Titre : Cornerstone

Auteur.e : Vandelin (ou ljummen) – Fanfiction écrite en langue anglaise, publiée sur AO3 – archiveofourown (point) org (/) users (/) Vendelin

Son tumblr : ljummen (point) tumblr (point) com

Fanarts illustrant la fic :
L'histoire est merveilleusement illustrée par deux artistes :
-Tsumi-noaru (anciennement Tsuminubiaru) : tsumi-noaru (point) tumblr (point) com
-Maichan : maichan-art (point) tumblr (point) com

Traductrice française : Sloe Balm

Bêta-lecture de la trad française : Merci à Neliia pour effectuer la correction de cette traduction en français ! Un gros big up pour elle :)

Genre : Sterek, Univers alternatif. Hurt & Comfort. Derek est un ex-marine et Stiles est aveugle.

Note de la traductrice, Sloe Balm :

Je suis ravie de pouvoir traduire cette histoire qui a rencontré un très gros succès dans sa version originale sur AO3. La thématique abordée est assez originale. L'histoire a été illustrée par de superbes fanarts et je pointerai les URL adéquates (à défaut de pouvoir mettre les images dans le corps de texte car FFNET ne le permet pas).

Cette fic fait 83k mots et comporte 6 chapitres. Je vais essayer de publier le plus régulièrement possible, mais étant donné que c'est long… Je suis assez incertaine quant au rythme de publication pour le moment.

Bonne lecture à tous !

/!\ IMPORTANT /!\ : L'auteur.e précise qu'elle n'est pas experte en psychologie, en stress post-traumatique, qu'elle n'est pas familière avec l'univers militaire, ou avec la thématique principale qui est la cécité et le fait d'être aveugle. Bref, cette histoire est une fiction et peut contenir pas mal de choses fausses et/ou des préjugés sur ces sujets-là… Pardon si c'est le cas ! Soyez donc vraiment indulgents là-dessus. Ni elle, ni moi, ne voulons blesser qui que ce soit si jamais le contenu vous semble parfois inapproprié ou mal abordé ! ~Amour sur vous.


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Cornerstone

écrit par Vendelin

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Chapitre 1

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[Fanart à consulter : bit (point) ly/3cQ3IWf]

Beacon Hills était la ville tranquille qu'elle avait toujours été. Peut-être qu'elle s'était agrandie au cours des huit dernières années, mais elle restait principalement telle que Derek s'en souvenait. Certains des magasins étaient restés les mêmes qu'au moment de son départ.

C'était différent de New York, réalisa-t-il en s'asseyant dans un petit café à côté de la galerie d'art exiguë. Il n'y avait pas autant de divertissements, pas autant de choses qui demandaient d'être ressenties, vues, expérimentées. Rien qui n'était trop à supporter pour son cerveau. Il se sentait plus calme ici, moins nerveux. Sortir dehors ne lui demandait pas autant d'effort : ce n'était pas comme à New York où il tressaillait encore lorsque quelqu'un claquait une porte trop fortement, juste à côté de lui.

S'occuper des papiers de son oncle décédé lui avait pris moins de temps que prévu. Bien que Peter n'avait plus été vraiment lui-même ces dernières années, il avait tout de même rédigé un testament, ce qui avait rendu la situation moins compliquée. Derek et Laura étaient ses seuls parents encore en vie, et il leur laissait beaucoup d'argent et un tas d'objets personnels dont ils n'avaient pas besoin. En voyant les chiffres que l'avocat de Peter avait écrits pour lui, Derek s'était sentit bizarre, comme s'il se faisait de l'argent sur la mort de quelqu'un. Peut-être devrait-il tout donner à des œuvres caritatives.

Ce fut sur le chemin du retour, du cabinet d'avocat au petit motel où il résidait, qu'il remarqua un magasin de musique, à l'étroit entre un café et un fleuriste. Il y avait un grand panneau sur la porte, découpé dans du carton, avec des lettres rouges et inégales formant les mots : À VENDRE, accompagnés d'un numéro de téléphone en dessous.

Pendant un instant, il pensa aux piles de livres que son oncle lui avait laissées, à toute la bibliothèque de la maison de Peter, dont le contenu était considérable, et il envisagea d'acheter le magasin avec son héritage pour tout y vendre. Ce serait comme une librairie d'occasion, sauf qu'il n'avait aucune idée des livres qu'il vendrait. Il pourrait peut-être fixer un prix de quelques dollars pour chaque bouquin. Cela paraissait être un bon moyen de s'en débarrasser.

Il repoussa cette idée quelques instants plus tard, décidant de ne plus y penser. C'était loin, et il n'était ici que quelques jours, avant son vol de retour. Il avait cru que cela prendrait plus de temps. Laura lui avait demandé de venir ici quand ils avaient reçu l'appel téléphonique du concierge de leur oncle. Elle n'avait pas le temps, avec un enfant, un mari et un travail, et Derek le comprenait. Lui, il n'avait rien de tout cela.

Cela faisait huit ans. Il n'était pas retourné à Beacon Hills depuis qu'il avait quitté cette ville pour New York, pour l'université, à l'exception du premier Noël. L'explosion de gaz s'était produite en mai. Il n'avait pas eu le courage d'aller aux funérailles, mais il envoyait des fleurs sur leurs tombes à chaque anniversaire et à chaque fête. Il n'était jamais allé les voir.

[Fanart à consulter de Tsuminubiaru : bit (point) ly/2UUAgbu]

Plus tard, il appela Laura, juste pour lui faire savoir ce que le testament avait dit. Elle soupira juste lorsqu'il commença à lire les notes qu'il avait prises.

« Derek, je me fiche de combien d'argent il nous a laissé. »

Derek haussa les épaules. « Je pensais qu'il fallait que je te le dise, quoi qu'il en soit. »

« Parle-moi plutôt de Beacon Hills. » dit-elle, et Derek put l'entendre faire 'chut' à Josh, son neveu, à l'autre bout du téléphone. La culpabilité lui noua brièvement l'estomac, mais il la repoussa.

« Tout est pareil. » Il regarda par la petite fenêtre de sa chambre, les gens qui montaient et descendaient dans la rue en contrebas, et écouta le silence étrange auquel il n'était pas habitué. C'était calme. « Tout est exactement pareil. »

Laura fredonna pensivement. « C'est ce que je me disais. Est-ce que ça te plaît ? »

« Je n'y ai pas vraiment réfléchi. » Son regard accrocha une fille qui portait une pile de livres, et il fronça les sourcils. « Je suis passé devant une boutique aujourd'hui. C'était à vendre. »

« Et ? » incita-t-elle.

« J'ai pensé pendant un instant, que peut-être je pourrais y vendre les livres de Peter. Il nous a laissé toute une bibliothèque. »

Elle fredonna à nouveau, semblant cette fois un peu plus enjouée. « C'est une super idée. »

« Pas vraiment. Je n'habite pas ici. » souligna Derek.

« Mais tu pourrais. »

Derek fronça à nouveau les sourcils. Il n'aimait pas quand elle utilisait ce ton. Comme si elle savait quelque chose qu'il ne savait pas. « Ce n'est pas pour moi. »

« Tu ne le sauras pas avant d'avoir essayé. Tu aimes les livres, et tu aimes lire. »

« Ça n'a rien à voir avec le fait de tenir une librairie, et de loin. »

Il l'entendit presque lever les yeux au ciel. « Je pense que ce serait bien pour toi. »

« Je ne vis pas ici. » répéta Derek.

« Il existe un truc qui s'appelle déménager. » souligna-t-elle. « Ce n'est pas comme si tu avais beaucoup d'affaires que tu aurais du mal à transporter. Ou toute une vie que tu laisserais derrière toi. »

C'était vrai. Son appartement était peu meublé et les murs étaient nus. Il n'avait même pas de télévision. Les seules personnes avec lesquelles il passait du temps à New York étaient Laura et sa famille. Il avait tenté de renouer avec des amis de l'université, mais sa vie était tellement différente de la leur. Et demander à quelqu'un de son corps d'armée d'aller prendre une bière avec lui était hors de question.

« Penses-y, d'accord ? » déclara Laura.

Derek ne répondit pas.

« Je pense que ce serait mieux pour toi. Le rythme est beaucoup plus lent là-bas qu'ici, et tu en as peut-être besoin. Et puis, ton thérapeute pense que tu as besoin de commencer à faire quelque chose de ta vie. » Il n'avait vraiment pas de chance que Laura soit née avant lui. Elle prenait son rôle de sœur aînée beaucoup trop au sérieux à son goût.

« Je n'en ai pas envie. »

« Penses-y juste. » réitéra-t-elle.

Derek l'ignora durant le reste de la conversation, mais ce fut comme si elle le savait, car elle commença à parler de son travail.

oOo

Cette idée le hanta.

Cela l'énerva, parce qu'il savait que c'était ce qu'elle avait voulu. Chaque fois qu'il passait devant le magasin de musique fermé, il fixait d'un regard noir le panneau, et cela commença à le contrarier, quand, quelques jours plus tard, il était toujours là.

Il n'en avait pas parlé avec son thérapeute, ni ne lui avait demandé conseil, car il n'était pas intéressé par l'achat d'une boutique. Il n'avait pas envie d'avoir affaire à des clients. En même temps, il savait que Laura avait raison. Cet endroit était mieux pour lui. Il le sentait déjà, même si cela ne faisait que quelques jours. Il était plus calme ici qu'il ne l'avait été depuis longtemps, même s'il se sentait bien mieux que lorsqu'il était rentré sur le sol américain. À l'époque, il n'était même pas été capable de supporter le bruit de tirs de balles à la télévision.

Il était plus stable maintenant, et l'amas de pensées dans sa tête, la confusion de ses réactions aux choses, étaient plus faciles à gérer. Il était plus facile d'en sortir.

Et même si Beacon Hills était calme, que le rythme y était lent comme Laura le disait, il ne voulait pas s'y plaire compte tenu de ce qu'il y avait vécu… Et pourtant, ce fut le cas.

Lorsqu'il sortit du café dans l'idée d'aller à sa chambre d'hôtel pour emballer ses affaires et prendre son vol de retour qui partait dans quelques heures, il passa devant le magasin. L'enseigne était toujours là, accrochée à la vitrine. Il la regarda longuement puis sortit son téléphone de sa poche pour composer le numéro.

Cela le contraria de voir à quel point il pouvait être si facilement manipulé par sa sœur.

oOo

Le magasin ne lui coûta pas très cher. C'était beaucoup moins que ce à quoi il s'était attendu, et c'était peut-être parce qu'il était situé à Beacon Hills par opposition à New York, ou peut-être que cela était dû au fait que le propriétaire avait tenté de s'en débarrasser pendant des siècles et qu'il en avait marre de cet endroit. Il signa les papiers quinze minutes avant son départ pour l'aéroport.

Cela le surprit quand il rentra à la maison et que Laura ne lui rit pas au visage. À la place, elle l'aida à faire ses bagages et le conduisit à l'aéroport quelques semaines plus tard.

« Si tu ne m'appelles pas au moins une fois par semaine, je viens là-bas pour vérifier si tout va bien, compris ? » dit-elle et elle le tira à lui pour l'étreindre d'une manière qui le mit un peu mal à l'aise.

« Compris. » répondit-il, alors qu'elle le laissa partir, et il tendit la main pour ébouriffer les cheveux de Josh. Il se sentait toujours coupable de ce qu'il s'était passé avec lui, un an auparavant et souhaitait pouvoir l'oublier. D'une manière ou d'une autre, il savait que Josh n'avait pas non plus oublié.

« On viendra te rendre visite quand tu voudras, si on peut, et tu rentreras à la maison pour Noël sinon je t'enverrais toutes mes factures. »

Derek secoua simplement la tête, réprimant un sourire alors qu'il se dirigeait vers sa porte d'embarquement.

Beacon Hills était toujours la même lorsqu'il sortit du taxi. Il avait vraiment besoin de s'acheter une voiture, parce qu'il n'y avait pas de métro ici, ni autant de taxis disponibles pour circuler. Il passerait chez le concessionnaire automobile dans la semaine, dès qu'il serait installé.

L'ancien propriétaire de la boutique lui avait parlé du petit appartement situé au-dessus, qu'il pouvait obtenir avec s'il le voulait. Quelque chose que Derek trouva tout à fait pratique. Avoir affaire à des agents immobiliers et rechercher un appartement était quelque chose dont il n'avait pas spécialement envie. Il avait reçu des photos de l'appartement par e-mail, et cela lui avait paru bien. Pourtant, il était tout de même un peu nerveux en franchissant la porte. Pour lui, les nouveaux endroits étaient toujours quitte ou double ces derniers temps. S'il ne le sentait pas tout de suite, alors il ne s'y ferait jamais. Il n'y avait pas d'entre deux.

Le magasin était vide, mais il y avait une couche de poussière sur le sol et les étagères que l'ancien propriétaire lui avait laissée. Il y avait un comptoir avec une caisse enregistreuse bien trop vieille, et un bloc-notes à côté. Un numéro était écrit dessus, et quand Derek le compara à celui dans son téléphone, il l'identifia comme étant celui du propriétaire précédent. Derrière le comptoir, il y avait une porte, ouverte, comme l'invitant à entrer, et il pouvait voir un escalier de l'autre côté.

Derek hissa son sac de sport sur son épaule et fouilla dans la poche de son jean pour trouver le jeu de clés alors qu'il montait les escaliers. Les marches grincèrent légèrement sous son poids et le son non familier fit frissonner légèrement sa peau. Il était habitué à l'ascenseur de son ancien immeuble de New York.

La porte de l'appartement était entrouverte. Elle n'était pas très robuste, et elle ne convenait pas vraiment pour une porte d'entrée. Derek supposa que c'était le rôle de la porte du magasin. L'endroit n'était pas immense, juste comme elle le lui avait dit. Il y avait un petit garde-manger, parce que Derek n'appellerait pas quatre meubles placés deux à deux et face à face, dans un coin étroit à côté d'une fenêtre, une cuisine. Il y avait une vraie gazinière cependant, et un réfrigérateur-congélateur turquoise. Le reste de l'endroit était une grande pièce, en forme de L, enroulée autour du garde-manger et de la salle de bain. Cette dernière était correcte, bien mieux que ce à quoi Derek s'attendait, mais il voulait toujours l'aménager un peu mieux. Un chauffage au sol serait vraiment bien.

Il erra dans l'espace, en notant les détails, caressant la poussière de sa main. Le plancher était en bois dur et foncé, et il y avait dessus quelques marques d'anciens meubles. Certaines d'entre elles semblaient comme imprimées, par les nœuds du bois ou les années écoulées. La plupart des murs étaient peints en blanc mat, et il y avait quelques trous ; des marques de vis, sûrement pour de la décoration. L'un des murs était totalement fait de briques, et il y en avait un autre composé de planches multicolores. La partie la plus petite du L, le bas, était un peu mansardée et avait un puits de lumière. Derek envisagea de mettre son lit juste en dessous, ce qui lui permettrait de regarder l'extérieur lorsqu'il ne pourrait pas dormir.

