« … d'ailleurs je ne sais pas si vous êtes au courant », lance joyeusement Alya à son auditoire, « mais il va y avoir un marché spécial pour la Saint Valentin la semaine prochaine, avec plein d'animations ! »

Alors que Rose approuve avec enthousiasme et que Nino et Mylène hochent la tête en souriant, Marinette crispe machinalement ses doigts autour de sa fourchette. Ce n'est pas qu'elle se méfie, mais lorsqu'elle est dans les parages, ce genre de conversation ne mène généralement que vers une seule issue.

Issue qu'elle préfèrerait largement éviter.

Assise à la table du restaurant dans lequel elle déjeune avec ses amis, la jeune femme se concentre sur son assiette dans une tentative optimiste d'échapper à l'attention de ses camarades. Avec un peu de chance, peut-être oublieront-ils de l'inclure dans leur discussion.

D'une oreille distraite, Marinette entend Rose confirmer qu'elle compte se rendre à l'évènement en compagnie de Juleka, puis Mylène renchérir en affirmant qu'elle en fera de même avec Ivan.

Et bien qu'elle garde obstinément les yeux rivés sur son repas, elle sent les regards de ses amis se poser lentement sur elle.

Il faut qu'elle trouve un sujet pour faire diversion. Se plaindre des derniers examens, parler de ce mois de février particulièrement froid.

N'importe quoi.

Vite.

« Dites », commence-t-elle en tournant ostensiblement la tête vers la fenêtre, « est-ce que vous pensez qu'il va neig- »

« Et toi, Marinette ? », la coupe brusquement Alya. « Est-ce que tu viens aussi ? On pourrait y aller tous ensemble, je suis sûre que ça serait sympa ! »

Raté.

« Je passe mon tour », réplique la jeune femme en plaquant un sourire artificiel sur son visage. « Ce n'est pas que je n'aime pas la Saint Valentin, mais je ne fais pas vraiment partie du public visé. »

« Tu devrais venir », intervient Rose en posant doucement sa main sur son bras. « Il parait qu'il va vraiment y avoir plein de choses : des spectacles, de la musique, des jolies décorations, des stands qui vendent des bijoux… ça serait dommage de te priver de tout ça ! Et on sera avec toi, donc tu ne risques pas de t'ennuyer », appuie-t-elle d'un ton encourageant.

Marinette hoche distraitement la tête, attendant à présent avec une certaine résignation la mention du seul autre célibataire endurci de leur petit groupe.

Impossible que ses amis ne lui proposent une excursion dans un cadre romantique sans l'inviter lui aussi.

« Je pourrais même demander à Adrien s'il est disponible », ajoute Nino avec un immense sourire, alors que Marinette coche mentalement la case 'Inviter Adrien et Marinette à une sortie de couples' parmi la longue liste des sujets qu'elle s'attendait à voir apparaître dès qu'il a été question de la Saint Valentin. « Je suis certain que ça lui ferait plaisir de passer un peu de temps avec nous. »

« Oh oui, excellente idée », approuve Alya avec un enthousiasme parfaitement disproportionné. « Préviens-le tout de suite ! »

Alors que Nino sort son téléphone de sa poche, Marinette se hâte d'avaler une bouchée de son repas pour s'empêcher de laisser échapper un grognement irrité.

Elle aime ses amis.

De tout son cœur.

Mais manifestement, le fait d'avoir atteint l'âge vénérable de 21 ans sans jamais avoir présenté le moindre petit ami à son entourage autorise tacitement ledit entourage à se mêler sans cesse de sa vie sentimentale.

Pourtant, ce n'est pas faute de leur dire et leur redire qu'elle aimerait qu'on la laisse tranquille sur ce point - et ce, en termes plus ou moins colorés selon son humeur du jour. Mais rien à faire. Tout ce qu'elle leur répète ne semble entrer par une oreille que pour mieux en sortir aussitôt par l'autre.

Entre ses oncles et tantes et leurs sempiternels « et toi, quand-est ce que tu nous ramènes quelqu'un ? » à chaque repas de famille, sa grand-mère et ses conseils sur les garçons, les regards lourds de sous-entendus que ces parents échangent chaque fois qu'elle prononce un prénom masculin et ses amis qui ne cessent de vouloir la caser à tout va – avec Adrien, de préférence –, Marinette a l'impression d'être harcelée en permanence sur sa vie amoureuse.

Même Alya n'arrive guère à tenir compte de ses complaintes plus de deux semaines.

