Strasbourg, 3 heures du matin.

Impossible de dormir. Cette dernière review, postée par un certain AroTheKing, me laissait perplexe :

"Très chère Aroishot,

Vous avez commencé, il y a désormais plus d'un an, une histoire intitulée "A very bad idea".

Bien que vous l'ayez abandonnée pendant de nombreux mois, vous aviez réussi à reprendre votre élan suite aux messages laissés par une certaine Rivelum.

Or, je constate avec regrets que vous négligez à nouveau votre fiction.

Dois-je prendre les mesures nécessaires pour vous obliger à terminer votre histoire ?

Veuillez agréer, très chère amie, l'expression de mes salutations distinguées.

Aro"

Que sous-entendait-il par "Prendre les mesures nécessaires" ? Il est vrai que depuis quelques temps, je n'étais pas très régulière dans mes écrits ni dans mes publications. Je pouvais comprendre sa frustration... Mais ne pouvait-il pas comprendre ce que cela impliquait d'écrire ? Trouver une idée pour un début d'histoire était relativement facile. J'avais toujours eu une imagination débordante. En revanche, la continuer était plus compliquée. Pas parce que j'ignorais la fin de l'histoire. Je ne commençais jamais d'histoire sans savoir en gros ce qui allait se passer et comment je voulais que cela se finisse.

Non, le véritable problème résidait dans les personnages. Certes, ce n'était pas les miens, du moins pas tous et cela me facilitait la tâche. Je les connaissais et je n'avais ni à me préoccuper d'un nom à donner, ni d'une personnalité, ni d'un physique. Cependant, quand je leur donnais vie à travers mon histoire, ils avaient tendance à n'en faire qu'à leur tête. Les Volturi, redoutable clan de vampires royaux tirés du livre "Twilight" de Stephenie Meyer, n'étaient pas du genre à me laisser orchestrer leur vie si facilement.

Lorsque je souhaitais, par exemple, que Démétri soit juste un peu froid vis à vis de la secrétaire humaine, il planifiait de la tuer. Je devais freiner des deux pieds pour l'empêcher de détruire l'histoire et petit à petit, obliger mon histoire à reprendre son cours. Oui, mes personnages étaient vivants. Ils bougeaient et parlaient tandis que moi, humble spectactrice, je me hâtais de tout écrire sur mon ordinateur. C'était épuisant, surtout qu'ils ne m'attendaient pas. C'était à moi de m'adapter à eux et non le contraire. Seul le moment où je stoppais tout les obligeait à m'attendre. Tout comme mes lecteurs...

Au final, nous détestions tous cette période où j'arrêtais de poursuivre mes vampires. Mes lecteurs devaient attendre pour avoir la suite, sans savoir quand elle arriverait. Les Volturi étaient stoppés dans leurs actions et savaient bien que je ne reprendrais mon histoire qu'à partir du moment où j'aurais trouvé comment les obliger à faire ce que je voulais. Et enfin moi, parce que je savais que la reprise serait encore plus difficile. A peine le nouveau chemin tracé, ils dévieraient encore et encore, m'obligeant à leur courir après en leur disant "mais non, c'est par là qu'il faut aller, par là !"

D'une certaine manière, on pouvait comparer l'écriture à un bras de fer. Je gagnais à chaque fois et je savais que j'allais gagner. Après tout, j'étais l'auteure. Pourtant, au fur et à mesure que j'écrivais, j'avais la sensation que mes victoires étaient de moins en moins flagrantes. Que se passerait-il si je n'arrivais plus à les contrôler ? Parviendrais-je à finir l'histoire ? Combien de temps mes lecteurs accepteraient-ils de m'attendre ? Etant donné le message d'"AroTheKing", plus très longtemps... L'impatience semblait le gagner. De là à m'envoyer des menaces à peine voilées, il y allait tout de même un peu fort !

Strasbourg, 3h05 du matin.

Résignée, je me levais et allumais l'ordinateur. Je devais écrire. Mais que pouvais-je écrire ? A l'origine, Gianna devait avoir déjà pénétré le palais depuis le deuxième chapitre. Or, elle avait failli se faire tuer avant même d'atteindre le château alors que nous en étions déjà au quatrième chapitre. J'avais tout stoppé pour empêcher Démétri d'éliminer Gianna et j'étais parvenue à reprendre le cours de l'histoire en faisant intervenir un personnage qui n'était pas prévu à la base. Il s'agissait d'Athénodora, la femme de Caius, un des trois Rois vampires. Bien que son statut soit élevé, elle n'était qu'un personnage très secondaire dans l'oeuvre originale.

