Partie 9 – Concocter
L'après-midi, je mis tous les conseils de Quatre en application contre Ash-Ashley. Dans les premières secondes, je lui fis un uppercut digne des meilleurs lutteurs, et cela la déstabilisa pour tout le reste du combat. Elle réussit néanmoins à me frapper à l'œil – j'avais baissé ma garde, encore une fois – mais après ce coup, je ne l'avais pas lâché, si bien qu'elle avait terminé avec le nez en sang. Elle finit par abandonner, et ce fut tout. J'avais gagné!
À ma victoire, un silence s'installa dans la salle, avant que Zeke ne se mette à m'applaudir, suivit bientôt de Phillip, de Lauren, de Matthew, et de quelques autres. Souriante, je descendis, et je frappai dans les mains de mes amis. Zeke ne cessait de me regarder avec des yeux en soucoupes, et je riais nerveusement à chaque fois que je m'en rendais compte.
- Mais... tu as appris ça où, depuis la dernière fois? me demanda-t-il.
Le temps d'aller manger fut alors annoncé, ce qui me sauva d'une réponse. Je lui fis un clin d'œil avant de me diriger vers la cafétéria. Il essayait de me suivre, mais plusieurs personnes s'étaient immiscées entre nous, ce qui lui compliquait la tâche. Rendue à la cafétéria, je me mis à la recherche de Quatre. Je le vis en ligne pour le repas. Je le rejoignis aussitôt, le sourire aux lèvres. Je le frappai avec enthousiasme sur le bras, peut-être trop fort, mais j'étais si heureuse et c'était amical, et il se retourna vers moi.
- J'ai GAGNÉ! m'écriai-je. J'ai fait comme tu m'as dit!
Je lui racontai le combat, et il me sourit avec un air de satisfaction.
- Beau travail! me félicita-t-il sincèrement.
- Je n'aurais pas réussi sans toi, répliquai-je.
Il pouvait partager ma victoire, car après tout, sans lui, j'aurais à nouveau perdu. J'allais lui être redevable énormément. Je me mis sur la pointe des pieds et je lui donnai un bisou sur la joue. C'était peu, comme remerciement, mais c'était déjà ça.
Son air était hilarant. Il était vraiment gêné. Je ris et le traînai avec moi jusqu'à la table où Zeke et les autres s'étaient installés. Là, ils me félicitèrent à nouveau, et Lauren pointa à Quatre Ashley. Il parut impressionné, ce qui me fit plaisir.
- Alors, me chuchota Zeke avec un sourire, ton secret, c'est Quatre?
- C'est mon entraîneur, maintenant.
- Ah. Eh bien, clairement, il fait du bon travail. Pourtant, j'ai plus de muscles que lui.
Je haussai les sourcils.
- Ça ne sert à rien des muscles si tu ne sais pas comment t'en servir.
- Je sais très bien m'en servir! répondit-il, faussement outré.
Et il se mit à faire des flexions des bras, pour les gonfler, et me montrer à quels points ils étaient là. Je me pinçai les lèvres pour ne pas rire et posai la main sur son biceps. Je les tâtonnai un peu en le regardant puis déclarai :
- Oui, ils sont durs… durs à trouver.
Tout le monde éclata de rire sous l'air faussement insulté de Zeke. Nous continuâmes à manger sous la bonne humeur, et Lauren vint s'asseoir près de moi.
- As-tu fini par retrouver ton téléphone? demanda-t-elle.
- Non, soupirai-je. Et ça m'embête, parce que je ne sais pas si Hector et Lynn vont bien.
Zeke fronça les sourcils.
- Il se trouve que moi aussi, j'ai perdu mon cellulaire.
- J'ai entendu dire que Matthew et Philippe aussi, nous apprit Lauren.
Quatre nous écoutait. Lorsque Lauren quitta la table pour aller chercher un dessert, il nous fit signe d'approcher.
- Je crois que je sais ce qu'il se passe. On pourrait se rejoindre ce soir, à la chute dans la forêt, pour s'en parler?
- Après le repas, je pense que ça sera un bon moment, accepta Zeke.
Quelque temps plus tard, le sergent Amar vint chercher Quatre. La séance d'entraînement reprit une quinzaine de minutes après, et je me pratiquai avec les conseils de Quatre en tête, parce que manifestement, ça payait.
X x X
- C'est mystérieux, les téléphones disparus, me dit Zeke en marchant vers le lieu de rendez-vous.
- J'avais entendu des rumeurs de vols… j'espérais que ce n'était pas ça.
- C'est frustrant… on pourrait penser que dans une école d'aspirant policier, le vol serait proscrit.