Derek était certain que l'appartement lui aurait coûté deux ou trois zéros supplémentaires s'il avait été situé à New York. Cela lui conviendrait bien, dès qu'il pourrait s'installer et acheter des meubles.

oOo

Il lui fallut presque tout l'été pour mettre les choses en place. Il fit refaire un peu la salle de bains, acheta une Camaro et commanda de nouveaux meubles en ligne. Il n'aida pas les livreurs à rentrer les cartons dans son appartement, mais refusa lorsqu'ils proposèrent de les assembler. Il avait besoin de quelque chose à faire, quand il n'était pas en train de remplir les étagères de la boutique avec les livres de son oncle. Il en mit certains de côté ; ceux qu'il reconnaissait de son enfance ou quelques-uns qu'il aimerait lire. Le reste alla sur les étagères ; c'était juste des choses dont il voulait se débarrasser.

Dormir était difficile. Son nouveau lit était confortable, mais ne lui était pas familier, et ne lui permettait d'avoir que deux ou trois heures de sommeil par nuit… et la plupart étaient remplies des cauchemars habituels. Ils ne l'affectaient pas autant qu'auparavant, à l'époque où ils n'étaient pas si familiers. Même s'il se réveillait toujours en sueur et parfois en hurlant, ils ne le tétanisaient plus pendant des heures.

C'était le début du mois d'août lorsqu'il tourna enfin le panneau sur la porte, passant de FERMÉ à OUVERT.

Une partie de lui s'attendait à ce qu'il se passe quelque chose. Comme s'il allait y avoir des clients s'agglutinant à la porte dès le moment où il s'assiérait derrière le comptoir. Il n'y en eu aucun. Cela l'aida à se détendre. Il n'était pas vraiment doué avec les gens. Ce n'était pas comme s'il était particulièrement doué pour prendre sur lui face à des gens difficiles, mais depuis qu'il était revenu de guerre, être juste avec gens était compliqué. Mme Morrell lui avait dit que c'était normal, compte tenu de sa condition, mais cela le faisait se sentir brisé.

Quelques jours après avoir tourné le panneau pour la première fois, une dame d'un certain âge passa la porte et le regarda avec curiosité. C'était l'une des raisons pour lesquelles Derek avait choisi de quitter cet endroit au départ : il n'aimait pas la curiosité entre voisins. La façon que les gens avaient de croire qu'ils avaient le droit de tout savoir. À New York, personne ne vous regardait plus d'une fois.

Elle le regarda un instant et Derek se retrouva à la fixer en retour. Il aurait dû probablement sourire, mais il ne le fit pas.

« Vous êtes nouveau. » fit-elle remarquer et elle pencha un peu la tête sur le côté, comme pour l'évaluer. Puis, ses yeux s'agrandir un instant, comme réalisant soudainement, « Non, tu es un ancien qui est revenu. »

Derek remua sur sa chaise. « Oui. »

« Tu es le garçon Hale. »

Il hocha la tête.

« C'est agréable de te revoir. » dit-elle, et elle sourit un peu avant de partir de la boutique sans même regarder les livres.

Derek fronça les sourcils suite à sa venue, durant tout le reste de la journée.

oOo

Par la suite, la boutique fut plus fréquemment visitée par des clients. Cela ne voulait pas dire grand-chose, car au total, il y en avait probablement quatre par jour. Derek supposa que la rumeur de son retour s'était propagée. Il passait ses journées à lire et décida de mettre en place une cloche à la porte, reliée à son appartement à l'étage, qui lui ferait savoir quand des clients entraient pendant sa pause déjeuner.

La plupart d'entre eux échangeaient au moins quelques mots, car c'était ce que tout le monde faisait ici, mais certains restaient pour discuter plus longuement. Derek n'était pas très bavard, mais il s'en sortait quand même. C'était moins difficile maintenant qu'au début.

Le temps passa lentement et il appela Laura une fois par semaine comme promis. Alors que l'on arrivait mi-août, il se rendit compte qu'il venait de vivre l'été le plus tranquille depuis des années. Cela lui fit du bien.

oOo

Derek releva la tête lorsque la cloche sonna au-dessus de la porte. Il leva les yeux au ciel quand il aperçut un type avec de grosses lunettes carrées, un bonnet et une chemise à carreaux, passer le seuil de la porte. Avec un chien. Derek ne savait pas ce que les gens de cette ville avaient avec les chiens, mais ils les amenaient constamment dans les magasins. Cela arrivait au moins deux fois par semaine.

« Vous n'êtes pas autorisé à entrer avec le chien dans le magasin. » dit-il, et il reporta à nouveau son regard sur son bouquin ouvert sur le comptoir. Kafka. Derek n'était pas encore convaincu de ses talents d'écrivain.

Du coin de l'œil, il vit le gars se crisper un instant. « Où est-ce que je suis ? » demanda-t-il d'un air un peu prudent.

Derek leva ses yeux au ciel, expira par le nez et regarda la montre à son poignet. Pour l'amour de Dieu, il n'était même pas trois heures de l'après-midi. Un mercredi. Il était bien trop tôt pour être saoul. « Dans une librairie. » expliqua-t-il, utilisant la même voix que lorsqu'il expliquait à Josh qu'il avait fait quelque chose de mal, lorsque Josh avait trois ans.

« Oh. » Le gars fronça les sourcils et se gratta la joue pendant un moment. « Je vais m'en aller. Je ne lis pas de livre. »

Derek voulut lui lancer un regard noir, mais il ne le fit pas. Pas beaucoup. « Les gosses de nos jours. » marmonna-t-il dans un souffle, réalisant qu'il ressemblait très probablement à la dame qui avait été là quelques jours auparavant et l'avait grondé en voyant ses tatouages. Ce mec ne pouvait pas avoir moins de cinq ou six ans que lui, ce qui voulait dire qu'il avait terminé le lycée, et donc qu'il ne pouvait pas être considéré comme un gosse.

Le mec se tendit encore plus et Derek décida de le regarder. Il avait l'air énervé. Derek supposa qu'il avait entendu son commentaire, car si c'était à cause du chien, il devait se rendre compte que tout le monde n'aimait pas les animaux autant que leurs maîtres.

« Je suis aveugle, idiot. » claqua le gars, et c'était la dernière chose à laquelle Derek s'attendit.

Pendant un long moment, il parut sûr que le mec mentait – il portait des lunettes de vue – mais il remarqua ensuite le harnais du chien, qui ressemblait à un golden retriever, et sur le devant contre la poitrine était écrit : Animal d'assistance, et sur le côté : Veuillez ne pas me caresser. Je travaille. Derek se sentit incroyablement stupide.

« Mais vous portez des lunettes. » souligna-t-il, au lieu de dire quoi que ce soit qui ressemblait de près ou de loin à une excuse.

Le mec eut cette expression sur son visage, comme s'il parlait à un être moins intelligent. « Des gens qui ont une vue parfaite portent aussi des lunettes. Bienvenue au 21ème siècle, abruti. »

Il sortit avant même que Derek ne puisse dire autre chose. C'était de loin la journée la plus mouvementée qu'il avait eue depuis son arrivée ici. Il se demanda si cela pouvait être sujet à une plainte pour discrimination, puisque ce gars était apparemment aveugle. Il ne pensait pas que les personnes aveugles vous regardaient quand elles parlaient, mais peut-être que cela n'était rien d'autre qu'un préjugé.

Soupirant lourdement, il décida d'oublier tout cela.

oOo

Deux semaines plus tard, jour pour jour, le gars franchit à nouveau la porte. Le chien était encore avec lui, et Derek ne remarqua que maintenant, pour la première fois, qu'il y avait une version miniature du bouclier de Captain America sur son harnais.

Il se racla la gorge maladroitement, essayant de s'assurer que le mec savait qu'il était là. Les yeux de ce dernier vacillèrent instantanément dans sa direction et Derek se leva de sa chaise, la repoussant bruyamment. Il se rendit compte quelques secondes plus tard qu'il était ridicule, mais il avait l'impression qu'il devait faire du bruit exprès.

« Hey. » déclara le mec au bout d'un moment, et Derek se demanda s'il aurait dû dire quelque chose en premier. Cela aurait peut-être été la chose polie à faire. Il n'aurait pas dû être si mal à l'aise ; il avait côtoyé des hommes et des femmes qui avaient perdu des membres de leurs corps, qui souffraient de dommages externes et internes sévères. Curieusement, la sensation était différente.

« Bonjour. » répondit-il, éclaircissant à nouveau sa voix, parce qu'elle sonnait un peu rocailleuse.

Le mec gratta sa mâchoire et sembla réfléchir à quelque chose. « Je suis juste venu m'excuser. » lâcha-t-il en même temps que Derek déclara :

« Je n'aurais pas dû dire ce que j'ai dit. »

La bouche du gars tressauta légèrement. « Je suis juste venu m'excuser. » répéta-t-il, plus lentement cette fois. Sa main s'ouvrit et se referma sur la poignée du harnais du chien. « Et pour avoir amené le chien. Encore. C'est un genre de forfait : il va où je vais. Oh, enfin, plutôt l'inverse en fait. Je suppose que j'aurais pu apporter ma canne à la place, mais quand je l'utilise j'ai l'impression d'être aveugle. »

Derek cligna des yeux. Il n'était pas sûr de s'il s'agissait d'une blague, mais le gars sourit timidement un instant plus tard et Derek devina que c'était le cas. C'était plutôt drôle. Il renifla.

« C'est bon. » dit-il. « Je n'avais pas remarqué. La première fois. Que c'était un chien-guide. »

Le mec se tut un moment et Derek se mit à regarder le chien. Quelqu'un avait écrit un Captain au-dessus du Animal d'assistance sur son harnais. Derek renifla à nouveau.

[Fanart à consulter de Maichan : bit (point) ly/2UXY9z5]

« Je suis désolé de t'avoir agressé. » dit le gars. « J'étais perturbé. Il y avait un magasin de musique ici, avant. J'aime la musique et je connaissais un peu le gars qui travaillait là. J'ai été absent un moment, quatre mois, donc je ne savais pas que l'endroit avait été mis à vendre. Je pensais venir passer du temps avec mon ami, son nom est Isaac soit dit en passant, alors j'étais un peu... chamboulé. »

Derek fixa les mouvements rapides de la bouche du gars pendant qu'il parlait. Ses oreilles étaient déjà fatiguées de l'écouter. Ce gosse était pire que la femme d'un certain âge qui essayait constamment de le faire sortir avec sa fille.

« J'ai acheté il y a quelques mois. »

Le mec haussa les épaules. Il resta silencieux pendant un moment et Derek se sentit vraiment mal à l'aise.

« Je m'appelle Stiles, au fait. »

« Derek. »

Quelque chose effleura le visage du gars – Stiles – et il sourit légèrement. « Donc, ce qui se dit en ville, c'est que tu viens de New York. »

Derek soupira. Bien sûr que les gens parlaient de lui. « Oui. »

« Ils ont aussi laissé suggérer que t'étais un super-héros. »

« Je ne le suis pas. Je suis un Marine. J'étais. »

Stiles pencha sa tête sur le côté et Derek eut l'impression d'être regardé. « Dommage. » dit finalement Stiles. « J'espérais que Steve pourrait avoir un compagnon. »

Au début, Derek ne comprit pas qui était Steve, mais le gars fit un signe vers le chien, toujours assis calmement à ses pieds.

« Désolé de décevoir. »

Stiles lui fit un sourire ironique. « Ça va. Steve m'a. Je dois y aller, mais j'étais ravi de te rencontrer. »

Avant que Derek n'ait la chance de répondre, Stiles ouvrit la porte et disparut dans la rue. Derek frotta sa main contre sa cuisse pendant un moment, ne sachant pas comment réagir. Il ramena sa chaise à sa place habituelle et attrapa son livre, toujours ouvert sur le comptoir, puis essaya de trouver le paragraphe où il en était resté. Il ne savait toujours pas s'il aimait Kafka.

oOo

Lorsque Stiles revint, c'était un lundi.

« Salut. » dit maladroitement Derek, se sentant encore une fois comme s'il devait se manifester d'une manière ou d'une autre. Stiles sourit.

« Hey, Derek. Quoi de neuf ? »

Derek regarda autour de lui pendant un moment. La boutique vide. Le nouveau livre posé devant lui. Il l'avait commencé ce matin et il en était déjà à la moitié. Il était court. « Rien de spécial. »

Stiles fit quelques pas vers lui et il y eut un silence inconfortable avant que Derek se souvienne de comment interagir avec les gens.

« Et toi ?

Stiles haussa les épaules. « Pas grand-chose. Je suis censé voir mon pote, Scott, mais il est un peu en retard, donc j'ai pensé que je pouvais venir traîner ici un moment, si c'est okay ? »

« Euh. Ouais, bien sûr. »

Traîner. Derek n'avait pas fait cela depuis l'université.

« T'as une chaise ? »

Derek se précipita pour se lever et plaça la chaise juste à côté du comptoir, à côté de l'endroit où se trouvait Stiles. Une fois si proche, Derek remarqua qu'ils avaient presque la même taille. Il tendit la main pendant un moment, presque par réflexe, pour saisir le bras de Stiles et l'aider à s'asseoir, mais il s'arrêta à mi-chemin.

« Tu as besoin d'aide ? » demanda-t-il.

« Non, ça va. Merci. » La main de Stiles trouva le dossier de la chaise sans trop de problème, mais Derek avait toujours l'impression qu'il devait tendre la main ou faire quelque chose. Il ne le fit pas. Il était évident que Stiles n'avait de toute façon pas besoin de son aide, car il s'installa sans problème sur la chaise et Steve s'assit à côté de lui.

« Il est vraiment bien dressé. » commenta Derek. C'était plus facile de parler du chien.

« Quand il travaille. » sourit Stiles.

Derek regarda la fourrure soyeuse et les grands yeux doux. Puis, il regarda à nouveau Stiles qui avait joint ses mains entre ses cuisses et étendu ses jambes devant lui.

« Alors, quels sont tes plans avec ton ami ? »

Stiles haussa les épaules. « On verra. Probablement manger beaucoup de malbouffe, » Il tapota son ventre plat, « - et sûrement dire un tas de conneries sur des gens qu'on connaît. Et sur des gens qu'on ne connaît pas. »

« Ça ne m'a l'air pas mal. »

« Qu'est-ce que tu fais quand tu traînes avec tes potes ? »

Derek resta silencieux pendant longtemps, jusqu'à ce Stiles commence à s'agiter inconfortablement sur sa chaise. « Je ne traîne pas vraiment. » dit finalement Derek. La vérité, c'était qu'il n'avait pas beaucoup d'amis. Ses amis les plus proches étaient soit morts, soit comme lui, trop brisés pour arriver à interagir avec les autres correctement. Il y avait bien Laura, mais elle le faisait en général cuisiner pour elle pendant qu'elle s'asseyait sur le comptoir de sa cuisine et se plaignait de son travail. Ces moments-là étaient ceux que Derek préférait avant, mais maintenant, il était de l'autre côté du pays alors il se contentait des appels téléphoniques.

« Ouais. Je parie que tous tes amis sont toujours à New York. »

« Oui. » acquiesça doucement Derek.

