien trop attendu pour cela… Quand ma mère m'a remis cette alliance, elle m'a dit de l'offrir à la personne que mon cœur aurait choisie, et je sais depuis bien longtemps déjà que TU es cette personne… » commence t'elle.

« Clarke… » la coupé-je malgré moi, en sentant mon cœur s'emballer dans ma poitrine.

« Le moment n'est juste pas réellement venu auparavant, peut être parce qu'il ne devait en être autrement… Parce que Lexa… Tu sais à quel point je t'aime, tu sais tout ce que nous avons traversé ensemble, et tu sais que nous avons survécu. Alors aujourd'hui, je veux que Costia soit témoin elle aussi de l'amour que je te porte, et de mon intention de ne plus seulement survivre à tes côtés. Mais d'y vivre… »

« Life is about more than just surviving… » lui murmuré-je, pendant qu'elle s'approche de moi.

Je relève alors mes cheveux, et les passe par dessus mon épaule gauche, lui offrant ainsi mon cou, autour duquel elle passe ses doigts si délicats pour venir y accrocher cette chaine. Je sens des larmes de bonheur que je me refuse de combattre remonter du fin fond de mes entrailles, pour venir finalement dévaler librement mes joues. Elle vient apposer ses lèvres sur les miennes pendant que je l'enlace en lui transmettant tout mon amour. Puis nous brisons naturellement cette étreinte, pendant que Clarke me murmure à son tour dans un petit rire « Life is about more than just surviving… », se rappelant comme moi que ces quelques mots sont à l'image de notre histoire toute entière. Ces quelques mots nous définissent et nous lient pour l'éternité, aux yeux non seulement de Costia, mais aussi de l'univers tout entier…

Des petits crépitements nous font subitement détourner le regard, et au coin du petit buisson qui dissimule en partie l'entrée de la clairière, une petite silhouette se dessine dans la luminosité environnante à présent très faible. Tasya apparaît, et marque un temps d'hésitation avant de nous rejoindre à la demande de Clarke, qui lui fait signe d'approcher. Mon regard tendre posé sur cette enfant lui procure un sourire radieux, pendant qu'elle arrive à notre hauteur. Dans une attitude aussi aimante que protectrice, Clarke s'accroupit et lui pose une main délicate sur la joue, en lui offrant à son tour toute la grâce de son sourire. Sa deuxième main vient se poser sur sa petite épaule, pendant que je les observe qui se tournent à présent vers la ville. Les étoiles commencent à parsemer le ciel, et Clarke en pointe une du doigt en lui expliquant que là-haut, les petits points qu'elle voit sont en fait des milliers de petites planètes, qui nous baignent de leur lumière dans la nuit noire. L'immensité de l'espace est à l'image de l'amour que je lui porte. Je m'approche d'elle et pose à mon tour ma main sur l'épaule de Tasya, par dessus celle de Clarke. Toutes deux me regardent, et Tasya comprend que désormais, elle grandira à nos côtés et sera aimée et protégée, au prix de nos propres vies s'il le faut. C'est la promesse que nous nous faisons à cet instant avec Clarke. Tasya ne sera pas élevée à Polis à nos côtés pour la couleur de son sang, parce que ce n'est pas cela qui la définit, ni même ne définira ses choix futurs. L'amour, lui, le fera…

Clarke se relève alors, et plonge son regard dans le mien. Elle est libre. Elle est enfin libre de ses responsabilités envers son peuple et les a amenés vers la paix. Elle ne leur doit désormais plus rien, pas plus que moi je ne dois quelque chose au mien. Nous ne devons plus rien à nos peuples, et c'est en ayant ma main protectrice posée sur l'épaule de Tasya, qui regarde toujours le ciel avec émerveillement en ayant de sa petite main celle de Clarke, que je transmets à Clarke tout mon amour à travers mon sourire. Le cœur léger comme jamais auparavant, je finis par regarder à nouveau le ciel, alors qu'elle fait de même.

« Maybe someday… » murmuré-je d'une voix douce, emplie d'amour.

Silencieusement, elle me regarde à nouveau. Alors, son infini bonheur embellit les traits de son visage, et je peux dire sans aucune hésitation que Clarke s'autorise enfin à vivre pleinement ce bonheur qui s'offre à elle…

… Je peux dire en me trouvant à ses côtés, qu'à cet instant, l'univers a été créé pour être vu par mes yeux… Je peux définitivement affirmer à quel point il est rare et magnifique de seulement exister.


Merci à tous d'avoir suivi cette histoire, qui me tenait particulièrement à coeur...

"Pourquoi des chapitres si longs ? Pourquoi est ce que cela s'arrête maintenant ?"... Je voulais 13 chapitres, je tenais à ce chiffre 13 pour rendre justice non seulement à Lexa, à ce couple d'une force incroyable qu'elles formaient avec Clarke, mais aussi aux fans qui ont tant pleuré sa mort. Personne n'ignore la symbolique du chiffre 13, personne n'ignore que l'épisode 307 dans lequel nous l'avons perdue se nomme "Thirteen"... Alors voilà pourquoi je tenais tant aux 13 chapitres, parce que non, Jason Rothenberg n'a définitivement pas tué Lexa pour ce chiffre, il n'a fait que la magnifier et l'élever au rang de légende. Il ne nous a pas tout pris, parce que Lexa représentera toujours tout ce qu'elle représente, et que par cette histoire, j'ai voulu la faire vivre et lui faire reprendre la place à laquelle elle a droit. J'ai donc décidé de donner aussi ce "poids" et cette importance à ce chiffre : Thirteen ne représente pas ce qui a tué Lexa, ni le titre de l'épisode, ni ce treizième clan pour lequel on veut nous faire croire qu'elle est morte, mais bien toute la vie qu'elle représente et le courage de la défier. "Life is about more than just surviving". Non Jason, en nommant ainsi cet épisode, tu as élevé ce personnage au statut d'icône, de légende.

Merci donc à vous d'avoir suivi, votre soutien est définitivement ce qui permet aussi aux nombreux auteurs de continuer à la faire exister et à l'honorer. Chaque retour est important, alors merci.

Merci à Alycia Debnam-Carey de lui avoir donné vie, et d'avoir été ma source d'inspiration dans la description de ses expressions. Sans elle, Lexa n'aurait jamais été celle que nous aimons tant. Merci aussi à Eliza Taylor de prêter ses traits à Clarke.

J'espère être parvenue à leur offrir un bien meilleur avenir que le médiocre, voir l'infâme, auquel on a droit dans la série. J'espère avoir réussi à leur rendre justice à elles, mais aussi à tous ceux qui ont été massacrés en terme d'écriture, et je pense notamment à Luna que j'affectionne aussi énormément.

Wisdom, compassion, strength.

Long Live Heda.

May we meet again...