Hello à tous !

Au départ, j'avais même moins qu'une idée pour cette fic. Un simple dialogue. Une scène, un décor, une situation. Et puis, ça n'a cessé de s'étoffer dans ma tête, et voici le résultat !

Il y a pas mal de drama à prévoir mais je l'espère aussi, une bonne dose d'humour. Du coup je l'ai pas classifiée. Romance tout court. J'avais envie d'une romance compliquée comme la vie, où parfois les choses sont drôles et légères, parfois beaucoup moins, et avec de la fantaisie comme dans n'importe quel shonen :)

Comme d'habitude, le rating M n'est pas là pour faire joli.

Pour ceux qui suivent Aomine no Basuke, je suis en train de rédiger le dernier chapitre, ça arrive :) J'hésitais à attendre un peu avant de publier ça, mais au final, je déteste garder sous le coude des chapitres prêts, et de toute façon j'ai toujours été nulle en organisation et planification, sans compter que je suis une sacrée lunatique. Voilà. Et puis pour être tout à fait honnête, j'étais déprimée en terminant et en retouchant ce chapitre, et il m'a servie de catharsis. Je n'ai pas eu envie de réfléchir.

Comme j'aime bien le faire, je me suis concocté une playlist que j'écoute et j'enrichis à mesure que j'écris la fic. Si ça vous intéresse, vous trouverez la playlist In my best English sur Youtube, sur la chaîne de TheMaloriel :)

J'espère en tout cas que ça vous plaira, et en avant pour le premier chapitre !

Enjoy !

PS : on est limités pour les personnages à inclure dans la fic pour le descriptif, alors je m'en suis tenu aux deux protagonistes de cette histoire, mais sachez que vous allez croiser... beauuuucoup de monde :)


IN MY BEST ENGLISH

LEÇON N°1

"Oh don't talk of love" the shadows purr
Murmuring me away from you
"Don't talk of worlds that never were
The end is all that's ever true
There's nothing you can ever say
Nothing you can ever do..."
Still every night I burn
Every night I scream your name
Every night I burn
Every night the dream's the same
Every night I burn
Waiting for my only friend
Every night I burn
Waiting for the world to end

The Cure, Burn

I

Aéroport de Tokyo-Narita

Le casque vissé aux oreilles diffusant du Nirvana à plein volume, Kagami chercha Himuro des yeux dans la petite foule des arrivées. Il espéra que ce crétin ne l'avait pas oublié : après plus de 11 heures de vol, il était totalement décalqué, et il n'avait aucune envie de rester à déambuler à l'aéroport comme un zombie. Tout ce qu'il voulait, c'était rentrer prendre une bonne douche et aller se pieuter.

Pendant un bref instant, il se demanda soudain s'il arriverait à reconnaître Himuro. Il l'avait vu sur Skype, mais ce ne serait sûrement pas la même chose en vrai. Trois ans sans se voir... À leur âge, ça faisait beaucoup.

Himuro, c'était son enfance, son premier ami et premier rival, mais c'était aussi devenu son point d'ancrage au Japon quand il était reparti aux États-Unis. Certes, il avait d'autres amis avec qui il avait échangé pendant ces trois années, mais il y avait des choses que seul Himuro pouvait comprendre : le mal du pays, mêlé à l'étrange exaltation qu'on ressent seulement sous le soleil californien, les deux jambes plantées dans le ressac furieux de l'océan qui porte le moins bien son nom au monde, l'océan Pacifique... Ou bien l'envie irrépressible d'avoir autre chose comme maki que des california rolls à se mettre sous la dent, tout en profitant comme un dingue de la vie grouillante du bord de mer, où les gens ne pensaient qu'à faire du sport et à s'amuser. Savourer la vie américaine, la chaleur et la spontanéité des gens, qui n'hésitent pas à vous toucher et à vous raconter leur vie sans se soucier de respecter une tonne de conventions sociales – tout en regrettant la fraîcheur des hivers japonais, l'odeur de l'encens et la foule calme des temples shintoïstes, les cerisiers en fleur en printemps, ou même... le réflexe d'enlever ses chaussures en entrant quelque part – réflexe que Kagami n'était jamais parvenu à inculquer à aucune de ses connaissances américaines. Vivre en expatrié, c'était un peu vivre coupé en deux, un pied dans chaque monde, et cette expérience-là, seul Himuro la connaissait aussi bien que lui.