« Tu sais, » commença Stiles, et il se gratta la mâchoire. « Si tu veux sortir un jour, t'es plus que le bienvenu pour traîner avec nous. »

« Merci. » Derek corna le coin d'une page de son livre, mais le déplia aussitôt. Il utilisa un vieux ticket de caisse à la place pour marquer sa page et ferma le bouquin.

Stiles mordilla sa lèvre inférieure et regarda dans la direction de Derek. « En fait, je ne sais pas quel âge tu as, donc je suis désolé si on a l'air d'être des gamins pour toi et que tu penses qu'on serait juste ennuyants et stupides. »

Derek secoua rapidement la tête pendant un moment, avant de se rappeler que Stiles ne pouvait pas le voir. « J'ai vingt-six ans. Je ne pense pas que vous seriez des gamins ennuyants et stupides. » Sa voix sembla sèche, mais Stiles sourit tout de même.

Derek se permit de regarder Stiles pendant un moment : le brun de ses yeux derrières les verres de ses fausses lunettes, la traînée de grains de beauté sur son visage, et les touffes de cheveux châtain foncé qui dépassaient tout autour de son bonnet. Il avait de longs membres, de larges épaules et une taille fine. Aujourd'hui, il portait un T-shirt de Superman en dessous d'un cardigan, et un jean slim du genre que Derek ne pouvait pas porter car ses cuisses étaient trop musclées. Il s'énerva contre lui-même de penser que Stiles avait vraiment une bonne allure pour quelqu'un qui ne pouvait pas voir.

« Alors, t'es du genre costaud et silencieux, hein ? » demanda Stiles et cela donna l'impression qu'il avait su exactement ce que Derek venait de penser.

Derek haussa les épaules, puis il soupira, frustré. « J'imagine. C'est d'habitude ma sœur qui parle. »

« Je peux te demander quelque chose ? » Stiles sembla soudainement sérieux et Derek sentit que cela allait être le moment des questions sur son passé à l'armée. C'était tout le temps comme ça.

« Oui. »

« Ça te dérangerait si je viens traîner ici de temps en temps ? Je n'ai pas vraiment grand-chose à faire depuis que je fais une pause avec l'université, et puis, pas beaucoup de gens ne semblent venir ici non plus. »

« Et ça me convient très bien. » répondit Derek sur la défensive, puis il fronça les sourcils, baissant les yeux sur le comptoir. « Je veux dire, pas de souci si tu veux passer. Ça ne me dérange pas. Juste, ne te sens pas obligé de le faire. »

Stiles haussa les épaules. « Je ne me sens pas obligé. C'est juste que j'aime parler à des gens qui ne m'interrompent pas souvent. » Et puis il fit un clin d'œil. Un clin d'œil. Derek pensait que plus personne ne faisait ce genre de choses. « Je peux amener Steve ? »

« Bien sûr. » Steve était toujours assis là, comme s'il n'avait même pas bougé une patte pendant toute la conversation.

« Si ça te dérange, je peux le laisser avec mon père. »

« Non c'est bon. Tu peux l'amener. »

Stiles hocha la tête. Quelques instants plus tard, son téléphone sonna et il dut lever son bassin de la chaise pour arriver à glisser ses doigts dans sa poche pour le sortir.

« Allô ? » demanda-t-il, répondant au téléphone après avoir feuilleté l'écran comme s'il savait exactement ce qu'il était censé faire. « Hey. » salua-t-il ensuite, reconnaissant la personne à l'autre bout du fil. « Ouais, j'arrive. À tout de suite. »

« C'était Scott. » dit-il à Derek, et il se leva. Steve se mit instantanément debout à côté de lui. « Il vient de finir le travail. Merci de m'avoir diverti pendant quelques minutes. À bientôt Derek ! »

« À bientôt. » se surprit à répondre Derek alors que Stiles atteignait la porte et disparaissait dehors. Il ne savait pas ce qu'il y avait de vraiment divertissant chez lui, mais peut-être que Stiles voulait juste quelqu'un capable de l'écouter. Il était habitué à écouter Laura, alors il s'en fichait.

L'appartement fut silencieux et calme cette nuit-là. Quelques dames étaient venues bavasser à ses oreilles durant la dernière heure à peu près, avant qu'il ne ferme la boutique pour la journée. Le silence qui s'en était suivi avait été une bénédiction. Il prit sa douche, se lava les cheveux soigneusement et rapidement avant de jeter un œil au Post-it sur son frigo – sa version des to-do list. Il n'y avait rien d'écrit pour aujourd'hui et il chercha dans sa mémoire quelques instants, juste pour être sûr qu'il n'oubliait pas quelque chose dont il devait s'occuper. Rien ne lui vint à l'esprit. Si ce n'était pas sur le Post-it du frigo, ce n'était rien d'important.

Il s'enfonça dans son canapé, son T-shirt usé et légèrement humide contre sa peau, et attrapa la télécommande pour mettre quelque chose de stupide à regarder. Il aimait les émissions de musique, comme American Idol, ou The Voice. Mais il se méfiait des chaînes qui diffusaient des films, à moins qu'il ne sache ce qui était diffusé. Les pubs n'étaient pas vraiment une épreuve, parce qu'elles étaient prédictibles. Derek était moins susceptible de paniquer qu'avant, mais il était dans un nouvel endroit, et il était toujours un peu nerveux lorsqu'il était dans un endroit non familier.

Après avoir vérifié quelques chaînes, il se contenta de rediffusions de Temptation Island. Ils criaient beaucoup, mais ça n'avait rien à voir avec la guerre. Et il n'y avait pas de danger. Le plus étrange était de regarder des gens baiser à l'écran et de ne pas se rappeler comment c'était. Ce que cela faisait de ressentir ça.

Il était presque deux heures du matin quand il décida d'essayer de dormir et d'éteindre le téléviseur. Les draps étaient encore un peu rêches même s'il les avait lavés quelques jours auparavant, et frais contre sa peau lorsqu'il se glissa, nu, dans le lit. Cela lui avait pris du temps pour qu'il se sente à l'aise de dormir sans être complètement habillé. Maintenant c'était presque une obligation. Comme si cela lui confirmait qu'il était en sécurité.

Sa rencontre avec Stiles lui avait en quelque sorte fait tourner la tête. Il soupçonnait que Stiles n'avait pas toujours été aveugle, pas avec toutes les références de super-héros sur ses vêtements et sur le harnais de Steve. Pas avec la manière dont ses yeux se tournaient automatiquement dans sa direction quand ils parlaient. Il n'était pas sûr. C'était probablement juste ses préjugés qui lui faisaient dire ça. Pourquoi les personnes aveugles ne connaîtraient-elles pas les super-héros ? Derek ne voulait pas le lui demander car lui-même n'aimait pas être questionné.

Il était presque cinq heures du matin quand il s'endormit enfin. Au moins, il ne fit pas de cauchemars cette nuit-là.

oOo

Derek commença à s'installer lentement dans une routine. Il se levait à sept heures du matin et s'entraînait pendant une heure et demie – une course à travers le plus grand parc puis un entraînement musculaire – puis il prenait sa douche et son petit déjeuner, avant de descendre ouvrir la boutique à dix heures. Il continuait de lire son livre ou en commençait un nouveau s'il avait terminé le précédent. Soit il s'achetait son repas du midi au café à côté, ou alors il montait à l'étage, à son appartement. Les mercredis étaient les jours où Laura l'appelait et les vendredis, il s'autorisait à boire quelques bières. Les dimanches, la boutique était fermée et les lundis il parcourait les étagères pour les réapprovisionner si besoin.

Il ne vendait pas beaucoup, ce qui lui convenait. Cela n'avait jamais été son but de toute façon. Avec l'héritage de son oncle et l'argent que lui avait laissé sa famille, plus l'assurance vie, il n'avait pas besoin de travailler pour bien vivre. L'argent n'était pas un souci. C'était cependant plus facile pour lui de retrouver un rythme dans son quotidien. Lorsqu'il était revenu à New York, il avait pu dormir autant qu'il l'avait voulu, ce qui avait totalement perturbé son rythme en journée. Maintenant, il devait se réveiller, même les jours où il avait à peine dormi quelques heures. C'était l'enfer de sortir du lit durant ces jours-là. C'était encore pire maintenant qu'il avait sa routine d'entraînement sportif, mais c'était aussi plus facile de s'endormir à une heure décente le soir qui suivait. Les seuls jours où il s'autorisait à dormir plus étaient les dimanches, car la boutique était fermée.

Stiles passa quelques fois et Derek lui donna sa chaise, la déplaçant au même endroit où il l'avait mise à la première fois. C'était généralement lorsque Stiles avait rendez-vous ailleurs, et parfois il ne voulait même pas s'asseoir parce qu'il passait simplement pour dire bonjour. Derek se sentait parfois mal à l'aise face à Stiles, comme si ce dernier avait une vision différente de leur relation de la sienne. Pour Stiles, ils avaient l'air d'être amis. Derek ne savait pas vraiment comment qualifier leur relation, même si c'était devenu agréable d'écouter le jeune homme parler encore et encore de choses dans lesquelles Derek n'était pas impliqué. C'était devenu une pause bienvenue pendant la semaine, quand Stiles passait quelques minutes avec lui.

Cependant, un matin, Stiles franchit la porte juste quelques instants après que Derek ait retourné le panneau mentionnant OUVERT. Ce dernier était sur le point de s'asseoir sur sa chaise.

« Hey Derek. » salua Stiles avec un peu d'hésitation alors qu'il franchissait la porte. Steve n'était pas avec lui aujourd'hui, ce qui parut étrange à Derek car, jusqu'à présent, Stiles ne s'était jamais montré sans lui. Le jeune homme avait cependant un bâton replié dans sa main. Cela surprit Derek qu'il se sente exactement comme l'avait prédit Stiles une fois : le fait qu'il ne pouvait pas voir était encore plus évident maintenant, avec sa canne en main, plutôt qu'avec son chien-guide à ses côtés.

« Salut. » répondit Derek, et on aurait dit que Stiles se détendait légèrement. « Tu viens tôt. »

« Est-ce que ça te dérange ? »

« Non, bien sûr que non. » Derek tira la chaise à sa place habituelle et se dirigea vers l'arrière-salle. « Je vais juste chercher une autre chaise. Je reviens dans une seconde. »

« Je n'ai pas vraiment besoin de m'asseoir, tu sais. » dit Stiles quand Derek revint, une autre chaise en main. « Mes jambes fonctionnent toujours, même si ce n'est pas le cas de mes yeux. »

Derek haussa les épaules, puis jura intérieurement parce qu'il ne semblait jamais apprendre. « Ce ne serait pas très poli de te laisser debout. » expliqua-t-il.

Stiles s'assit et resta silencieux pendant un très, très long moment. Si long que Derek commença à devenir mal à l'aise et inquiet.

« Pourquoi une librairie ? » demanda finalement Stiles.

« Mon oncle m'a laissé une bibliothèque entière de livres dont je ne voulais pas. »

« Une raison comme une autre, je suppose. » Et Stiles parut déçu.

« J'aime lire. C'est quelque chose qui… m'a fait du bien. »

« J'aimais aussi lire. » partagea Stiles de façon inattendue. « Je n'ai pas toujours été aveugle, tu sais. »

« Je sais. » répondit Derek, avant de pouvoir s'en empêcher. « Je m'en suis rendu compte. »

« Ouais ? »

« Oui. »

« Tu ne me demandes pas ce que ça fait ? » Il y avait une tonalité un peu dure dans la voix de Stiles qui fit froncer les sourcils de Derek.

« Non. » Un muscle dans la mâchoire de Stiles tressauta, comme s'il venait de se mordre l'intérieur de la joue.

« Alors je ne demanderai pas. »

Une expression passa sur son visage, une que Derek ne reconnut pas. Stiles retomba dans le silence, mais il était moins inconfortable qu'avant.

« Je déteste quand les gens me voient comme le moyen de faire une bonne action. » marmonna Stiles après quelques minutes.

Derek ne sut pas quoi penser. « Qu'est-ce que tu veux dire ? »

Stiles sembla moins nerveux maintenant. Un peu las, mais pas contrarié.

« Je prenais mon café ce matin, et je n'avais pas amené Steve parce qu'il est avec mon père aujourd'hui. Mon père adore Steve, donc parfois je les laisse juste être ensemble. C'est un peu comme s'ils passaient du temps entre grand-père et petit-fils. Donc, ce mec est venu vers moi au café, même si je me débrouillais très bien, en disant : 'Je vais vous aider' et il a attrapé mon bras et m'a poussé sur une chaise, disant qu'il avait fait sa BA de la journée. »

Derek ne sut pas quoi dire.

« Je comprends que les gens soient perturbés, tu sais, parce qu'ils ne savent pas trop s'ils doivent offrir leur aide ou non. Je ne suis pas un connard. Si on me demande poliment, je dis que ça va, parce que si j'ai besoin d'aide, je suis tout à fait capable d'en demander à quelqu'un. Mais je suppose que ce n'est pas si grave, les gens veulent être gentils et peut-être que certains ne se sentent pas à l'aise de demander de l'aide, alors il y a des gens qui le proposent. Mais je me sens tellement dégradé, comme s'ils s'attendaient à ce que je sois incapable de me débrouiller. Quand certains attrapent juste mon bras et me poussent sur une chaise, c'est comme si je ne pouvais pas le faire moi-même. Comment ils pensent que j'ai réussi à venir jusque-là en premier lieu, tu vois ? »

Derek ne voyait pas, mais il avait le sentiment que c'était un peu comme quand les gens découvraient qu'il était vétéran et le remerciaient immédiatement pour son engagement, lui rappelant des choses qu'il essayait d'oublier. Comme si leur gratitude améliorait quelque chose. Quoi qu'il en fut, il n'était pas difficile de sentir la frustration de Stiles.

« Je suis désolé que tu aies dû commencer ta journée comme ça. » Cela semblait insuffisant, mais il ne savait pas quoi dire pour améliorer les choses.

« Je suis juste parti. » Stiles haussa les épaules comme si ce n'était grave, mais son visage disait quelque chose de différent.

« C'était très irrespectueux de sa part. »

« Ouais, ça l'était, putain. »

Ils restèrent silencieux pendant un temps. Derek ne savait pas quoi dire, mais Stiles semblait de toute façon perdu dans ses pensées.

« Tu veux un café ? » demanda-t-il, quand cela fit bien vingt minutes que Stiles était silencieux. Cela lui prit une seconde pour se rappeler que ce pouvait être un sujet délicat, mais Stiles releva les yeux et sourit.

« Ouais, ce serait génial. »

« Je reviens dans une seconde. Ils font un bon café à côté. »

« Tu sais que je suis parfaitement capable de te suivre. »

Derek scruta Stiles pendant un moment, essayant de lire sur son visage s'il était offensé, mais il n'avait pas l'air de l'être.

« Bien sûr. Si tu veux. »

Stiles se leva de sa chaise et s'étira un peu, comme si son dos était raide. Puis, il fit signe à Derek de se rapprocher, ce qui fut un peu déroutant.

« Allez. Je vais juste prendre ton bras. »

Oh. Derek avait déjà vu ça une fois dans la rue.