Chaque conseil, chaque question, chaque remarque des proches de Marinette ne fait qu'accentuer un peu plus cette pression sociale qui pèse de plus en plus sur ses épaules. Tout le monde veut qu'elle sorte enfin avec quelqu'un (Adrien étant, de l'avis général, le candidat idéal au poste) et tout le monde le lui fait - très - lourdement savoir.

Parfois, Marinette aurait presque envie de leur dire à tous qu'elle a décidé de faire définitivement vœux de célibat, histoire qu'ils lui fichent enfin la paix.

Presque.

La seule chose la retenant d'arriver à une pareille extrémité étant la certitude qu'une pareille annonce ne ferait au contraire qu'empirer les choses.

« Ce n'est pas la peine d'inviter Adrien », lance-t-elle à Nino, interrompant ce dernier dans la rédaction du message qu'il destine à son meilleur ami. « Pas à cause de moi en tout cas, parce que je ne compte pas venir. Mais je suis sûre que vous vous amuserez quand même sans moi », ajoute-t-elle en souriant pour adoucir sa réponse.

Ignorant les regards déçus que lui jettent ses camarades, Marinette se replonge dans son repas.

Leur geste part d'une bonne intention, elle le sait.

Mais bon.

Merci, mais non merci.

Il est hors de question, absolument hors de question qu'elle sorte avec Adrien Agreste.


La nuit est tombée sur Paris depuis déjà plusieurs heures et, à l'insu de tous, Ladybug se dirige vers la tour Eiffel. La jeune femme s'élance de bâtiment en bâtiment, tout en prenant garde à ne pas glisser sur les toits pailletés de givre.

En dépit de ces précautions, Ladybug progresse à bonne vitesse et ne lui faut que quelques minutes pour atteindre sa destination. D'un dernier lancer de yo-yo, elle s'élève jusqu'au dernier étage du célèbre monument, où l'attend déjà une silhouette familière.

Alors qu'elle raccroche son arme à sa hanche, l'homme qui se tenait jusque-là tranquillement assis contre une rambarde métallique tourne la tête dans sa direction.

« Bonsoir, ma Lady », la salue Chat Noir avec un immense sourire, tout en se levant pour venir à sa rencontre.

De la buée s'échappe de ses lèvres et alors qu'il s'approche, Ladybug lui découvre un visage légèrement rougi par le froid.

« Bonsoir, chaton », réplique-t-elle affectueusement, laissant à son tour échapper des volutes de vapeur.

Arrivé à sa hauteur, Chat Noir passe ses mains autour de sa taille. En réponse, Ladybug enroule ses bras autour de son cou pour mieux effacer les derniers centimètres qui les séparent encore et l'embrasse tendrement.

Sa bouche est douce, chaude, offrant un saisissant contraste avec la fraîcheur de sa peau.

Alors que Chat Noir fait amoureusement courir une main le long de son dos, tête légèrement inclinée pour mieux l'embrasser, Ladybug laisse échapper un murmure d'approbation. Cela fait déjà longtemps que de pareilles interactions leurs sont familières, mais elle ne se lasse pas de ces moments de tendresse qu'ils échangent à l'insu de tous.

Officiellement, les vies sentimentales de Marinette et Ladybug sont désertiques.

Officieusement, celle de l'héroïne est en réalité parfaitement remplie.

La jeune femme ne regretterait pour rien au monde d'avoir finalement tourné le dos à ses sentiments pour Adrien pour donner sa chance à Chat Noir. Son coéquipier est tout ce qu'elle pouvait espérer et plus encore. Un garçon courageux, loyal, d'une gentillesse et d'une compassion sans bornes. Quelqu'un sur qui elle peut compter quelles que soient les circonstances. Quelqu'un qui trouve toujours un moyen de la faire rire et sourire, même quand tout lui semble aller au plus mal. Quelqu'un qui la pousse à donner le meilleur d'elle-même, quelqu'un qui la rend plus heureuse qu'elle ne l'a jamais été.

Si Ladybug se disait autrefois amoureuse d'Adrien, alors les mots n'existent pas pour décrire l'intensité de ce qu'elle éprouve maintenant pour son coéquipier.

Il est celui qui fait chanter son cœur, celui sans qui elle n'est plus que la moitié d'elle-même, celui dont la présence lui est désormais aussi indispensable que l'oxygène qu'elle respire.

Il est le centre de son univers et l'amour de sa vie.

Tout simplement.