Perdu dans ses réflexions, il sentit soudain quelqu'un lui enlever son casque des oreilles et il se retourna, prêt à engueuler l'importun... Mais ne trouva devant lui qu'un torse à insulter. Il leva les donc les yeux jusqu'à rencontrer un visage.

« Mu ?!

— Hééé, Kaga-chin... Désolé mais Tatsuya avait un exam... Alors c'est moi qui viens te chercher... La galère... »

Kagami ne put s'empêcher de sourire : Murasakibara n'avait pas changé. Toujours aussi motivé dans la vie.

« Ok, c'est sympa de ta part, remarqua-t-il en donnant une claque amicale à Mu.

— Hmmh... » répliqua l'intéressé, le regard dans le vague.

Comme il n'avait pas l'air décidé à bouger, Kagami le relança :

« Bon, bah je te suis, alors ! »

À ces mots, Atsushi s'anima et ouvrit la marche jusqu'à sa voiture dans le parking, voiture dans laquelle il dut plier au moins en trois sa grande carcasse. N'importe quel véhicule avait l'air conçu pour des nains avec un type pareil. C'était tout juste si ses genoux passaient sous le volant. À l'époque où ils s'étaient rencontrés, Kagami avait déjà fini sa croissance, mais ce n'était pas le cas d'Atsushi... Avant de s'asseoir sur le siège passager, il dut déblayer un cimetière d'emballages de chips et gâteaux :

« Mu, t'abuse ! » s'exclama-t-il en faisant craquer du plastique sous ses baskets tandis qu'il s'installait. « Tu lui prêtes jamais ta bagnole, à Himuro ?

— Bah si, pourquoi ?

— Et il râle pas avec tout ce bordel ?

— 'L'est habitué... »

En même temps, il vaut mieux... pensa Kagami en bouclant sa ceinture.

Ces deux-là partageaient quand même un appartement. Il se demandait bien comment Himuro faisait pour garder son sang-froid avec son grand benêt indolent de petit ami qui semait un désastre d'emballages alimentaires partout où il allait.

Bah, c'est ça, l'amour...

À cette simple pensée, son cœur se serra. L'amour ? Sujet tabou.

« Au fait... » reprit Murasakibara tandis qu'il sortait du parking pour s'insérer dans la circulation dense des alentours de l'aéroport. « Tatsuya m'a dit de te dire un truc important... »

Kagami attendit, mais Atsushi semblait déjà avoir oublié le début de sa phrase.

« Quoi ?! s'impatienta-t-il.

— J'arrive pas à me rappeler quoi, admit Atsushi.

— Ça me fait une belle jambe, abruti ! râla Kagami.

— Ça devait pas être si important », conclut Atsushi.

Une conclusion pas très au goût de Kagami, mais manifestement, il ne tirerait rien de plus de son chauffeur.

Puis, il oublia tout ça pour se concentrer sur les paysages qui défilaient derrière la vitre.

Tokyo ! Ça faisait une éternité qu'il n'était pas venu. Trois ans... Il avait vingt-et-un ans, alors trois ans, c'était un sacré morceau d'existence à ses yeux. Il n'était probablement plus la même personne qu'à son départ. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'il avait mûri, mais... il avait appris des choses, pris de l'assurance, se faisait une idée plus précise de son avenir. En un sens, il se connaissait mieux.

Il ne pouvait pas en dire autant de Tokyo : c'était comme si une partie du pays s'était effacé de sa mémoire, et même une partie de la langue. Il avait toujours été à moitié américain et maintenant qu'il était de retour, des tas de choses l'étonnaient. Il ressentait l'appréhension chevillée aux tripes de n'importe quel voyageur qui débarque en terre inconnue, et pourtant, ici, c'était chez lui... Il était né au Japon, et toutes ces années aux USA n'avaient jamais fait de lui un Américain pure souche. Alors, il retrouvait ces paysages comme on retrouve un ami perdu de longue date, avec une émotion profonde où se mêlait une joie teintée de nostalgie. Il était parti depuis trop longtemps, décida-t-il, et quel que soit son avenir ici, il ne repartirait pas de sitôt. Il avait envie de se construire une vie ici. Envie de rester.