- Le marquis de Sade a dit : «Le pouvoir est par nature criminel.» Certains deviennent policiers pour le pouvoir, tu vois, expliquai-je.
- Attends un peu que je lui mette la main dessus, à ce vaurien.
- Tu lui feras quoi?
- Je le lui ferai payer.
- Ça ne me dit pas grand chose…
- Je vais le battre.
- Avec quoi, les arêtes de poisson qui te servent de bras? m'amusai-je.
- Eh! Je te ferai savoir que je peux être très intimidant.
- Ouh, j'ai peur, marmonnai-je.
Soudain, mes pieds décollèrent du sol et je me retrouvai en position poche de patate sur l'épaule de Zeke.
- Eh! Dépose-moi tout de suite! protestai-je.
- Ça t'apprendra à rire de ma capacité d'intimidation!
Je me mis à bouger pour lui faire perdre son équilibre. Rien à faire, j'étais coincée. Je le frappai dans le dos et partout où je pouvais l'atteindre, mais il ne broncha pas. Je finis par me décourager et le laissai faire.
- C'est bien mieux ainsi, l'entendis-je déclarer. Si tu restes sage, je te permettrai de marcher à nouveau.
- Quel con tu peux faire, Zeke!
On était presque arrivé à l'endroit où il fallait descendre les pierres. Je le savais, mais je ne voyais que le chemin déjà parcouru. Enfin, il s'arrêta. Ses mains empoignèrent mes hanches et il me fit glisser le long de son corps pour me redéposer doucement. J'eus alors énormément conscience du contact de son corps contre le mien. Une fois au sol, je levai la tête vers lui. Il me regardait intensément, et mon cœur battit la chamade. Ses mains étaient toujours sur mes hanches.
Un bruit de pas me fit sursauter, et Zeke me lâcha aussitôt. Gênée, je vis apparaître Quatre dans le petit sentier où nous nous tenions. Nous le saluâmes, et nous descendîmes vers les roches plates. Un peu plus tard, nous étions tous confortablement installés.
- La majorité des gens de notre cohorte s'est fait voler leurs objets électroniques, nous confirma Quatre.
- Alors, c'est qui, notre coupable? m'enquis-je.
- Ce n'est pas si simple. Mais le voleur, c'est évidemment Éric.
- Comment peux-tu en être certain? demanda Zeke.
- Parce que… je l'ai vu. Mais il y a plus.
Comme nous gardions le silence, il poursuivit :
- Il y a quelque chose de louche chez nos sergents dirigeants. Le sergent Amar est le seul qui peut être digne de confiance. Je crois… je crois qu'Éric vole pour obtenir des renseignements sur nous tous. Tout est dans nos téléphones, de nos jours. Il s'en servira pour ses besoins personnels, mais je pense qu'il les donnera ensuite au sergent… Max.
Je fronçai les sourcils.
- Ils veulent nous espionner? réfléchit Zeke à voix haute.
- Ou ils veulent nous surveiller, pour qu'on corresponde à ce qu'ils attendent d'eux, rectifiai-je.
Quater haussa les épaules.
- Ça pourrait être ça. Ou ça pourrait être encore plus gros. Savoir comment obtenir quelque chose de chacun de nous, ou comprendre comment on fonctionne pour nous manipuler. Je ne sais pas exactement. Tout ce que je sais, c'est que parce que je n'ai pas de téléphone, ils ne savent pas trop quoi faire de moi.
- Comment ça? m'étonnai-je.
- Je ne sais pas. Mais ils ne peuvent pas m'évincer sans raison, je suis premier. Alors, ils ne cessent de vouloir me rencontrer. C'est vraiment louche.
Je ne pouvais qu'acquiescer, de même pour Zeke.
- Je ne sais pas si se mêler de tout ça est une bonne idée, dit Zeke. Au niveau supérieur, je parle. Mais définitivement, il nous faut jouer au père Noël et récupérer les cellulaires pour les distribuer.
- Mais, sachant que les sergents eux-mêmes veulent nos informations, il ne faut pas qu'on sache que c'est nous qui avons repris les téléphones, avançai-je.
- Exactement. Il faudra donc être préparé, dit Quatre.
- Il nous faut un plan, déclara Zeke avec un grand sourire. Et j'aimerais bien que ce plan implique aussi une conséquence pour Éric. Pour lui apprendre à ne plus voler.
Perdus dans nos réflexions, un silence songeur s'installa entre nous. Dans ma tête, je voyais bien qu'il nous faudrait agir séparément. Une diversion, c'était nécessaire. Un voleur de voleur aussi, évidemment. Et la troisième personne… elle devrait éloigner les soupçons.
