Once More With Feeling
Les blas-blas de Xérès : Et voici venu le dernier chapitre de cette fiction, et pas des moindres. J'espère qu'il fera chavirer vos cœurs dans tous les sens du terme ! Je commencerai bientôt à publier ma seconde fanfiction Brianna x Bonnet, donc si une nouvelle aventure vous tente, stay tuned ! J'ai déjà 15 chapitres écrits d'avance et elle n'est pas finie… Une fanvid sur cette nouvelle histoire est également en préparation, réalisée par ma chère Plumette, et je la partagerai sur mon compte Facebook Xérès Malfoy dès sa sortie ! En attendant, je vous souhaite une bonne lecture et j'espère lire vos reviews très bientôt !
Et comme toujours, merci à Wizzette, Audie396 et Drknite24 pour leur soutien, ainsi qu'à tous ceux qui passent et lisent sans laisser de commentaires ! Je vous vois et je vous remercie aussi !
Chapitre 6 :
Stephen ajusta sa longue veste d'apparat en velours vert face à son miroir et un léger sourire anima ses lèvres tandis qu'il nouait les gros boutons argentés sur le devant. Brianna avait choisi cette couleur car elle faisait soi-disant ressortir ses yeux et il ne l'avait jusque-là pas crue, avant de voir enfin le résultat sur lui. Comme d'habitude, elle avait raison. On frappa à la porte et il invita la personne à entrer. Jamie Fraser apparut dans l'encadrement et referma doucement la porte derrière lui. Il sentit les yeux de l'Ecossais balayer l'intégralité de sa tenue avant d'esquisser un sourire en coin.
« La métamorphose est saisissante… On vous prendrait presque pour un gentleman. »
—Presque… », ironisa Stephen en terminant de s'habiller.
Sous couvert d'être venu voir s'il était prêt, Jamie avait surtout voulu s'assurer que Bonnet ne s'enfuirait pas en douce avant la cérémonie. Mais l'ancien pirate observait son reflet dans la glace avec une expression parfaitement sereine, ce qui rassura son beau-père.
« Prêt ? »
Stephen lui jeta un regard en coin et fronça les sourcils. « Pardon, mais… depuis tout à l'heure, je sais que l'heure approche et… je ne vois absolument plus personne dans le jardin… » Il coula un énième regard inquiet par la fenêtre mais même s'il voyait les tables et les chaises prévues pour le dîner, il n'y avait aucun invité en vue. Ni qui que ce soit à part lui et Jamie Fraser, pour être honnête.
Pour toute réponse, le sourire de Jamie s'agrandit et il sortit de la chambre sans dire un mot. Stephen le suivit dans le couloir et réalisa que l'intégralité de la demeure de Jocasta était plongée dans un silence de mort. Mais où était passé tout le monde ? Il suivit l'Ecossais dans les escaliers, puis à travers le hall d'entrée, et ils se retrouvèrent à l'extérieur où deux chevaux les attendaient, sagement attachés à un pilier de la terrasse.
« Qu'est-ce que… Où allons-nous ?
—Cessez donc de poser des questions, Monsieur Bonnet… et laissez ma fille vous surprendre.
—Pour ça, je lui fais confiance… », marmonna Stephen en montant en selle.
Le cheval de Jamie s'élança au galop sur la route, suivi de près par Stephen. Ils prirent la direction de l'Est, remontant la rivière et en une vingtaine de minutes, ils arrivèrent aux abords de l'embouchure, là où le cours d'eau se jetait dans l'océan. C'est alors qu'il les vit. Les calèches alignées le long de la plage, les chaises qui avaient été disposées dans le sable, en rang, devant une estrade placée face à la mer. Une arche avait été montée et ornée de fleurs d'un blanc immaculé, entrelacées dans du lierre d'un vert aussi profond que le velours de sa veste. Les invités s'étaient tous dispersés sur les chaises ou debout et un joyeux brouhaha s'élevait de l'assistance. Brouhaha qui se calma légèrement quand il apparut sur son cheval et découvrit les visages réjouis de Claire, Jocasta, Fergus portant Germain dans ses bras et Marsali (dont le ventre semblait sur le point d'exploser à présent). Il vit également Ian tenir timidement la main de Lizzie, ainsi que Phèdre, Ulysse et quelques autres esclaves de la plantation avec lesquels Brianna s'était liée d'amitié. Il reconnut également l'homme qui avait fait jouer ses relations pour le sortir de prison, Lord Grey, accompagné d'un jeune garçon qui devait être son fils, et le Juge Alderdyce à ses côtés.
Jamie mit pied à terre à son tour et un homme que Stephen identifia comme étant le gouverneur de Caroline du Nord, Lord Tryon, s'avança vers eux avec une expression intriguée.
« Lord Tryon, je n'imaginais pas que vous trouveriez le temps de venir assister au mariage de ma fille…, le salua Jamie, avant de remarquer que Tryon ne le regardait même pas.
—A vrai dire, je ne resterai pas. J'étais simplement curieux de savoir à quoi ressemble la jeune femme qui a su domestiquer l'un des pirates les plus sournois de l'Atlantique Nord…
—Pour être honnête, elle ressemble beaucoup à la femme qui a su domestiquer l'un des principaux leaders de la rébellion jacobite. Mais en rousse, » plaisanta Jamie en se tournant en direction de sa femme, en grande conversation avec Marsali.
Lord Tryon hocha la tête. « Tous mes vœux de bonheur, Monsieur Bonnet… », reprit-il avec un sourire narquois mais un ton néanmoins glacial. « Puissiez-vous rester longtemps hors de toute activité criminelle.
—Aussi longtemps que me le permettra ma femme…, rétorqua Bonnet sur le même ton. Pour le bien de votre économie locale, priez pour qu'elle me survive de longues années. »
Les mâchoires de Jamie se crispèrent imperceptiblement pour ne pas rire, mais Tryon ne sembla pas relever la provocation et s'éloigna pour observer l'arrivée prochaine de la mariée en retrait. Jamie fit signe à Stephen d'aller se placer au bout de l'allée et disparut en direction de la rangée de calèches. Brianna sortit de celle où elle patientait et Jamie en eut le souffle coupé. Sa robe était purement magnifique, mettant chastement en valeur ses formes. Le tissu blanc crème était brodé de fines fleurs d'un rose léger, qui couraient le long du bustier jusqu'à ses pieds. Une autre rangée de ces fleurs figurait sur le foulard noué devant son cœur. Ses cheveux bouclés étaient relevés en un chignon sage agrémenté lui aussi de petites fleurs blanches. Quand elle le vit approcher, son visage s'illumina.
« Il est prêt ? Il n'a pas fui ?, demanda-t-elle avec un petit rire.
—Il est plus que prêt, il te surnomme déjà 'sa femme'… Comment te sens-tu ?
—Parfaitement bien.
—Tu es sûre ? Il fait encore un peu chaud pour un mois d'octobre, si tu te sens mal… »
Brianna poussa un soupir exaspéré tout en riant. « Maman est donc incapable de tenir sa langue ? Je lui ai pourtant dit de ne rien dire à personne ! Ça ne se voit même pas encore… », chuchota-t-elle en s'assurant que personne ne les écoutait.
« Encore heureux, la réprimanda doucement son père. Imagine si tu avais dû passer devant le révérend avec un ventre de nouveau rond, qu'auraient pensé les gens ?
—Ils auraient pensé que papa et maman s'aiment déjà très fort, railla-t-elle comme si elle expliquait la vie à un enfant de cinq ans. Pouvons-nous y aller, maintenant ? »
Jamie lui offrit son bras, qu'elle prit avec un sourire radieux. Ils marchèrent jusqu'à la plage, où les spectateurs avaient tous pris place sur leurs chaises. Tout au bout de l'allée improvisée, Stephen l'attendait sur la petite estrade et Brianna se félicita du choix de la couleur de son costume. Elle ne parvenait tellement plus à quitter son époux des yeux qu'elle en oublia de saluer ses invités du regard en passant. Tant pis pour eux, je les verrai bien assez plus tard…, gloussa-t-elle intérieurement. Enfin, Jamie s'arrêta au niveau de Stephen pour lui présenter la main de sa fille. L'Irlandais la prit entre les siennes et Jamie s'éclipsa.