II

« On est arrivés, Kaga-chin. »

Kagami réalisa que Murasakibara s'était arrêté non pas à un feu rouge, mais dans un petit parking jouxtant une résidence qui ne payait pas de mine avec ses cubes blancs de béton entassés les uns sur les autres, mais à laquelle la végétation et le manque de hauteur donnait un petit aspect confortable.

Il n'était jamais venu chez Himuro et Murasakibara, parce qu'ils avaient emménagé ensemble juste après son départ pour les États-Unis. Il s'était passé plein de choses dans la vie de tous ses amis depuis... En pensant à ça, lui qui venait de débarquer, il avait l'estomac sacrément noué quand il songeait à ce que les prochaines semaines lui réservaient.

Il sortit de la bagnole et alla prendre son sac dans le coffre, puis il respira un grand coup.

Maintenant était le moment où il reprenait pour de bon sa vie japonaise. Il était prêt.

Mu le fit entrer dans l'immeuble et ils montèrent deux étages avant d'accéder à l'appartement. À première vue, il avait l'air petit, lumineux et confortable. Kagami éprouva un agréable soulagement : il se voyait bien squatter ici le temps de trouver une meilleure solution.

Du moins, ce fut ce qu'il crut pendant les dix premières secondes, jusqu'à ce qu'un grand mec basané passe dans le salon en râlant :

« Atsushi, bordel, Tatsuya a encore rangé mes baskets ou quoi ?! »

Atsushi haussa les épaules, et le mec basané se retourna.

Le cœur de Kagami s'arrêta.

Ses cheveux avaient poussé... Il avait l'air plus grand et plus halé que dans ses souvenirs. Mais ces yeux-là... Ce bleu outremer, qui s'assombrissait avec la lumière, la colère et la tristesse, et devenait translucide quand il riait... impossible de l'oublier. En fait, Kagami se souvenait même avec une précision déconcertante de la première fois où leurs regards s'étaient croisés. Il s'était écoulé plus de cinq ans depuis ce jour-là, et pourtant, il ressentit la même chose. Exactement la même chose. Le temps qui ralentit, le coup de poignard dans le ventre, le cœur qui pulse dans la gorge, les genoux qui se dérobent.

« T-Taiga... balbutia Aomine.

— D-Daiki... » répliqua-t-il tout aussi bêtement.

Quelques secondes s'écoulèrent dans un parfait silence.

« Ah ! s'exclama soudain Atsushi. C'était ça, ce que Tatsuya voulait que je te dise ! Aomi-chin squatte chez nous ! »

Un scénario très détaillé de double meurtre eut le temps de se dérouler dans la tête de Kagami avant que Mu ne reprenne :

« Ça a l'air d'être un problème... La galère...

— Putain, Atsushi, me dis pas que t'as oublié ! s'énerva Aomine.

— ...oublié quoi ? »

Mu regarda tour à tour Kagami et Aomine, et soudain, son regard placide s'illumina.

« Oh... C'était pour ça. Bah... Va falloir vous y faire. Aomi-chin, tes baskets sont dans le placard, là... »

Kagami évita le regard d'Aomine et tenta de se ressaisir.

Bon. Ça doit être un plan sadique à la Himuro. On ne perd pas son sang-froid.

Cela dit, se retrouver sans prévenir face au mec qui lui avait brisé le cœur, ça n'aidait pas tellement. Et ça ne s'arrangea pas quand Aomine baissa les yeux et regarda les baskets qu'il portait. Un infime sourire passa sur son visage.

« Tu les as gardées », constata-t-il.

Kagami déglutit avec difficulté. Il n'aurait pas pu imaginer pire scénario. Rentrer au Japon, et tomber aussitôt sur Aomine. Alors qu'il portait ses foutues baskets, montrant par là qu'il était assez sentimental pour les avoir conservées pendant tout ce temps. Il ne jouait plus avec cette paire, mais il les mettait dans la vie de tous les jours. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux, parce que ça lui rappelait la meilleure période de sa vie.

Cette paire, Aomine la lui avait donnée à sa première Winter Cup. Ils ne sortaient pas encore ensemble, à l'époque. Ça, c'était arrivé plus tard, après la compétition. Ils avaient commencé à se fréquenter, d'abord pour jouer en one and one, et puis pour dîner... et puis pour jouer aux jeux vidéo... Et finir par bavarder toute la nuit. Puis, était arrivée cette nuit où ils n'avaient pas parlé du tout... Et ainsi avait débuté une histoire de deux ans.

