Les Mots Manquants
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Durant le long trajet en train qui le conduisait à Virginia City dans le Nevada, Sully avait eu tout le loisir de ruminer sur sa décision de partir, de tenir la parole qu'il avait donnée à Daniel.
Ta parole a plus de prix que celle de n'importe qui, lui avait dit Michaela. Si elle avait su combien il avait été près de renier sa promesse pour rester près d'elle ! Pendant plusieurs jours, elle avait exprimé avec véhémence son désaccord, pour toutes sortes de prétextes, avant de finalement avouer sa peur d'être séparée de lui, même si ce n'était que par des kilomètres. Il ne pouvait guère le lui reprocher, car il fallait bien avouer que cette séparation l'effrayait lui aussi. Depuis qu'ils étaient mariés, leur relation semblait chaque jour devenir plus fusionnelle et dévorante. Cela allait bien au-delà de la simple passion d'une Lune de Miel prolongée qui causerait un manque essentiellement physique. Non, c'était tout autre chose… c'était la somme de tous ces petits riens et ces moments dramatiques ou épiques qui constituaient la trame de la vie qu'ils construisaient ensemble. Michaela n'était pas juste son épouse au sens où la société l'entendait – que ce soit chez les blancs Chrétiens ou chez les Cheyennes, d'ailleurs – elle était sa partenaire en tout. Elle était son égale. Et c'était quelque chose que d'être l'égal d'une telle femme ! Il avait dit à Nuage Dansant, un jour, qu'elle était une sacrée force de la Nature, et même si à ce moment-là, sa remarque était quelque peu désenchantée à cause du désaccord qui les opposait, il n'en demeurait pas moins qu'il était fier d'être aimé d'elle. Lui qui s'était si longtemps cru maudit et s'était même résolu à l'idée d'une vie solitaire, il avait soudain vu son existence complètement mise sens dessus dessous par une tornade nommée Michaela Quinn !
Comme à chaque fois qu'il y repensait, il frémissait à la seule idée que l'attirance tant physique qu'émotionnelle et spirituelle, qu'il avait éprouvée dès leur première rencontre, aurait tout à fait pu ne pas être réciproque ; ou encore, Michaela aurait pu se lasser de l'attendre et accepter les propositions de mariages de William Burke ou du Révérend ; elle aurait également pu retomber dans les bras de son premier fiancé… Mais non ! Elle l'aimait, elle l'avait choisi lui, malgré leurs différences, malgré tout ce qu'ils avaient traversé et qui aurait brisé bien d'autres couples. Il fallait croire que leur lien était décidément indéfectible et que leurs destinées avaient été scellées ensemble bien avant qu'ils ne prononcent leurs vœux… peut-être même dès leur première rencontre…
Pour conjurer de telles pensées et les doutes qui risquaient de l'assaillir, il se rappelait alors le pressentiment qu'il avait eu durant les premières semaines de leur mariage : que leur amour, si fort qu'il fût déjà, avait encore d'insoupçonnables ressources en réserve, tel un arbrisseau destiné à devenir un chêne centenaire qu'aucune tempête ne saurait déraciner… Il allait devoir s'appuyer sur sa foi en la force de leur amour pour supporter ces quatre semaines de séparation. Il comptait travailler dur, et peut-être rentrer plus tôt que prévu…
Ses pensées se tournèrent vers Daniel. Il se demandait comment son ami allait réagir à l'annonce de tous les changements qui avaient eu lieu dans sa vie – et surtout à sa "nouvelle" apparence. Lorsque Daniel avait quitté Colorado Springs pour chercher fortune plus à l'Ouest, c'était juste après que Sully eut épousé Abigail. Il avait encore les cheveux courts et portait des vêtements ordinaires de toile et de laine. Les deux hommes ne s'étaient pas vus depuis dix ans – autant dire une éternité pour Sully, au vu de tous les bouleversements qu'il avait connus. Il n'avait plus grand-chose à voir avec le jeune homme dont Daniel se souvenait certainement, à part peut-être qu'il n'était guère plus bavard qu'avant. Et il y avait fort à parier que Daniel, lui aussi, avait changé. Mais dans quel sens ? Les deux complices d'antan allaient-il seulement se reconnaître ?
Sachant que Daniel ne lisait guère mieux qu'il n'écrivait, Sully s'était contenté de lui envoyer un télégramme pour lui confirmer la date de son arrivée. Et maintenant que le train approchait de sa destination, il n'était guère plus préparé à faire face à son ami. L'un des reproches que sa femme lui avait adressés juste après qu'il lui eut fait part de son intention de s'absenter lui revenait en mémoire, et il s'en trouva inquiet comme d'un mauvais présage. Daniel n'avait jamais tenté de le contacter avant, pas même un télégramme. Sully, lui ne l'avait pas oublié mais ignorait complètement où se trouvait son ami, aussi comment aurait-il pu le contacter ? La balle était clairement dans le camp de Daniel, mais pourquoi avait-il attendu si longtemps… ? Les questions, les doutes se bousculaient dans sa tête. Cependant, en attendant le récit des dix dernières années de la bouche même de Daniel, il ne pouvait présumer de rien. Il serait toujours temps, au détour d'une conversation, de s'enquérir des raisons d'un si long silence.
