CHAPITRE DEUX .
« Expliquez-moi ce que vous avez découvert… Clairement… »
Le capitaine Barbossa avait précisé « clairement », car il savait combien les deux imbéciles en face de lui étaient capables de se disputer pendant une heure pour savoir qui allait le mieux raconter. Et il n'avait absolument pas le temps pour ces niaiseries. Il avait besoin de mettre la main sur la carte avant que Sparrow ne la retrouve. Même s'il savait avoir une longueur d'avance, il ne fallait surtout pas perdre cet avantage.
Pintel, le pirate rondelet et à l'air ahuri, sourit bêtement à la demande de son capitaine et commença son récit.
« Eh bien, Mr Black nous a révélé contre cinq shilling que la carte se trouvait chez le gouverneur, et il nous a montré un portrait de sa fille, Elizabeth, parce qu'elle se promène souvent dehors. Drôlement jolie la poupée ! »
Pintel s'interrompit alors que Ragetti, son compagnon à l'œil de bois, s'avançait pour ajouter avec l'air le plus imbécile possible :
« Oh ça oui alors elle est jolie ! Et puis Black a dit qu'avec le portrait de la fille, on n'avait plus qu'à la chercher et à la suivre alors on l'a cherché et on est tombé dessus par hasard sur les quais… Elle était en train de parler avec Sparrow ! »
Pintel lui lança un regard noir.
« Ça, c'est à la fin de l'histoire ! Et c'est moi qui raconte ! »
Barbossa soupira en constatant que les deux idiots ne sauraient décidemment jamais rien raconter sans que ça ne parte en dispute au bout de trente secondes. Il frappa son poing sur la table pour ordonner le silence :
« Il n'aurait pas été plus simple de demander à Black où habite le gouverneur ? Nous n'avons pas le temps pour des niaiseries de chasse à la bourgeoise ! Dites-moi au moins que vous avez suivi la fille et que vous savez où est la maison du gouverneur ! Si Sparrow parlait à la fille c'est peut-être parce qu'il a deviné quelque chose, il faut agir au plus vite ! »
Pintel répondit timidement, alors que Ragetti s'était éloigné avec un air fâché :
« C'est-à-dire que pour nous dire où habite le Gouverneur, Black nous demandait dix shilling de plus et on ne les avait pas… Alors il a bien voulu nous mettre sur la piste pour deux shilling de plus, en nous montrant le portrait de la fille ! Alors quand on l'a trouvé on l'a suivi, la maison du gouverneur est sur les hauteurs à l'est de la ville, capitaine ! Mais Sparrow avait plutôt l'air de lui parler parce qu'elle est jolie… D'ailleurs elle l'a bien remis à sa place, ah ça oui ! Elle a même failli lui mettre une gifle ! »
Barbossa haussa les épaules. Elizabeth aurait bien pu vouloir tuer Sparrow ou bien au contraire partir avec, il s'en fichait. Tout ce qui importait était la carte. Il réfléchit un court instant avant de demander, plus à lui-même qu'à ses deux matelots qu'il trouvait de toutes façons de plus en plus crétins :
« J'espère que Black ne nous mène pas en bateau… Il a volé la carte à Jack puis a voulu la lui revendre et comme ça n'a pas marché il est allé la vendre à la Navy alors qu'il travaille pour eux officiellement ! Je ne sais pas à quoi il joue mais il n'a pas intérêt à oublier que nous avons un accord lui et moi également ! Les infos doivent me parvenir… il n'a pas intérêt à perdre la trace de cette carte ! Le pacte est clair, il fait ce qu'il veut de la carte tant qu'il me permet de la posséder à temps… J'espère qu'elle est bien chez le gouverneur désormais. »
Puis il tonna :
« Nous attaquerons demain soir ! Une tempête arrive, ce soir nous risquerions d'être dans de mauvaises conditions pour reprendre le large. D'ici là, vous êtes libres ! Demain soir vous irez avec trois autres hommes jusqu'à la maison du gouverneur , vous trouverez la carte et me la ramènerez ! Les autres attaqueront la ville pour faire diversion et avoir un joli butin au passage. Lorsque nous partirons, je ferai dire à Black que c'est Sparrow qui a attaqué la ville pour récupérer sa carte. Il se fera arrêter avant d'avoir pu réagir et nous partirons avec la carte et débarrassé de Sparrow du même coup ! »
Jack tournait en rond dans la ville depuis une bonne heure. L'information qu'il avait eu sur Black, l'espion lui ayant volé sa carte, était fausse. Pourtant il avait bien décrit soigneusement l'homme en question à toutes les personnes qui pouvaient l'aider à le retrouver, mais au final, l'endroit qu'on lui avait indiqué n'était pas le bon. Aucun « Mr. Black » n'habitait ni ne travaillait dans cette rue. Pas de Mme Black non plus.