Non, s'il voulait être honnête avec lui-même, Kagami ne pouvait pas appeler ça 'la meilleure période de sa vie'. Entre Aomine et lui, c'était compliqué, et ça l'avait toujours été. Mais en tout cas, il avait vécu deux ans de folie. À la fois horribles et merveilleux. Ce qui s'était passé à la fin, cependant... Il préférait ne pas y penser.

« Tu es... en vacances ? demanda Aomine d'un ton prudent.

— Non. Cette fois, c'est pour de bon. »

Aomine fronça les sourcils.

Eh bah, ça a l'air de lui faire plaisir ! pensa Kagami amèrement.

« Ok. Bon, je vais prendre une douche. Bon retour au Japon, j'imagine. »

C'est ça. Calme ta joie, Daiki.

« Tu devrais aller dormir, Kaga-chin. T'as l'air d'un déterré.

— Ouais, bonne idée. Et puisque ce crétin d'Aomine a piqué la douche... Je m'en passerai.

— Je te déplie le canapé-lit. »

Kagami regarda autour de lui, et une soudaine inquiétude lui noua les tripes. C'était minuscule, ici, alors...

« Et Aomine, il dort où ?

— Pareil que toi. »

Et Kagami qui pensait qu'il vivait déjà le pire scénario possible...

Cela dit, il était trop crevé pour y penser maintenant. Il enleva ses chaussures et son pantalon et se glissa sous les draps.

« Faites comme si j'étais pas là, de toute façon vous me réveillerez pas...

— Bonne nuit, Kaga-chin. »

On n'était qu'en milieu d'après-midi, mais il s'endormit comme une masse dès qu'il posa la tête sur l'oreiller.

III

Il ne se réveilla que des heures plus tard, alors que l'appartement était plongé dans le silence et l'obscurité. Dans les premières secondes, il ne sut pas où il était. Il avait l'impression de se trouver dans son lit chez lui à Los Angeles, mais quelque chose ne cadrait pas, la façon dont il percevait la pièce autour de lui. C'était plus exigu, ça ne sentait pas pareil... Il se redressa brusquement, le cœur battant.

Puis, il reconnut l'appart et se calma. Quelqu'un bougea à côté de lui, et son cœur repartit de plus belle.

Merde, Daiki !

Il avait oublié, pendant ces premières secondes bénies d'éveil... Ça faisait plus de trois ans qu'il ne s'était pas retrouvé dans un lit avec lui. Et il fallait que ça arrive maintenant, à peine était-il rentré. Il soupira et se laissa retomber sur l'oreiller, fixant le plafond dans l'obscurité.

« Désolé pour tout à l'heure, Taiga. »

Kagami tressaillit. Aomine était réveillé, et il... s'excusait ?!

« Ces deux abrutis ont pas jugé bon de me prévenir, reprit Aomine. J'étais juste... surpris. »

Kagami tourna la tête vers son voisin de lit.

« Je t'ai réveillé ?

— Nan, je dormais pas. »

Le silence s'installa. Kagami s'était attendu à se sentir super mal à l'aise, mais en fait, ça allait. Il était... presque calme. Comme s'ils se retrouvaient soudain tous les deux trois ans en arrière.

« Qu'est-ce que tu fais chez Himuro, au fait ? demanda-t-il.

— Tu sais, j'étais en coloc avec Satsuki... Elle est partie à Osaka pour continuer ses études en finances... Et donc je squatte là en attendant de trouver autre chose.

— Ok... Et ça va, c'est pas trop invivable ? »

Aomine rigola.

« Nan, y a pire. Et Atsushi est devenu un super pro de la pâtisserie alors j'engraisse...

— Ça se voit pas.

— C'était un compliment, ça, Taiga ?

— Commence pas, hein...

— Peut-être que Tatsuya s'est mis en tête qu'on se remette ensemble.

— Ouais, bah il rêve, Tatsuya.

— Tu m'étonnes...

— ...

— ...Alors... t'en as eu marre des États-Unis ?