Daniel fut plus que dérouté, en effet, en voyant son plus vieil ami descendre du train.
"Sully ? Ça… ça alors ! C'est bien toi ?
— Eh oui !" Sully ne put s'empêcher de rire en voyant l'air éberlué de Daniel.
Les deux hommes se donnèrent une franche et solide accolade, qui abolit en un instant l'appréhension qui avait été la leur à l'idée de se revoir après une si longue séparation.
"Qu'est-ce que c'est que ça ?" interrogea Daniel, mi amusé, mi décontenancé par l'accoutrement de son ami. Sully était-il devenu un de ces trappeurs vivant au fond des bois et vivant de trocs et de petites combines avec les Indiens ? Il imaginait mal la douce et sage Abigail s'accommoder d'un tel mode de vie…
"Ça s'appelle de la peau de daim, mon vieux !" annonça Sully d'un ton taquin. L'apparence de Sully détonnait finalement assez peu par rapport à la foule bigarrée des voyageurs et des habitants de Virginia City, parmi lesquels on comptait un certain nombre d'anciens mineurs qui avaient troqué leur pioche contre un fusil et tout un arsenal de pièges à fauves et portaient toques en fourrures et vestes en peau, bref l'attirail de tout homme des montagnes qui se respecte selon l'imagerie populaire.
Daniel, lui, n'avait guère changé, il avait simplement l'air un peu plus âgé. Mais Sully sentait que son ami avait gagné en maturité. Sans doute sa quête sans relâche de l'or qui ferait enfin sa fortune et l'aiderait à prendre sa revanche sur une vie d'errances avait fini par lui enseigner la patience et la ténacité dont il avait parfois manqué, lorsqu'il n'était qu'un tout jeune homme, resté impulsif et ombrageux comme un adolescent. Et sous sa chemise de grosse flanelle, on devinait une musculature solide, mieux découplée qu'auparavant. Quand il avait quitté Colorado Springs pour tenter sa chance plus à l'Ouest, Daniel n'était encore qu'un échalas nerveux et farouche comme un cheval sauvage.
"Tu as l'air en pleine forme," remarqua Sully avec une pointe de curiosité dans la voix.
"Je te vois venir, mon vieux… Non je n'ai toujours pas rencontré la femme de mes rêves, pour me dorloter et veiller à ce que je sois bien nourri.
— Et la dame qui a écrit pour toi ? Elle t'a juste rendu ce service, rien de plus ?" Sully n'oubliait pas que Daniel, jadis, trainait bien des cœurs féminins après lui. Il était volubile et charmeur avec tout ce qui portait jupon, et avait eu bien peu de scrupules à trousser les dits jupons des demoiselles les moins farouches dans l'ombre des greniers à foin.
Daniel éclata de rire et envoya une bourrade complice à son ami, "Tu me connais trop bien, Sully. Si j'étais Catholique, j'avouerais mon péché… Ellen est de bonne compagnie, elle est jolie, mais…
— Tu n'en es pas amoureux…
— J'ai bien peur que non. Je n'ai pas ta chance de ce point de vue-là."
Sully s'arrêta net. Daniel pensait à Abigail, bien sûr. Il fallait lui dire.
"Quoi ? Tu en fais une tête…" dit Daniel.
"Daniel… beaucoup de choses ont changé ces dernières années pour moi," commença Sully, avant de se raviser. "Y a-t-il un endroit où on pourra discuter de tout cela tranquillement ?
— Euh… oui, bien sûr… on peut aller au campement… à moins que tu ne préfères loger dans l'une des pensions ?
— Partager ton camp m'ira très bien. Ça me permettra d'être sur place pour t'aider à l'établir, cette mine."
Daniel eut ainsi une nouvelle surprise en voyant Sully non seulement monter à cheval sans la moindre frayeur, et plus encore en apprenant que la plupart du temps il montait à cru, comme les Indiens. Décidément, ce nouveau Sully l'intriguait de plus en plus.
Le reste de la journée passa très vite, bien que Sully, succinct comme à son habitude, ne mît pas longtemps à raconter l'essentiel à son ami. Daniel fut plus peiné qu'il n'aurait imaginé d'apprendre qu'Abigail était morte, surtout dans de telles circonstances. Sully n'avait jamais caché qu'il souhaitait fonder une famille. Aussi, la nouvelle provoqua une vague de remords en Daniel pour avoir si longtemps nourri une certaine rancœur envers celle qui lui avait "volé" son meilleur ami en le retenant au foyer, lorsque lui considérait qu'il serait bien temps de s'encombrer d'une épouse et de marmots une fois fortune faite. Mais en attendant l'aventure, maîtresse à la fois captivante et exigeante, lui avait tendu les bras. Et il était reparti tout seul, non sans arracher à Sully la promesse de venir l'aider si jamais il avait besoin de lui.