Au bout d'un moment, Chat Noir s'écarte légèrement de Ladybug. Il dépose un dernier baiser sur ses lèvres et, se penchant pour laisser reposer son front contre le sien, plonge son regard dans ses immenses yeux bleus.

« Hey », murmure-t-il d'une voix essoufflée.

« Hey », répond Ladybug sur le même ton.

Les deux jeunes gens échangent un sourire, un bref et ultime baiser, puis se dirigent main dans la main vers l'une des extrémités de la plate-forme qui leur tient lieu de point de rendez-vous pour la soirée.

Avec ses toits blanchis par le givre et ses lumières nocturnes qui dansent au loin, la capitale offre une vue à couper le souffle. Mais les deux héros ne s'en préoccupent guère, trop absorbés l'un par l'autre pour prêter attention au paysage.

Ladybug s'accoude nonchalamment à une rambarde métallique, tandis que Chat Noir s'installe à côté d'elle et passe familièrement un bras autour de ses épaules. En réponse, la jeune femme glisse à son tour une main autour de la taille de son partenaire et le serre un peu plus fort contre elle - autant pour mieux profiter de la douce chaleur que dégage son corps par cette froide nuit d'hiver que pour simplement savourer sa présence.

Durant plusieurs minutes, tous deux parlent de tout, de rien, se racontant des bribes de leurs vies respectives entre deux paroles affectueuses.

« Oh, et figure-toi que j'ai été invitée à une sortie pour la Saint Valentin », lance soudain Ladybug à un Chat Noir médusé. « Par mes amis du collège, qui tiennent absolument à me caser avec un autre de nos anciens camarades de classe. Bien sûr, j'ai dit non », précise-t-elle aussitôt. « Mais j'aimerai vraiment qu'ils me laissent tranquille avec ma vie amoureuse ! », conclut-elle en levant les yeux au ciel avec irritation.

« A qui le dis-tu », approuve Chat Noir en poussant un lourd soupir. « Ça fait des semaines qu'une fille de mon entourage me harcèle pour qu'on sorte ensemble ce jour-là. Quand elle ne me harcèle pas pour qu'on sorte ensemble tout court, d'ailleurs. »

Ladybug laisse échapper un claquement de langue agacé.

« Ta fameuse amie d'enfance ? », demande-t-elle en fronçant les sourcils.

Ce n'est pas la première fois que Chat Noir mentionne cette fille aussi insistante qu'envahissante.

Que cette personne s'intéresse à son coéquipier n'inquiète pas particulièrement Ladybug. Elle a une confiance absolue en lui et toutes les admiratrices du monde ne pourraient lui faire douter de sa loyauté.

En revanche, ce qui lui chatouille les nerfs, c'est le fait que cette amie ait aussi peu de considération pour les refus répétés de Chat Noir et aussi peu de scrupules à empiéter sur son espace personnel.

Ladybug ne compte plus le nombre de fois où son partenaire lui a fait part du comportement déplacé de cette femme et si ça ne tenait qu'à elle, elle irait lui dire sa façon de penser en ce qui concerne son respect d'autrui.

« Précisément », répond Chat Noir en secouant la tête avec dépit.

Passant une main compatissante dans le dos du jeune homme, Ladybug se serre un peu plus contre lui.

Les choses seraient tellement, tellement plus simples si Chat Noir et elle pouvaient parler de leur relation à leurs proches.

Seulement, leurs identités secrètes leur compliquent singulièrement la tâche. Marinette a déjà du mal à faire en sorte que ses amis ne se mêlent pas de sa vie sentimentale, nul doute que les choses seraient mille fois pires si elle venait un jour à mentionner un mystérieux petit ami sur lequel elle refuserait de donner le moindre détail.

La solution la plus évidente serait de se dire qui ils sont derrières leurs masques.

Plus de secrets, plus de problèmes.

Ladybug mentirait en disant qu'elle n'a jamais envisagé cette option. Elle y a même songé très sérieusement.

Elle a confiance en Chat Noir autant qu'en elle-même – si ce n'est plus – et avec l'évolution de leur relation, l'envie de savoir qui est le garçon sous le masque du héros se fait chaque jour de plus en plus pressante.

Oui. Ladybug aurait certainement dévoilé son identité à son coéquipier depuis déjà bien longtemps, si ce n'était la promesse qu'elle a faite à Tikki.

Mais son kwami tient à cette sacro-sainte règle d'or qu'elle lui impose depuis l'adolescence et qui doit lui permettre de garantir sa propre sécurité et celle des siens : interdiction de dévoiler son identité à quiconque tant que le Papillon rôde encore.