— Pas spécialement. C'est surtout le Japon qui me manquait. Et puis... Si je dois faire carrière, j'ai envie que ce soit ici. Et après tout, à part Alex, j'ai personne là-bas... Enfin personne d'important, quoi.

— Ah ouais ? Personne dans ta vie ?

— Pas que ça te concerne, mais non.

— Pareil pour moi... »

Kagami fronça les sourcils. Pourquoi ça l'intéressait, Aomine ? Pourquoi est-ce qu'il lui posait ces questions-là ? Il n'envisageait tout de même pas sérieusement qu'ils puissent se remettre ensemble, si ?

En attendant, tu viens de réprimer un grand sourire en apprenant qu'il était célibataire...

« T'étudies toujours ? » demanda-t-il donc pour changer de sujet.

Aomine haussa les épaules.

« Nan, j'ai décroché. De toute façon, c'est chiant avec le basket.

— Tu veux toujours passer pro, alors ?

— Pas toi ?

— Si. »

En trois ans, ils n'avaient pas totalement perdu contact. Ils avaient d'abord essayé de s'expliquer, par écrit, sur les circonstances qui avaient conduit à la fin de leur relation. Comme ça n'avait pas fonctionné et même au contraire servi à les embrouiller encore plus, ils avaient laissé tomber ce genre de conversation. De temps en temps, ils s'envoyaient des textos. Ils s'étaient même téléphoné, une fois. Mais ça s'arrêtait là. Il y avait beaucoup de non-dits entre eux, et des mois de silence. En réalité, aujourd'hui, ils savaient très peu de choses sur la vie de l'autre. En plus, pour Kagami, la dernière année avait été particulièrement chargée, et il avait pratiquement perdu contact avec tout le monde. Il y avait tant à rattraper... Tant de questions à poser ! Il ne s'était pas attendu à retrouver Daiki en premier. Il n'avait même pas eu l'occasion de dire bonjour à Himuro, et maintenant, c'était avec son ex qu'il rattrapait le temps perdu. Certes, d'une façon un peu maladroite, tous les deux étant sur la réserve, mais c'était tout de même une vraie discussion. Kagami était méfiant, mais il devait bien avouer que ce moment de calme entre eux, là dans le noir, dans le même lit, ne lui déplaisait pas.

Ça te rappelle des bons souvenirs, c'est tout. T'aurais tort d'oublier les autres, de souvenirs. Faut que tu penses à te protéger un peu, aussi.

La sérénité commença doucement à s'effacer, jusqu'à ce qu'il se retrouve carrément à avoir le cafard. En même temps... à quoi il pensait, Himuro ?! Kagami voyait mal comment on pouvait se sentir plus seul au monde qu'au lit avec son ex qu'on aime encore. Et Aomine ne semblait pas déterminé à lui faciliter la tâche :

« Y a un truc que je me suis toujours demandé, Taiga... Est-ce que c'est à cause de moi que tu es reparti à Los Angeles ? »

Kagami ignora la question. Du moins, en ce qui concernait une quelconque réponse verbale. Parce qu'à l'intérieur de sa poitrine, son cœur cogna douloureusement contre ses côtes. À chaque battement, les mots d'Aomine se brouillaient dans sa tête, et il se sentait un peu plus triste et complètement largué. Il s'assit sur le rebord du lit, puis chercha ses fringues dans le noir.

« J'ai pas envie de discuter de ça avec toi. Je vais prendre l'air. »

Il enfila ses baskets – celles de Daiki –, attrapa son téléphone et ses écouteurs, prit les clefs sur la porte et sortit sans un mot de plus. Il n'avait même pas regardé l'heure, mais à en juger par le calme relatif de la ville, on devait être en plein milieu de la nuit. Ce n'était pas plus mal : réapprivoiser Tokyo allait lui prendre du temps, alors autant le faire dans les petites heures de la nuit, quand les rues se laissent observer sans le vacarme du trafic et de la foule.