Se sentant redevable depuis l'effondrement de la mine qui avait bien failli lui coûter la vie, Sully n'avait jamais pensé se dédire de la parole donnée. S'il l'avait confié à Matthew, il n'avait en revanche pas révélé à Michaela que c'était en grande partie parce qu'il devait sa vie à Daniel qu'il ne pouvait refuser son appel à l'aide. Il pensait ainsi éviter à sa femme des angoisses inutiles au sujet de possibles éboulements et autres catastrophes minières.
Au cours de son récit, Sully passa sous silence ses exploits militaires en tant que tireur d'élite, préférant parler de son amitié pour les Cheyennes, et notamment pour Nuage Dansant, qui était à la fois un frère et un mentor, et qui l'avait sauvé du désespoir. Il ne s'attarda pas non plus sur sa tâche d'Agent Indien, et enfin, arriva au plus grand bouleversement de tous : l'arrivée de Michaela dans sa vie.
"Elle est médecin, vraiment ?" s'exclama Daniel, aussi admiratif qu'incrédule.
"Oui. Il y a une Faculté de Médecine qui accepte les femmes à Philadelphie. Et douée comme elle est, ça aurait été un fichu gâchis qu'elle ne devienne pas docteur… Sans elle, la moitié de la ville, peut-être même plus, serait morte de la grippe… et je ne parle même pas des opérations qu'elle a réussies ! Et maintenant que j'y pense, moi-même, je ne serais peut-être plus de ce monde si elle n'avait pas été là pour prendre soin de moi." Il fit une pause, pour donner un petit effet à la révélation quasi-miraculeuse qu'il s'apprêtait à faire. "Tu me croiras si je te dis que grâce à elle, j'ai même fini par me réconcilier avec Loren ?
— Non ?! Eh bien… Tu es tombée sur la perle rare, dis-moi ! Pas étonnant que tu en soies amoureux…"
Pour toute réponse, Sully sourit, les yeux perdus dans le vague et ses pensées tournées vers son épouse adorée, songeant avec amusement qu'il y avait un monde entre la conception que Daniel pouvait avoir de la "perle" en question, et celle de Preston Lodge… d'autant qu'il n'avait pas décrit Michaela physiquement. Une prudence instinctive le fit taire plutôt que de vanter la beauté de sa femme, et il se convainquit que c'était pour ne pas blesser la fierté de son ami.
"Et… vous avez des enfants ?" Daniel demanda d'un ton hésitant après quelques instants de silence.
Sully eut un petit rire en imaginant la surprise de son ami. "Oui, trois."
Daniel eut un hoquet en faisant rapidement le calcul. "Trois ? Et ta femme et toi vous arrivez à dormir et à travailler avec votre marmaille ?
— Oui, oui… D'autant que notre aîné est majeur et la cadette aime s'occuper des repas. Même le plus jeune participe aux corvées… on s'entraide et ça fonctionne très bien comme ça.
— Ah, si je comprends bien, ce sont ses enfants d'un précédent mariage… Mais elle doit être plus âgée que toi, si ses enfants sont déjà aussi grands ?"
Sully secoua la tête. Daniel lui envoya une autre bourrade : "Hé, tu ne serais pas en train de te payer ma tête ?" Comme au bon vieux temps…
Sully lui raconta alors comment Michaela avait recueilli les trois enfants de Charlotte Cooper, dont Daniel se souvenait un peu, parla avec attendrissement des efforts, pas toujours subtils, qu'ils avaient déployés pour s'assurer que leur mère adoptive et lui-même tombent dans les bras l'une de l'autre… Il évoqua la bataille juridique qui les avaient opposés à Ethan Cooper, et enfin comment il était passé d'ami à mentor puis figure paternelle. L'adoption de Colleen et Brian était désormais effective, et Matthew, malgré sa volonté farouche d'affirmer son indépendance, lui témoignait néanmoins le respect et l'admiration d'un fils envers son père. La famille qu'il avait fondée avec Michaela et les trois enfants de Charlotte le comblait de fierté, et bien que cela eût pu paraître une lourde responsabilité à d'autres, il s'en sentait avant tout grandi, meilleur.
"Et toi et ta femme, vous ne voulez pas un enfant à vous ?" La question échappa à Daniel avant qu'il n'eût le temps de s'apercevoir du possible faux-pas. "Euh… j'imagine qu'après ce qui s'est passé… avec…" tenta-t-il maladroitement de se rattraper.
À la mine déconfite de son ami, Sully lui sourit simplement et répondit sincèrement, "Si, bien sûr. On aimerait bien…
— Je te le souhaite, Sully, je vous le souhaite sincèrement à tous les deux."