« Est-ce que je dois faire quelque chose de particulier ? » demanda-t-il, lorsque les doigts de Stiles s'enroulèrent autour de son bras et s'enfoncèrent dans la manche de son T-shirt.

« Non. Tu vas marcher, juste un pas devant moi, et je sentirai si tu prends des escaliers ou, tu sais, s'il y a un trottoir ou quelque chose. »

Derek se sentit mal d'avoir demandé si peu de temps après le début de journée merdique que Stiles venait d'avoir, mais ce dernier ne sembla pas en être dérangé. Ce n'était peut-être pas quelque chose qu'il voulait montrer. Derek devait juste respecter ça.

Cela prit moins d'une minute pour qu'ils entrent dans le café d'à côté, et les gens les regardèrent aussitôt. La peau de Derek le picota et il dut résister à l'envie de retirer son bras de l'emprise de Stiles. Il était évident que tout le monde savait qui était Stiles. La fille au comptoir leva les yeux et sourit brièvement, puis elle regarda à nouveau le client devant elle pour prendre sa commande.

« Qu'est-ce que tu me recommandes ? » demanda Stiles et Derek faillit s'éloigner de lui à nouveau, parce que la bouche de Stiles lui avait presque frôlé l'oreille.

« En général, je prends juste un café noir. » Il vit le sourire narquois de Stiles du coin de l'œil.

« Bizarrement, je ne suis pas surpris. Je prendrais juste un latte aux noisettes, s'il te plaît, Gretchen. » Stiles adressa sa dernière phrase à la fille derrière le comptoir, maintenant sans client, et cette dernière sourit simplement.

Derek n'aurait pas dû être surpris, mais il le fut. Stiles devait avoir reconnu sa voix lorsqu'elle avait parlé au client devant eux.

« Du café noir pour vous, Derek ? » demanda la fille, Gretchen apparemment, en se tournant vers lui.

« Oui, s'il vous plaît. »

Derek paya le café, même si Stiles commença à protester.

« Je t'ai demandé si tu voulais un café, tu te souviens ? » souligna-t-il, quand Stiles eut ce voile qui passa devant ses yeux. Derek était soudainement inquiet que Stiles imagine qu'il essayait également de faire un genre de bonne action.

« Bien. » grommela Stiles, mais il avait l'air moins fermé. « La prochaine fois, c'est pour moi, okay ? »

« Compris. » soupira Derek.

Une fois de retour dans la boutique, Derek s'assit derrière le comptoir et Stiles sur sa chaise habituelle. Le silence parut moins tendu maintenant.

« Est-ce que je te mets mal à l'aise ? » demanda Stiles soudainement, puis il revint siroter son café d'une manière qui fit suspecter à Derek qu'il essayait d'avoir l'air détaché, comme si ce n'était pas quelque chose qui lui tenait beaucoup à cœur, ou qu'il avait juste besoin d'une distraction.

L'esprit de Derek s'affola, et son corps se tendit. « Qu'est-ce que tu veux dire ? » réussit-il à dire finalement, sa voix sèche et dure.

Stiles fixa ses yeux sur lui. « Ce truc de non-vision. Le fait que je ne voie pas. La cécité. »

« Non. » Derek se racla la gorge, essayant de parler comme il le faisait avec quelqu'un d'aussi familier que pouvait l'être Laura. « Ce que tu dis, par contre... »

Stiles s'étouffa avec son café, mais il sourit contre sa tasse. « Enfoiré. »

Derek esquissa un sourire pour lui-même.

« Mais, sérieusement ? » insista Stiles.

« Non. » répondit à nouveau Derek, se sentant de plus en plus en phase avec sa réponse maintenant. Il obtint tout de même un regard sceptique de la part du plus jeune pour toute réponse.

« Je ne sais pas comment me comporter la plupart du temps. » avoua-t-il après un moment. « C'est parce que ce n'est quelque chose dont j'ai l'habitude. C'est comme ça avec toutes les personnes que je ne connais pas bien. Pour moi. »

Stiles se pencha en arrière sur sa chaise et grignota distraitement le couvercle en plastique de sa tasse. « Merci d'être honnête. »

« Ça ne veut pas dire que je n'aimerais pas me sentir..., » continua rapidement Derek alors que Stiles fronçait les sourcils. « Que je n'aimerais pas être plus à l'aise. Je… C'est juste... les gens. »

Stiles sourit à nouveau contre sa tasse. Derek avait l'impression d'être la plaisanterie de quelque chose qu'il ne comprenait pas.

« Pas très doué avec les mots ? »

« C'est soit ça, soit je suis grossier. » Ce n'était pas que Derek était incapable d'enchaîner des mots pour faire des phrases. C'était juste qu'il n'était pas très doué pour le faire, pour dire quelque chose qu'il ne voulait pas nécessairement dire. Il avait été bien plus doué avant, mais il manquait de pratique. C'était encore plus difficile d'arriver à décrypter les gens maintenant qu'auparavant.

« Je pense que j'apprécierais un peu de grossièreté. » Stiles lui fit un clin d'œil.

Derek se sentit confus.

oOo

« Tu n'as pas besoin de te sentir gêné parce que tu ne sais pas. » lui dit Stiles un jour. Il jouait avec un Rubik's Cube, et ce depuis une heure. Toutes les faces étaient blanches, mais il y avait des symboles dessus : des points disposés de manière différentes. Derek supposait que c'était du braille. C'était assez ingénieux.

« Je ne veux pas t'offenser. »

« Ce n'est pas offensant de ne pas savoir. C'est offensant de penser savoir les choses, de faire de la merde, et d'ensuite justifier ses actions avec des arguments débiles au lieu de juste admettre simplement ne pas savoir et s'excuser. » Stiles humidifia ses lèvres alors que ses doigts traînaient sur les faces du cube, comme s'il essayait d'en avoir une image mentale complète.

Derek ne sut pas quoi répondre.

« Je ne suis pas un connard. Je sais que tu n'essaies pas de me faire sentir… tu sais. » Stiles haussa les épaules.

Derek ne savait pas.

« Les gens peuvent se sentir blessés, même s'ils savent que tu ne le penses pas. » Il pensa à son neveu pendant un instant. Il savait que Derek allait mal à cette époque, et que Derek n'avait pas vu que c'était lui. Il savait que c'était le cerveau de Derek qui lui avait dit qu'il était en danger, comme par réflexe, parce qu'il avait été à la guerre pendant trop longtemps pour se rappeler ce que cela faisait de ne pas être en danger. Cela ne changeait rien au fait que la relation entre eux n'était plus, et ne serait peut-être plus jamais la même.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? » Stiles posa le cube sur ses genoux et regarda Derek dans l'expectative.

« Rien. » répondit automatiquement Derek.

Stiles leva les yeux au ciel.

Cédant, Derek marmonna, « Je ne veux pas être comme ce gars du café. »

« Derek, laisse-moi te dire une chose. »

Il sut instantanément que cela n'allait pas bien se terminer.

« Tu n'as rien à voir avec ce mec-là. Toi, t'es le mec qui a dit à un aveugle qu'il n'a pas le droit de rentrer dans son magasin avec son chien-guide. »

Derek grogna. Stiles avait l'air de passer un bon moment.

« Tu portes des lunettes ! »

« J'ai entendu dire que c'était un truc d'hipster assez cool. »

« Eh bien, tu as mal entendu. »

Stiles renifla. « Tu veux savoir un autre truc que j'ai entendu, de sources très fiables ? »

« Vu comment tu sors ça,… je ne suis pas sûr de vouloir, non. »

« J'ai entendu dire que tu étais vraiment canon. » dit Stiles, ignorant sa remarque. « Un canon tatoué. »

Instinctivement, Derek toucha son tatouage qui représentait un aigle, la Terre et une ancre, sur son bras, à peine visible sous la manche de son T-shirt ; c'était l'emblème des Marines. Il frotta ses yeux d'une main, espérant trouver quelque chose d'approprié à répondre une fois sa vision redevenue claire. Mais rien.

« Je suis curieux de savoir quelles sont tes sources fiables. »

« Ce ne serait pas très éthique de les révéler. »

Derek soupçonna fortement que c'était une, ou plusieurs, de ces femmes un peu âgées qui venaient parfois juste pour lui pincer les joues. Il ne savait même que cela se faisait encore.

« C'est le moment où t'es censé me dire si mes sources ont raison ou si je dois les poursuivre pour calomnie. »

« Je ne suis pas la meilleure personne pour répondre à ça. »

« Totalement décevant. » Stiles soupira, et après un moment, il jeta le cube sur le côté et regarda dans la direction de Derek. Presque comme s'il attendait quelque chose.

« Est-ce que tu,... hm... genre commandes aussi des livres ? »

« Non, pas vraiment. Pourquoi ? »

« Pour rien. » Stiles haussa les épaules, mais ensuite il sembla changer d'avis. « En fait, oui, il y a une raison. Je me demandais si tu pouvais chercher des livres en braille ou quoi. Peut-être qu'il en a plus à disposition pour toi, en tant que librairie tu sais. »

« Je pourrais vérifier. C'est difficile d'en obtenir ? »

Stiles haussa les épaules à nouveau. « Disons que c'est plutôt comme les soucis qu'ont les gens pour aller au cinéma lorsqu'ils habitent dans une petite ville. Tu sais, quand il y a seulement un seul endroit pour ça, et que ce n'est même pas un vrai cinéma, mais un genre de salle de théâtre ou truc comme ça. Et que les projections ne se font que le dimanche, et que tu dois attendre au moins deux ans pour voir les films arriver alors que tout le monde les a déjà vus, et que pour x raisons, tu ne peux pas télécharger de manière illégale. Si tu n'as vraiment pas de chance, quelqu'un dans la ville dira que c'est un film scandaleux et tu ne pourras finalement jamais le voir. »

Derek étouffa un rire. « Tu aurais pu simplement dire : Oui, Derek, il n'y a pas beaucoup de choix. »

« J'aime illustrer mes propos. »

« Apparemment. » Il ferma son livre et le plaça sur le comptoir. « Et les livres audio ? C'est assez populaire. »

« C'est trop bizarre. Je veux dire, il y a la même voix pour tous les personnages. D'abord y'a cette fille qui dit des trucs comme : 'Oh mon Dieu, Christian. Tu es tellement beau.' et après tu as cette même voix qui dit, 'Je vais te donner une fessée maintenant, Ana.' C'est vraiment trop bizarre. »

Derek crut qu'il allait s'étouffer.

« Ça me manque juste. De lire. Ça me manque de lire. » Le visage de Stiles se tourna dans l'autre sens. Loin de Derek. Derek qui n'avait jamais envisagé que la lecture n'était pas une évidence pour tout le monde dans son propre pays. Jusqu'à présent, il avait supposé que certaines personnes aimaient lire et que celles qui n'aimaient pas ça méritaient des peines de prison plus longues si elles commettaient un crime.

« Je ferai ce que je peux. » promit-il, et Stiles hocha la tête distraitement. Derek soupçonna qu'il était de nouveau perdu dans ses pensées.

« Merci. » répondit Stiles après un long moment.

oOo

Derek appela Laura ce soir-là. Elle avait l'air stressée, ce qui signifiait qu'il allait essayer de couper court à la conversation. De cette façon, elle n'aurait pas à se sentir mal d'avoir d'autres choses à gérer.

« Tu t'es fait des potes ? » demanda-t-elle et Derek put entendre des cliquetis de porcelaine à travers le combiné. « Une de plus, Josh. » ajouta-t-elle sévèrement. Derek imaginait que son neveu avait encore une fois tenté de s'en sortir en ne mangeant pas ses pommes de terres bouillies.

« Derek ? » demanda-t-elle, alors qu'il n'avait pas répondu.

« En quelque sorte. » Il n'était pas sûr de pouvoir qualifier Stiles d'ami, mais il était une connaissance et Derek supposait que c'était le fond de sa question. « Il y a quelques personnes qui passent régulièrement au magasin. »

« Génial ! » L'autre bout de la ligne fut soudainement beaucoup plus calme. Elle était peut-être allée dans une autre pièce. « Quelqu'un avec qui tu passes plus de temps en particulier ? »

Derek se sentit un peu sur la défensive. Il savait qu'elle faisait de son mieux pour s'intéresser à sa vie et le soutenir, et qu'elle voulait savoir tout ce qu'il s'y passait. Cela lui donnait l'impression qu'elle l'espionnait ; peut-être était-elle seulement inquiète qu'ils s'éloignent.

« Il y a ce gars qui passe plusieurs fois par semaine, et qui reste traîner un peu. »

« Dis-m'en plus sur lui. » lança immédiatement Laura.

Derek réfléchit un moment, essayant de rassembler les connaissances qu'il avait sur Stiles. « Il est plus jeune que moi. Un peu. Je ne sais pas exactement quel âge il a. » C'est quelque chose qu'il n'avait même pas réalisé auparavant. « Il parle beaucoup. Je suppose que c'est agréable d'être en sa compagnie. »

« Tu devrais faire un marathon d'émissions télé avec lui, alors. »

« Ça n'arrivera probablement pas. »

« Derek. » gronda-t-elle. « Tu devrais essayer de te faire des amis. Tu as besoin d'amis, peu importe ce que tu penses. »

« Il est aveugle. Je ne pense pas qu'il regarde des émissions de télé. »

Laura devint silencieuse à l'autre bout de la ligne et Derek ne put s'empêcher de sourire en coin. Ce n'était pas souvent qu'elle était à court de mots.

« Oh. » finit-elle par dire. Puis le ton de sa voix reprit cet aspect presque professionnel. « Eh bien, invite-le à dîner dans ce cas. Je suppose qu'il mange. »

« Bien sûr qu'il mange. » marmonna Derek.

« Donc cuisine-lui quelque chose de bien. Il mérite un repas à trois services s'il arrive à te supporter autant. »

Derek leva les yeux. « Dis bonjour à Josh de ma part. ». Et il raccrocha.

Quelques jours plus tard, Stiles était assis sur sa chaise habituelle, les pouces sur son téléphone. Il avait des écouteurs et Derek en conclut qu'il écoutait de la musique jusqu'à ce qu'il lève son téléphone vers lui.

« Qu'est-ce que tu fais ? » demanda Derek, et il fit le tour du comptoir pour venir regarder.

« J'Instagram ta frimousse. » répondit Stiles, et il posa son pouce sur l'écran avant de déclarer, « C'est Derek. Point. Si j'ai bien réussi à le prendre en photo. Point. Il me laisse traîner dans sa boutique quand il ne bosse pas. Point. »

Derek le fixa. Il regarda par-dessus l'épaule de Stiles et bien sûr, les mots qu'il venait de dire étaient écrits.

« Pourquoi tu portes des écouteurs ? » demanda-t-il alors que Stiles posta la photo et verrouilla le téléphone.

« Je me suis dit que Siri lisant mes messages et commentaires sur Instagram, ce serait un peu ennuyant pour toi. »

Derek était sur le point de dire qu'il n'avait aucune idée de ce qu'était Instagram quand le téléphone dit, « 9:42 Une nouvelle notification. » Stiles posa son pouce sur l'écran. « Instagram. » déclara le téléphone.