Il laissa ses pas le mener entre les immeubles aux fenêtres aveugles comme des yeux de spectres. Il suivit les néons qui palpitaient au loin dans une très légère brume où se découpaient les contours autrefois familiers des bâtiments. Il traversa des passages cloutés vides comme des gués de rivière perdus en plein Yellowstone. Il laissa la ville l'entraîner dans son cœur, et arpenta des chemins qu'il savait connaître, mais dont il avait presque tout oublié. L'asphalte sous ses semelles semblait presque docile, accueillant. Mais au fond, le béton, l'acier et le bitume créaient autour de lui l'architecture d'un paysage qui était devenu davantage fantasme que réalité. Il avait perdu Tokyo. Il avait perdu des souvenirs, à tous les coins de rue. Il aurait juré reconnaître cette intersection, là. Il aurait juré qu'un jour Daiki et lui l'avaient traversée un jour sous un parapluie. Mais le souvenir n'était plus qu'une ombre qui tremblait à la lueur des phares des rares voitures qui continuaient à passer dans la nuit épaisse. Rien de plus qu'un écho qu'il convoquait pour se rappeler qui il était. Tout ce qu'il faisait à cette heure de la nuit, c'était se raconter de vieilles histoires achevées depuis des lustres. Il s'accrochait à son passé parce qu'il ne comprenait rien à son présent.

Il déambula jusqu'à ce que l'aube vienne griser les contours des gratte-ciels. Il s'arrêta à un carrefour, regarda autour de lui, et comprit qu'il était perdu. Ça lui donna encore plus le cafard, comme si sa ville natale le rejetait. À sa manière, en déployant ses immenses artères auréolées de néons dont il ne connaissait plus les noms ni les destinations, elle lui faisait savoir qu'il n'était plus chez lui.

Bien sûr que c'est à cause de toi que je suis parti, Daiki... Un océan entre nous n'était pas de trop. D'ailleurs, tu ne m'as pas retenu, tu te souviens ? Je t'ai jamais entendu dire que tu voulais pas que ce soit fini. Que tu voulais pas que je parte.

Il se trouva un endroit pour boire un café et s'assit près de la vitre, où il regarda la ville qui s'éveillait, immense, indifférente, anonyme. Alors que l'heure tournait, la rue s'anima, envahie de citoyens pressés avec les premiers rayons du soleil. Depuis son siège dans le café, Kagami essaya de deviner les histoires qui se dissimulaient dans ces innombrables yeux fixés sur leur propre route, ignorant tout des autres, tenta de déceler les émotions sur leurs visages fugitifs. Mais rien ni personne ne lui parlait, comme si l'univers lui était fermé. Comme s'il était un fantôme qui ignorait qu'il était mort.

Il décida finalement de rentrer. Himuro était sûrement levé, maintenant.

IV

Pendant ce temps...

Aomine regarda la lumière grandir derrière les stores pendant quelques minutes, puis se frotta les yeux en poussant un gros soupir. Il n'avait pas dormi de la nuit.

Hier après-midi, quand il avait vu Kagami apparaître dans le salon, il s'était senti aussi perdu qu'un gamin dans la cour de récréation pour son premier jour d'école. Il ne savait pas qu'il était de retour... et encore moins qu'il allait débarquer ici. Il avait d'ailleurs eu une petite explication à ce sujet avec Tatsuya quand il était revenu de son exam, mais son ami avait fait l'innocent : soi-disant, il pensait que les choses étaient réglées entre eux, il ne lui était pas venu à l'idée que ça les ennuierait, trois ans, c'était long, etc, etc. Une vraie tête à claques, Tatsuya. Et inutile de demander à Atsushi : tout ça, ça lui passait au-dessus, et encore plus ces derniers temps, absorbé comme il l'était par sa formation en pâtisserie. Et puis de toute façon, d'après ce qu'Aomine avait vu, Atsushi passait absolument tout à Tatsuya. Parfois, il enviait ce dernier d'avoir la vie – apparemment – si facile.

Tous les trois avaient laissé dormir Kagami, qui s'était endormi comme une masse pendant qu'il prenait sa douche, et ils étaient sortis se défouler un peu au basket, puis ils avaient dîné en ville et bavardé jusque tard dans la soirée autour de quelques verres. Et puis, ils étaient rentrés : Tatsuya et Atsushi étaient allés se coucher, et Aomine était resté planté dans le salon à regarder son ex endormi, étendu du côté, les draps roulés en boule contre son ventre, une jambe à l'air, les cheveux en bataille répandus sur l'oreiller. Cette vision lui avait méchamment serré le cœur. Alors oui, il en voulait toujours à Kagami d'être parti comme ça, aussi vite. Pour lui, et malgré tout ce qui s'était passé, ce n'était pas terminé. Kagami ne leur avait pas laissé une chance de réparer ce qui pouvait l'être. Il s'était juste cassé à l'autre bout du monde. Comme s'il ne pouvait même plus supporter sa présence.