Et c'était vrai. Daniel s'aperçut qu'il n'éprouvait plus la moindre jalousie, et que la félicité retrouvée de son meilleur ami lui inspirait non seulement une grande joie, mais aussi éveillait en lui l'envie de connaître lui aussi le confort et la plénitude d'avoir une famille, une femme aimante et des enfants qui l'accueilleraient le soir en rentrant. Jusqu'alors il avait préféré rester sans attaches, libre comme l'air. Avoir une famille lui avait semblé presque effrayant, c'était trop de responsabilités pour lui : il ne voulait pas être comme ces mineurs, pères de familles, qu'il croisait au saloon, où ils se réfugiaient pour échapper aux corvées, aux cris de leur marmaille et aux exigences de leurs épouses. Mais visiblement, il y avait un autre versant à la médaille, Sully en était la preuve. De ce qu'il lui avait dit de sa vie parmi les Cheyennes, il était devenu plus que jamais indépendant, taciturne, solitaire, et pourtant sa rencontre décisive avec une femme – certes, une femme comme on en faisait peu – lui avait de nouveau fait renoncer à sa liberté. Si Sully avait connu cela, alors Daniel, lui aussi, pouvait espérer qu'un jour… peut-être… il rencontrerait la femme pour laquelle il renoncerait à sa vie d'aventurier en quête de trésors.
23 septembre Mon Cœur, Je viens juste d'arriver à Virginia City. Cela fait trois jours, mais cela parait plus tellement tu me manques. Tu connais mes sentiments vis-à-vis des trains. Sans toi à mes côtés, c'est une horreur. J'aurais dû trouver comment te convaincre de venir avec moi… ou peut-être qu'au fond, j'aurais dû tout simplement rester avec toi. Tu me manques. J'aurais aimé ne pas être si honorable que ça. J'aurais aimé pouvoir dire à Daniel que non, je ne pouvais pas venir l'aider, parce que tu comptes infiniment plus pour moi qu'une promesse vieille de plus de dix ans. Mais revenir sur ma parole aurait fait de moi un lâche, un égoïste, un menteur, bref, un homme qui ne te mériterait pas. Je crois que c'est ce que tu appellerais un choix cornélien, non ? Tu me manques tellement, que j'ai l'impression d'être malade. Je me fiche d'avoir l'air d'un adolescent éperdu d'amour en écrivant de telles évidences. Je t'aime tellement. J'aurais voulu être ton poète et t'écrire mon amour avec plus d'éloquence… J'aimerais qu'en lisant ces mots, ces quelques mots sur un bout de papier, tu entendes ma voix te murmurer à l'oreille, que tu sentes mes bras autour de toi, que tu voies ce qu'il y a dans mon cœur… Tu t'y verrais, telle que je t'ai gravée dans ma mémoire, telle que tu demeures en moi. Tu verrais tout ce que tu représentes pour moi, ma femme, ma meilleure amie, ma raison d'être en ce monde… et bien plus encore, mais là aussi les mots me manquent. Il faudrait en inventer, peut-être. Je prie pour que les kilomètres et les montagnes qui nous séparent ne t'empêchent pas d'entendre mon cœur chanter d'amour pour toi. Nĕ mĕ hō′ tĭst, mon Ange. Embrasse les enfants pour moi. S.
27 septembre Mon Cœur, Tu n'as probablement même pas encore reçu ma lettre précédente, mais au moins, grâce aux télégrammes, je sais que tu vas bien, et réciproquement. Je me doute cependant que tu t'inquiètes, car je te sens, là, à mes côtés, je vois ton beau visage me sourire tristement. Je pensais que toi et moi nous pourrions supporter la distance parce que c'est NOUS. Mais comme je me trompais ! Tu m'as dit que je faisais partie de toi, et aujourd'hui je peux te répondre que TU fais partie de moi tout autant. Cela est à la fois une consolation et un déchirement. Je peux t'imaginer sans peine, je peux même entendre ton chant dans mon cœur, mais la simple chaleur de ta présence, te sentir blottie contre moi pendant la nuit, et ce regard que tu as quand je te réveille d'un baiser, ton sourire… Tout cela me manque ! Si tu savais comme tu me manques… Me manquent aussi cette moue et cet éclair dans tes yeux quand tu refuses de céder, quand tu es en colère ou que tu fais ta tête de mule, parce que c'est aussi comme ça que je t'aime. J'ai parlé de toi et des enfants à Daniel. Il est tombé des nues quand je lui ai raconté comment nous avons fondé notre famille. Le filon qu'il a découvert me semble bon. Si nous faisons notre travail dans les règles de l'art, d'ici à ce que je prenne le chemin du retour, les premières galeries seront creusées, et Daniel aura tout l'équipement et les ouvriers nécessaires pour procéder à l'exploitation. Je suis actuellement chargé d'apprendre aux mineurs à manipuler les explosifs avec prudence. Daniel et moi avons bien pris garde à ne pas recruter de têtes brûlées. Ils savent déjà tous plus ou moins comment étayer solidement les galeries, et ils ont l'air honnête, ce qui nous épargne déjà bien des soucis. Ne t'inquiète pas pour moi, surtout. Je ne prends aucun risque inconsidéré. Je tiens bien trop à rentrer à la maison te retrouver. Embrasse bien fort Colleen, Brian et Matthew pour moi. Quant à toi, je te dois un baiser pour chaque minute de séparation depuis mon départ… et plus encore. S.