« Tu aimes le décor ? J'aurais préféré sur un bateau mais ça aurait été légèrement compliqué à organiser…, chuchota-t-elle tandis que le révérend faisait signe à tout le monde de s'asseoir.
—Je t'aime, Brianna Fraser. Et le décor aussi… », ajouta-t-il avec un sourire malicieux.
Brianna s'était figée et le fixait avec des yeux ronds. C'était la première fois qu'il prononçait ces mots, et il avait choisi de le faire ici, sur cette plage, ce jour-là. Elle comprit sans aucune peine qu'elle n'oublierait jamais ce moment de toute sa vie.
La cérémonie se déroula comme dans un rêve. Ils échangèrent leurs vœux sous le regard humide de Jamie, Claire, ainsi que de leur famille et amis. Brianna commençait à sentir une douleur sourde dans ses joues tant son sourire était rayonnant, mais elle refusait de laisser les coins de sa bouche retomber. Lorsque le mariage fut officiellement prononcé, ils se tournèrent vers leur public sous les vivats et Stephen embrassa son front tout en la serrant contre elle. Au premier rang, Claire semblait sur le point de fondre en larmes, un bras de Jamie entourant sa taille. Marsali, quant à elle, avait totalement succombé à la puissance des hormones de grossesse, et pleurait à chaudes larmes en essuyant ses joues sur la manche de Germain. Elle vit tante Jocasta sourire en se faisant discrètement décrire la scène par Ulysse. Ian et Lizzie, toujours main dans la main, devaient probablement rêver du jour où eux-mêmes se promettraient un amour éternel. Phèdre tenait Danny dans ses bras et couvait du regard celle qui était devenue plus qu'une maîtresse, mais une amie à part entière. Même les amis de son père qu'elle ne connaissait pas tous lui renvoyaient l'image de son propre bonheur.
Tout était parfait. Jusqu'à cet instant.
Quelque part près des calèches des invités, quelque chose brilla à la lumière du soleil de midi. Un éclat bref, une étincelle, qui attira son regard comme un aimant. Le canon métallique d'un long fusil étincelait sous l'astre du jour, contrastant avec la tête sombre derrière le viseur. Une tête couverte de cheveux bruns, aux sourcils épais et à la barbe toute aussi brune. Brianna comprit ce qui allait se passer avant même que la détonation ne déchire l'air.
« ROGER, NON ! », hurla-t-elle en faisant un pas sur le côté pour se placer devant Stephen.
Un cri unanime secoua l'assistance lorsque le fusil cracha son projectile en direction du jeune couple et Brianna sentit la balle traverser son épaule gauche, quelques centimètres au-dessus de son sein. Elle tomba en arrière, dans les bras de Stephen qui n'avait rien vu venir, sans vraiment savoir si elle avait été touchée ou non. N'était-ce pas censé faire atrocement mal ? Elle fronça les sourcils en entendant sa mère hurler, mais de très loin, un bourdonnement atroce lui emplissant les oreilles.
« Brianna ! »
La voix déchirante de Stephen. Il avait plaqué une main sur son épaule et l'observait à présent, rouge de sang frais. Beaucoup de sang frais. Elle vit son menton trembler, ainsi que sa main, elle vit son regard fouiller l'horizon à la recherche du tireur, le trouver, puis changer pour devenir celui d'un fou.
« Stephen… », murmura-t-elle en tentant de le retenir mais la douleur choisit ce moment précis pour la submerger et tout ce qu'elle put émettre fut un cri paniqué, tandis que les larmes se mettaient à couler toutes seules hors de ses yeux.
Au-dessus d'elle, sa mère s'affairait déjà, appliquant une pression sur la robe et nouant le foulard de Brianna autour de la blessure. Claire vit son gendre se lever comme un robot et dirigea vers lui son visage paniqué.
« Stephen… non…
—Est-ce que vous pouvez la sauver ?, demanda-t-il d'une voix rauque.
—Je peux, mais il faut la ramener à la maison, et vous aussi ! »
Malheureusement, elle l'avait perdu à « Je peux ». Stephen s'élança sur les traces de Roger à toute allure, ignorant les cris et les pleurs de Claire et de sa fille. Son esprit n'était plus qu'un mélange bouillonnant de colère et de haine. Comment avait-il pu se laisser berner par cette avalanche de bonheur, au point d'en oublier les règles les plus élémentaires : tout se paie. Être heureux ne peut se terminer que d'une seule manière : par un malheur. Et le malheur était arrivé. Mais en attendant, il ferait payer de sa vie celui qui l'avait privé de ce bonheur.
« Da' !, articula Brianna entre deux hoquets de douleur. Ne le laisse pas… Ne le laisse pas faire une bêtise. Il ne doit pas commettre le moindre crime, Da' je t'en prie… »
Jamie ne se le fit pas dire deux fois, il fit signe à Ian et Fergus de le suivre et tous trois s'élancèrent derrière Bonnet pour tenter de le ramener à la raison. Le bougre était rapide pour un homme qui se déplaçait davantage en bateau qu'à pied et ils eurent tôt fait de le perdre dans la végétation qui bordait la plage. Il ne leur restait plus qu'à tendre l'oreille et à pister ses traces dans le sable et la terre humide.
« Par ici ! », les héla Ian en retrouvant des traces de bottes, et ils reprirent leur course effrénée.
Un peu plus loin devant eux, Stephen avait presque rattrapé Roger, lorsque celui-ci trébucha sur une racine en travers du chemin. Il s'étala de tout son long et avant d'avoir pu faire le moindre geste pour se relever, Bonnet était à cheval sur lui, ravageant de ses poings son visage barbu et marqué par des mois d'errance.
« J'aurais dû te balancer par-dessus bord quand j'en ai eu l'occasion, MacKenzie », cracha-t-il d'une voix qui aurait fait frémir Lucifer et tous les démons de l'Enfer eux-mêmes.
Lorsque ses poings commencèrent à lui faire mal, le visage de Roger était quasi-méconnaissable, son nez était cassé, ses lèvres et ses arcades fendues, ses pommettes éclatées. Il haletait misérablement, crachant un mélange de bave et de sang dans sa barbe. Stephen se releva comme un pantin désarticulé et reprit son souffle. Il allait en finir tout de suite. Devait-il l'égorger ? Mais il n'avait pas pensé à ajouter de couteau à sa tenue de mariage. L'étrangler ? Ses jointures endolories prenaient une couleur violacée et il en déduisit qu'il avait dû se briser quelques phalanges. Peu adapté donc, même s'il n'était plus assez humain pour ressentir la douleur à cet instant précis. Il avisa une grosse pierre sur le chemin et sourit, dévoilant ses dents, tout en allant la ramasser. La roche pesait son poids et présentait quelques angles bien tranchants, idéal pour dépecer tout en écrasant. Il allait se faire un plaisir de tous les diables…
Revenant se poster au-dessus de Roger, il leva la main qui tenait la pierre, prêt à l'abattre sur son crâne, lorsque la voix de stentor de Jamie Fraser s'éleva dans son dos.
« BONNET, NE FAITES PAS ÇA. »
Stephen se retourna et c'est le visage d'un démon que Jamie vit apparaître sous ses yeux. A côté de lui, Ian et Fergus firent aussitôt deux pas en arrière, et Jamie dut s'avouer qu'il n'était pas loin de faire de même.
« Allons, M'sieur Fraser…, répondit le pirate d'une voix affreusement mielleuse. Osez me dire que vous ne rêvez pas de le faire à ma place…
—Ce serait mentir, en effet, mais je pense avant tout à ce que je perdrais si je tuais cet homme de mes mains. Et vous ? À quoi pensez-vous si ce n'est à la haine qui vous ronge ?
—Il a tiré sur Brianna…, feula Stephen, sa lèvre retroussée dévoilant ses canines. Il a attendu que nous nous soyons dit oui et que nous soyons au moment le plus heureux de cette journée pour lui tirer une balle en pleine poitrine. Et selon vous, c'est moi qui suis rongé par la haine ?
