Et voilà ! Enfin le chapitre 5.
Chapitre 5 – Dernière partie
Lorsque Dabi ouvrit les yeux, il faisait sombre. Il était allongé sur le ventre. Cette position entravait légèrement sa respiration. Il se mit donc péniblement sur le côté et fixa un point au fond de la pièce. Lorsque ses yeux s'habituèrent à l'obscurité, il réalisa qu'il ne pouvait se trouver dans sa propre chambre. La porte coulissante qu'il devinait était bien trop éloignée de son futon. Sa chambre n'était pas si grande, il en était certain. Dabi aurait bien voulu se redresser mais il sentait qu'il n'en avait pas la force. Il se trouvait même extrêmement faible. Il se mit sur le dos pour continuer à explorer la pièce du regard mais à la seconde où il prit cette position une vive douleur parcourut son corps. Sa respiration devint haletante. Il fut pris de spasmes musculaires. Il ne savait pas quoi faire pour arrêter ça. La douleur était telle qu'il ne pouvait réfléchir normalement. Soudain, il sentit qu'on saisissait fermement son épaule pour la tirer dans une direction et le mettre sur le côté, dos à la porte.
« Il ne faut pas que tu te mettes sur le dos. »
C'était la voix de Kai. Dabi releva les yeux vers lui et fut pris d'une impression étrange. Il savait qu'il regardait Kai mais il y avait chez lui quelque chose d'inhabituel. C'est comme s'il ne le reconnaissait pas. Il avait changé. Après quelques secondes de réflexion, Dabi réalisa que Kai ne portait pas son masque : pour la première fois, il voyait l'entièreté de son visage. Il voyait Kai. Dabi voulu se redresser mais la poigne ferme du yakuza l'en empêcha.
« Reste bien couché. Ne te lève pas. »
Dabi acquiesça et Kai quitta le futon. Il le suivit des yeux et l'observa s'habiller tout en calmant sa respiration. Le yakuza revêtit son habituel ensemble sombre et mit son masque noir, ce qui eut l'effet d'un pincement dans la poitrine de Dabi. Il avait vu Kai pour la première fois et à présent et il disparaissait à nouveau sous ses yeux. Quand le yakuza fut prêt, il jeta un œil vers son partenaire qui n'avait pas bougé de sa position et lui dit :
« Je reviendrai. Bouge le moins possible. »
Ensuite il quitta la chambre, laissant Dabi seul. La pièce devenait de moins en moins sombre avec le jour qui se levait et de même, les choses devinrent de plus en plus claires dans l'esprit du jeune homme. Les souvenirs de la nuit précédente lui revinrent partiellement. Il n'avait pas vraiment perdu connaissance mais les évènements lui apparaissaient par petites brides. Il se rappelait que Kai l'avait détaché précipitamment, que son corps avait été beaucoup manipulé et qu'il avait répondu « oui » quand le yakuza lui avait demandé s'il était toujours là. Puis ce dernier l'avait aidé à se redresser pour qu'il boive un verre d'eau. Dabi posa sa main sur son dos et sentit un bandage qui devait faire tout le tour de son corps. Il se remit sur le ventre et somnola dans cette position. Il n'avait pas la force pour autre chose. Il était certain qu'il serait incapable de se mettre debout et se demanda si c'était normal. Il perdit rapidement la notion du temps et de l'espace. Son esprit fatigué vagabonda dans des pensées incohérentes qui prirent la forme de rêves étranges.
Il fut brusquement réveillé quelques heures plus tard et mit plusieurs minutes à revenir à la réalité. Il se sentait encore faible et se redressa un peu avec difficulté. C'est comme si ses muscles refusaient de fonctionner correctement. Son regard tomba sur Kai mais rien ne semblait réel. Tout était ralenti. Il entendit sa voix :
« Il faut que tu manges quelque chose. »
Puis Kai partit sans que Dabi ne puisse rien ajouter. Celui-ci constata qu'il y avait à présent à côté de lui ce qui pouvait être interprété comme un bol de soupe. Il en prit un peu mais se sentit trop somnolent pour terminer. Le soir, Kai revint. Dabi était resté dans le même état une grande partie de l'après-midi mais à présent, il se sentait un peu mieux comme si ça se dissipait.