« Quoi ? Tu ne pensais pas que les aveugles utilisaient Instagram ? » demanda Stiles et il appuya sur le commentaire sur l'écran. Le téléphone se mit à parler à nouveau, « LydiaM : Quel canon. Est-ce qu'on devrait s'inquiéter pour toi ? »

Cela sonnait un peu ridicule avec la voix non naturelle qui mettait les tonalités parfois aux mauvais endroits, mais Derek put parfaitement entendre le commentaire.

« Cool, hein ? » demanda Stiles, et il verrouilla à nouveau le téléphone.

« Oui. » concéda Derek, sincèrement. Cool n'était même pas vraiment suffisant.

« Tu veux que je supprime la photo ? » demanda Stiles, paraissant soudainement un peu prudent.

« Non. C'est bon. Je pense que ma sœur rigolerait si elle la voyait. Je parie que j'ai l'air ridicule. »

Stiles sourit. « Je ne savais pas que tu avais une sœur. »

« C'est le cas. J'en avais deux. »

Le visage de Stiles s'assombrit. « Je suis désolé. »

« Tu n'as pas à t'excuser. » C'était la réponse standard de Derek à ce genre de commentaires. Ce n'était pas comme s'il ne pensait pas les gens sincères en disant cela. C'était juste que le fait qu'ils soient désolés ne changeaient rien.

« Alors, ta sœur, elle est toujours à New York ? » Stiles eut l'air un peu maladroit, et peut-être se sentait-il exactement comme Derek lorsque ce dernier pensait l'avoir offensé.

« Oui, avec sa famille. »

« Elle te manque ? »

Derek secoua la tête. « Non, on parle une fois par semaine. Pour être honnête, je pense qu'elle s'inquiète plus pour moi que moi pour elle. »

Cela sembla éveiller la curiosité de Stiles. « Pourquoi ça ? T'es un grand garçon. »

Derek fronça les sourcils, pensant aux fois où Laura l'avait trouvé enfermé dans son placard ou blotti dans un coin quelque part. Cela n'était pas arrivé depuis longtemps maintenant, mais elle était toujours inquiète que sa situation empire à nouveau.

« Je pense qu'elle est juste inquiète parce que je suis à l'autre bout du pays maintenant, et elle veut que je me fasse des amis. » Derek leva les yeux au ciel, et à en juger par la façon dont Stiles sourit légèrement, le ton de sa voix avait trahi ses sentiments à ce sujet plus qu'un peu.

« Je suis un super ami. »

« Elle pense que je devrais t'inviter pour un marathon d'émissions télé. » C'était dit pour illustrer une autre des idées ridicules de Laura, mais Stiles sembla ravi.

« Quelle émission ? »

Derek fronça les sourcils un instant, incapable de répondre.

« Je ne sais pas. Qu'est-ce que tu regardes ? » demanda-t-il finalement.

Stiles haussa les épaules. « Je ne suis pas difficile. Ce n'est pas une émission mais j'aimerais bien voir le premier film de The Hunger Games. Scott me dit que c'est génial. »

Derek ne savait pas grand-chose sur The Hunger Games, mais il avait vu la bande-annonce et cela ne lui semblait pas être le genre de film qu'il devrait regarder. Mais Stiles parut plein d'espoir. « Okay. On pourrait regarder ça. »

« Super. » Stiles lui fit un grand sourire, et Derek se demanda un instant comment toutes ses dents pouvaient être si parfaitement alignées. Peut-être avait-il eu un appareil lorsqu'il était plus jeune.

« Tu voudras aussi manger quelque chose ? » demanda-t-il attentivement, se souvenant soudainement de Laura disant que Stiles méritait un repas à trois services. Derek ne ferait rien d'aussi extravagant.

« Carrément. » Stiles hocha la tête avec empressement. « On fait ça chez toi ? »

« Si tu veux. » C'était étrange d'imaginer Stiles dans son appartement.

« Cool. T'habites où ? »

Derek cligna des yeux un instant. « Ici, en fait. Enfin, à l'étage. » Il y avait un étrange sentiment de satisfaction à regarder les yeux de Stiles s'élargir à ses mots.

« C'est génial. Par où j'y accède ? »

« Tu devras passer par la boutique. » Derek regarda autour de lui légèrement déconcerté. « Il y a une porte derrière le comptoir avec un escalier. Pour aller à l'étage. » Il se frotta le visage, essayant de gommer l'air stupide sur son visage.

« Il y a une porte, avec un escalier ? » Stiles lui fit un clin d'œil.

« Tu sais ce que je voulais dire. » Derek expira par le nez.

« Alors, on fait ça quand ? »

« Tu es libre quand ? »

Stiles mâcha sa lèvre inférieure pendant un moment, comme s'il essayait de se souvenir de son emploi du temps. « Vendredi ? Je dois d'abord voir mon père, mais je pourrais passer après. »

« Passe quand tu seras libre. »

Le jeudi, Derek nettoya son appartement pour s'assurer que tout serait en ordre. Il n'était pas une personne particulièrement désordonnée, étant donné toutes ses années dans l'armée et n'ayant pas beaucoup d'effets personnels. Il savait que Stiles ne pourrait techniquement pas voir si son appartement serait en bordel ou non, mais il semblait impoli d'inviter quelqu'un sans d'abord nettoyer correctement. C'était un peu ennuyant parce que son jour de nettoyage était habituellement le samedi.

Stiles lui envoya un texto ce matin-là pour lui dire qu'il apportait le film, quelque chose que Derek avait complètement oublié jusque-là. Il regarda la liste des choses qu'il devait faire avant le lendemain, gribouillée au dos d'une enveloppe. Il n'avait pas regardé un film avec un ami depuis si longtemps qu'il craignait d'avoir oublié comment faire.

L'appartement lui sembla correct et il avait préparé le repas pour le lendemain. Scannant l'endroit pendant un moment, il essaya de penser à des choses qui pourraient être un problème pour Stiles. Il finit par déplacer une plante isolée juste à côté de la porte, dans un coin.

/ Est-ce que tu viens avec Steve ? Écrivit-il à Stiles, réalisant qu'il n'avait pas de nourriture pour chien. Était-il censé en avoir ?

Cela prit au moins quarante minutes avant qu'il n'ait une réponse. Il avait fixé sa montre durant tout ce temps, inquiet de ne pas recevoir de réponse avant que l'épicerie ne ferme.

/ Si ça ne dérange pas.

/ Non, pas du tout. Est-ce que je dois lui prendre quelque chose ?

/ Non, je ramènerai tout ce dont il a besoin, si je peux juste t'emprunter deux bols

/ Pas de problème

Un peu de tension partit de ses épaules. Il écrivit à Laura, indiquant qu'il avait besoin de conseils. Elle l'appela dans la minute.

« Un conseil pour quoi ? » demanda-t-elle, ne le saluant même pas d'abord.

« Est-ce que j'ai oublié quelque chose ? » Il baissa à nouveau les yeux sur sa liste sur le comptoir.

Elle fredonna pensivement, puis commença à lui poser des questions, comme si elle avait une liste elle aussi. « Tu as la nourriture ? »

« Oui. »

« Des trucs à grignoter ? »

« Oui. »

« Le film ? »

« Non, mais Stiles l'apporte. »

« Il s'appelle Stiles ? »

Jusqu'à présent, Derek n'avait jamais vraiment réalisé que c'était un nom étrange. « C'est peut-être un surnom. »

« J'espère pour lui. Des trucs à boire ? Avec et sans alcool ? »

« Oui, et oui. »

« Préservatifs ? »

Derek pâlit. « Quoi ? »

« Ce n'est pas un rendez-vous ? »

« Non. » Il fronça les sourcils. « On est à peine amis. »

« À peine amis… pas genre, sexfriends ? »

« Juste amis. »

Derek ne se souvenait pas de ce que cela faisait de ressentir de l'attirance, à quelque niveau que ce soit. Cela ne le dérangeait pas d'avoir Stiles près de lui. C'était généralement synonyme d'une pause dans sa lecture et cela changeait du calme de la boutique. Mais Stiles avait l'habitude d'occuper ses pensées d'une manière qui l'empêchait parfois de dormir la nuit ensuite. C'était comme si les paroles de Stiles étaient toujours un léger bourdonnement dans ses oreilles lorsqu'il allait se coucher.

« Qu'est-ce que vous avez prévu de faire ? »

« Il veut voir The Hunger Games. »

« Je pensais que tu avais dit qu'il était aveugle. »

« Il peut quand même apprécier les films. Il n'a pas toujours été aveugle. »

Laura resta silencieuse à nouveau pendant un temps. Elle eut l'air plus sérieuse qu'elle ne l'avait été au début de leur conversation lorsqu'elle déclara, « Tu es sûr que c'est un film bon pour toi ? »

« Je ne sais pas encore. Je ne peux pas faire l'autruche éternellement. »

« Appelle-moi quand il sera parti demain, okay ? Je me fiche de l'heure qu'il sera. J'aurais besoin de savoir que tu vas bien. »

« Bien. » Derek savait qu'il répondait comme si cela était une corvée, mais il en fut secrètement soulagé. Très honnêtement, il ne savait pas comment il allait réagir à ce film et cela l'inquiétait.

Il s'agita dans son lit cette nuit-là. Il était presque trois heures du matin, et il avait regardé à nouveau des rediffusions de Temptation Island. Il se demanda à quelle heure Stiles avait prévu de passer, s'il s'attendrait à ce que le repas soit prêt lorsqu'il arriverait, ou s'il voudrait l'aider à cuisiner. Derek ne savait pas si Stiles buvait de l'alcool, ni même s'il était autorisé à en boire. Le fait que Laura ait supposé que c'était un rencard l'inquiéta également. Il y avait une petite voix casse-pieds dans son esprit qui suggérait que Stiles pourrait peut-être le penser aussi. Derek n'aimait pas se prendre autant la tête. Sa mère avait toujours dit qu'il réfléchissait trop, et elle avait eu raison, mais à cette époque, il s'agissait surtout des filles, de sortir, et pas de prendre sa vie en main. Peut-être qu'elle aurait été déçue de lui, si elle avait pu voir l'épave qu'il était devenu ensuite.

Il était plus de cinq heures lorsqu'il s'endormit enfin.

oOo

Lorsque son réveil sonna quelques heures plus tard, Derek était fatigué et voulait juste laisser le magasin fermé pour la journée et retourner se coucher. Il ne devrait pas pourtant, car il avait besoin de garder un rythme diurne, et il ne se permettait de dormir aussi longtemps qu'il le voulait que le dimanche.

Être fatigué le rendait également plus anxieux, et savoir à peine comment se déroulerait la journée, et pas vraiment la façon dont Stiles voyait les choses, fit surchauffer son cerveau rapidement. Son entraînement matinal améliora les choses, lui vidant l'esprit pendant un certain temps, mais vers midi, cela empira à nouveau.

Il s'abstint d'envoyer un SMS à Stiles, réalisant qu'il n'avait aucune raison pour le faire. Comment Laura avait réussi à le convaincre de regarder un film et de dîner avec quelqu'un qu'il ne connaissait pas : il n'en avait aucune idée. Plus il y pensait, plus il se sentait mal à l'aise. Ils n'étaient même pas vraiment amis, Stiles et lui. Il n'avait aucune idée de l'âge de Stiles, ni de ce qu'il faisait du reste de sa vie quand il ne passait pas du temps avec lui.

Le réaliser le rendit nerveux et son cerveau recommença à surchauffer.

Il était presque temps de fermer quand Stiles franchit la porte, et Derek était tellement fatigué qu'il était sûr de pouvoir dormir durant vingt-quatre heures d'affilées. Stiles, quant à lui, souriait et avait boutonné sa chemise à carreaux aujourd'hui. Steve était avec lui et cela avait manqué à Derek de ne plus le voir. Ces derniers jours, Stiles prenait sa canne pour une raison quelconque.

« Hey. » salua Derek et il vit le sourire de Stiles s'élargir.

« Hey, Derek. Quoi de neuf ? »

« J'étais sur le point de fermer la boutique. J'ai besoin d'une sérieuse dose de caféine. Et toi ? » Son ton était peut-être un peu haché, mais il était trop fatigué pour essayer d'y faire quoi que ce soit.

« Je vais bien. » Stiles haussa les épaules, mais il parut moins excité d'un coup. Derek remarqua le film dans sa main, quand il passa devant lui pour verrouiller la porte et abaisser le store. C'était inutile, vraiment, parce qu'il y avait une vitrine au magasin donc n'importe qui était parfaitement capable de regarder à travers, mais c'était la routine.

« Tu as faim ? »

Stiles sembla hésiter. « Je pourrais manger. »

Il fut très silencieux même lorsqu'ils franchirent la porte de l'appartement de Derek et ce dernier ne sut pas pourquoi les choses semblaient soudainement si rigides entre eux.

« Alors... » commença-t-il, puis il se perdit dans ses pensées quelques instants. « Je ne sais pas… Est-ce que je devrais faire quelque chose ? »

« Comme quoi ? » La voix de Stiles était maintenant sur la défensive.

Derek regarda dans l'appartement autour de lui, remarquant brièvement qu'il n'avait pas fait le lit correctement avant de descendre ce matin. La couette n'était pas bien bordée sous le matelas. « Te faire visiter. »

Stiles sembla hésiter un instant, puis la tension sur son visage sembla s'adoucir un peu. « Ouais, okay. Je vais juste libérer Steve de ses fonctions. Il va peut-être sauter un peu, parce qu'il ne t'a pas officiellement rencontré avant. »

Cela convenait à Derek.

Il regarda Stiles s'accroupir devant Steve, qui était docilement assis sur le sol, et commença à déboucler son harnais. La queue de Steve commença à battre le sol plus ardemment à chaque boucle défaite et Derek se retrouva à sourire.

Quand Stiles se leva, Steve resta assis par terre docilement, mais il regardait Derek avec intérêt maintenant, alternant entre regarder son maître, comme s'il attendait quelque chose.

« Où je peux mettre ça ? » demanda Stiles, tendant le harnais.

« Est-ce que sur le portemanteau, ça irait ? » demanda Derek. « C'est juste à côté de la porte. »

« C'est parfait. »

« Tu veux que je le fasse ? »

Stiles hésita à nouveau. « Okay. »

Quand Derek revint devant eux, se demandant silencieusement si les choses allaient continuer d'être aussi gênantes durant toute la soirée, Stiles se tourna vers lui. « Prêt à être couvert d'amour ? »

Cela prit un moment à Derek pour réaliser que Stiles parlait de Steve. Il soupira. « Je crois. »

Stiles fit quelque chose avec sa main, et en un instant, Steve était en train de pleurer à ses pieds, frottant sa tête contre la cuisse de Derek.

« Il ne peut pas faire ça quand il travaille, tu sais, alors il lâche tout quand il a enfin le droit. »

Derek s'accroupit et un gros museau humide cogna instantanément son visage. Cela le surprit agréablement, que Steve n'essaie pas de le lécher, mais il continua de mettre sa truffe contre les joues de Derek. Sa fourrure était tellement douce sous les mains de Derek, alors que ce dernier lui caressait doucement la tête et les flancs.

« C'est un super chien. » dit-il doucement.