—La balle… était pour vous… », crachota Roger depuis le sol. Stephen reporta son attention sur lui et sembla se rappeler qu'il avait un travail à terminer, car il releva bien haut la pierre au-dessus de la tête de l'Ecossais.
« Si vous le tuez, il aura gagné…, reprit Jamie d'une voix plus douce. Il aura gagné car même s'il n'aura jamais Brianna, vous non plus. Vous retournerez en prison et serez exécuté…
—Au moins je mourrai avec la satisfaction que cet homme n'est plus de ce monde…
—Et vous ne reverriez plus jamais Brianna. Ni Danny… Et vous ne connaîtrez jamais votre deuxième enfant. »
Le bras de Stephen s'abaissa légèrement et il se retourna de nouveau vers Jamie, ses yeux lançant des éclairs.
« Brianna est de nouveau enceinte… », reprit Jamie, en sentant qu'il avait enfin capté son attention. « C'est tout récent, à peine deux mois, c'est pourquoi seule sa mère est encore au courant. Stephen, votre place n'est pas ici, mais à ses côtés. Lorsque Claire lui aura sauvé la vie, peut-être que son corps n'aura plus la force de conserver cet enfant, et à ce moment-là vous devrez être avec elle. Pas ici et encore moins en prison. »
La respiration de Bonnet était toujours saccadée et il fixait le visage tuméfié et sanguinolent de Roger avec une folle envie de tout réduire en bouillie.
« Rien ne sert de lutter contre votre vraie nature, Bonnet… Tuez-moi, qu'on en finisse », siffla Roger avec un sourire de guingois.
Jamie serra les poings, se retenant de se jeter lui-même sur MacKenzie pour l'achever. Cet homme avait prétendu aimer sa fille et pourtant il s'était terré pendant des mois comme un rat, attendant le moment où il pourrait presser la détente et plonger toute la famille dans le deuil. « Brianna a toujours cru en vous, en votre capacité à devenir meilleur. Et même si je n'aurais pas parié un shilling sur vous il y a encore quelques mois de cela, vous nous avez prouvé à tous qu'elle ne pouvait rêver d'un meilleur homme avec lequel passer sa vie. D'un meilleur père pour Danny et tous ceux qui viendront après lui. Et je suis fier de pouvoir dire aujourd'hui que vous faites partie de mon clan. »
La pierre retomba mollement sur le sol avec un bruit sourd, tandis que le bras de Bonnet retombait lui aussi sur sa cuisse. Il se releva lentement et quand il se retourna, Jamie ne trouva dans ses yeux que le regard d'un enfant perdu, tremblant de peur à l'idée de perdre la femme de sa vie.
« Rentrez à River Run, nous nous occupons de lui », gronda Jamie en reportant son attention sur Roger. Celui-ci laissa retomber son crâne sur le sol et Stephen le dévisagea un moment encore. Un simple coup de botte bien placé aurait pu l'achever et bien que cette idée le séduise toujours, les mots de Fraser avaient fait mouche. Stephen n'avait jamais vraiment eu de famille, encore moins de « clan ». Mais aujourd'hui, il avait une femme, un enfant et peut-être bientôt deux, des beaux-parents, des amis… Les Fraser leur avaient annoncé qu'ils leur donnaient le chalet en cadeau de mariage, maintenant que la maison principale qui abriterait le cabinet de Claire était terminée. Sa vie avec Brianna ne faisait que commencer.
Autrefois, quand il se faisait arrêter, il ne perdait qu'un bateau dans le pire des cas, un peu de marchandise, rien qui ne se rachète. Ce qu'il pouvait perdre aujourd'hui était irremplaçable et n'avait pas de prix. Il recula doucement, sous le regard attentif des trois hommes, puis disparut pour rebrousser chemin jusqu'à la plage.
Lorsqu'il y parvint, ne restaient que les vestiges de cette magnifique journée à jamais gâchée. La première chose qu'il vit fut l'énorme tâche de sang qui maculait l'estrade et le sable blanc à ses pieds. Mais Brianna n'était plus là, Claire et Marsali manquaient également à l'appel.
« Monsieur Bonnet », fit la voix tremblante de Phèdre quelque part sur sa droite. Il vit son air effrayé et réalisa qu'il était couvert de sang. Le sang de Brianna sur son costume et celui de Roger sur ses poings et ses manches. La servante tenait Danny dans ses bras et il courut le lui prendre pour serrer son fils contre lui. « Madame Claire a fait transporter votre femme dans une calèche, elle va l'opérer à River Run. J'ai fait préparer quelqu'un si vous voulez pour vous y conduire… »
Stephen secoua la tête et fourra de nouveau le bébé dans les bras de Phèdre. « Vous, prenez la calèche avec Danny, je vais prendre mon cheval. » Il caressa une dernière fois la tête de son fils et partit défaire la bride de l'animal qu'il avait pris pour venir à peine une petite heure plus tôt. Il mit à peine une dizaine de minutes pour parcourir la distance qu'ils avaient faite en vingt à l'aller. Arrivé à la maison, d'autres traces de sang maculaient le perron et il les suivit jusqu'à la salle à manger, où Claire avait fait allonger Brianna sur la grande table. La robe blanche avait été déchirée en travers de son torse, pour exposer le site chirurgical et Marsali venait de reboucher le flacon de laudanum qui avait servi à endormir la blessée. De ses mains tremblantes, Claire stérilisait ses instruments à l'alcool et prit le temps de se calmer quelques secondes avant de repasser dans la peau de la chirurgienne et plus de la mère affolée.
« La balle a traversé sans sectionner l'artère sous-clavière ni perforer le haut du poumon…, récita Claire, ses vieux réflexes de chirurgienne reprenant le dessus. La balle a été légèrement déviée par l'omoplate… » Elle fronça les sourcils, comprimant de nouveau la plaie qu'elle avait temporairement exposée pour observer les dégâts. « Marsali, donne-moi l'alcool… »
Marsali, qui venait de remarquer la présence de Stephen, s'était figée, submergée par l'expression déchirante du jeune marié. Claire leva la tête et suivit son regard. Tout ce sang… vient-il de tuer Roger ? Elle s'interdit de penser « Bien fait pour lui » et se reconcentra sur sa tâche. « Marsali !, répéta-t-elle un peu plus fort.
—Désolée », s'exclama la blonde en préparant une série de compresses imbibées d'alcool pour les passer à Claire.
A bout de souffle, Stephen se laissa tomber à genoux, se sentant à peu près aussi inutile que le jour où Danny était né. Il ferma les yeux mais tout ce qu'il voyait derrière l'écran sombre de ses paupières était la tâche de sang rouge qui s'agrandissait peu à peu sur la robe immaculée de sa tendre Brianna. Brianna qui n'avait pas hésité une seule seconde à s'interposer entre lui et la balle qui lui était destinée alors même qu'elle était enceinte de quelques semaines seulement.
« Elle va s'en sortir… », fit la voix de Claire quelque part dans le lointain.
Stephen rouvrit les yeux et dévisagea la guérisseuse qui s'affairait sur le corps sans défense de sa fille. « Et le bébé… ?, demanda-t-il dans un souffle
—Ça, il est encore trop tôt pour le savoir…, fit-elle avec un froncement de sourcil tout en préparant de quoi faire une suture. Mais vous en aurez d'autres. Je vous le promets… »
Une boule de compresses souillées tomba de la table jusque sur le sol et Stephen se contenta de fixer le précieux sang de Brianna imbiber le tapis en ne pensant qu'à une seule chose : si elle ne survivait pas, il n'aurait plus qu'à retourner achever MacKenzie et se livrer aux autorités. Il n'essaierait même pas de fuir et accueillerait la corde autour de son cou comme une délivrance. La seule idée de retourner à une existence dont Brianna ne faisait pas partie le révoltait. Comment pourrait-il reprendre la mer en sachant qu'elle n'attendrait pas son retour au port ? Comment pourrait-il s'endormir le soir sans sentir ses bras chauds autour de lui ? Comment pourrait-il respirer en sachant qu'elle ne respirait plus ? Le moindre geste, la moindre fonction vitale, lui semblait vain et inutile si elle n'était pas là pour le partager avec lui.