« As-tu faim ?, demanda Kai qui remarqua immédiatement que Dabi n'avait pas consommé entièrement de sa soupe. »
Dabi fit non de la tête, ce qui sembla contrarier le yakuza qui passa nerveusement ses doigts sur son front. Il débarrassa le tout et sortit. Il revint plus tard et alla directement ouvrir une armoire de la chambre pour y prendre diverses affaires dont une boîte métallique. Il revint auprès du futon en disant :
« Mets-toi à genou, je vais changer ton bandage, dit-il finalement »
Dabi se sentit étrange car pour la première fois, Kai évoquait le fait qu'il était blessé. Il s'exécuta péniblement et Kai vint derrière lui, défit une agrafe de pansement et enleva le bandage doucement en passant ses bras autour de Dabi qui frissonna sous les picotements qu'il sentait dans son dos. Il n'avait pas connaissance de l'étendue de ses blessures et Kai ne fit aucun commentaire, si ce n'est quelques indications :
« Penche-toi en avant. »
Juste après ça, le jeune homme sentit un produit liquide et froid. Il se serait attendu à ce que la substance enflamme ses blessures mais ce ne fut pas le cas. Quand ce fut terminé, Kai déposa des compresses sur sa peau et refit un bandage complet qu'il fixa avec une agrafe.
« Ne te mets pas sur le dos cette nuit. Et enfile ça. Tu trouveras ce qu'il faut dans ma salle de bain à droite. »
Dabi se retourna et prit le T-shirt que Kai lui tendait pour le mettre aussitôt. Le jeune homme murmura un « merci » rapide. Tout semblait se passer comme si la situation était habituelle mais le non-dit était immense. Dabi espérait que Kai aborde le sujet car il n'avait définitivement pas la force de le faire. Cependant le yakuza alla ranger la boîte métallique qui devait contenir les bandages et se déshabilla silencieusement. Dabi se leva pour aller dans la salle de bain. Il sentit encore cette étrange faiblesse qui avait habité son corps toute la journée. Il demanda :
« Kai. Est-ce que tu m'as donné quelque chose ? »
Kai ne répondit pas mais il avait parfaitement entendu. Dabi insista :
« Tu m'as fait boire de l'eau la nuit dernière… »
Kai laissa encore un silence à la question avant de formuler :
« Seulement de quoi te permettre de dormir. Il fallait que tu te reposes. Et que tu restes au calme. »
Tout devenait plus clair dans l'esprit de Dabi et la sensation d'aujourd'hui n'était plus un mystère.
« Ne m'en donne plus, s'il te plaît. »
Kai ne répondit rien. Dabi aurait espéré qu'il rebondisse pour enfin aborder la nuit dernière mais il n'en fit rien. Le jeune homme alla donc dans la salle de bain qu'il découvrait pour la première fois et sans surprise, il constata qu'elle était grande et parfaitement propre, au point qu'il fut presque mal à l'aise en utilisant le robinet. Il passa de l'eau sur son visage et se regarda dans le miroir. Indiscutablement, il avait eu de meilleurs jours. Dabi trouva le peu dont il avait besoin. En se brossant les dents, son regard se promena sur l'étagère où étaient disposés divers flacons et une trousse de toilette verte qui attira son attention car une boîte en dépassait. C'était probablement une boîte de médicament et il put y lire au moins 5 lettres en alphabet latin « B-E-N-Z-O ». Ça ne lui évoquait rien et il était hors de question qu'il touche aux affaires du yakuza. Il sortit rapidement et Kai entra à son tour. Dabi alla se coucher et l'attendit. Kai revint une demi-heure plus tard après une longue douche. Il vint s'allonger à côté du jeune homme et éteignit la lumière après un vague « Bonne nuit ». Dabi se retint de se tourner vers lui. Kai avait probablement retiré son masque dans la salle de bain et il craignait observer le yakuza plus que nécessaire. Il se contenta de fermer les yeux pour détailler à nouveau les traits qu'il avait pu voir ce matin. Il était tellement dans les vapes durant la journée qu'il n'avait pas eu l'occasion d'y réfléchir et à présent, son cœur s'emballait rien que d'y repenser. Il redessinait dans sa tête le contour de son menton et de sa bouche et traça mentalement son nez. Il ne pourrait pas oublier ça. Il ne pourrait plus l'ignorer à chaque fois qu'il poserait son regard sur le masque de Kai. ll aurait souhaité voir ce visage encore une fois, un bref instant, juste pour être sûr qu'il n'avait pas rêvé.