Pourtant Jack savait que l'homme était de Port-Royal. Et qu'il y était en ce moment même.
Mr Black… Jack grimaça en repensant à cet individu. Un homme charmant au départ, qui s'était présenté à lui à Tortuga et s'était engagé comme matelot sur le Pearl. Un jour Jack avait remarqué que sa précieuse carte n'était plus dans son bureau, mais au départ il n'avait pas soupçonné Black. Ce n'est que lorsqu'ils étaient descendu à terre quelques heures plus tard que Jack avait découvert avec effroi que le voleur n'était autre que lui. Pire, qu'il travaillait pour la Navy. Un espion.
Jack se souvenait fort bien de ce moment . Alors qu'ils étaient tous à une taverne, Black avait sorti la carte de sa veste et avait souri sournoisement :
« Ah au fait capitaine… Je tenais à vous faire mes excuses, je travaille en réalité pour la Navy et j'ai recueilli suffisamment d'informations sur vos activités pour partir rejoindre les miens… Et comme je suppose qu'après cela je n'aurai pas de salaire pour mon travail à bord du Pearl, je me suis permis de prendre une petite compensation ! Une carte de pirate peut toujours se revendre… Même à la Navy... Je vous souhaite bon vent ! »
Au même instant, quatre hommes assis un peu plus loin et que personne n'avait remarqué jusqu'alors, s'étaient levés et avaient créé en quelques secondes une énorme bagarre, et Jack et son équipage n'avait pas eu le temps de réagir que Black avait déjà disparu dans la foule. Jack devait bien reconnaître que l'homme était très habile, mais il le trouvait aussi très idiot : Black avait eu le culot de lui laisser sur la table un mot lui indiquant que si la carte était intéressante pour lui, il pouvait toujours la lui racheter, au prix fort. Il suffisait à Jack de déposer l'argent dans un lieu précis puis de partir, et de revenir le lendemain, où il retrouverait la carte. Sinon elle serait proposée à la Navy, moyennant la même somme.
Bien sûr Jack n'avait pas répondu à cette invitation frauduleuse. Lui un pirate, se faire extorquer pour une carte ? D'autant qu'il était à peu près sûr que l'espion n'avait en fait aucune idée de la valeur réelle de l'objet, pour lui ce n'était qu'une carte rassemblant des informations sur des lieux d'échanges entre quelques contrebandiers et pirates. Bien sûr que si la carte venait jusqu'aux soldats ceux-ci auraient le loisir de venir directement arrêter des contrebandiers la main dans le sac, mais la valeur réelle de la carte, elle, avait bien peu de chance d'être découverte.
Jack préférait aller lui-même la récupérer. Il savait que les soldat ne rachèterait pas la carte à ce prix, et que Black devait toujours la posséder.
Car Jack n'était pas dupe : Black n'était pas un officier de la Navy. Juste un espion, revendant ses informations aux plus offrants, et travaillant « officiellement » pour la couronne. La Navy n'achetait donc que les informations les plus utiles, et sans connaitre la valeur de la carte, Black devait sûrement avoir juste récolté la colère de ses employeurs qui devaient s'attendre à des informations bien plus importantes encore.
Il suffisait donc de le retrouver et lui dérober la carte…
Le commodore était installé nerveusement à son bureau, intérieurement fou de rage, sans cependant le montrer au gouverneur venu faire le point avec lui sur les affaires en cours.