C'est le moment que choisirent Phèdre, Ulysse et Jocasta pour faire irruption dans le hall d'entrée. Le regard vide de Stephen se tourna vers eux et Phèdre sentit ses yeux se remplir de larmes devant son expression abattue, persuadée que Brianna était morte. Mais un coup d'œil dans le salon lui suffit pour comprendre que Claire Fraser n'avait pas fini de faire des miracles. Alors elle s'approcha de Stephen pour s'agenouiller devant lui.
« Prenez votre enfant, Monsieur… Cela vous ramènera un peu d'espoir… », dit-elle doucement en lui glissant son fils dans les bras.
Stephen s'exécuta comme un robot, avant de se figer. Ses mains étaient maculées et encroûtées de sang séché et de boue. L'idée même de toucher son fils avec le sang de l'homme qui avait tenté de tuer sa mère lui était intolérable. « Mes mains…, protesta-t-il faiblement, mais Phèdre l'empêcha de lui rendre l'enfant.
—Ce n'est pas grave, Monsieur… ce n'est pas grave… » Elle répétait les mêmes mots dans un souffle, tout en imprimant une pression de ses mains sur le bras droit de l'Irlandais. Stephen baissa le nez et effleura de son front celui de Danny. Brianna ne pouvait pas mourir. Pas alors qu'ils avaient un enfant à voir grandir ensemble. Pas après tout le mal qu'ils s'étaient donné pour être enfin heureux tous les trois. Cela n'avait aucun sens. Aucun. Il ferma les yeux, respirant à pleins poumons l'odeur de son fils et pour la première fois de sa vie, il se mit à prier.
~o~
« Il te plaît ?, demanda-t-il dans son dos, alors qu'elle découvrait le berceau qu'il avait sculpté pendant des jours pour leur futur enfant. Il la vit faire volte-face, la bouche grande ouverte.
—S'il me plaît ? Tu es sérieux ? Je… J'en ai oublié de respirer, Stephen. De respirer !
—Donc c'est un oui.
—Mais bien sûr que oui, idiot. » Avec un rire complètement fou, elle se jeta à son cou, avant de se raviser et de s'écarter à nouveau de lui pour admirer son œuvre. « Il est… incroyable ! »
Elle passa doucement ses mains sur le bois avant de se retourner lentement vers lui, toute joie disparue de son visage. « Je suis désolée… que nous ne puissions plus jamais revivre le bonheur d'avoir un autre enfant…, murmura-t-elle les yeux pleins de larmes. Pardonne-moi… »
« Hein ? », fit la voix de Stephen, son cœur battant à tout rompre. Quelque chose n'allait pas dans ce souvenir. Ce n'était pas comme ça que les choses s'étaient passées. Mais avant qu'il n'ait pu faire le moindre geste, un coup de tonnerre résonna dans la remise et le corsage de Brianna, qui s'était transformé en robe de mariée sans qu'il ne s'en soit aperçu, se perfora, laissant échapper un flot de sang. « Non… Bri-
« Monsieur Bonnet ! »
Il sursauta, réprimant un hurlement, et balaya de ses yeux hagards la pièce où il se trouvait, à la recherche du sang qui s'échappait de la plaie béante dans la poitrine de sa femme. Mais point de Brianna, ni de remise, ni de sang. Il se trouvait toujours recroquevillé sur le sol, à l'entrée de la salle à manger, son fils endormi dans ses bras. Il leva aussitôt les yeux vers la table mais Brianna ne s'y trouvait plus. Seul subsistait un amas de compresses sanguinolentes, d'instruments souillés, de bouteilles d'alcool vides et les vestiges déchirés de la robe de mariée.
« Où est-elle ?
—Je l'ai faite transporter dans votre chambre. J'ai réussi à nettoyer et suturer les tissus endommagés rapidement, mais les prochaines quarante-huit heures seront décisives. Il y a toujours un risque d'infection… », expliqua Claire en se baissant pour se mettre à sa hauteur. « Me permettez-vous de vous prendre Danny, pour que je puisse jeter un œil à vos mains ? »
Il sembla hésiter un moment avant de hocher la tête imperceptiblement. Avec la plus grande douceur du monde, Claire lui retira Danny des bras pour le passer à Phèdre et lui fit signe de la suivre dans la salle à manger. Stephen s'assit sur une chaise, son regard hypnotisé par les restes de la bataille qui s'était menée entre la chirurgienne et sa patiente.
« Elle est forte et je suis intervenue rapidement…, murmura Claire en captant son regard. Essayez de tendre les doigts. »
Stephen reporta son attention sur ses mains et les posa sur la table. Aucun problème avec la gauche, si ce n'était une légère douleur diffuse dans l'ensemble du poing. La main droite en revanche s'était refroidie avec l'immobilité et il poussa un grognement de douleur lorsque deux de ses doigts refusèrent tout simplement d'obtempérer. Claire s'approcha et palpa doucement le majeur et l'annulaire. Les fractures semblaient nettes, internes et en l'absence d'un bloc opératoire entièrement équipé, elle ne pouvait pas proposer mieux qu'une réduction fermée et une attelle. Il aurait peut-être toujours un problème de mobilité sur cette main ou une légère distorsion mais quel homme du dix-huitième siècle n'avait pas ce genre d'imperfections dues à des blessures mal soignées ? « Je vais devoir réduire les fractures sur ces deux doigts… » Elle palpa les autres et les fit bouger avec prudence. « Les autres sont seulement meurtris, peut-être une légère entorse ici… mais la priorité ce sont les deux doigts du milieu. Ulysse, voudriez-vous bien immobiliser le bras de Monsieur Bonnet sur la table ? »
Le majordome s'avança et se laissa guider par la guérisseuse pour placer ses mains correctement sur le bras de l'Irlandais.
« Je vais compter jusqu'à trois, prévint Claire en positionnant ses doigts sur le majeur de Stephen, qui serra les dents. Un… deux… »
Avec un craquement, elle replaça l'os dans sa position naturelle et Stephen lâcha un chapelet de jurons irlandais, tandis qu'Ulysse appuyait de toutes ses forces sur son bras.
« Par les couilles de Neptune, qu'est-il arrivé au 'trois' », aboya-t-il tandis que Phèdre posait une main sur les oreilles du bébé et l'emmenait un peu plus loin.
« La douleur est pire quand on s'y attend… Il reste l'annulaire, ne bougez pas… Un… deux… »
Cette fois, Claire vit Stephen se tendre dès le 'deux' mais attendit. Après quelques secondes de silence, il aboya de nouveau : « Mais qu'est-ce que vous attend- » Nouveau craquement sonore, nouveau grognement de douleur. La tête de Stephen s'abattit sur la table tandis qu'il attendait patiemment que la douleur cuisante s'atténue.
« Vous vous vengez, n'est-ce pas… pour votre alliance…, grogna-t-il, le front toujours pressé contre la table.
—Je mentirais si je disais que cela ne m'avait pas traversé l'esprit », rétorqua Claire avec un sourire, tout en immobilisant les doigts fracturés par quelques baguettes de bois fin entourées de bandages. « Mais au moins, maintenant nous sommes quittes. » Claire rassembla ses affaires et une expression inquiète reprit place sur ses traits. « Vous n'avez pas fait de bêtise, n'est-ce pas ? Roger est toujours en vie ? »
Stephen baissa les yeux sur ses mains. « Uniquement parce que votre mari est intervenu juste avant que je l'achève…
—J'en suis heureuse… Je ne vois pas quel bien cela aurait fait à Brianna de lui sauver la vie si j'avais dû lui annoncer votre mise à mort à son réveil. » Elle se leva et commença à rassembler ses ustensiles pour aller les nettoyer. « Montez vous laver et vous changer. Ensuite, vous pourrez vous allonger près d'elle. Elle le sentira. »
Stephen se leva à son tour comme si le poids du monde pesait sur ses épaules. A l'étage, il se débarrassa de ses vêtements avec une grimace. Le bonheur et la fierté qu'il avait ressentis en les enfilant le matin-même lui semblaient tellement loin, presque comme un souvenir d'une autre vie. Il jeta un regard à sa main droite bandée, sentant encore le poids de la pierre qu'il destinait au crâne de MacKenzie. Même après près d'un an sans avoir commis le moindre crime, la violence que Brianna avait enfouie au plus profond de lui avait refait surface avec une rapidité et une facilité déconcertantes. MacKenzie avait raison, c'était sa vraie nature, mais de la même façon que sa mère soignait les blessures du corps, Brianna avait soigné les blessures de son âme et changé sa nature profonde. Le plus effrayant était de constater que l'idée qu'elle puisse mourir avant lui avait fait ressurgir ses plus sombres démons. Il avait nettement vu les expressions terrorisées de Fergus et d'Ian quand il s'était retourné vers eux. Pourraient-ils un jour avoir de nouveau confiance en lui ? Sûrement pas.