Même à Chat Noir.

Ladybug comprend le raisonnement qui se cache derrière les consignes drastiques de sa minuscule amie. Chat Noir s'est déjà retrouvé sous l'emprise d'un super-vilain et rien n'exclut qu'il puisse l'être à nouveau – rien n'exclut non plus qu'elle-même se retrouve un jour ensorcelée, d'ailleurs. Savoir qui ils sont dans de pareilles conditions ne ferait que rendre la situation plus périlleuse encore.

Ne rien dire est la chose la plus sage à faire, Ladybug en a conscience.

Mais entre ce que lui dicte sa tête et ce que lui souffle son cœur, il y a un monde.

Ladybug ne veut pas que Chat Noir n'appartienne qu'à cette part de sa vie qu'elle traverse en rouge et noir. Elle veut qu'il fasse partie intégrante de son existence. Elle veut sentir la chaleur de sa paume dans la sienne, déjeuner avec lui à la terrasse d'un café, se réveiller à ses côtés le matin. Elle veut pouvoir le présenter à sa famille et ses amis et profiter avec lui de toutes ces petites joies du quotidien qu'ils s'interdisent encore.

Souvent, elle caresse l'idée de lui dévoiler son identité, quoi qu'en pense Tikki. Cela pourrait être si simple… Un pseudo-accident, un indice au détour d'une parole innocente en apparence… Chat Noir connait un peu Marinette, après tout. Cela serait si facile...

« Est-ce que ça va aller ? », s'inquiète-t-elle brusquement, tentant de chasser ces pensées tentatrices de son esprit.

Peu importe ce qu'elle souhaite si ardemment, elle ne peut rien dire.

Elle a promis.

« J'espère », soupire dramatiquement Chat Noir. « Une de ses dernières lubies, c'est d'essayer d'impliquer nos pères dans cette histoire. Ils sont amis, alors elle veut les convaincre d'intervenir en sa faveur. »

« Oh, Chat… », murmure Ladybug d'un ton désolé.

En comparaison, les remarques incessantes de sa famille et de ses amis font bien pâle figure.

« Ne t'en fait pas », poursuit Chat Noir en se penchant vers elle pour déposer un léger baiser sur sa joue. « Je connais cette fille depuis toujours, je sais comment m'en sortir avec elle. C'est plus facile qu'avec l'armée de groupies qui chante mes louanges », poursuit-il avec une scandaleuse absence de modestie.

« A ce point ? », rétorque Ladybug d'un ton amusé.

La jeune femme ne s'offusque guère des manières pompeuses de son partenaire, connaissant trop bien ce dernier pour ne pas savoir que ses fanfaronnades sont plus dues à une volonté de la faire sourire qu'à une véritable vantardise.

Et sur ce point, force est de constater qu'il sait s'y prendre à merveille.

« Que veux-tu, avec un physique comme le mien, difficile de ne pas attirer l'attention », réplique Chat Noir avec un clin d'œil, arrachant un léger éclat de rire à sa coéquipière.

« Sur ce point, je ne peux pas leur donner tort », approuve-t-elle en caressant affectueusement la mâchoire du jeune homme du bout des doigts.

Même avec un masque, impossible de manquer la régularité des traits du jeune homme.

« Oh, ma Lady… Je te savais super-héroïne, mais pas super-ficielle », rétorque Chat Noir en ondulant malicieusement des sourcils. « Tu ne m'aimerais donc que pour mon visage ? »,

« En tout cas, certainement pas pour ton sens de l'humour », rétorque Ladybug d'un ton taquin, alors que Chat Noir laisse échapper un « gasp ! » horrifié et pose théâtralement sa paume contre son torse pour mieux marquer son indignation.

La jeune femme éclate de rire devant les manières de son coéquipier et lui donne une bourrade affectueuse sur l'épaule. Invoquant aussitôt la légitime défense, Chat Noir se hâte de la faire pivoter vers lui et de passer ses mains autour d'elle pour l'emprisonner dans ses bras.

Puis, décidant immédiatement mettre à profit leur nouvelle position, il incline la tête vers Ladybug et commence à déposer une ligne de baiser brûlants le long de son cou. Sa progression est lente, méthodique, et ses mèches blondes chatouillant la mâchoire de sa coéquipière arrachent des petits rires essoufflés à sa partenaire.

Et lorsque finalement ses lèvres se posent sur celle de Ladybug, tous les soucis de cette dernière ont pour un temps disparu, dissous dans les tendres étreintes de Chat Noir.