« Notre nouvel espion, Mr Black, me semble tout à fait incompétent... Les ordres étaient clairs : il devait se faire enrôler dans l'équipage de Sparrow, revenir ici en cachette avec des renseignements précis, et continuer à travailler pour lui jusqu'à trouver quelque chose qui pourrait nous aider à tendre un piège à Sparrow! Au lieu de cela, Black nous a ramené cette carte… Il nous affirme qu'elle a une grande valeur cachée, mais nous n'avons trouvé rien d'autre que des indications floues sur des lieux de rencontres entre quelques contrebandiers et pirates, des lieux trop peuplés pour intervenir, et la carte n'est pas récente… »
« Vous lui avez pourtant confisqué cette carte , afin de l 'analyser ! Pensez-vous qu'elle ait réellement de la valeur ? »
Le commodore soupira :
« Je ne pense pas… Nous l'avons néanmoins dissimulé chez vous le temps de pouvoir l'analyser, car Black prétend également que plusieurs de nos soldats seraient corrompus par Sparrow et chercheraient à reprendre la carte… Je préfère dans ces conditions que la carte ne soit pas au fort ni à un endroit où quelqu'un pourrait la trouver, encore moins nous la reprendre. Si jamais nous passons à côté de quelque chose, il vaut mieux prendre des précautions. Nous lui paierons cette carte à sa juste valeur lorsque nous l'aurons analysé et que nous serons sûr de l'intérêt qu'elle présente. Nous pourrons ainsi analyser la carte ce soir après le repas dans votre demeure , loin de Black et de tout soldat qui travaille au fort. Je ne fais pas entièrement confiance à Black, pour l'instant. Nul ne sait que la carte se trouve chez vous et personne n'irait y songer… »
Le gouverneur soupira :
« Garder cette carte enfermée dans mon bureau ne me dérange pas, et je vous dois bien cela, en tant que futur gendre et beau père nous devons nous apporter la confiance et le soutien mutuel. Comptez-vous demander la main de ma fille au dîner de ce soir ? »
James sembla réfléchir quelques instants :
« Je crains que ce ne soit guère l'occasion idéale. Avec cette carte à étudier, nous risquons de ne guère pouvoir rester à discuter avec Elizabeth ce soir. J'attendrai le bon moment. »
Elizabeth avait attendu toute la journée pour enfin avoir l'occasion de sortir en cachette du domaine. Elle ne pouvait attendre davantage pour aller retrouver son ami et confident, Will. Ils ne se voyaient pas souvent depuis quelques temps, mais il restait celui sur qui elle pouvait toujours compter lorsqu'elle allait mal, lorsqu'elle avait quelque chose à dire, où lorsque tout simplement elle en avait assez de tout ces protocoles. Avec Will, les choses semblaient plus simples et une forte amitié la liait au jeune homme.
Aussi lorsqu'elle arriva chez lui, elle retrouva le sourire en le voyant se retourner vers elle.
Il venait de terminer son travail à la forge pour Mr Brown, le vieux forgeron qui ne travaillait jamais depuis que Will était là, lui laissant tout faire tout en continuant de dire que c'était lui qui travaillait le plus. Will s'en fichait, le vieil homme le logeait gratuitement en échange, lui permettait de travailler et d'avoir l'occasion de faire ce que bon lui semblait car Brown lui, était toujours endormi ou en train de boire, Will avait donc la liberté de ne pas être surveillé par son patron. Il en profitait pour s'entraîner au combat avec les épées qu'il forgeait, mais également de pouvoir rencontrer son amie Elizabeth, moins souvent que ce qu'il aurait voulu mais c'était toujours ça tout de même.
Il sourit timidement en voyant la jeune femme arriver. La forge n'était pas du tout un endroit pour une noble, et bien souvent ils se voyaient en dehors, mais lorsqu'il lui arrivait de venir ici elle ne lui tenait jamais rigueur de sa modeste condition, elle se fichait qu'il soit riche ou non et lui parlait comme elle l'avait toujours fait. Cependant, ce jour-là il eut l'impression que la jeune femme n'allait pas bien, malgré son sourire lorsqu'elle était arrivée.
« Je ne m'attendais pas à votre visite Miss Swann !... Est-ce que tout va bien ? » rajouta t' il après un temps d'hésitation.
Elizabeth soupira :
« Hormis le fait que je déteste que tu ne m'appelle Miss Swann… Je ne suis pas sûre que tout aille très bien. »
Elle baissa les yeux avant de murmurer :
« Mon père s'est mis en tête de me faire épouser le Commodore Norrington… »
Will sentit son cœur se serrer.