Lentement, il préleva un peu d'eau et de savon dans un bac d'eau froide posé là depuis le matin et nettoya chaque goutte de sang qui souillait sa peau. La brosse et l'eau se teintèrent rapidement de rose. Après quelques minutes, il enfila une chemise, un pantalon de toile simple et poussa la porte de leur chambre. Brianna était étendue sur le lit, sa peau encore plus pâle que d'habitude. Toute la partie gauche de son torse était enveloppée de bandages et ses yeux étaient désespérément clos. Elle respirait normalement, paisiblement même. Stephen avait l'impression que son cœur était en train de se briser en mille morceaux. Il s'étendit à ses côtés, n'osant pas la toucher de peur de lui faire mal et se contenta de prendre sa main droite dans la sienne.
Combien de fois fallait-il qu'elle lui sauve la vie… ? Une fois passait encore, elle n'avait rien risqué pour le faire sortir de prison. Mais ça ? Sauver sa peau au détriment de sa propre existence ? Il ne pouvait le tolérer et il serait volontiers retourné quelques heures en arrière pour voir arriver Roger le premier et le laisser lui tirer une balle en plein cœur. Car c'était précisément ce qu'il se serait passé si Brianna ne s'était pas interposée et ne l'avait pas bousculé. Le tir était parfait, d'une précision meurtrière, indiquant des mois et des mois d'entraînement. La seule chose qui avait sauvé Brianna était sa plus petite taille, la balle ayant atteint son épaule plutôt que son organe vital.
Les seize heures qui suivirent furent les plus longues de toute sa vie. Malgré les quelques mots que Claire était venue lui glisser à un moment donné, il n'avait pas bougé d'un cil, ne s'était pas levé, n'avait pas mangé ni bu une goutte d'eau. Il se refusait à esquisser le moindre mouvement tant que son amour ne bougeait pas elle-même, comme si la seule idée de continuer à vivre normalement tant qu'elle était endormie était une insulte à son sacrifice.
Exténué, il finit par sombrer à son tour.
~o~
La main de Brianna était fraîche sur sa joue et il savoura ce contact divin, priant pour ne jamais se réveiller de son rêve. S'il fallait rester à jamais dans les limbes du sommeil pour la sentir le toucher à nouveau, alors il cèderait avec plaisir. Mais il sentait le poids de son corps sur le matelas, quelques bribes de conversation au rez-de-chaussée et les rayons d'un soleil radieux qui traversaient ses paupières closes. C'est à cet instant précis qu'il comprit qu'il n'était plus profondément endormi. Se redressant d'un bond, il ouvrit les yeux et la première chose qu'il vit furent les deux iris bleus de Brianna posés sur lui. Elle esquissa un faible sourire tandis qu'il fondait littéralement sur elle pour embrasser son front, son nez, ses lèvres, chaque centimètre de peau accessible.
« J'ai cru que je t'avais perdue… », murmura-t-il en ponctuant chaque phrase de baisers. « Pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi ? Tu es complètement folle…
—Je n'avais pas le choix…, souffla-t-elle d'une voix à peine audible. Tu m'as dit 'Je t'aime', j'étais obligée… »
Stephen ferma les yeux et pressa son front contre le sien. Il les rouvrit en l'entendant émettre un gémissement.
« Peux-tu appeler ma mère ?, fit-elle avec une grimace. J'ai mal, tellement mal… »
Stephen bondit hors du lit et dévala les escaliers, trouvant Claire, Jamie et Murtagh, réapparu après des mois de cavale, en grande conversation dans le salon. Claire s'interrompit en le voyant et lui jeta un regard alarmé.
« Elle est réveillée… et elle souffre…, haleta-t-il tandis que Claire se ruait sur sa boîte de plantes médicinales.
—Restez là, je m'en occupe », fit Claire à la cantonade.
Stephen attendit qu'elle ait atteint le premier étage pour se tourner vers les deux hommes. « Où est MacKenzie ? » Son visage était sombre et Jamie vit qu'il pouvait encore craquer à n'importe quel moment.
Les deux Ecossais échangèrent un regard.
« Nous l'avons enfermé et ligoté dans la grange, temporairement…, commença Jamie, tandis que Stephen sentait une nouvelle fois le sang bouillir dans ses veines.
—Sa place est sur la potence…
—Nous ne pouvons pas le livrer à la justice !, ajouta Fraser, le regard fuyant.
—Pourquoi pas ? Il a failli tuer Brianna ! Votre fille, par Danu ! »
La sensation que les deux hommes ne lui disaient pas tout le prit aux tripes, sensation qui fut confirmée lorsque Claire réapparut en haut des escaliers, alertée par leurs hurlements.
« Jamie !, aboya-t-elle en le fusillant du regard. Pas maintenant. »
Quoi, elle aussi ?, pensa Stephen en les regardant tour à tour tous les trois avec dégoût. Il recula lentement en secouant la tête et avant que les autres n'aient pu faire un geste, il s'était rué vers la sortie, bien décidé à achever MacKenzie puisque personne ne semblait vouloir lui donner la punition qu'il méritait. Mais c'était sans compter sur le jeune Ian, sorti de nulle part, qui frappa dans son tibia de toutes ses forces pour le faire basculer à terre.
« Désolé… », s'excusa-t-il précipitamment avec une grimace en voyant les iris verts de l'Irlandais le tuer littéralement sur place. Mais il n'eut pas le temps de dire le fond de sa pensée au jeune garçon, Murtagh se tenait au-dessus de lui, le poing serré.
« Pardonne-moi, mon garçon, mais c'est pour ton bien… », grommela le vieil homme avant de l'envoyer dans les bras de Morphée d'un coup de poing bien senti.
Le silence retomba dans le hall d'entrée, tandis qu'Ian regardait, catastrophé, la tête du pirate retomber mollement sur le sol, inerte. « On est morts… on est tous morts… Il va se venger et on sera tous morts… »
Jamie lui jeta un regard en coin et soupira. « Aidez-moi, on va le remonter dans sa chambre. Seule la présence de Brianna pourra l'empêcher d'entrer dans cette grange… »
Ian saisit un bras, Murtagh le second et Jamie les pieds, et c'est ainsi qu'ils remontèrent l'escalier en soufflant. Le marin pesait son poids.
Dans la chambre, Brianna grimaça tandis que sa mère préparait une décoction d'écorce de saule blanc, un antidouleur et anti-inflammatoire naturel. « Tu souffres beaucoup ?, lui demanda Claire, inquiète.
—Assez…, mais ce n'était pas tellement pour ça que je voulais que tu viennes… » Brianna fronça les sourcils et posa sa main valide sur son ventre. « Est-ce que… tu as vu si … ?
—Tu n'as pas encore fait de fausse couche, si c'est ta question…, répondit Claire avec une expression triste. Mais tu n'es pas encore hors de danger… »
Brianna hocha la tête, légèrement soulagée malgré tout. « Je n'arrive pas à croire que Roger… » Sa voix se brisa et pour la première fois depuis son réveil, l'horreur des événements de la veille lui sembla insupportable. Elle fondit en larmes. « Il aurait pu choisir n'importe quel autre moment, n'importe quel autre jour… Quelle espèce de monstre peut faire ça ? »
Claire se précipitait pour la serrer dans ses bras en prenant garde à sa blessure, lorsque la porte de la chambre s'ouvrit toute grande sur Ian, Murtagh et Jamie traînant le pauvre Bonnet inerte jusque sur le lit.