Ce fut une surprise quand il sentit les doigts de Stiles effleurer ses épaules, puis s'enrouler plus fermement autour de ses muscles au même endroit. Derek se demanda un instant s'il avait fait quelque chose de mal en n'ayant pas indiqué à Stiles où il se trouvait, mais cela ne sembla pas être un problème.

Steve se lassa de lui au bout d'un moment et trottina jusqu'au canapé. Il soupira lourdement en se couchant au sol.

« C'est vraiment une drama queen. » renifla Stiles.

« Il tire ça de son maître. »

Stiles le regarda, ce qui fit sourire Derek. « La ferme. » Il y eut un silence, puis, « Tu veux toujours me faire visiter ? »

« Est-ce que je suis censé le faire d'une certaine manière ? » Il se leva et la main de Stiles glissa sur lui pour tenir son bras, comme lorsqu'ils allaient au café.

« Ça n'a pas d'importance, comme je ne vis pas ici, mais ce serait bien si tu pouvais me montrer la salle de bains. Je ne la trouverai pas moi-même et ce serait bien si j'arrivais à me repérer un peu. »

« Bien sûr. »

Derek avait toujours l'impression qu'il devait marcher lentement quand il était avec Stiles. Quelque chose que Stiles lui avait dit d'arrêter de faire pourtant plusieurs fois, étant donné qu'il n'était pas une personne âgée.

Il montra à Stiles la salle de bains. C'était assez petit, donc ce ne fut pas très difficile pour Stiles de s'y repérer. Les toilettes étaient presque tout de suite en entrant, près de la porte, et le lavabo était à côté. Stiles fredonna avec appréciation en touchant la porcelaine froide et il hocha la tête, comme s'il en était satisfait.

« Est-ce qu'il s'est passé quelque chose aujourd'hui ? » Demanda Stiles alors que Derek lui faisait visiter le salon, tout en réfléchissant s'il était inapproprié de montrer à Stiles sa chambre. Peut-être que ce serait malpoli de ne pas le faire.

« Quoi ? »

« Tu n'avais vraiment pas l'air bien quand je suis arrivé. » Stiles fit un geste devant son visage avec sa main, imitant une expression fermée. Derek supposa qu'il avait déduit cela de par le son de sa voix.

« Je suis juste un peu fatigué. Un café m'aidera. »

« Tu n'as pas bien dormi ? »

Derek hésita pendant un moment et regarda Steve qui s'était assoupi près du canapé. « Non, je n'ai pas réussi à m'endormir. »

Stiles acquiesça sciemment. « Ça m'arrive aussi, parfois. Si tu veux qu'on remette ça à une autre fois, y'a pas de souci. »

« Ce n'est pas un problème. Je vais juste prendre un café. » répéta Derek.

Stiles serra légèrement son bras au niveau du biceps, mais Derek ne sut pas s'il le fit consciemment ou si c'était simplement un réflexe.

« Derek, je ne veux pas te déranger. »

« Tu ne me déranges pas. Je t'ai invité. »

« Techniquement, ta sœur t'a dit de le faire. » souligna Stiles.

« Elle est de l'autre côté du pays, elle ne peut pas me forcer à faire quoi que ce soit. » En général, cela aurait été un mensonge, mais ce n'était vraiment pas le cas ici.

Stiles sembla être sur le point de dire à nouveau quelque chose, mais il décida de ne pas le faire. « Okay. Alors montre-moi le reste de ton appartement. »

« C'est tout. »

« Tu n'as pas de lit ? » Stiles haussa un sourcil. Derek réalisa qu'il s'était sûrement trompé d'avoir pensé que cela aurait été suggestif.

« Si. Je ne savais pas si tu allais penser que ce serait inapproprié. »

« Je suis inapproprié. » répondit Stiles, comme si cela changeait tout. Il sourit. Largement. Derek résista à l'envie de baisser la tête, même si Stiles ne le verrait pas.

« Bizarrement, je ne suis pas surpris. » répondit-il à la place.

Il s'arrêta devant le lit, et cela lui fit bizarre quand Stiles tendit la main pour toucher les couvertures. Ses doigts s'enfoncèrent dans le tissu.

« C'est chouette. » dit Stiles après un moment, touchant la lampe sur la table de chevet de Derek. Ses doigts glissèrent sur la couverture du livre qui y était posé. Derek s'attendit à ce que cela lui semble trop intrusif, mais ce ne fut pas le cas.

« Qu'est-ce qui te fait dire ça ? » demanda Derek, et il obtint un sourire en réponse.

« Eh bien, je ne peux pas juger ton goût pour les associations de couleurs, évidemment, mais cela me semble bien. C'est facile de se déplacer autour. Tu es un maniaque du rangement, ce que j'avais soupçonné depuis un certain temps, mais ce genre de choses valide les soupçons que j'avais. Je n'aurais pas à m'inquiéter de marcher sur des Lego pour enfants répandus sur le sol, ou sur des tas de choses qui n'étaient pas là hier. »

« Hm. Merci. » Derek n'était pas sûr que ce soit un compliment, mais comme Stiles venait de dire que son appartement était chouette, il serait impoli de ne pas le remercier.

« Tu n'es vraiment pas bavard, hein ? » Le sourire de Stiles était un peu dissimulé cette fois. « Je pensais que tu finirais par te mettre un peu à l'aise, mais tu es un peu comme ces distributeurs automatiques qu'on doit secouer violemment, ou auxquels on doit faire du rentre-dedans pour arriver à en tirer quelque chose. »

« Tu fais du rentre-dedans aux distributeurs automatiques ? » déclara Derek platement.

« Ah. J'en avais l'habitude. » Stiles sourit toujours, comme si cela n'avait rien d'étrange.

« Je crois qu'il n'y a pas grand-chose à dire de plus. » Derek haussa les épaules. « Je ne suis pas très bavard. »

« Est-ce que je te mets mal à l'aise ? » demanda soudainement Stiles. « Hormis le truc de ne rien voir. Genre, est-ce que Stiles te met mal à l'aise ? »

'Oui', voulut répondre Derek. C'était partiellement vrai. Stiles le mettait mal à l'aise dans un sens. C'était peut-être dû au fait que Stiles était la première personne avec laquelle il passait du temps depuis longtemps, à l'exception de sa sœur et de sa famille. Il fallait un peu de temps pour qu'il s'y habitue.

Stiles parut inquiet de son silence, alors Derek se força à répondre.

« Ce n'est pas toi. Je suis juste comme ça. Avec la plupart des gens. »

« Je vois. Tu sais que tu peux toujours me demander de partir, et si tu trouves que je t'ennuie à venir pendant que tu travailles, c'est pareil, hein ? Je ne le prendrai pas mal. Enfin, peut-être un peu, mais ça va. Ce sera juste ma fierté qui en prendra un coup. »

« Je me sens tellement plus à l'aise de te demander de partir après un discours aussi convaincant. »

Stiles sourit. « Tu n'as pas à passer du temps avec moi, ou à me supporter, juste parce que je suis aveugle. Ce n'est pas comme si je n'avais pas de potes avec qui traîner. J'avais juste l'impression que tu avais peut-être aussi besoin de quelqu'un avec qui passer du temps. »

Derek voulut répondre que non. Il n'aimait pas quand on soulignait les points faibles dans sa personnalité. Laura aurait été d'accord avec Stiles. C'était agréable de traîner avec lui.

« Ça ne me dérange pas. Ce n'est pas comme si j'avais beaucoup à faire au travail de toute façon. »

Stiles tendit la main pour saisir à nouveau son bras. Derek regarda brièvement Steve, mais il était toujours allongé près du canapé, les regardant maintenant avec intérêt. Derek se demanda à quoi il pouvait penser.

« Tu veux que je mette la table pendant que tu cuisines ? » demanda Stiles.

« Oui, si tu veux. »

Stiles haussa les épaules. « Ouais. Je m'ennuierais de devoir attendre simplement. »

Ayant besoin de se booster un peu, Derek se fit une tasse de café extra fort alors qu'il commençait à préparer à manger. Il n'appréciait pas particulièrement de faire la cuisine, mais cela ne le dérangeait pas non plus, et ce n'était pas comme s'il pouvait se passer de se nourrir. Habituellement, il optait pour quelque chose qui se cuisinait facilement, ou il prenait quelque chose à emporter, mais il lui semblait que des tacos était un bon choix lorsqu'on ne connaissait pas bien les goûts de son invité.

Stiles mit la table, demandant où étaient les choses dont il avait besoin. Derek n'intervint pas autrement qu'en répondant. La porcelaine fit un bruit de tintement, comme si les verres se heurtaient accidentellement avec les assiettes, mais c'était quelque chose que Derek faisait lui-même régulièrement.

« On mange quoi ? » demanda Stiles. Lorsque Derek leva les yeux, il était toujours debout à la table et il tenait son téléphone. L'objet parla à nouveau et Derek soupçonna qu'il était en train de publier quelque chose sur Instagram.

« Tacos. J'espère que ça te convient. »

« J'adore les tacos. » Puis il posa son pouce sur l'écran et la voix robotique du téléphone dit quelque chose que Derek ne saisit pas tout à fait, parce que son propre portable se mit à vibrer en recevant un message. Alors qu'il déverrouillait son téléphone, utilisant son petit doigt parce que les autres étaient graisseux, il entendit Stiles dire :

« En train de manger des tacos avec Derek, et c'est moi qui ai mis la table. Point. Alors, je suis doué ? Point d'interrogation. »

Derek regarda la table. Ça avait l'air parfait. Stiles avait même plié les serviettes trouvées dans le tiroir en une sorte de fleur. Derek ne pensait pas qu'il serait capable de le faire lui-même, même en voyant.

Le SMS qu'il venait de recevoir était de Laura.

/ Comment ça se passe ? Il est mignon ? Montre-moi une photo !

Derek grogna et verrouilla à nouveau son téléphone, le remettant dans sa poche.

« Quoi ? » demanda Stiles.

« Ma sœur vient de m'envoyer un texto. »

« Il est si terrible que ça ? »

« En quelque sorte. »

Stiles renifla. « Dis-moi ce qu'elle a dit. »

« Non. » refusa Derek. Il n'y avait aucun moyen qu'il lise ce message à voix haute.

« Oh, allez, Derek ! Ce n'est pas juste. Je ne peux même pas voler ton téléphone et chercher par moi-même quand tu seras dans la salle de bains. »

Derek hésita un instant. C'était comme s'il ne se sentait pas sympa de ne pas le dire à Stiles maintenant, car ce dernier ne pouvait pas regarder par lui-même. D'un autre côté, ses textos étaient personnels.

« Elle demande simplement comment les choses se passent. » déclara-t-il enfin.

« Dis-lui que tu es en train de me faire mourir de faim. »

Levant les yeux au ciel, Derek retourna devant la cuisinière. « Tu aurais pu manger avant de venir ici. »

« T'avais promis de me nourrir, mec. J'aime la nourriture. Je devais m'assurer d'avoir assez de place pour ça. » Stiles tapota son estomac.

« T'es ridicule. »

« Tss. Je suis génial. »

« Qu'est-ce que tu veux boire ? » demanda Derek, décidant de changer de sujet.

« Qu'est-ce que tu offres ? »

Ouvrant le réfrigérateur, Derek scanna l'intérieur. Il était allé faire des courses la veille, mais il ne savait plus ce qu'il avait réellement acheté tant il avait hésité. « De la bière. Des sodas. De l'eau. »

« Bière. » déclara fermement Stiles, mais il tapa ses doigts contre la table. « Je veux dire, à moins que tu n'en boives pas. »

« Je peux prendre une bière. » Derek haussa les épaules. C'était vendredi après tout. « Tu es assez âgé pour boire ? Je ne veux pas que la police frappe à ma porte parce que j'ai corrompu un gosse qui n'avait pas l'âge de boire. »

Stiles leva les yeux au ciel lourdement. « Ouais, j'ai eu vingt-et-un ans en janvier. Et mon père est le shérif, donc je pense que tu n'aurais pas de souci de toute façon. »

« Si ton père est le shérif, j'ai le sentiment que les choses seraient encore pires. »

« Tu sous-estimes à quel point mon père m'aime, mec. »

Il mit une bière dans la main de Stiles au lieu de répondre et plaça la nourriture sur la table.

« Est-ce qu'on brise la glace avec un jeu de questions-réponses maintenant ou plus tard ? » demanda Stiles en se glissant sur la chaise.

« Je ne savais pas qu'on devait faire ça. »

« Mec. On se connaît bien trop peu pour deux personnes qui traînent autant ensemble. Tu ne savais même pas mon âge. On doit vraiment rattraper ça. »

Derek hésita. Avoir des gens indiscrets dans sa vie était la dernière chose qu'il voulait, mais il pensa que Stiles avait peut-être raison.

« T'es libre de passer n'importe quelle question. » clarifia Stiles.

« Je n'arriverai à en trouver aucune à poser. »

« Okay. » Stiles tapa ses doigts contre la table pendant un moment avant que son visage ne s'illumine. « Et si je te pose les questions, et qu'ensuite j'y répondais aussi ? »

Derek hésita. Ce n'était pas si mal. De cette façon, Stiles ne poserait pas de questions trop personnelles et Derek n'aurait pas à supporter la pression d'en trouver de bonnes à poser. « Okay, bien. »

C'était intéressant de regarder Stiles mettre de la nourriture dans son assiette. Pendant une seconde, Derek eut une petite crise de panique intérieure, se demandant ce qu'il lui avait pris de vouloir servir des tacos à un aveugle. C'était une galère à manger et il n'y avait pas pensé du tout. La panique s'estompa assez rapidement pourtant, quand il vit à quel point Stiles était capable de les manger sans souci. Une personne qui ne savait pas que Stiles était aveugle n'aurait sûrement rien remarqué, mais Derek regardait avec fascination ce dernier utiliser ses doigts : pour être sûr que rien ne s'échappe de la tortilla, ou pour regarder discrètement combien d'eau il restait dans son verre.

« Est-ce que tu es totalement aveugle ? » se retrouva à demander Derek.

Stiles s'arrêta quelques instants et Derek fut instantanément inquiet d'avoir dépassé les bornes. Stiles était censé être celui qui posait les questions.

« Je suis légalement aveugle, mais pas à cent pour cent. Je peux voir des ombres et certains jours, des formes. La lumière me gâche un peu tout. Je me sens mieux en soirée, parce que la lumière du soleil est vraiment dure à supporter très honnêtement. Ce serait mieux si j'étais complètement aveugle, parce qu'avoir juste cette sensibilité, c'est plus chiant qu'autre chose. »

« Oh. » Derek ne sut pas quoi répondre à cela.

« Tu es de New York ? » demanda Stiles. Derek nota qu'il s'essuyait souvent les mains. Peut-être qu'il s'assurait que le jus de la viande hachée ne coule pas sur ses mains. Derek ne s'en rendait lui-même jamais compte, jusqu'à ce que le jus ne coule sur ses avant-bras et dégouline sur ses vêtements.

« Non. J'ai grandi ici. Je suis parti pour mes études. »

« Tu as étudié quoi ? »

« L'Histoire. »

Stiles fit un bruit de surprise.