Finalement, il s'était déshabillé et allongé de son côté du canapé-lit – enfin, celui qui lui restait, puisque Kagami lui avait déjà piqué 'le sien', à droite, vers la porte d'entrée. Et comme il lui avait aussi piqué le moindre centimètre carré de draps, il y renonça. Puis, il était resté immobile dans le noir à réfléchir, jusqu'à ce que Kagami se réveille en sursaut, et qu'ils discutent un moment... Du moins, jusqu'à ce ce qu'il pose la question de trop, et que Kagami ne s'enfuie pour ne plus revenir de la nuit.

Alors ce matin, en émergeant de la demi léthargie fiévreuse dans laquelle il était plongé depuis des heures, il avait l'estomac noué et le cœur qui pesait une tonne. Il s'habilla rapidement et décida de prendre le large lui aussi, avant que Kagami ne revienne. Il laissa un mot à ses hôtes pour leur dire qu'il allait s'entraîner, et fut soulagé de retrouver l'air libre et la fraîcheur de l'aube. Une fois qu'il serait sur le terrain, il oublierait tout ça.

Du moins, ce fut ce qu'il se répéta pendant tout le trajet.

V

Quand Kagami rentra, Mu et Himuro prenaient le petit-déjeuner dans le coin cuisine, l'image presque parfaite du bonheur domestique. Presque, parce que l'appart était trop en bordel, ses amis trop décoiffés et fatigués et leur conversation trop laconique pour figurer dans l'une de ces séries bien lissées que les Américains semblaient tellement affectionner.

« Salut, fit-il en prenant place sur l'un des tabourets jouxtant le comptoir.

— Hey Kagami, fit Himuro en s'illuminant. Ça fait tellement longtemps ! Comment tu vas ?

— Ça irait mieux si tu m'avais prévenu que tu hébergeais mon ex.

— Bah, c'est temporaire. Et puis trois ans, c'est long, non ? De l'eau a coulé sous les ponts, comme on dit. »

Kagami lui envoya son plus beau regard noir, mais cela ne dérangea en rien le sourire tranquille – et satisfait – de Himuro.

« À ce propos, Daiki est parti s'entraîner, ajouta son ami.

— Humpf...

— Kagachin, je t'ai fait des pancakes. Paraît que les Américains aiment ça. »

Une déclaration qui lui fit à la fois plaisir et mal au cœur. Je suis pas américain, eut-il envie de répondre. En même temps... il adorait les pancakes. Et c'était vraiment attentionné de la part de Mu.

« Merci, c'est gentil...

— Qu'est-ce que tu vas faire, aujourd'hui ? » s'enquit Himuro après avoir avalé une gorgée de café.

Kagami haussa les épaules.

« J'en sais rien. Ça fait bizarre de revenir. Je sais pas trop par où commencer.

— C'est samedi, Atsushi et moi, on est libres. Histoire que tu reprennes pied à Tokyo, on peut aller faire un tour en ville. On te montrera les nouveaux endroits cools, et on pourra passer voir ceux qui t'ont manqué. »

Kagami sentit son moral remonter d'un cran. Himuro était parfois un con, mais ce matin, il avait apparemment décidé de se montrer sous son meilleur jour.

« Ouais, c'est un programme qui me tente bien. »

Ils terminèrent sereinement le petit-déjeuner, et Kagami eut un regain d'espoir : peut-être que les choses se passeraient un peu mieux qu'il ne l'avait anticipé.

VI

La journée se déroula très bien. Probablement aussi parce que Kagami parvint presque totalement à oublier qu'il était en coloc forcée avec son ex. Du coup, le soir venu, le retour sur Terre fut raide.

Himuro et Mu allèrent se coucher sitôt rentrés, et Kagami et Aomine se retrouvèrent tous seuls dans le salon. Et cette fois, le malaise était palpable. Ils se débrouillèrent quand même pour déplier le lit et se coucher sans s'engueuler, sans trop se parler, et surtout en se regardant le moins possible. Le silence et l'obscurité leur redonnèrent un peu de tranquillité, mais Kagami restait tendu. Il y avait entre eux comme un nuage bourdonnant de non-dits, des choses qu'ils voulaient peut-être se dire, ou peut-être qu'il ne valait mieux pas, ou... bordel, qu'est-ce qu'il en savait ?