« Mais… ? », fut tout ce que parvint à articuler Brianna, les yeux pleins de larmes.
« Il allait tuer Roger, cousine, on a fait ce qu'on a pu… », s'excusa Ian en s'épongeant le front, tandis que Jamie renchérissait :
« Nous nous sommes dit qu'à son réveil, il ne serait sûrement pas très content et que toi seule saurait le maîtriser… »
La blessée darda un regard meurtrier vers chacun des trois Ecossais et ils eurent soudain la fâcheuse impression que Bonnet avait changé de corps et possédé celui de la jeune femme. « Dehors ! », aboya Brianna, tandis que Claire leur faisait signe de déguerpir aussi vite que possible. Cinq secondes plus tard, elles étaient de nouveau seules avec un pirate dans les vapes.
~o~
Stephen ne refit surface qu'une bonne heure plus tard, avec une migraine de tous les diables. Poussant un grognement, il s'assit sur le lit et sentit aussitôt la main valide de Brianna se poser sur la sienne.
« Est-ce que ça va ?, demanda-t-elle avec douceur.
—Ça fait deux fois…, répondit-il dans un grognement. Deux fois que Fitzgibbons me met son poing dans la figure…
—Tu étais ingérable…
—Peut-être, mais j'ai une règle : je ne laisse jamais le même homme me frapper deux fois, question de principes…
—Stephen…
Le ton de Brianna était devenu menaçant et il la vit plisser les yeux.
—Bon, bon… mais il n'y en aura pas trois, je te préviens. »
Elle sourit tendrement et tendit son bras droit vers lui pour l'inviter à se blottir contre elle, ce qu'il fit sans hésiter. Il posa doucement la tête sur son ventre, puis de sa main fracturée, caressa délicatement le tissu de sa chemise de nuit, tandis qu'elle glissait ses doigts dans ses cheveux blonds. Lorsqu'il tourna légèrement la tête pour embrasser la zone près de son nombril, elle poussa un soupir faussement exaspéré.
« Tu es au courant, n'est-ce pas ? Personne n'est donc fichu de garder un secret dans cette maison ?, gloussa-t-elle tandis qu'il souriait contre son ventre.
—C'est en l'éventant que ton père m'a fait revenir à la raison. Sans ça… » Il frémit en se remémorant la vague de folie qui l'avait submergé et qui menaçait toujours de refaire surface. « Le secret de la cérémonie sur la plage, en revanche… Une vraie surprise…
—Hum… J'aurais peut-être mieux fait d'opter pour le bateau, finalement… »
Stephen se redressa pour la regarder et hocha la tête plusieurs fois, sa bouche formant un U à l'envers, provoquant l'hilarité de sa compagne. Le silence retomba entre eux, le souvenir de cette journée revenant à la charge.
« Tu sais… jusqu'à cette seconde où j'ai entendu le coup de feu... » Il reposa sa tête sur le ventre de Brianna, pensif. « Avant ça, je n'avais jamais été aussi heureux de toute ma vie…
—Même pas à la naissance de Danny ?
—Grands dieux, non, j'ai passé la moitié de la journée terrorisé. J'ai été heureux mais après… »
Brianna rit de nouveau avant de grimacer de douleur. Après un nouveau silence, elle reprit ses caresses dans ses cheveux. « Promets-moi que tu laisseras Murtagh et papa s'occuper de Roger… Je ne veux plus qu'il t'approche, plus jamais… » Comme Stephen ne répondait pas, elle tira légèrement sur une mèche de cheveux blonds, comme on tirerait l'oreille d'un enfant récalcitrant. « Promets-moi…
—Non. Trop dangereux, bougonna-t-il.
—Quoi ?
—La dernière fois que j'ai promis quelque chose à une femme… et c'est tout récent, hein, une histoire de l'aimer, de la chérir, de l'honorer et de lui être fidèle je crois… je ne me rappelle plus vraiment… figure-toi qu'un homme est sorti de nulle part et lui a tiré dessus. Trop dangereux. »
Brianna pouffa, ce qui réveilla de nouveau la douleur dans son épaule gauche. Elle avait peine à croire qu'ils plaisantaient déjà à ce sujet alors qu'une heure plus tôt, sans sa présence apaisante, il était encore décidé à tuer Roger de ses mains. Cela renforça l'impression qu'elle avait toujours eue dès le premier soir en sa compagnie : ensemble, ils pouvaient rire de tout, se consoler de tout, guérir de tout. Séparément, c'était une autre histoire. Elle ne put s'empêcher de faire le parallèle avec sa mère, qui séparée de son grand amour, n'avait semé que la désolation dans sa vie avec Frank alors qu'une fois revenue à Jamie, elle était redevenue la plus incroyable et la plus résiliente des femmes.
Peut-être Brianna avait-elle la même résilience et la même capacité à faire des miracles quand elle était avec Stephen ? Dans ce cas, il n'y avait plus le moindre doute, ils ne devraient jamais se quitter. Jamais. Doucement, tout en se caressant mutuellement, l'apaisement laissa la place à la fatigue, et ils sombrèrent tous les deux dans le sommeil.
~o~
Lorsque Stephen se réveilla, il faisait nuit noire. Il sentit que son cœur battait la chamade, comme si quelque chose l'avait réveillé en sursaut. La pièce était plongée dans le noir, à peine éclairée par la lueur de la lune à travers les nuages. Il se retourna et vit Brianna, toujours profondément endormie. C'est lorsque le bruit qui l'avait tiré de ses rêves se reproduisit qu'il comprit. Un grincement de roues mal huilées, le claquement des sabots d'un cheval. En faisant le moins de bruit possible, il se leva et s'approcha de la fenêtre. Au loin, en direction de la grange, deux torches brûlaient et se déplaçaient dans la nuit, portées par deux silhouettes sombres. Une carriole attendait devant la grange et Stephen poussa intérieurement un juron. Sans réveiller Brianna, il sortit de la chambre et descendit l'escalier à pas de loups, trouva ses bottes dans un coin, les enfila et s'élança dans la nuit noire.
Près de la grange, Jamie Fraser tendit sa propre torche à Murtagh, sans remarquer la silhouette dissimulée dans les ombres qui approchait d'eux. Il ouvrit la porte de la grange et reprit sa lampe improvisée avant de s'y engouffrer, suivi de son parrain.
« Levez-vous… », gronda Jamie à la silhouette prostrée de Roger dans un coin. Un bruit métallique accompagna son geste et une fois sur ses pieds, Roger tendit les mains pour qu'on le libère de ses chaînes.
« Où allons-nous », demanda-t-il d'une voix nasillarde, sûrement à cause de son nez cassé. Jamie se planta devant lui avec un air menaçant :
« Vous rentrez en Ecosse… Murtagh doit quitter la Caroline quelque temps pour sa sécurité, il vous escortera à travers l'océan, puis jusqu'à Craigh na Dun. Ensuite, vous repasserez par les pierres et lorsque vous serez de retour au vingtième siècle, n'oubliez pas d'y rester à tout jamais. Si j'entends un jour que vous avez remis le moindre orteil à notre époque, je ne serai pas aussi clément. »
Roger le dévisagea avec une expression apeurée, à peine visible derrière les ecchymoses et les bosses qui couvraient son visage. « Est-ce que… Est-ce que Brianna va bien… ? Sans antibiotiques, elle- »
Il ne put jamais finir sa phrase. Jamie le projeta violemment contre la paroi de la grange, qui sembla s'ébranler toute entière sous le choc. « Ne prononcez plus jamais son prénom, MacKenzie, si vous ne voulez pas rentrer en 1971 sans votre langue.