Kai dormait déjà très profondément et Dabi entendait sa lente respiration. Celui-ci s'était souvent demandé l'effet que ça lui ferait de dormir avec ce partenaire de jeu mais les circonstances n'étaient pas celles qu'il avait imaginées. Il aurait préféré que le yakuza lui dise simplement un soir après une séance « C'est bon, reste ». Ou tomber de sommeil avec lui après avoir discuté longuement avec le visage de Kai sur sa poitrine. Mais rien de tout cela ne s'était produit. Ils étaient sur le même futon mais Dabi sentait bien qu'ils ne dormaient pas ensemble. D'ailleurs, il n'avait pas l'impression que Kai souhaitait vraiment sa présence mais qu'il s'y résignait pour quelques raisons mystérieuses, ce qui remplit Dabi d'une profonde tristesse.
Dabi fut réveillé par Kai qui vraisemblablement, se levait toujours de bonne heure mais ne vit presque qu'une ombre qui ferma une armoire et quitta la pièce. Il revint quelques heures plus tard pour lui apporter quelque chose à manger ainsi que d'autres affaires mais repartit aussitôt. Dabi n'était toujours pas très en forme mais là, il n'eut aucun mal à se convaincre que c'était le processus normal de guérison. Il explora la chambre du regard et constata que la table qui servait habituellement à disposer les objets était vide. Cela rendait flagrant que pour un si grand meuble, les trois chaises disposées tout autour ne suffisaient pas. Il remarqua d'ailleurs que la veste qu'il avait volée il y a plus d'une semaine était toujours là, posée sur l'une d'elle. Il faudrait que Kai pense à la jeter.
Kai revint le soir et tout se déroula comme la veille. Sans rien dire, il changea bandage de Dabi. Il le laissa occuper la salle de bain et en fit de même juste après. Sans rien dire, il éteignit la lumière et puis, encore sans rien dire, il s'allongea à côté de lui. La chambre resta dans le silence le plus complet durant de longues minutes. Dabi se décida à briser la glace comme il se l'était promis après une longue réflexion qui avait duré toute l'après-midi. Il dit directement :
« Combien de temps ça va durer ? »
Kai se redressa. Visiblement, il commençait déjà à tomber de sommeil. Un bref instant, Dabi se demanda comment c'était possible. Le yakuza cligna vivement des yeux pour que ses paupières se réveillent et passent de mi-clos à bien ouvertes. Puis, il se tourna vers son interlocuteur et dit d'une voix qui essayait d'être claire :
« Pardon ?
-Combien de temps ça va durer ? répéta Dabi.
-De quoi tu parles ? »
Dabi ne répondit pas. Il n'y avait pas toujours besoin de mots pour que Kai comprenne et encore une fois, le jeune homme espérait que le yakuza lirait en lui ce qui restait coincé dans sa gorge. Ce n'était pas une conversation simple et comme il avait fait une partie du chemin, Kai pouvait bien faire un effort. Heureusement, ce dernier finit par continuer :
« Il vaut mieux attendre que tu sois guéri. »
Kai se réallongea. Dabi prit comme un coup de poing le fait que le yakuza postpose cette discussion avec autant de légèreté. Sans même réfléchir à ce qu'il allait dire, Dabi tenta de garder son attention :
« Ne te défile pas comme ça. »
Kai se tourna brusquement vers lui avec un soupir agacé. Il luttait vraisemblablement contre une irrépressible envie de dormir mais Dabi décida de ne pas en tenir compte.
« Je sais très bien que tu fais semblant, dit-il »
Les yeux de Dabi étaient à présent habitués à l'obscurité de la chambre et pouvaient deviner le visage qui avait tant habité ses pensées la nuit dernière. Ainsi, il vit le regard de Kai changer. Ses yeux devinrent brillants. Les sourcils se rapprochèrent entre eux et ses lèvres se pincèrent. Pour la toute première fois, malgré les ténèbres du soir, Dabi vit sur le visage de Kai ce qui s'apparentait sans nul doute à de la colère. Après un moment de silence, Kai se décida :
« Tu veux vraiment le savoir ? Ce n'est pas bien ce que tu as fait, Touya. »
La voix du yakuza était dure et froide mais Dabi l'encaissa. Il s'y attendait. Kai reprit :
« Tu n'as pas respecté les règles du jeu. La douleur doit être choisie. Tu te l'es imposée et tu t'es servi… du jeu pour ça. »
Il s'arrêta un moment, probablement pour ne pas être trop agressif. Il respira un coup et dit fermement :
« Ça ne doit pas se reproduire. Tu comprends ? »
Kai sembla vouloir ajouter quelque chose mais se retint. Dabi acquiesça et murmura doucement.