- Sais-tu où sont les cellulaires? demandai-je à Quatre.
Ce dernier hocha la tête.
- Ils sont dans une boîte, dans le bureau du sergent Anderson. Aussi simple que cela. Le problème, c'est qu'il y a des caméras. Je connais le système de sécurité, j'y travaille depuis le début de la session. C'est moi qui devrai aller les chercher.
- Ça n'attirera pas trop les soupçons? s'inquiéta Zeke.
- Éric ne sait pas que je l'ai vu.
Quatre semblait prêt à prendre le plus grand risque, dans l'opération. Et il n'avait même pas de téléphone!
- Ça reste risqué, ne pus-je m'empêcher de dire.
- Oui. Mais je pense qu'avec une diversion, ça augmentera mes chances de réussir.
Il nous jeta un regard appuyé. C'était logique. Zeke n'aurait aucun mal à attirer l'attention, il adorait ça. Celui-ci s'était déjà mis à réfléchir aux différentes possibilités. Mais j'étais du genre prudente, et quelque chose me semblait trop laisser au hasard dans tout ça.
- Je pense que la diversion est une bonne idée… commençai-je, mais que je devrais laisser les honneurs à Zeke seul. Moi, je monterai la garde.
Quatre fronça les sourcils.
- Tu veux dire, surveiller les caméras? Ce n'est pas nécessaire, je…
- Non, je veux dire, faire le guet. Lancer un bruit d'avertissement si je vois quelqu'un arriver, ou quelque chose comme ça.
- Ce n'est pas subtil si on est deux à manquer au groupe, remarqua Zeke.
- Pas besoin que je sois loin. Enfin, pas trop. Je pourrais déclencher une alarme, genre celle de l'auto de Zeke, avec le démarreur à distance. Tu l'entendrais, dis-je à Quatre, car il me semble que le bureau d'Anderson se trouve du côté du stationnement.
- C'est une idée, murmura Quatre, songeur.
Je regardai l'eau, réfléchissant aux différentes possibilités.
- Il nous reste à choisir quand, dit alors Zeke.
Quatre se mit à jeter des pierres dans l'eau.
- Oui, en effet… et je ne sais pas. J'ai passé les deux derniers jours à observer les habitudes des sergents… et je pense qu'il m'en faudra encore deux autres, pour être certain.
- La fin de semaine est à exclure, selon moi, remarquai-je. Il y a plus de sergents que de lapins dans une forêt.
- Je suis d'accord, dit Quatre. Un jour de semaine, peut-être vendredi. Tout est plus broche à foin ce jour-là.
- J'aurai de toute façon besoin d'aller acheter quelques trucs pour une diversion magnifique, intervint alors Zeke. Je peux y aller ce soir ou demain, alors vendredi serait parfait.
Quatre le regarda, un peu inquiet. Je comprenais ce sentiment, même si avec le temps, j'y étais habituée. Avec Zeke, on ne savait pas vraiment à quoi s'attendre ; c'était soit complètement raté, ou complètement phénoménal. Ne restait qu'à espérer que la deuxième option soit la bonne, cette fois-ci.
- Et comment on va redistribuer les cellulaires? demandai-je.
- Je pensais les confier à Amar ou à Tori, pour qu'ils s'en chargent. Ils sont dignes de confiance.
- Jeudi soir, on se revoit ici, annonça alors Zeke, parce qu'il faudra finaliser le plan, pour que tout soit parfait. Si une urgence survenait entre temps, le mot d'alerte est poisson mort.
- Poisson mort? dis-je en même temps que Quatre.
- C'est ce qui m'est venu en tête.
- Mais c'est beaucoup trop dur à placer dans une conversation normale pour que ça soit efficace! débattais-je.
- Poisson mort j'ai dit, poisson mort ce sera.
- Je vais t'en lancer un, un poisson mort, oui, marmonnai-je en plissant les yeux.
- Si tu veux, on prendra poisson mort, intervint Quatre.
Zeke m'adressa un sourire victorieux, et je levai les yeux au ciel.
Nous bavardâmes un peu de n'importe quoi par la suite, et nous retournâmes au dortoir avant la tombée de la nuit.
Lorsque je revins de la salle de bain, je vis sur mon oreiller une petite fleur des champs, bleu mauve. Étonnée, je la pris délicatement entre mes doigts et sourit. Je jetai un coup d'œil vers Zeke, mais celui-ci avait les yeux fermés et dormait.
Je la mis dans mon carnet de citations, avant de me coucher à mon tour, le cœur tout chaud.