—Fais-le, Mac Dubh, ironisa Murtagh, ça rendra peut-être service à ses contemporains. »
Roger jeta un regard mauvais en direction de Murtagh, puis se figea, les yeux écarquillés d'horreur. Derrière le parrain de Jamie, une silhouette imposante était apparue, encore épargnée par la lueur des torches. Mais Roger n'eut pas besoin d'éclairage pour savoir de qui il s'agissait.
« Je ne vous laisserai pas l'emmener… », fit la silhouette, surprenant Murtagh et Jamie qui firent volte-face dans un sursaut.
Stephen n'avait pas saisi toute la conversation, des zones d'ombre farfelues subsistaient comme la mention de pierres, d'une année ridiculement éloignée de la leur, mais il avait compris l'essentiel : à savoir que Jamie Fraser voulait faire embarquer MacKenzie sur un bateau pour l'Ecosse en croyant naïvement qu'il ne reviendrait pas. Mais il reviendrait. N'avait-il pas déjà attendu patiemment quatre mois entiers dans la nature pour commettre son crime odieux ? Penser qu'un océan l'arrêterait était stupide.
« Bonnet, restez en-dehors de ça… », gronda Murtagh, menaçant, mais Stephen s'était placé à bonne distance de lui, par sécurité.
Tu ne m'auras pas trois fois, vieux grigou, pensa Stephen en le contournant lentement.
« Le plus saint des hommes serait devenu fou, si on lui avait fait ce que MacKenzie vous a fait, et je ne peux que comprendre votre désir de vengeance… », fit Jamie en levant une main devant lui en signe d'apaisement. « Mais il y a des choses qui vous dépassent dans cette histoire…
—Expliquez-les-moi, je suis toute ouïe, feula Stephen sans cesser de regarder Roger, comme un lion devant sa proie.
—Mac Dubh, on n'a pas le temps pour ça… », marmonna Murtagh en jetant un regard d'avertissement à Jamie. Le bateau sur lequel ils devaient repartir était un navire de contrebande, du même acabit que le Gloriana, et dont le capitaine était peu regardant sur le casier judiciaire de ses passagers. En revanche, il insistait sur une ponctualité à toute épreuve.
Jamie hocha la tête et, la main toujours tendue en direction de Bonnet, reprit la parole : « Venez avec nous, nous vous expliquerons en chemin… Mais il faut absolument que Murtagh monte dans ce bateau, lui aussi. » Jamie fit signe à Roger d'avancer vers la charrette et celui-ci s'exécuta avec des gestes lents, sous le regard inflexible de Stephen. « Prenez un cheval et suivez-nous… »
Tandis qu'ils faisaient monter Roger à l'arrière, Stephen s'enfonça dans la grange pour aller chercher un des chevaux installés dans des box tout au fond. Il le sella et monta dessus au moment où la charrette s'engageait sur la route. Ils galopèrent ainsi une bonne trentaine de minutes, jusqu'à une petite crique isolée uniquement dotée d'un ponton vétuste. Un navire y était amarré, plongé dans l'obscurité. La charrette s'arrêta brusquement et il vit Jamie en descendre, juste avant que Murtagh ne reparte pour aller jusqu'au ponton. Jamie s'approcha du cheval de Stephen et en saisit la bride pour l'empêcher d'aller plus loin.
« C'est un navire de contrebande, si je vous laisse aller plus loin et que nous sommes repérés, vous serez en violation des conditions de votre libération…
—J'exige des explications », le coupa brutalement Stephen du haut de son cheval.
Jamie pinça les lèvres et hocha la tête lentement. « Qu'avez-vous entendu dans la grange, exactement…
—Rien qui n'ait le moindre sens, si vous voulez mon avis. »
Jamie esquissa un sourire. « Ne vous êtes-vous jamais interrogé sur les connaissances incroyables de Claire en médecine ? Les idées parfois étranges de Brianna sur la société et son refus des traditions ?
—Plus de fois qu'elle n'aimerait que je l'admette… », répondit-il sans vraiment savoir où son beau-père voulait en venir.
« Quand j'ai rencontré Claire, elle était perdue dans la forêt, effrayée et seule. Elle avait des connaissances inimaginables sur le corps humain et les blessures en tout genre, mais aussi sur l'Histoire et étrangement… un peu l'avenir. Au point que des femmes de notre village l'ont accusée de sorcellerie et fait arrêter…
—Ridicule…, marmonna Stephen entre ses dents.
—Pas tant que ça », rétorqua Jamie avec un sourire triste. « Claire n'est pas une sorcière mais sa présence ici avec nous n'est pas exactement naturelle non plus. »
Stephen fronça les sourcils, tout en continuant de suivre du regard Murtagh et Roger qui descendaient de la carriole pour s'engager sur le ponton. « C'est-à-dire ?
—Avez-vous déjà entendu parler des pierres de Craigh na Dun ? »
Encore ce nom. Stephen baissa les yeux et secoua la tête.
« C'est un site sacré pour les anciens peuples d'Ecosse, un cercle de menhirs entourant une autre pierre en son centre, la plus haute de toutes. De nombreuses légendes courent à son sujet et notamment… que certaines personnes sont capables de voyager à travers elle. De voyager dans le temps… »
Les épaules de Stephen s'affaissèrent et il inclina la tête sur le côté, comme pour signifier à Jamie qu'il était temps d'arrêter de le prendre pour un idiot. Mais Jamie ne sembla pas s'en soucier.
« Claire a touché cette pierre pour la première fois en 1945, alors qu'elle visitait Inverness après une guerre lors de laquelle elle avait servi en tant que médecin. Et l'instant d'après, elle s'est réveillée en 1746, l'année où nous nous sommes rencontrés. »
Cette fois, le regard de Bonnet avait repris son sérieux et il dévisageait Jamie sans rien dire.
« Lorsque Claire m'a avoué son secret, c'était en partie parce qu'elle s'était mise en tête de me sauver des Anglais et d'une mort certaine à la bataille de Culloden. Pendant deux ans, nous avons fait tout notre possible pour empêcher que cette bataille ne survienne, mais malgré tous nos efforts, nous avons réalisé que certaines choses ne pouvaient être changées… Peu avant Culloden, Claire est tombée enceinte de notre deuxième enfant. Je l'ai ramenée aux pierres. Elle ne voulait pas me quitter mais pour le bien de Brianna, je l'ai forcée à le faire. Pour que notre fille grandisse dans un monde plus sûr, plus sain, avec un père…
—Son autre père…, murmura Stephen, les sourcils froncés.
—Frank Randall… », confirma Jamie. « Il a élevé ma fille dès sa naissance en 1948, comme si c'était la sienne et bien que je n'ai jamais connu cet homme, je lui en serai éternellement reconnaissant. Brianna était déjà une jeune femme autonome lorsque Frank fut tué dans un accident et Claire… se mit alors à rechercher des traces de moi dans des documents d'époque. Elle finit par retrouver ma trace. J'avais donc survécu à Culloden et elle ne souhaitait plus qu'une chose : me retrouver. Vingt ans s'étaient écoulés depuis notre dernière rencontre, mais elle est tout de même repassée par les pierres pour venir me surprendre dans mon imprimerie. J'ai cru mourir de bonheur, ce jour-là. Toutes les années passées ne comptaient plus, comme si nous nous étions quittés la veille.
—Et Brianna ?
—Restée en 1968, elle commençait ses études au… Massachussetts Institute of Technology », dit-il fièrement, se fichant totalement qu'elle n'ait pas terminé son cursus. Le simple fait de savoir qu'elle avait un jour occupé les bancs d'une prestigieuse école supérieure lui suffisait. « Jusqu'au jour où elle trouva dans les affaires de son père… notre avis de décès. Dans l'incendie de notre maison, quelque part entre 1770 et 1779. Elle a alors quitté Boston, traversé l'Atlantique, voyagé à travers les pierres et retraversé l'Atlantique dans l'autre sens jusqu'à Wilmington pour nous prévenir. Suivie de près par Roger, qui voulait l'empêcher de se lancer dans cette aventure. Et il me semble que c'est là… que vous vous êtes rencontrés. »
Stephen sentit son cœur battre la chamade. Cette histoire n'avait ni queue ni tête et pourtant quelque chose au fond de lui savait que cela ne pouvait pas être un mensonge. Pas venant de Jamie Fraser, l'un des hommes les plus droits qu'il ait rencontrés. Pas avec autant de détails qui concordaient.