La mine ne fut pas des plus évidentes à installer, les roches étaient particulièrement friables à certains endroits, et les veines aurifères, certes nombreuses, étaient souvent dissimulés sous des amas de débris. Non seulement le travail était intense physiquement, mais il requérait aussi toute la présence d'esprit des deux hommes et de leurs recrues.
À mesure que les jours progressaient, la nuit tombait de plus en plus tôt, et l'aube arrivait de plus en plus tard. Pourtant Sully travaillait avec un acharnement continu quelle que fût l'heure, et Daniel devait presque le gronder pour qu'il prît le temps de déjeuner ou lorsque la nuit tombait. On devinait aisément que cet empressement était certainement dû au fait que Sully se languissait des siens. Le soir, avant de s'endormir, il écrivait à sa famille, restait un moment à rêvasser et regarder les étoiles, parfois il semblait prier…
Colorado Springs, le 28 septembre Mon Chéri, J'ai bien reçu ta lettre, et crois-moi, tu n'as rien à envier aux poètes, ni à quiconque. Ce sont tes mots, et je chéris chacun d'eux. Non seulement ils sont beaux, mais surtout, ils sont vrais. Les lire, c'est t'entendre, te sentir près de moi, et même en moi. Je te vois sourire, parce que lorsque ce sera ton tour de lire ces mots, tu sauras que j'ai rougi en les écrivant. Je t'écris de la clinique. Pour m'occuper les mains et l'esprit, rien de mieux qu'un grand nettoyage, et il y a de quoi faire ! Les enfants m'aident, bien sûr, et avec le temps de plus en plus frais et humide, j'ai un flot régulier de patients. Mais sache qu'il ne se passe pas un jour sans que je ne regarde en direction de la gare, m'imaginant prendre le premier train pour te rejoindre. Pourtant, il faut être raisonnable. Qu'est-ce que quatre semaines dans une vie ? Bien peu de choses… mais c'est si difficile d'être objective lorsque le poids de ton absence me pèse autant. J'espère que tu me pardonnes d'avoir eu tant de mal à accepter ton départ. Pourtant, ce que je ressens actuellement est mille fois plus douloureux que ce que je craignais. Si j'avais su combien ton absence me serait insupportable, alors je t'aurais sans doute empêché de partir. Je ne veux pas te priver de ta liberté, t'enfermer dans une vie trop domestique, ce serait nier l'homme que tu es, l'homme que j'aime, mais… Je fais des efforts, je me console comme je peux, en me répétant que tu penses à moi, que je te manque aussi, que tu m'aimes toujours, et que tu seras bientôt de retour à la maison… Je me répète ce que tu m'as dit au tout début de notre mariage, que peu importe la distance ou le temps qui nous séparent, toi et moi ne faisons plus qu'un…C'est NOUS... Mais comme dans les tragédies antiques, mon amour l'emporte sur ma raison, et me condamne à souffrir jusqu'à ton retour. C'est comme si une seule moitié de mon cœur fonctionnait, l'autre moitié n'étant qu'une plaie ouverte sur une douleur fantôme, comme si j'avais été amputée. Pardonne-moi, je m'étais promis de ne pas te faire de reproche, ni d'essayer de te culpabiliser. Je vais tenir bon, tu me connais. J'ai la clinique et les enfants, comme je te le disais. Rien que les soins à apporter à Loren me prennent beaucoup de temps. Mais cela en vaut la peine. Chaque jour apporte un nouveau progrès. Peut-être même que d'ici à Thanksgiving, il n'y paraitra plus. À vrai dire, une grande partie du mérite en revient à Brian. Depuis le début, il fait tout pour que Loren garde espoir, et même retrouve le sourire. Je suis tellement fière de lui. Je suis sûre que tu l'es aussi, et je le lui ai dit. Tu nous manques à tous les quatre… cinq, devrais-je dire. Wolf aussi s'ennuie visiblement de toi. Reviens-nous vite. Reviens-moi encore plus vite. Je t'aime et tu me manques au-delà des mots. M.
Une fois le diner avalé, Daniel et Sully faisaient le bilan de la journée, discutaient des plans pour le jour suivant, puis se souhaitaient une bonne nuit. Alors Sully pouvait enfin s'autoriser à penser à sa femme, lire ses lettres, à rêver qu'il retournait auprès d'elle. Son odeur, mélange du parfum fleuri si raffiné qu'elle portait parfois, de son savon à la lavande, et de la senteur délicatement ambrée de sa chair de femme semblait s'être imprégnée dans les feuilles d'épais vélin, et l'accompagnait jusque dans son sommeil. Parfois il arrivait presque à la percevoir comme il le lui arrivait parfois pendant l'amour, lorsque leurs âmes parvenaient à fusionner ensemble. Il savait alors qu'elle pensait à lui, les kilomètres entre eux n'étant plus guère qu'une mince barrière.