« Je suis désolé. »
Kai fit un signe de la tête que Dabi ne put déchiffrer et s'allongea à nouveau dos à lui. Le jeune homme en fit de même. Il s'était sentit mieux un bref instant le soir où il avait laissé Kai aller aussi loin mais il devait bien admettre qu'il ressentait à présent quelque chose qu'il ne connaissait que trop bien, un sentiment qui l'avait accompagné à chaque déception lue sur le visage d'une personne qu'il chérissait. Et ce sentiment, c'était la honte.
Quand Dabi se réveilla dans la chambre de Kai, celui-ci était déjà parti. Il resta seul toute la journée et le silence de la pièce ne fut brisé que par un membre du clan qui vint lui apporter de quoi manger. Il resta sur le ventre à regarder dans le vide. Il ne se sentait plus faible comme les deux jours précédents mais il n'avait aucune envie de bouger. Ça n'avait rien à voir avec la fatigue. Il avait comme un poids dans la poitrine. L'expression sur le visage de Kai le hantait. Cette vision lui était devenue insupportable. Kai avait dit qu'il s'était servi du jeu pour des raisons personnelles mais Dabi savait parfaitement qu'il voulait dire qu'il s'était servi de lui. « Je suis désolé », ce n'était pas suffisant. Dabi aurait dû le prendre contre lui et lui promettre de ne plus jamais le décevoir.
Mais ce n'était pas tout. Il y avait autre chose. Cette douleur et cette honte qu'il ressentait étaient amplifiées quand il repensait à ces moments intimes passés ensemble dans cette chambre, à ces nuits où il essayait de s'attarder le plus longtemps possible, à ces journées passées à attendre que Kai revienne quand il était parti pour le clan. Il n'était pas indifférent à Kai. Sinon, il n'aurait rien regretté. Il n'aurait pas cette sensation d'avoir abîmé quelque chose si cette chose en question n'était pas précieuse. Ce qu'il partageait avec Kai avait beaucoup de valeur à ces yeux. C'était même inestimable. Et il s'était permis de le négliger. Il avait jusqu'à présent vécu cette relation comme un partage et s'y sentait plutôt bien. Et quand il était seul dans sa propre chambre, ça lui manquait. Cependant, Dabi devait aussi garder à l'esprit que cette relation était née d'un contrat. Néanmoins, même si elle était organisée, il était difficile pour lui de ne pas y voir quelque chose de spontané. Kai était distant mais attentif, froid mais proche. Ça sortait forcément du cadre. Dabi se sentit encore plus mal. Il aurait voulu lui expliquer. Mais est-ce que ça en valait vraiment la peine ? Il n'avait pas à lui imposer ses problèmes. Le jeune homme laissa ses démons l'envahir entièrement avec la certitude que ça ne s'arrêterait que lorsqu'il serait devenu complétement fou.
Dabi réagit d'ailleurs à peine quand Kai revint le soir. Le yakuza le salua pourtant et lui adressa quelques mots que le jeune homme n'écouta pas. Et c'est le silence qui retomba tout de suite après. Le yakuza ne répéta pas et Dabi resta complétement absent de tout ce qui pouvait bien se passer autour de lui. Il sentit à peine le mouvement sur le futon mais revint brusquement à la réalité quand une main passa dans ses cheveux et caressa un peu sa joue.
« S'il te plaît, réponds-moi quand je te parle. »
C'était bien Kai qui parlait mais sa voix n'était pas froide comme la veille. Elle était basse et difficilement audible.
« Je n'ai pas écouté ce que tu as dit, répondit Dabi avec franchise
-Je t'ai demandé si tu avais encore mal.
-J'imagine que non. »
Kai laissa sa main sur la joue de Dabi et reprit :
« Il faut que j'enlève ton bandage.
-Ce n'est pas nécessaire de faire ça tous les jours. Ce n'est pas comme s'il s'usait beaucoup en une journée.
-Il faut que je regarde tes blessures.