« Et… Ça n'a pas l'air de vous enchanter ? »
Elizabeth le fixa :
« Je ne l'aime pas… Je n'ai pas de sentiment, envers personne. C'est comme si l'homme pour qui pourrait battre mon cœur n'était pas encore arrivé… Et je n'aurai pas le temps de le trouver, car le Commodore va me faire sa demande dans les prochains jours, c'est prévisible… »
Will de nouveau sentir son cœur se serrer. Il n'avait jamais parlé à la jeune femme des réels sentiments qu'il éprouvait envers elle et ne le ferait jamais, car leur statut si différent leur aurait de toutes façons interdit toute relation, et dans tout les cas, il en avait encore la preuve après ce qu'elle venait de dire, Elizabeth ne partageait pas ses sentiments. Bien que l'idée de la voir se marier avec Norrington et de ne plus pouvoir la voir en cachette, même si c'était en tant qu'ami, lui faisait terriblement mal ; il s'y était préparé depuis longtemps et avait décidé de continuer à être son ami aussi longtemps qu'il était encore possible. Et aujourd'hui elle n'avait pas besoin de ressentir sa propre tristesse, mais qu'au contraire il sache apaiser la sienne.
« Peut-être aurez vous la chance de rencontrer un homme que vous aimerez, avant que Norrington ne vous fasse sa demande… Ce n'est peut-être pas pour tout de suite, et si c'est le cas… Peut-être que… Que c'est un homme sincère et qu'il vous rendra heureuse… Votre père ne vous laisserait pas épouser un homme mauvais, il vous aime trop pour ça… »
Will avait tellement envie de la prendre dans ses bras, de la consoler… Il avait tant envie de devenir ce commodore qui allait l'épouser. Même si cela n'arriverait jamais.
Mais Elizabeth pensait à toute autre chose.
« Il y a autre chose aussi… »
Elle lui conta ses deux rencontres avec l'étrange individu qui l'avait interpellé sur les quais, et les sentiments de colère que cela avait ressortir en elle.
« Un pirate… Pourquoi ne pas l'avoir dénoncé ? Si vous êtes sûre qu'il s'agit d'un pirate… Il aurait pu vous tuer ! »
Will trouvait cette révélation incroyable. Elizabeth était si perturbée par ses histoires de fiançailles qu'elle n'avait pas même songé à dénoncer un pirate qui l'avait agressé… Il connaissait son goût pour la désobéissance envers les règles et protocoles mais à ce point, il ne comprenait pas.
Elizabeth lui jeta un regard soudainement troublée.
« Le dénoncer… ? Pourquoi le devrais-je ? Il ne m'a pas fait de mal… Voir un homme vouloir tenter de m'accoster, alors que je rêverais qu'un autre le fasse, un homme respectable, un homme avec qui je pourrais me marier, et savoir que ça n'arrivera plus car je vais épouser un homme que je n'aime pas… Ça m'a provoqué une telle colère envers… Envers la situation… »
Will ne comprenait rien à la réaction d'Elizabeth. Il trouvait cela complètement idiot. Pourquoi se poser autant de questions alors que la seule chose à penser à ce sujet était de dénoncer un pirate ? Ça n'avait rien à voir avec la vie d'Elizabeth. Un pirate reste un pirate, il devait être dénoncé.
Elizabeth ressentit cette incompréhension et fixa son ami avec intensité :
« Will, je sais à quel point tu détestes les pirates mais je ne dénoncerai pas un homme qui ne m'a rien fait, c'est juste un pitoyable séducteur à moitié fou qui se promenait dans la rue ! Il ne m'a ni tué ni violenté, il a juste fait ressortir ma colère et le dénoncer ne m'apporterait rien, ce n'est pas ça qui m'évitera d'épouser le Commodore et pour l'instant c'est la seule chose qui m'importe ! »
Will la regarda interloqué :
« Quoi… D'éviter d'épouser le Commodore ? Vous comptez refuser sa demande? »
Elizabeth soupira :
« Non, bien sûr que non… Je voudrais juste… que quelque chose se produise pour que sa demande n'aie jamais lieu, pour ne pas avoir à y répondre... »