« C'est là que vous le renvoyez… ? Chez lui… dans deux siècles ? », fit-il en jetant un regard étrange en direction du bateau.
« Roger n'a plus rien à perdre. Il n'hésiterait pas à raconter des choses sur notre famille pour causer notre perte, des choses qui pourraient faire accuser Brianna et sa mère de sorcellerie ou je ne sais quelle autre bêtise. Elles pourraient être condamnées à mort… C'est pourquoi Murtagh s'assurera qu'il reparte bien à son époque. Il ne le quittera pas des yeux jusqu'à ce qu'il ait disparu, vous pouvez me croire.
—Murtagh était au courant ? Qui d'autre ?
—Seulement lui. Fergus, Marsali, Jocasta… personne ne sait. C'est un immense secret que je vous confie-là. J'espère que vous saurez vous en montrer digne. »
Stephen ne répondit pas. La crainte que Roger ne cause davantage de tort à Brianna l'avait emporté sur sa fureur et sa soif de vengeance. D'autres questions se posaient cependant.
« Pourquoi n'avez-vous pas traversé avec votre femme, il y a vingt ans ? Vous n'auriez pas été séparés… »
Jamie soupira. « Je ne peux pas voyager… Claire m'a dit que lorsqu'elle s'approchait des pierres, elle percevait comme le bourdonnement assourdissant d'une ruche et que c'était cela qui l'avait poussée à les toucher la première fois. Brianna les entend aussi, et manifestement MacKenzie également. Mais je ne les ai jamais perçus. Jamais. »
Le silence retomba entre eux. Après avoir mis de l'ordre dans ses pensées, après avoir trié toutes ces informations dans sa tête, Stephen reprit : « Alors si Brianna désire rentrer chez elle un jour, je ne pourrai pas la suivre ?
—C'est une possibilité…, murmura Jamie. Mais je pense pouvoir affirmer sans me tromper, que sauf urgence vitale pour elle-même ou pour Danny, elle refusera de vous quitter. » L'angoisse de cette réalisation creusa un sillon au-dessus des sourcils de Stephen et Jamie s'empressa d'ajouter : « Brianna sait déjà tout ça. Elle a eu l'occasion de partir quand elle était enceinte, elle a refusé. Sa place est ici, auprès de sa mère, de moi, de sa famille,… de vous. Vivre seule à Boston, même dans un monde plus sûr, où la médecine fait des miracles, ne l'intéresse plus. Elle a choisi de rester ici en connaissance de cause, de fonder une famille. Et même si pour une raison ou une autre elle devait impérativement rentrer au vingtième siècle, elle ne vous abandonnerai pas. Elle reviendrait. Tout comme Claire m'est revenue.
—Je croyais qu'elle avait déjà sacrifié tant de choses pour moi, mais ça… ça dépasse tout ce que j'avais pu imaginer… »
Jamie sourit. Au loin, le bateau commençait à larguer les amarres, emportant avec lui Murtagh et son colis.
« Quand elles ont décidé quelque chose, il est impossible de leur faire changer d'avis… Ma femme a essayé de changer l'Histoire de l'Ecosse pour moi, et tel que c'est parti, je ne serais pas étonné qu'elles tentent à elle deux de nous préserver de la Guerre d'Indépendance…
—Le guerre de ?
—Ah oui, il va falloir vous informer de quelques petites choses pour les années à venir… », marmonna Jamie avec une grimace. Sur les flots éclairés par la lune, le bateau s'était éloigné du ponton et l'Ecossais tapota gentiment le cheval de Stephen. « Je vais chercher la charrette. Rentrons, si vous le voulez bien. »
Stephen ne répondit pas, encore chamboulé par tout ce qu'il venait d'entendre. Les rouages de son esprit faisaient à présent le rapprochement entre beaucoup de détails qu'il avait remarqués chez Brianna, mais qu'il avait mis sur le compte de sa vie à Boston, grande métropole bien plus moderne que leurs Etats du sud encore très ruraux. Il la revit s'avancer dans les couloirs de la prison, lui proposant de l'épouser et de fonder une famille ensemble. Pourquoi ? Alors qu'elle aurait pu simplement traverser l'océan et retourner dans son monde sécurisé et plus moderne. Cela n'avait aucun sens…
Jamie revint avec la charrette et ils reprirent le chemin de River Run, en silence. Jamie ne lui parlait plus, ayant deviné qu'il avait besoin de réfléchir à la situation, tout en se tenant prêt à lui répondre dès qu'il aurait une question. Le soleil se levait à peine lorsqu'ils atteignirent les limites de la propriété. Ils laissèrent les chevaux aux palefreniers dans la grange et regagnèrent la maison. A leur grande surprise pour une heure aussi matinale, des éclats de voix leur parvenaient depuis la cuisine et les deux hommes suivirent les voix jusqu'à leur source.
« Mais puisque je vous dit que je n'ai rien vu, rien entendu !, s'écriait Lizzie, les deux mains plaquées sur son front avec une expression de désespoir intense. C'est insensé ! Je ne dors pourtant pas si profondément !
—Tu as passé ta nuit à ronfler, railla Ian avant de réaliser son erreur. Lizzie prit une couleur cramoisie.
—Et comment est-ce que tu le sais, au juste ?, renchérit Claire, tandis que Brianna, assise sur un fauteuil, bien calée sur des coussins pour ne pas appuyer sur son épaule blessée, ouvrait grand la bouche en comprenant que son cousin et sa servante avaient passé la nuit ensemble.
—Je… je l'entends…depuis ma chambre…
—Lizzie dort au rez-de-chaussée, et toi à l'étage !, s'écria Brianna avec un éclat de rire ravi. Qui essaies-tu de berner au juste, cousin ? Tu crois être le seul à changer discrètement de chambre la nuit ?
—Discrètement ?, railla Claire. J'ai passé des mois persuadée d'être réveillée chaque nuit par un éléphant qui traversait l'intégralité du couloir, avec des assiettes entières de collations…
—Un éléphant… Un éléphant ?!, s'insurgea Brianna, tellement choquée qu'elle laissa retomber sa tartine de pain dans son assiette.
Ian éclata de rire avant de se figer, apercevant les deux hommes disparus au cours de la nuit dans l'encadrement de la porte.
—Et voilà, qu'est-ce que je disais, ils sont rentrés ! Il n'était point nécessaire de réveiller toute la maisonnée, mesdames !, annonça-t-il avec un large sourire.
Brianna se retourna tant bien que mal sur son fauteuil et sourit de toutes ses dents en découvrant Stephen et son père côte à côte. Son jeune époux semblait quelque peu chamboulé, comme s'il venait d'apprendre une nouvelle bouleversante, mais cela ne dura qu'un temps. Le sourire radieux de son Américaine l'avait convaincu que Jamie Fraser disait vrai. Pour rien au monde elle n'aurait voulu être ailleurs qu'ici, entourée de toute sa famille. Et il faisait désormais partie de cette famille.
Claire jeta un regard inquisiteur discret à Jamie, qui hocha la tête imperceptiblement avec un sourire confiant et elle soupira de soulagement.
« Je suis affamé… », clama Jamie en s'approchant de la table et des victuailles que Phèdre s'affairait à disposer un peu partout. Comme Stephen n'avait pas bougé, Brianna tendit la main dans sa direction et l'invita à les rejoindre. Il s'avança à pas lents, puis parvint à sa hauteur. Glissant son index gauche sous le menton de sa femme, il le leva vers lui et y déposer un tendre baiser.
« Je t'aime… », souffla-t-il avec une lueur douloureuse dans le regard. « Aujourd'hui, demain, et même pour les deux ou trois siècles à venir. »
Brianna sourit tout en fronçant les sourcils, interloquée par cette formulation inattendue. « Fais attention à ce que tu souhaites, ça pourrait se réaliser…
—J'y compte bien… »
Et pour sceller sa promesse, il l'embrassa de nouveau tendrement.
FIN