-Je n'ai pas mal. C'est bon. »
Dabi se mit sur côté en tournant le dos au yakuza et se recroquevilla un peu, éloignant son visage de la main de Kai. Après quelques minutes, il sentit un corps se glisser tout près de lui. Un bras entoura son torse. Ce n'était pas la première fois que le yakuza se pressait contre lui mais Dabi sentit que ce geste était plus hésitant.
« S'il te plaît. C'est moi qui t'ai fait ça. Laisse-moi vérifier que tout va bien. »
Dabi s'empêcha de dire à voix haute à quel point le yakuza avait tort. Il avait souhaité ce qui était arrivé et il ne pouvait que s'en prendre qu'à lui-même. Ces blessures n'étaient qu'une juste punition. Et Kai en avait déjà suffisamment fait. Il était seul responsable et à présent, il devait assumer cette faute. Mais alors que Dabi n'avait fait que penser toutes ces choses, ce fut comme si Kai lui répondait.
« Ce n'est pas vrai. »
Ce n'était pas la première fois que Kai parvenait à lire dans son esprit. Le jeune homme préféra rester silencieux car il ne voyait pas où il voulait en venir. Le yakuza continua :
« Je suis responsable de ce qui est arrivé. »
Dabi ne comprenait pas. Comment pouvait-il dire une chose pareille ? Il voulut protester mais Kai l'empêcha de dire quoi que ce soit :
« La gestion des risques me revient pendant les séances. C'est à moi de les maîtriser. Je n'ai pas évalué correctement la situation et je n'ai pas pris la bonne décision. Je t'ai suivi dans ce que tu désirais mais ce n'est pas ce dont tu avais besoin. »
Dabi se rappela la conversation qu'il avait eu avec Kai sur ce sujet mais ce n'est pas pour autant qu'il fut d'accord avec ce qu'il disait. Il ne pouvait admettre qu'il puisse faire peser sur ses épaules la responsabilité des évènements. Mais encore une fois, alors qu'il voulait dire quelque chose, Kai le coupa dans son élan :
« Il faut que j'examine tes blessures. »
Alors, sans y réfléchir plus longuement, Dabi se libéra de l'étreinte de Kai, se redressa, enleva son T-shirt et se mit à genoux. Kai s'assit derrière lui et défit doucement le bandage comme les fois précédentes. Lorsque les blessures furent exposées à l'air libre, Dabi entendit le yakuza fouiller dans sa boîte métallique pour y prendre certainement le produit dont il s'était déjà servi pour nettoyer ses plaies. Cependant, les choses se déroulèrent différemment car Kai fut plus méticuleux et s'occupa lentement de chaque zone du dos de Dabi. Ce dernier ne fit aucun commentaire et décida de ne pas revenir sur ce qui avait été dit. Kai était dans son rôle et il pourrait argumenter dans tous les sens, ça n'y changerait rien. Ses pensées furent interrompues par la voix de Kai :
« Je sais que la vie peut faire mal. Les choses arrivent et puis, comme si ce n'était pas suffisant, il faut les traîner derrière soi. »
Kai parlait tout en nettoyant chaque blessure. Dabi sentait son regard jaune dans son dos. Le yakuza avait deviné le cheminement de pensée qui avait mené son partenaire à refuser d'utiliser son mot de sécurité et se figurait parfaitement que ces raisons prenaient racines dans son passé, un passé que Dabi lui avait partiellement révélé et dont il avait sous-estimé les effets, le conduisant à, selon lui, une grave erreur de jugement.
« Ces choses-là, dit-il encore, ces blessures, ces souvenirs, c'est comme des déchets, tu comprends ? Il faut les amener à la décharge car c'est leur place. Et les laisser là-bas. »
Kai marqua une pause car à ces mots, les souvenirs lui revinrent en pleine face. La décharge avait été à la fois un lieu d'indignité et pourtant le seul endroit où il s'était senti en sécurité. Il ne parvenait plus à revoir précisément les monticules nauséabonds mais il était au moins certain d'une chose :
« Je n'ai jamais vu personne revenir chercher ce qu'il avait jeté. »
Mais Dabi n'était pas convaincu. Les déchets ne se laissaient pas faire aussi facilement :
« Et que fais-tu de l'odeur qui en émane ? Elle te poursuit.