Je pensais donc pouvoir la retirer facilement de ma fiction mais elle refusait de tirer sa révérence. J'avais beau avoir écrit que "ce serait la dernière fois qu'elle apparaitrait dans l'histoire", Caius lui redonnait de l'importance en allant la voir pour se faire conseiller. Saletés de Volturi ! Ils étaient en train de me rendre folle !

Mais comment expliquer à mon lecteur les difficultés que je rencontrais ? Tandis que je relisais les quelques chapitres déjà écrits, je sentais déjà la force des Volturi : ils ne se laisseraient pas manipuler facilement. Je ne comprenais pas, cependant, pourquoi ils opposaient tant de résistance dans cette histoire. Etait-ce parce qu'Aro n'était pas le personnage principal ou bien parce que l'humaine n'était pas folle à lier ?

J'avais voulu me lancer dans un nouveau registre et je m'en mordais les doigts. Cependant, il était trop tard pour reculer. Je ne pouvais pas supprimer cette histoire, cela ne serait pas très correct vis à vis de mes lecteurs. Je devais continuer. Mais comment ? Lorsque je laissais les Volturi avancer, je me retrouvais systématiquement devant un mur car je ne pouvais pas voir vers où ils se dirigeaient. Mais si je tentais de reprendre le contrôle, ils résistaient et déviaient.

Devais-je écrire l'histoire à l'envers ? Je n'étais pas certaine d'en être capable ni de réussir à lier les deux morceaux de ma fiction. Par ailleurs, ils risquaient de protester également si je faisais cela.

Perdue, je me levais boire un verre d'eau. Je n'étais pas dupe : je n'écrirai pas maintenant. J'en étais totalement incapable. J'avais trop de choses à régler : faire disparaitre Athénodora de l'histoire, obliger Gianna à pénétrer ce maudit château et suivre la petite expédition d'Aro. C'était le plus simple : suivre Aro. Lui, je le connaissais. On travaillait bien ensemble. Je n'aurais JAMAIS dû le tromper en essayant d'écrire sur un autre. Malheureusement pour moi, il était trop tard pour changer de personnages principaux. Je devais composer avec ce que j'avais fait et assumer les conséquences. C'est pour cela qu'il fallait d'abord que je m'occupe d'Athénodora et de Gianna. Sauf que... je n'y arrivais pas. Je manquais de motivation. Ces deux personnages m'ennuyaient profondément. Je me demandais aussi ce que je devais répondre à mon lecteur. Qu'il pouvait faire preuve de tolérance ? Il avait quand même attendu un an afin d'avoir une suite, je ne pouvais pas lui jeter la pierre. Que j'avais le syndrôme de la page blanche ? Ou bien que les Volturi étaient indomptables ?

Je n'avais même pas envie de m'énerver. Pourtant, je n'appréciais pas le ton sur lequel on me parlait. Soupirant fortement, je rédigeai :

"Bonjour,

Je suis désolée mais je ne parviens pas à écrire la suite.

J'essaie mais je ne suis pas particulièrement motivée.

Je ne pense pas que vous puissiez faire quoique ce soit contre cela.

Je m'excuse donc de vous faire attendre et comprendrais si vous choisissiez de ne plus me lire.

Bien cordialement,

Aroishot".

Après avoir envoyé le message, je regardais ma bibliothèque, à la recherche d'un livre qui m'aiderait à dormir. Toutefois, je n'avais pas parcouru dix pages qu'un message sur mon compte Fanfiction apparaissait :

"Très chère Aroishot,

Connaissez-vous les contes des mille et une nuits ?

Je vous suggère que nous y jouions.

Si, à la fin du délai imparti, votre histoire n'est pas finie, vous connaîtrez la sanction royale.

Afin de surveiller votre progression, je vous invite chez moi.

Mon personnel vient vous chercher.

Je vous souhaite un excellent voyage et me réjouis d'avance de vos prochains chapitres.

Veuillez agréer, ma très chère amie, l'expression de mes salutations distinguées.

Aro".

Strasbourg, 3h45 du matin

Une jeune femme est portée disparue. Rien ne manque dans son appartement, si ce n'est... son ordinateur !