Et Aomine se murait dans le silence... Ce vide accablant, Kagami ne le supporta plus, et décida de dire quelque chose, même si c'était une connerie, même si ça les emmenait sur un terrain où il n'avait pas envie d'aller.

« Je savais pas que t'étais aussi proche de Himuro. »

Silence, à nouveau. Puis, au moment où Kagami s'apprêtait à redire quelque chose – n'importe quoi pour stopper ce malaise glaçant qui s'installait, Aomine reprit la parole :

« Quand t'es parti, je suis allé le voir. On a parlé de toi. J'avais besoin de savoir certains trucs. Et tout ça, ça nous a rapprochés. »

Une aiguille chauffée à blanc s'enfonça dans l'estomac de Kagami.

C'est quoi ce bordel ?!

« Parlé de moi ?...

— T'es parti vite, Taiga. On n'a pas eu le temps de tout se dire. Y avait des trucs que je savais pas comment gérer. »

La colère... Ça faisait longtemps qu'il ne l'avait pas ressentie. Du moins, pas aussi fort. Comme si sa peau se soulevait sous la houle qu'il y avait là, à l'intérieur. Il serra les lèvres pour ne pas dire une connerie.

Il valait mieux que ça, non ? Ils étaient coincés là tous les deux. Se foutre des coups de poing n'allait rien régler. Et il avait vraiment besoin de dormir, alors il fallait qu'ils arrivent au moins à une partie décisive de la conversation. Le reste pourrait attendre plus tard.

« C'est toi qui pigeais rien ? » se contraignit-il à dire à voix basse malgré une grosse envie d'engueuler Aomine. « C'est toi qui avais besoin de réponse ? reprit-il en contrôlant sa voix. Daiki, je suis pas parti sur un coup de tête, bordel ! Fais pas semblant de pas le savoir ! C'est pas moi qui ai tout foutu en l'air !

— Et c'est facile de prétendre que tout est de ma faute, hein ? »

...Oui, ça l'était.

Mais ça n'arrangerait rien. Même s'il n'était pas revenu pour arranger quoi que ce soit. C'était Himuro qui l'avait foutu dans cette merde.

« On avait des problèmes, mais c'est toi qui as choisi de tout arrêter. Tu sais très bien comment, et pourquoi. J'ai rien d'autre à dire. C'est pas parce qu'on est forcés de dormir dans le même lit qu'on doit refaire l'histoire. Moi, j'ai jamais voulu ça. Et j'en ai toujours pas envie. »

À cette tirade succéda un nouveau silence, horriblement lourd. Et pourtant le cœur de Kagami continuait à battre à tout rompre, et une partie de lui, la plus idiote sans aucun doute, priait pour qu'Aomine le contredise. Au lieu de ça...

« Comment on dit chez toi, déjà ? lança Aomine d'un ton bizarrement léger. 'Gou fuku yuruserufu' ? »

Kagami en resta interdit. Et puis, aussi mal que ça allait, il eut soudain envie de rire.

« You mean, 'go fuck yourself' ?

— ...

— Dis-le correctement, au moins !

— Go... fak yu... ruserufu.

— Go fuck yourself, baka ! Et puis c'est pas 'chez moi' !

— C'est ça, si tu le dis... Tu peux te la boucler maintenant ? J'suis crevé...

— Gou fuku yuruserufu, j'te jure...

— Ta gueule ! »

Aomine se tourna sur le côté et Kagami résista à l'envie de se caler contre lui. Et merde ! Ce qu'il ressentait depuis qu'il avait mis les pieds à l'aéroport n'avait aucun sens. Il resta bien immobile sur le dos et se demanda ce que ça présageait pour la suite. Et s'aperçut au même moment que son 'sain' recul sur les choses venait de s'effondrer en poussière. Là maintenant, il n'entendait que son cœur cogner dans ses oreilles. Et il n'avait rien d'autre à faire ni penser que résister courageusement à l'enive folle d'effacer le passé pour tout recommencer.