-Parfois. Il faut avoir la force de ne pas respirer, répondit Kai sans hésiter »
Mais Dabi murmura dans un souffle :
« Et si j'étouffe… »
Il sentit Kai déposer ses lèvres sur son cou. Dabi se figea. Ce n'était pas une réponse à sa question mais étrangement il voulait bien s'en contenter. Ce fut évidemment bien trop court et avant même que Dabi puisse se retourner pour faire quelque chose qui n'était pas encore très clair dans son esprit, Kai dit :
« Tu as probablement envie de prendre une douche, je ne vais pas te remettre ton bandage maintenant. Tu peux utiliser la salle de bain.
-D'accord. »
Kai se leva pour aller dans le salon qui était adjacent à sa chambre et Dabi le regarda s'éloigner. Le yakuza avait remis son masque et sans qu'il ne puisse se l'expliquer, le jeune homme ressentit un profond agacement face à ce qu'il considérait à présent comme une absurde partie de cache-cache. Il se rendit dans la salle de bain. En entrant dans la douche, il ne put s'empêcher de se demander si Kai l'utilisait vraiment, tant elle était parfaitement propre. Il devait forcément la nettoyer après à chaque passage, ce n'était pas possible autrement. Il laissa longuement l'eau chaude couler sur son corps en pensant aux mots du yakuza et à ce contact furtif. En sortant de la douche, son regard tomba sur le miroir de la salle de bain. Il en essuya la buée et après avoir hésité, il se retourna pour se rendre compte de l'étendue des dégâts. Des marques longilignes rouges, parfois violacées côtoyaient des bleus dont l'état de gravité était divers. Ce n'était clairement pas beau à voir mais la plupart des plaies étaient refermées. Il ne faisait aucun doute que cela avait été dans un bien pire état. Il se rhabilla et revint dans la chambre de Kai qui le rejoignit en entendant la porte de la salle de bain s'ouvrir. Sans qu'il n'eut besoin de lui dire, le jeune homme alla s'agenouiller sur le futon pour que le yakuza remette le bandage.
« Pourquoi tu n'as pas utilisé ton alter ? Ce n'était pas plus simple de reconstituer le tout ?, dit Dabi pour avoir un semblant de conversation
-Probablement, répondit Kai
-Alors, pourquoi ?
-Pour deux raisons. La première est que la reconstruction est délicate et il peut arriver que ça empire les choses. Ce n'était pas la peine de prendre un tel risque pour ce genre de blessures.
-Et la deuxième ?
-La partie déconstruction est extrêmement douloureuse pour la personne qui la subit. Je ne l'utilise que pour un ennemi ou un outil. »
Kai termina le bandage dans le haut du dos de Dabi et le fixa avec une agrafe. Il soupira :
« J'en avais déjà assez fait. »
Dabi sentit le souffle sur sa nuque. Il se retourna et sans surprise, il tomba sur le visage de Kai sans son masque qui devait particulièrement le gêner aujourd'hui vu que c'était déjà la deuxième fois qu'il l'enlevait. À présent, Dabi pouvait pleinement apprécier ce qu'il voyait et bien qu'il connût les tendances maniaques du yakuza, il ne parvenait pas à comprendre cette obsession de se dissimuler ainsi.
Les yeux jaunes de Kai avaient toujours été d'un grand intérêt pour Dabi car c'était son seul point de contact pour connaître ses émotions mais à présent, c'est autre chose qui attirait son attention. Il s'approcha et posa ses lèvres sur celles de Kai. Celui-ci recula un peu mais pas suffisamment pour que Dabi y voit un réel refus et ce dernier posa à nouveau sa bouche au même endroit pour un bref contact. Il garda son visage près de celui du yakuza. Cette fois-ci, ce dernier ne bougea pas. Dabi franchit encore les quelques centimètres qui les séparaient et toucha à nouveau les lèvres de Kai des siennes. Il commença ensuite à s'en emparer. Quand il sentit la bouche de son partenaire s'entrouvrir légèrement, il approfondit rapidement son baiser. Cela faisait si longtemps qu'il rêvait d'embrasser Kai qu'il ne pouvait se contenter d'un timide contact. Sans réfléchir, il prit alors sa bouche tout entière avec son visage entre ses mains. C'était très agréables mais ce n'était toujours pas assez. Dabi libéra un de ses bras pour attirer Kai contre lui. Il sentit alors une main du yakuza attraper une des siennes, celle qui était restée sur sa joue. Elle tremblait un peu. L'autre main se posa sur son torse. Ce baiser était pour Dabi plus en plus intense. Sans attendre davantage, il renversa Kai et prit ses avant-bras qu'il maintint au-dessus de sa tête.