Cependant, si ce contact spirituel le rassurait et même décuplait son énergie pour accomplir sa tâche durant la journée, il n'en demeurait pas moins qu'il souffrait physiquement de son absence, plus encore qu'il ne l'avait cru possible. Toute l'autodiscipline qu'il possédait ne faisait guère le poids lorsque, une fois que le silence descendait sur le camp et que le crépitement des flammes berçait son endormissement, la routine qui était devenue la sienne ces derniers mois venait troubler l'état de demi-rêve qui précédait son sommeil. Plusieurs fois il crut qu'elle l'avait rejoint, il respirait son parfum – ô ce parfum ! – sentait la chaleur de sa peau veloutée sous ses mains, ses doigts graciles partout où elle savait quand et comment le caresser… il avait sur les lèvres, sur la langue, la saveur de ses baisers, et il entendait même son souffle haletant entrecoupé de plaintes contre son oreille, en ce langage que lui seul comprenait. Il rêvait de ses longs cheveux qui pleuvaient sur lui lorsqu'elle se penchait pour l'embrasser, l'enveloppant de leur soie tiède et chatoyante. Ses yeux, ces deux joyaux mystérieux brillant de tous leurs feux tels deux étranges soleils qui irradiaient d'amour pour lui… Et surtout, l'émotion ineffable qui l'étreignait chaque fois qu'elle l'accueillait en elle, chaque fois qu'elle lui faisait don de sa confiance autant que de son désir… Mais alors il se réveillait en sursaut. Et la frustration était infiniment pire, une vraie torture en vérité, que la somme de toutes ces fois où il avait rêvé qu'il lui faisait l'amour avant leur mariage. Parce que maintenant, il savait – et cette connaissance si profondément intime qu'il avait d'elle l'enchainait aussi sûrement que les plus sincères promesses qu'il lui avait faites.
Virginia City, Nevada 5 octobre 1870, 9h34 À : Dr Michaela Quinn, Colorado Springs. Colorado. De : Byron Sully. Chère Michaela, Bien reçu ta lettre datée du 28. Répondrai dès que possible. Tout va bien mais hâte de rentrer. Embrasse les enfants et dis bonjour à Loren pour moi. Vous me manquez tous. S.
Colorado Springs, le 6 octobre Mon Chéri Nos lettres se sont croisées, et si tu ne me manquais pas tant, je rirais de la façon dont nos pensées se ressemblent et se rejoignent. Voilà plus de quinze jours que tu es parti, j'ai mal rien qu'à l'écrire, et pourtant cela devrait me réconforter, puisque cela veut dire que le jour où tu me reviendras se rapproche. Je les compte, ces jours, ces heures, et ces minutes, comme autant de baisers que tu me dois, et je compte bien tous les recevoir. Les enfants aussi s'ennuient de toi, l'ambiance à la maison s'assombrit de jour en jour, même Brian est plus silencieux que d'habitude. Il lui arrive d'être franchement maussade, et je ne sais comment le dérider. Heureusement, Loren est là. Ils sont plus inséparables que jamais. Brian vient tous les après-midi, même le samedi, pour l'aider à faire ses exercices. Lundi, Loren a réussi à se mettre debout tout seul sans personne pour le soutenir et hier il a fait quelques pas – avec les béquilles bien sûr, et en ronchonnant comme à son habitude. Tu ne peux pas t'imaginer comme tes lettres et tes télégrammes me font du bien, je les relis sans cesse. Ils sont sur ma table de nuit, entre nos pages préférés de Feuilles d'Herbe. Lorsque tout est silencieux à la maison, et que je peux laisser aller mes pensées, elles se tournent toutes vers toi, et toi seul, et lorsqu'enfin je t'atteins, alors je peux me reposer de mes fatigues, de mes contrariétés, de mes chagrins. Je suis allée à Palmer Creek. Nuage Dansant va bien, mais il est inquiet car sans toi pour veiller à ce que chacun soit respecté, les soldats en profitent pour prendre quelques libertés et ont tendance à encourager les disputes entre les diverses tribus. Nuage Dansant a visiblement réussi à s'entendre avec certains Anciens et leur influence a permis de tempérer les choses plus d'une fois. Mais crois-moi, les enfants et moi sommes loin d'être les seuls à attendre ton retour avec impatience. Continue à être prudent, surtout. Tu es dans mes pensées et dans mon cœur à chaque instant. Ta femme qui t'aime plus que tout. M.