« Enfin, c'était l'idée de base. Je me suis enrôlé dans l'armée à la place. » précisa Derek. Parfois, cela le contrariait de ne pas avoir terminé ses études, mais en même temps, il n'y avait jamais eu aucun doute sur ce qu'il était censé faire de sa vie après l'incendie.

« Tu n'as pas obtenu ton diplôme ? » Il n'y avait aucun jugement dans la voix de Stiles. Juste de la curiosité.

« Non. » Derek plia lentement sa tortilla. « Je n'ai terminé que la première année. Après ça, je me suis enrôlé. »

Prenant une autre bouchée, Stiles resta silencieux pendant un moment. « Tu es revenu quand ? »

« Il y a dix-huit mois. » Cela commençait à ressembler plus à un interrogatoire alors Derek se racla la gorge et dit, « Je pensais que tu allais aussi répondre à tes propres questions. »

Stiles grimaça. « Je ne suis pas non plus de New York... »

Avec un soupir, Derek essuya ses doigts sur la serviette.

« … et je suis allé à Stanford. J'y suis toujours, en quelque sorte. J'ai juste pris une année sabbatique. » continua Stiles, avec un petit sourire qui confirma à Derek qu'il avait juste voulu le frustrer momentanément.

Derek connaissait Stanford. C'était une université prestigieuse et Stiles avait du avoir d'excellentes notes pour pouvoir y entrer. Ce n'était pas vraiment une surprise à bien y réfléchir, parce qu'il n'avait jamais eu aucun doute sur le fait que Stiles était intelligent. Pourtant, Derek n'y avait jamais vraiment réfléchi auparavant.

« Qu'est-ce que tu étudies ? » demanda-t-il alors, réalisant qu'il était resté silencieux trop longtemps.

« Je me spécialise en musique, science et technologie. Ouais, je sais que c'est un peu... » Stiles fit un geste de la main rapide qui ne fit pas vraiment comprendre à Derek ce qu'il voulait dire. « mais, comme je disais, je fais une pause pour un an. »

Derek était sur le point de demander pourquoi, mais Stiles continua :

« Est-ce que ça va si je te pose des questions sur tes années à l'armée ? »

Fronçant les sourcils, Derek posa sa nourriture dans l'assiette avant d'en prendre une autre bouchée. « Je ne préfère pas en parler. »

« Okay. Pas de souci. On ne se connaît pas vraiment suffisamment de toute façon. » C'était dit avec un sourire, ce qui était un soulagement car Stiles ne semblait pas déçu. « Okay, donc, ça fait un moment qu'on traîne ensemble et tu n'as jamais mentionné s'il y avait quelqu'un dans ta vie. Tu sors avec quelqu'un ? »

La question le prit un peu par surprise. « Non. »

« Moi non plus. Personne ne veut sortir avec un mec aveugle. » Stiles le dit comme une blague, mais Derek soupçonnait qu'il ne trouvait pas ça très drôle en réalité.

« Tu n'es jamais sorti avec quelqu'un ? » demanda-t-il prudemment.

Stiles haussa les épaules, l'air étrangement embarrassé. « J'étais un mec bizarre en première année de lycée, puis ensuite… » Il pointa du doigt ses yeux, indiquant sa perte de vue. « J'ai toujours été un peu bizarre. Bizarre physiquement aussi. Trop maigre et dégingandé, et il manque sérieusement un filtre entre mon cerveau et ma bouche. J'ai eu ce béguin énorme pour une fille pendant assez longtemps, mais elle sortait avec un connard, et elle est toujours avec d'ailleurs. Et puis, ma première année de lycée, j'ai réalisé que j'étais plus gay qu'autre chose. »

Une expression que Derek ne put pas vraiment saisir traversa le visage de Stiles, comme s'il se souvenait de quelque chose d'agréable.

« J'ai vu ce mec, plus âgé mais magnifique. Il m'a balancé une balle en plein visage l'été juste avant que je commence le lycée et j'étais ravi, parce que je pensais que ça voulait dire qu'il m'avait remarqué, car il s'était excusé ensuite et tout. » Stiles rit et haussa légèrement les épaules. « Je suis presque sûr qu'il ne connaissait même pas mon nom, ou qu'il avait oublié mon visage à peine quelques secondes plus tard. À l'époque, je manquais trop d'assurance pour demander à quelqu'un de sortir avec moi, et quand je suis allé à l'université, j'ai eu l'impression que les gens me diraient oui juste parce qu'ils se sentiraient mal pour moi. » Se grattant la joue, il sourit en s'excusant. « Whoah. Fin du monologue. Désolé. »

« Ça ne me dérange pas. » répondit honnêtement Derek.

« C'est assez gênant. »

« Non. » Il n'était pas sûr de ce à quoi Stiles faisait référence : son manque d'expérience ou ses paroles. Dans les deux cas, il n'était pas d'accord.

Stiles renifla. « Combien de jeunes de vingt-et-un ans tu connais qui n'ont jamais embrassé personne ? »

« Tous. »

Il y eut une étrange satisfaction à voir les yeux de Stiles s'agrandir.

« Tu es la seule personne de vingt-et-un ans que je connaisse. » expliqua-t-il après un moment, et il eut une seconde d'inquiétude avant que Stiles ne commence à rire.

« À quand remonte la dernière fois que tu as embrassé quelqu'un ? » demanda-t-il alors, changeant brusquement de sujet.

Derek réfléchit intensément. Cela faisait longtemps, mais il y avait eu Jennifer avec qui il était sorti brièvement après sa première période de service. « Six ans. »

Les yeux de Stiles s'agrandir une nouvelle fois. « Quoi ? »

« Quoi. »

« Rien. » répondit Stiles à la hâte, mais il avait l'air un peu hébété. « Je pensais… Okay. Les gens n'arrêtent pas de me dire à quel point tu es sexy, alors je suis juste surpris. »

Derek frotta sa main sur son visage de frustration. Stiles n'arrêtait pas de lui parler de son physique, et il ne savait pas comment réagir.

« Mais, pourquoi ? » demanda alors Stiles.

« Je n'arrêtais pas de retourner sur le terrain, de m'engager pour d'autres missions. Et je n'avais pas envie de… ça. »

La douceur s'étendit sur les traits du visage de Stiles. Derek détestait recevoir de la sympathique indésirable. « Tu n'as pas à me plaindre. Je n'en souffre pas. »

« Ce n'est pas ce que je voulais dire, Derek. »

« Tu as terminé ? » demanda Derek, alors qu'il se levait. Il voulait débarrasser la table. Occuper ses mains avec quelque chose. « De manger. » ajouta-t-il, alors que Stiles regardait dans sa direction et paraissait déçu.

« Ouais. » L'expression sur le visage de Stiles alors qu'il repoussait son assiette, fit que Derek se sentit coupable.

« Je ne voulais pas être impoli. » dit-il doucement, en prenant l'assiette.

« C'est bon. »

Il rinça les assiettes et les laissa dans l'évier. Regardant par-dessus son épaule, il vit Stiles toujours assis à table, serrant sa bière dans ses deux mains et passant ses pouces autour du bord de la bouteille, encore et encore.

Derek se racla la gorge et lutta pour trouver quelque chose de plus agréable dont parler. Son regard s'arrêta sur le paquet de boules soufflées au fromage. « Tu veux un truc à grignoter ? »

Stiles hocha simplement la tête.

Après avoir posé les bols de snacks, Derek aida Stiles à s'asseoir sur le canapé. Il était certain que Stiles aurait pu le faire lui-même sans trop de problèmes, mais la dernière chose qu'il voulait était que ce dernier se sente obligé de trouver son chemin chez lui. Surtout que les choses étaient devenues soudainement tendues entre eux.

Cependant, dès que Stiles prit un des bols, il sembla redevenir un peu plus lui-même. « J'ai tellement hâte ! Ça fait tellement longtemps que je veux voir ce film. Tu l'as déjà vu ? »

« Non. »

« Génial, on va pouvoir être en extase devant tous les deux. »

C'était un peu étrange de regarder un film avec une voix expliquant exactement ce qu'il se passait à l'écran, mais c'était facile de s'y habituer. Le film en lui-même fut bien à regarder, au moins au début. Pendant un bon moment en fait. Alors que Derek commençait à se détendre, à peu près au moment où les jeux étaient lancés, ses muscles commencèrent à se tendre. Ils étaient inhabituellement silencieux, et Stiles ne parlait pas et n'incitait pas Derek à engager le dialogue. Derek comprenait que c'était parce que Stiles écoutait, et le film commença à l'hypnotiser lui, d'une manière qu'il n'apprécia pas. Une partie de lui souhaitait que Stiles se mette à parler, ce qui forcerait son esprit à se concentrer sur autre chose.

Ils étaient assis proches l'un de l'autre, puisque le canapé n'était pas si grand que ça. La cuisse de Stiles touchait à peine celle de Derek et ce dernier se sentit submergé et mal. Coincé. Il essaya de regarder par la fenêtre lorsque le massacre commença à l'écran, se disant que ce n'était qu'un film, mais la voix qui expliquait tout en détail, si vivement, l'empêcha de s'y soustraire. Il avait vécu des choses tellement proches de tout ça.

Fermant ses mains en poings, ses ongles s'enfoncèrent dans ses paumes et il essaya de focaliser son stress et ses sens sur autre chose. Mais la sueur était déjà en train de déferler sur tout son corps.

Steve eut soudainement un aboiement de détresse, attirant l'attention de Derek, et la concentration de Stiles sembla se relâcher un instant. Ce dernier tourna sa tête vers Derek qui regardait de l'autre côté, même si Stiles ne pouvait le voir.

Son T-shirt était humide et collé contre son torse. Il était en coton, mais en cet instant, il lui sembla étouffant. Il appuyait sur sa poitrine, et sa tête le tournait.

« Derek ? » demanda Stiles, et son ton donnait l'impression qu'il venait déjà de l'appeler plusieurs fois. Sa main vint toucher le bras de Derek. C'était timide, mais c'était là. Derek ne sut pas s'il avait perdu connaissance mentalement pendant plusieurs secondes, ou si c'était vraiment la première fois que Stiles essayait d'attirer son attention.

« Hé, Derek, il faut que tu me dises quelque chose là, okay ? Je suis en train de m'inquiéter. »

Il fallut quelques secondes à Derek pour réaliser que l'écran du téléviseur était bleu et que le lecteur Blu-Ray était éteint. Il avait clairement eu une absence.

« Désolé. » réussit-il à dire, la voix rugueuse. Il grimaça quand la main de Stiles toucha son T-shirt humide, ayant l'impression que cela le trahit.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » demanda Stiles, un froncement de sourcils inquiet sur le visage.

« Désolé. » répéta Derek, notant brièvement que Steve était allongé sur ses pieds. « Je devrais probablement aller prendre une douche. »

Stiles ouvrit la bouche puis la referma, comme s'il voulait demander quelque chose, mais il réfléchit. « Tu veux que je m'en aille ? »

« Tu n'es pas obligé. C'est comme tu veux. »

« Je te demande ce que tu veux, toi. »

« Tu n'es pas obligé. » répéta Derek, n'ayant aucune idée de ce qu'il voulait. Son cerveau était engourdi. Brumeux.

« Je vais rester dans ce cas. » La voix de Stiles était douce.

Derek acquiesça distraitement, oubliant momentanément que Stiles ne pouvait le voir, et partit s'enfermer dans la salle de bains. Ses doigts n'étaient pas sûrs et il sentait qu'il tremblait en se déshabillant. Il essaya de le faire lentement, de se concentrer sur sa respiration, de démêler lentement le désordre des pensées dans sa tête, de les remettre en ordre. L'eau était un peu froide, mais cela lui donna l'impression que son corps se réveillait après avoir été totalement éteint. En même temps, ses sens étaient en hyperactivité.

Sa douche ne dura pas longtemps. Même après s'être essuyé, il se sentit toujours faible, comme si son corps tremblait, mais c'était tout de même mieux qu'avant. Il attrapa les vêtements sur le portemanteau accroché au mur, réalisant qu'il n'avait même pas pris de vêtements propres, et qu'il n'y avait que le T-shirt qu'il avait porté deux heures la veille. Cela ferait l'affaire. Son vieux jean et son vieux T-shirt formaient un tas par terre, sur le sol. Évitant le miroir, il sortit de la salle de bains. L'embarras le gagna dès qu'il referma la porte et il remarqua qu'il y avait une tasse de thé fumant qui l'attendait sur la table de la cuisine. Stiles avait ses mains dans les poches, se tenant légèrement voûté.

« Désolé d'avoir fouillé dans ta cuisine. » fut la première chose qu'il dit.

« C'est bon. » Derek attendit que les questions arrivent, car Stiles en avait généralement beaucoup. À sa grande surprise, il n'en posa pas.

« Je me suis dit que tu apprécierais une tasse de thé. J'aime bien en boire parfois quand il est tard et que je ne veux pas de café. »

« Merci. » Derek s'assit sur une des chaises de la cuisine et regarda la tasse pendant un moment. La partie rationnelle en lui, lui disait que ce n'avait été qu'un film, ce qui rendait tout cela ridicule. En plus de cela, la culpabilité monta en lui dès lors qu'il se souvint à quel point Stiles avait été excité de pouvoir enfin voir ce film. « Tu veux continuer de regarder le film ? » demanda-t-il avec précaution.

« Nan. » Stiles secoua rapidement la tête et peut-être que la réticence de Derek était évidente. « Pas trop envie. Ce mec, Peeta, était vraiment naze. »

Derek sourit malgré lui. Il était à peu près sûr que Stiles essaierait de regarder le film dès qu'il en aurait l'opportunité, mais Derek était également reconnaissant qu'il prétende le contraire.

Il but son thé en silence et Stiles ne dit pas grand-chose non plus. Steve posa sa tête sur la cuisse de Derek et la main de ce dernier n'arrêtait pas de caresser la douce fourrure dans le cou du chien. Lorsqu'il arrêta, il reçut un soupir et un regard accusateur de la part de l'animal, ce qui lui fit se dire qu'il avait dû apprécier ça.

« Il t'aime bien. » dit soudainement Stiles.

« C'est un bon chien. » répondit Derek, plus à Steve qu'à Stiles.

« Ouais, c'est un bon ami. »

En regardant Steve qui levait les sourcils vers lui, Derek ne put pas contester. Leur conversation était plus calme ensuite, comme si Stiles avait décidé de ralentir la vitesse de leur échange et de sélectionner plus soigneusement son choix de sujet. Il parlait toujours la plupart du temps, il n'empêchait pas Derek de répondre aux questions ou de donner son opinion comme il le faisait habituellement. C'était déjà bien que Derek soit obligé d'utiliser des mots à la place de gestes pour communiquer, pour réapprendre à interagir socialement avec les gens d'une certaine manière. En cet instant, Derek était reconnaissant de voir que Stiles avait bien plus de tact que ce qu'il avait semblé avoir au départ.

Il faisait nuit dehors et il était minuit passé depuis longtemps lorsque Stiles commença à parler de partir.