Il quitta sa bouche et embrassa son cou. La respiration de Kai était rapide. Il souffla difficilement :
« Touya… »
Dabi avait délaissé son ancien prénom depuis qu'il était ici mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir de l'excitation quand le yakuza le prononçait, surtout dans un moment pareil. C'était clair, il le voulait maintenant.
« Touya… S'il te plaît. »
Il tint encore plus fermement les avant-bras de Kai. Il n'y avait plus aucun doute, quand le yakuza disait son nom, ça le rendait vraiment fou. Il sentit le corps de Kai se tendre.
« Touya… Arrête. »
Dabi mit quelques secondes à réaliser ce que Kai demandait et relâcha immédiatement son emprise. Il ne put que constater qu'il avait sans aucun doute mal interprété les signes. Kai se dégagea et évita son regard. Dabi ne comprenait pas ou plutôt il avait compris et c'était difficile à accepter. Il eut la sensation de chuter d'un immeuble et préféra fuir une autre douloureuse conversation. Surtout qu'il n'avait pas besoin qu'on lui décrive la situation. C'était à ses yeux parfaitement clair. Ce qu'il avait fait était hors du cadre qu'ils avaient convenu ensemble. Ce qu'il avait fait ne devait en aucun cas se reproduire.
« Je vais dormir dans ma chambre. »
Sans que Kai ne le retienne, Dabi se leva, termina de s'habiller, prit le reste de ses affaires et quitta la pièce. Quand il revint dans ses quartiers, il eut la sensation de ne plus y être entré depuis une éternité. Il se laissa tomber sur le futon et alluma machinalement le poste de radio, en souhaitant entendre une bonne nouvelle. Ses prières furent exaucées car à la première phrase de la journaliste qui présentait le journal, il sut que ce soir ne serait pas complétement perdu. Il ne dormirait pas avec Kai mais lui, il serait là auprès de lui. Pas physiquement, mais juste cette présence que Dabi s'inventait. Juste l'idée du sang répandu dans une ruelle. Juste un nom.
Stain…
Kai appela Dabi auprès de lui quelques jours plus tard. Le jeune homme vint avec une certaine appréhension mais au fond de lui, il savait qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. En fait, tout se déroula comme si rien ne s'était passé. Dabi remarqua que le yakuza avait remis une petite distance entre eux mais il ne s'en étonna pas et au contraire considéra que c'était même justifié. Kai avait diminué la distance ces dernières semaines pour combler un besoin de son partenaire et ce dernier en avait un peu abusé. Kai remettait simplement les choses à leur place. C'était son fonctionnement et à présent, Dabi le comprenait bien. C'est le contrat qui importait. Cela avait toujours été ainsi et Kai n'agissait que dans le respect de ce dernier. C'était la première des deux choses que Dabi avait appris ici. Chaque élément à sa place. Il respectait ça. Il tint son rôle encore pour ce soir et choisit ce qu'il préférait : la corde. Il voulait que Kai le ligote avec art comme il l'avait fait si souvent. Il ne fut pas déçu. Ce fut encore une séance agréable. Indéniablement, Kai savait vraiment comment s'occuper de lui et prit soin de ne pas toucher ses blessures.
La deuxième chose que Dabi avait appris et qu'il n'y avait pas que lui qui posait les limites. Kai en avait aussi. Et sa limite, elle était là. Cette limite c'était le jeu. Il était hors de question qu'il en sorte. Dabi en prenait conscience. Il prenait conscience que ça ne pouvait pas marcher. Kai lui donnait ce dont il avait besoin mais c'est simplement parce que c'était son rôle. Parce que Kai n'avait pas besoin de lui. Il avait besoin du jeu.
Et si cela devait rester un jeu, alors, pour Dabi, ce serait la dernière partie.
Il quitta la pièce après la séance et nota que la veste verte était toujours sur sa chaise. Il ne la prit pas. Ce serait la seule chose qu'il laisserait derrière lui. Il rassembla ses affaires le lendemain et abandonna ce qui ne lui appartenait pas. Il laissa un mot sur la petite table du salon. Dabi n'était pas très doué pour les adieux. Il n'était pas non plus du genre à s'étaler dans de longues phrases et donc « Merci. » lui sembla approprié.