9 octobre Je pense à toi sans arrêt. La journée, je fais ce que j'ai à faire, de mon mieux, je garde un œil sur les autres mineurs… Mais même dans ces moment-là, où je suis censé être concentré et où la moindre distraction pourrait avoir de très graves conséquences, je suis hanté par le besoin que j'ai de toi. Et la nuit… Je me suis proposé encore ce soir pour monter la garde. En vérité, je ne dors qu'à peine, et mal. Pas parce que le sol est trop dur, mais parce que tu n'es pas là, je n'ai pas ta peau sous mes mains, ton parfum à respirer, je n'ai même pas le simple réconfort de savoir que je vais te retrouver à la fin de la journée, que tu vas venir me rejoindre dans quelques minutes. Tu n'es pas là, endormie, blottie contre moi pour me protéger des mauvais rêves. Comme tu me manques ! Sans toi à mes côtés, même les paysages du Nevada, pourtant aussi beaux que ceux du Colorado quoiqu'encore plus sauvages et arides, perdent de leur grandeur et de leur intérêt. Je n'ai pas seulement besoin de te voir, de t'entendre, de te toucher, j'ai aussi besoin de sentir tes mains sur moi, que tu reprennes possession de moi. Je ferme les yeux, et j'imagine les tiens qui me regardent, me dévorent, m'ensorcèlent. J'ai besoin de ton sourire pour m'éclairer. J'ai besoin de toi d'une façon que je ne peux exprimer par des mots, même par écrit. Même Shakespeare, Herrick ou Whitman n'ont pas pu me les donner, ces mots. Pourtant tu connais ce langage. C'est celui de Toi, de Moi, de Nous. Et je sais que tu sais de quoi je parle. La distance n'est heureusement pas un obstacle pour que nous ne puissions plus nous "parler" au moins par l'esprit. Treize jours encore à tenir. Je me répète que c'est peu, comme tu le fais de ton côté, et cela m'apporte un peu de réconfort. Je puise le courage dont j'ai besoin dans tes lettres, que je lis et relis chaque soir. C'est bon de savoir que les miennes te réconfortent aussi, même si je devine qu'elles ne te suffisent pas non plus. Avec un peu de chance, quand tu liras celle-ci, il ne restera plus que 8 jours… une semaine. Ce n'est rien, c'est supportable, pas vrai ? Et mes prochaines lettres te rapprocheront un peu plus de mon retour. Toi qui as le courage d'un guerrier, envoie-moi un peu de ce courage dans ta réponse. Je t'aime. S.
Colorado Springs, le 14 octobre Mon Amour, Courage, courage, courage… un millier de fois. Et je t'aime, je t'aime, je t'aime… d'une manière incommensurable. J'espère presque que cette lettre arrivera trop tard, alors que tu seras déjà dans le train pour rentrer. Envoie-moi dès que possible un télégramme pour me dire quand tu arrives exactement, je veux être à la gare pour t'attendre, et aussi m'arranger pour n'avoir aucun rendez-vous ce jour-là. Je prie tous les jours pour que rien ne t'arrive ni ne te retarde. Que Dieu te garde et te ramène à la maison sain et sauf… et dans mes bras. M.
17 octobre 1870, 17h08 À : Dr Michaela Quinn, Colorado Springs. Colorado. De : Byron Sully. Michaela, Mine prête. Peux rentrer à la date prévue. À très bientôt. S.
Virginia City, Nevada
Les jours s'écoulaient de fort étrange manière, comme si le temps était dévié de sa course, distordu et plus capricieux qu'une vieille mule. Le temps de travail passait vite, accompli tambour battant, et cependant, il semblait à Sully que la même journée se répétait sans cesse, qu'il avait quitté Colorado Springs depuis une éternité, et que le moment où il pourrait enfin rentrer chez lui n'arriverait jamais.
Malgré tout, à force de diligence et d'efforts, la mine se trouva prête à être exploitée avec presque trois jours d'avance. Extrêmement satisfait et reconnaissant, Daniel voulut récompenser son meilleur ami en lui offrant une bourse contenant plusieurs pépites d'or et quelques pierres fines à l'état brut qu'ils avaient extraites en creusant l'entrée de la mine.
Fier comme toujours, Sully avait d'abord refusé tout net.
"C'est trop, Daniel, et je ne suis pas venu t'aider dans l'espoir d'avoir une part du butin. Je suis venu payer ma dette envers toi.
— Je te reconnais bien là, mais je ne t'ai pas sauvé la vie par intérêt non plus. Tu en aurais fait de même pour moi. Le simple fait que tu sois venu, ça compte beaucoup pour moi. Et tu as accompli un travail hors pair. Je n'ai même pas à m'inquiéter, je sais que grâce à toi, à ton expertise, les autres mineurs et moi-même serons en sécurité.
— Soyez prudents quand même, on ne sait jamais.
— Ne t'inquiète pas, je ferai en sorte que mes hommes continuent à suivre tes conseils. Il ne nous arrivera rien.
— Bien…
— C'est pour ça que je tiens à ce que tu prennes la part qui te revient de droit.
— Daniel, c'est non !
— Mais quelle tête de mule ! Et ta femme, et vos enfants ? Tu ne crois pas que ça aidera pour leurs études ? Tu m'as bien dit que Colleen envisageait d'aller au collège ?"
Sully baissa la tête. Il avait promis à Michaela de lui ramener un souvenir du Nevada. Et même si leurs revenus combinés leur permettaient de vivre assez confortablement, ils n'avaient guère d'économies en cas d'imprévus… La tentation d'accepter était grande.
"Très bien, puisque tu insistes, je veux bien en prendre une partie, parce que j'ai promis à ma famille de leur ramener des souvenirs," concéda Sully, en versant le contenu de la bourse dans sa main. Parmi les pépites et les pierres colorées, l'une de ces dernières attira particulièrement son œil. C'était un péridot, d'un beau vert doré qui n'était pas sans rappeler la nuance des yeux de Michaela. Il songea un moment à le faire tailler et monter en pendentif ou en pendants d'oreilles, mais se ravisa. D'une part, parce que trouver un joaillier et attendre que le bijou soit réalisé allait le retenir pour Dieu sait combien de temps ; d'autre part, parce qu'après tout, Michaela pourrait choisir elle-même quoi en faire. Il songea que cela pourrait aussi servir d'excuse pour une escapade à Denver, si de là à la Saint Valentin, il n'y avait toujours pas de bébé en vue. Il confierait alors la pierre aux bons soins du bijoutier à qui il avait déjà acheté la bague de fiançailles et qui avait gravé tout spécialement l'alliance pour sa promise… Il avait répété suffisamment souvent à Michaela qu'il lui décrocherait la Lune et les étoiles s'il le pouvait. Aussi, un bijou assorti à ses yeux était la moindre des choses.
Pour chacun des enfants, il sélectionna une pépite d'or parmi les plus pures, et rendit le reste à Daniel, qui soupira, à la fois déçu et résigné.
"C'est tout ? Naturellement, tu ne prends rien pour toi ?"
Sully hocha simplement la tête, et lui lança un tel regard que Daniel comprit qu'il ne devait plus insister… pour le moment.
À peine une heure plus tard, Sully faisait ses adieux à Daniel sur le quai de la gare de Virginia City. Il eut la vague impression que son ami aurait aimé qu'il restât jusqu'à la date prévue, et cela lui donnait l'impression de partir un peu comme un voleur, mais Michaela lui manquait à tel point que d'être ainsi loin d'elle, sa force, son courage et sa ténacité s'épuisaient, s'écoulant comme d'une blessure.
Il se réjouissait à l'idée de la surprendre en arrivant plutôt que prévu. À en juger par le ton mélancolique de ses lettres, Michaela se languissait de lui tout aussi terriblement et comptait les jours, et même les heures jusqu'à son retour…
Le sifflet annonçant le départ du train retentit, et Sully bondit à l'arrière du dernier wagon de passagers après une dernière accolade à son ami. Alors que le train se mettait lentement en mouvement, Sully cria :
"Et n'oublie pas de venir nous voir dès que tu peux. Michaela et les enfants veulent te rencontrer !
— Moi aussi, j'ai hâte. Je viendrai dès que je peux me libérer.
— Promis ?
— Promis !"
Il y eut un contretemps à Salt Lake City, obligeant Sully à y passer la nuit avant de reprendre la route. Il fut tenté de continuer par n'importe quel moyen, par diligence ou à cheval, mais à y bien réfléchir, il serait tout de même plus vite arrivé à Colorado Springs, et aurait tout de même un jour d'avance en patientant pour reprendre le train à l'aube. Il pria néanmoins pour que rien d'autre ne se mît en travers de sa route jusqu'à son arrivée.
Il fallait croire que les Esprits l'avaient entendu, puisqu'il atteignit enfin Colorado Springs le surlendemain en fin d'après-midi, après une brève escale à Denver. Le crépuscule automnal baignait les rues calmes d'ombres paresseuses, engourdies, les premiers froids n'étant plus très loin, annoncés par la vive chute de température dès que le soleil disparaissait derrière les montagnes.
Robert E. attendait sur le quai. Il était le seul avec Horace, qui par on se sait quel miracle avait réussi à tenir sa langue, à savoir que Sully rentrait plus tôt que prévu, suite au télégramme lui demandant de lui prêter un cheval pour rentrer. Mais le maréchal-ferrant était seul. Les deux hommes se donnèrent une franche poignée de mains et Robert E. en vint rapidement au fait.
"Je ne t'ai pas amené le cheval, parce que le Dr Mike est encore à la clinique, et votre charriot est stationné chez moi.
— Vraiment ? Qu'est-ce qui se passe ? Une urgence ?
— Il y en a eu quelques-unes plus tôt dans la semaine, mais même sans cela…" Robert E. lança un sourire complice à Sully, "elle ne se presse jamais pour rentrer. Plus d'une fois, elle et les enfants sont restés souper chez Grace. On dirait bien qu'elle n'aime pas trop rentrer à la maison depuis que tu es parti."
Sully haussa les sourcils, bien qu'il ne fût guère étonné. D'un pas résolu, il se dirigea vers la clinique, impatient de retrouver – enfin – sa femme.