Stain… Comment avait-il pu le sortir de son esprit aussi longtemps ? Ça faisait des mois qu'il n'avait plus noté dans sa tête le nom de ses victimes, celui des villes dans lesquels il était passé et qu'il avait terrifié, celui des rues où on l'avait aperçu et celui des inspecteurs qui le cherchaient. Et le nom de la personne qui le trouverait, ce serait lui. Il était temps de reprendre les choses en main. Il devait mettre du sens dans sa vie. Et ce sens commençait en accomplissant son obsession de toujours. Chercher Stain. Devenir plus fort et affronter celui qui avait ruiné sa vie. Ce n'est que comme cela qu'il pourrait passer à autre chose. Le chemin allait être long et difficile mais Dabi était déterminé. En quelques jours, les choses étaient devenues claires dans son esprit.
Les problèmes n'avaient pas commencé quand l'accès à la salle d'entraînement lui avait été refusé. Ils avaient débuté car il n'avait jamais pu en sortir. Il y était toujours. Enfermé avec ses angoisses, sa honte et ses blessures. Il fallait maintenant qu'il sorte. Rester auprès de Kai ne rendait cette prison que plus confortable et ne lui donnait aucune clef pour s'évader. D'ailleurs, il s'était écroulé à la première confrontation avec son passé. Le yakuza avait largement payé sa dette envers lui, dette qui n'existait qu'à ses yeux d'ailleurs. Mais si c'était vraiment le cas, alors ils étaient quittes.
Il sortit du quartier de Shie Hassakai aux petites lueurs du jour et ne se retourna pas. Néanmoins, il s'arrêta un bref instant et se demanda si finalement, il n'avait pas tout faux. Et s'il avait tort à propos de Kai ? Et si les choses étaient plus compliquées ? Et si son refus camouflait autre chose que les règles de leur relation ? Et si tout cela n'était qu'une étape et qu'il devait attendre encore un peu ? Et si finalement, ça valait le coup ? Bien qu'il ne trouvât pas de réponses à ses questions, il se remit en route. Il arpenta les rues désertes de Tokyo et marcha durant des heures. Vers midi, il finit par atteindre le littoral de Musutafu et flâna le long de la digue. Finalement, il la retrouva. La décharge de la plage de Dagobah. Elle était encore plus monstrueuse que dans son souvenir. Il ne savait pas pourquoi mais il avait eu besoin de revenir ici une dernière fois. Probablement à cause de ce qu'avait dit Kai.
La vie avait fait souffrir Dabi mais pour lui, les souvenir n'étaient pas quelque chose qu'on pouvait jeter. Quand la vie blessait, elle laissait une cicatrice. Cette marque resterait pour toujours. Il ne pourrait jamais s'en séparer. Ces souvenirs étaient comme ses propres blessures et ses agrafes. Et aujourd'hui, il savait qu'elles ne faisaient pas de lui un déchet. Ses cicatrices le définissaient et il ne pouvait leur échapper. Elles étaient gravées à jamais dans sa chair mais elles n'avaient pas tous les droits sur corps et ne devaient décider pour lui la façon dont il voulait vivre. Elles le suivraient pour le restant de ses jours et lui rappelleraient qu'elles n'étaient pas là par hasard. Elles seraient un compagnon de route et non un obstacle. Un souvenir et non des chaînes. Elles ne seraient plus des blessures. Elles seraient sa peau.
Mais ce n'était pas fini car la vie n'en a jamais fini avec qui que soi. Elle s'acharnait même si on demandait sa pitié. Elle n'hésitait pas. Elle ne laissait personne lui échapper. Et il n'y avait pas de mot de passe pour tout arrêter.
Cependant, Dabi sentit en lui une confiance en ce qui adviendrait. Il définirait lui-même les règles du jeu. Il n'y aurait plus de cauchemar, plus de déception, plus de marques à cacher, plus de passé qu'il devrait fuir.
Plus de solitude à combler.
Et plus aucune porte qu'il ne pourrait franchir.
Fin (… ?)
Merci de m'avoir lue.
Petit mot pour Zofra… C'était un plaisir (et un gros stress) pour moi de tomber sur ta liste de Noël et j'espère que cette histoire t'a plu ^^. Moi, je me suis bien amusée à réfléchir à comment mettre en place ce crack ship. Je te remercie pour ta patience et tes commentaires qui m'ont inspirée et bien encouragée.
Biz.