« Tu veux que je te raccompagne ? »

C'était une petite ville et Derek était certain que Stiles était pleinement capable de rentrer seul chez lui en toute sécurité. Cependant, il n'était pas contre le fait de prendre un peu l'air, ni de savoir réellement que Stiles serait rentré à bon port lorsqu'il irait se coucher plus tard. Derek était inquiet du fait que Stiles pourrait être une cible facile pour quiconque voudrait lui faire du mal.

« Je ne suis pas une lycéenne avec qui tu viens d'avoir un rencard, Derek. »

« Je ne serais pas contre prendre un peu l'air. » Il haussa les épaules. « Je me suis dit que je pouvais te raccompagner en même temps, si ça te va. »

Stiles hésita, ses sourcils se rapprochant.

« Ce n'est pas parce que je pense que tu n'es pas capable de rentrer seul à pied. Je sais que tu le peux. Tu le fais chaque jour où l'on se voit. »

« Pouah. Bien. » soupira Stiles. « Steve sera ravi d'avoir sa balade nocturne maintenant, au lieu de l'avoir quand on sera rentré à la maison quand j'aurais récupéré ma canne. »

Derek regarda Steve, qui avait l'air à moitié endormi, les yeux fermés et la tête reposant lourdement contre sa cuisse.

« Je veux dire, si tu es d'accord avec... » Stiles fit un geste de la main circulaire, pour les englober tous les trois.

« Pas de problème. »

Stiles sourit. « Les gens qui ne me connaissent pas vont penser que je suis probablement bourré. » Cela ne sembla pas le déranger.

« Probablement. »

« Ou que tu es mon petit ami trop bien foutu, et que tu me ramènes chez moi après un rendez-vous hot. »

Derek leva les yeux au ciel. « On dirait que tu fais une fixette sur mon apparence. »

Stiles lui fit un clin d'œil. « J'ai pu toucher tes biceps. C'est très prometteur pour le reste de ta personne. »

« Tu veux toucher le reste de ma personne ? » glissa-t-il avant même de réaliser comment cela sonnait, et à quel point c'était suggestif.

« Est-ce une proposition ? » Stiles sourit.

Derek étouffa un son moqueur, ne sachant quoi dire, ni comment réagir.

Stiles laissa échapper un soupir dramatique. « Je suppose que je dois m'en tenir aux biceps alors. Dieu que la vie est injuste. » À cela, il serra légèrement sa main autour du bras de Derek, comme pour accentuer ses propos.

« Ouais, on dirait vraiment que tu souffres. »

Une fois qu'ils se mirent en route, Stiles fut plus ouvert. C'était comme si la tension précédente entre eux avait disparue et que les choses étaient redevenues ce qu'elles étaient habituellement. Les rues étaient désertes, mais Stiles savait clairement où il allait. Marchant légèrement en retrait par rapport à Derek, comme à son habitude, il lui donnait des instructions fermes sur où tourner et quelles rues traverser.

« Habituellement, je compte les pas, parce que c'est le moyen le plus simple pour savoir où je me trouve. Mais quand je parle à quelqu'un, je donne des instructions, parce qu'il n'y a aucun moyen d'avoir assez de concentration pour compter et parler en même temps. » expliqua-t-il, comme s'il avait lu les questionnements dans l'esprit de Derek.

« Je pensais que Steve faisait ça pour toi. »

Stiles renifla. « Non, Steve n'a aucune idée d'où aller. Je veux dire, si je disais 'rentrons à la maison', il le saurait probablement, mais ce n'est pas comme s'il avait un GPS dans son cerveau. Son travail consiste à garder une trace de la circulation, des escaliers, des trucs comme ça tu vois, mais j'ai dû suivre une formation pendant environ deux mois pour apprendre à travailler avec lui. C'est plus difficile qu'il n'y paraît. »

Derek n'avait aucun mal à le croire.

Stiles vivait assez proche de chez lui, juste en face de son restaurant thaïlandais préféré, ce qui lui permettrait de se souvenir plus facilement du chemin si un jour il lui rendait visite. L'immeuble, en briques rouges, possédait trois étages et une sortie de secours un peu dangereuse qui descendait le long de la façade principalement couverte de lierre.

« Tu es à quel étage ? »

« Au troisième. J'aime avoir une belle vue. » Stiles lui fit un clin d'œil d'une manière un peu stupide à laquelle Derek ne savait jamais vraiment comment réagir.

« Tu veux que je te raccompagne à l'étage ? »

« Est-ce que j'ai l'air d'un ivrogne qui ne sait pas marcher seul ? »

« Non. »

« Voilà ta réponse. » Pendant une seconde, Derek craignit d'avoir dit quelque chose d'offensant par erreur, mais Stiles sourit. « Merci de m'avoir raccompagné chez moi. Je suis sûr que Steve l'a beaucoup apprécié. »

Alors que Stiles lâchait son bras, Derek fit un pas en arrière, se sentant soudainement gêné par le manque d'espace personnel. « Merci d'être passé. Je suis désolé que nous n'ayons pas terminé le film. »

« Oh, s'il te plaît. Je n'ai rien à faire. Je pourrais regarder ça un coup où je m'ennuierai. »

Derek acquiesça, jetant un coup d'œil au bâtiment pendant un moment, se demandant quelles fenêtres étaient celles de Stiles.

« À plus tard. » dit-il alors que le silence durait entre eux depuis trop longtemps.

« Bye, Derek. »

Stiles disparut alors à l'intérieur, tenant fermement la laisse de Steve dans sa main et Derek attendit dehors, regardant à travers la porte vitrée. Il voulut s'assurer que Stiles trouvait bien l'escalier. Un instant plus tard, il se sentit coupable alors qu'il regardait Stiles attraper la rampe comme s'il était une personne pouvant voir. Derek devait vraiment se renseigner davantage, histoire de tuer son ignorance sur le sujet.

oOo

« Mec, pourquoi il n'y a aucun bon endroit pour s'asseoir ici ? » gémit Stiles quelques jours plus tard, lorsque l'iPad qu'il essayait de maintenir en équilibre sur ses cuisses s'était effondré sur le sol pour la troisième fois en autant de minutes. Il avait parcouru les messages sur son téléphone en même temps, un écouteur à l'oreille et l'autre se balançant autour de son cou.

« Ce n'est pas une bibliothèque. » fit remarquer Derek.

« C'est bon. » Stiles lui fit un signe de la main et parla plus bas comme s'il voulait lui partager un secret. « Je suis pote avec le mec qui tient la boutique. Il a un faible pour moi. »

Derek étouffa un rire. Idiot.

« Tu peux t'asseoir derrière le comptoir si tu veux. »

« Ohh, je peux jouer avec la caisse enregistreuse ? » La façon dont le visage de Stiles s'éclaira fut très amusant.

« Non. »

« Argh, Derek, ne soit pas si rabat-joie. »

Derek l'ignora, mais Stiles se dirigea quand même derrière le comptoir et vola sa chaise. Parfois, Derek se demandait si Stiles était réellement aveugle.

« Vraiment ? Tu vas aussi me piquer ma chaise ? »

« Pourquoi pas, je suis ton invité. »

« Je devrais te foutre à la porte. » Il regarda Stiles brancher une autre paire d'écouteurs à son iPad, et en mettre un à son oreille libre.

« Arrête de me désaccueillinviter. » murmura Stiles dans un souffle, se concentrant complètement sur autre chose.

« Ce n'est même pas un mot. »

Retirant un écouteur, Stiles se redressa comme il le faisait quand il était sur le point de faire quelque chose de ridicule. « Je suis pour le progrès linguistique. Les gens devraient pouvoir inventer leurs propres mots. »

« Ça ne marcherait pas. »

« Derek. »

Il resta silencieux pour le reste de la journée. Ce ne fut que lorsqu'il était sur le point de partir que Stiles se gratta le menton ; il avait l'air de vouloir dire quelque chose, sans en être sûr pour autant.

« Ce mec m'a proposé un rencard. »

Derek laissa presque tomber le livre qu'il était en train de lire. Cela l'irrita, parce qu'il se fichait bien que Stiles sorte avec quelqu'un.

« Super. »

« Ouais, il a l'air cool. » déclara Stiles rapidement, mais la façon dont ses doigts pincèrent les fils de ses écouteurs le trahirent. « Il dit qu'il me suit depuis un moment. Il pense que je suis canon, apparemment. »

« Plutôt bien qu'il t'ait demandé de sortir avec lui dans ce cas. » Pour une raison quelconque, sa voix semblait mécanique, même s'il était content pour Stiles. Il l'était.

« Ouais. Je suis juste nerveux, tu sais. Je n'ai jamais eu de rendez-vous. »

Comme si Derek avait beaucoup d'expériences ces derniers temps. « Parle lui de toi. Ce ne sera pas un souci pour toi. »

Stiles essaya d'avoir l'air offensé, mais il échoua lamentablement. « Non, mais honnêtement. »

Derek haussa les épaules, et ferma son livre. « Cela dépend de ce que vous allez faire. »

« Euh. Dîner. »

« Alors tu vas beaucoup parler. » Il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire lors d'un dîner.

« Okay. » Stiles haussa les épaules, puis il mordilla sa lèvre inférieure un moment. « Rien d'autre ? »

« Qu'est-ce que tu veux dire ? »

« Et quand la partie plus intime du rendez-vous pointe le bout de son nez ? »

Derek tripota un des coins cornés de son livre alors qu'il regardait Stiles bouger sur sa chaise. « Ça dépend. C'est à toi de décider. »

« Je veux juste savoir ce qu'il attend. »

« Il ne devrait rien attendre. » répondit fermement Derek.

Cela lui valut un soupir dramatique. « Ouais, bien sûr, il ne devrait pas. Mais s'il attend quelque chose ? Ce n'est pas comme si j'avais beaucoup d'options si je ne veux pas rester célibataire pour l'éternité. »

« Ne t'inquiète pas. Tu mourras avant d'atteindre l'éternité. »

Stiles lui lança un livre. Il frappa Derek directement dans le torse, mais heureusement, c'était un livre de poche mince.

« Oh mon Dieu, désolé. Je ne pensais pas que je te toucherai. Je rate tout le temps. »

Derek attrapa la balle anti-stress que Laura lui avait envoyée par courrier la semaine passée et la jeta à la tête de Stiles. Stiles se débattit et lui lança un regard noir, mais il avait l'air de d'essayer de réprimer un sourire.

« Oh super, tu es ce genre de mec. Le genre qui jette des trucs sur un pauvre aveugle. Ce genre-là. »

Derek leva simplement les yeux au ciel.

« Allez, sérieusement. Aide-moi là. »

« Tu ne devrais rien faire que tu n'aies pas envie. C'est le seul conseil que je te donne. »

« Peut-être que je dois le faire, si je ne veux pas rester célibataire. »

« Il vaut mieux être célibataire que d'avoir à faire quelque chose que tu ne veux pas. » Il voulut rajouter crois-moi, mais il se retint. Stiles lui aurait ensuite demandé pourquoi. Il posait tout le temps trop de questions.

« C'est facile pour toi de dire ça. Tu n'es pas l'aveugle puceau et gay. »

« Non, c'est vrai. »

Soudainement, Stiles sourit. « Ça aurait été un vrai rebondissement si tu avais dit oui, en vrai. »

Derek sourit légèrement pour lui-même. « Ça pourrait. Ça pourrait être mon identité secrète, qu'est-ce que tu en sais ? »

« Tu es Daredevil. »

« Je ne pense pas qu'il soit gay ou puceau. » souligna Derek.

« Oh, s'il te plaît. » se moqua Stiles. « Regarde son costume ! »

« Et donc ? »

« D'une : c'est du cuir ou quelque chose comme ça, et son masque a l'air de sortir tout droit d'un mauvais scénario de BDSM. De deux : personne ne se fait sauter avec un costume pareil. »

Derek fut un peu surpris par son propre rire : il était soudain, fort et insouciant. Stiles rit aussi et il parut fier de lui. Il se reprit vite pourtant.

« Non, mais allez, honnêtement. »

« Je suis sérieux. Les choses vont mal se finir si tu fais des choses que tu ne veux pas faire. »

« Et si jamais on y vient quand même parce que j'en ai envie, mais que je ne sais pas comment m'y prendre ? »

Il essaya de penser à ce que Laura dirait. Elle avait toujours été bien meilleure que lui dans ce domaine. « Tout le monde y est passé à un moment donné. Il devra te guider, s'il sait. Et s'il ne sait pas non plus, vous découvrirez ensemble. »

« C'est stupide. Tu parles comme ces gens qui font du 'sexe positif', et apprennent aux ados qu'il faut avant tout se respecter, et bla-bla... »

« Des gens vraiment terribles. Ils devraient brûler en enfer. »

Stiles rit, faisant sourire Derek à nouveau pour lui-même.

« Alors, c'est quand ce rendez-vous ? »

« Vendredi. Je suis nerveux. »

« Tu t'en sortiras bien. » promit-il.

Durant tout le vendredi, Derek se sentit étrangement agité. Les choses empirèrent instantanément lorsque Stiles ne passa pas le voir et n'envoya pas de SMS. D'une certaine manière, il se sentit remplacé, malgré lui. Incertain de quelle était réellement sa place pourtant. Ce n'était pas comme s'il voulait sortir avec Stiles, donc ce n'était pas de la jalousie. Il se sentait juste mal à l'aise avec tout ça.

Il regarda l'écran de son téléphone, appuyant constamment sur le bouton d'accueil pour garder un œil sur le temps qui défilait. Le fond d'écran était un paysage avec des paresseux, et l'horloge digitale annonçait bientôt vingt-et-une heures. Il n'avait toujours aucune nouvelle de Stiles.

Pendant un instant, il pensa à lui envoyer un SMS. Juste quelque chose de décontracté, pour lui demander comment s'était passé son rendez-vous ou comment il se sentait… Puis son téléphone sonna. Il était un peu plus de onze heures. Il fut soulagé pendant une seconde, mais quelque chose d'irritant s'installa dans le creux de son estomac alors qu'il lisait les quelques mots à l'écran.

/ J'aime vraiment bien ce mec :)

Derek ne savait pas quoi répondre à cela. Qu'est-ce qu'il était censé dire ?

/ Je suis content pour toi. Il se décida pour ça finalement. C'était vrai. Bien sûr que c'était vrai. Pourquoi ne serait-il pas content que Stiles se trouve quelqu'un ?

Il appela Laura, même si c'était un vendredi. Elle répondit à la deuxième sonnerie, et sa voix paraissait un peu endormie alors qu'elle grognait quelque chose en guise de salutation.

« Merde. J'ai oublié quelle heure il était. »

« C'est bon. Est-ce qu'il y a un problème ? » demanda-t-elle doucement, et il l'entendit sortir du lit, puis fermer une porte.

« Non, il n'y a pas de problème. »

« Menteur. »

« Il n'y a pas de problème. » insista Derek.

« Okay. » On aurait dit qu'elle ne le croyait pas. « Comment tu vas alors ? »

« Je vais bien. »

« Okay. » Elle ne semblait pas non plus convaincue. « Est-ce que tu as fait une autre soirée film avec ton ami Stiles ? »

« Non. Il a un rencard. »

Laura s'arrêta un instant. « Je vois. Je ne savais pas qu'il avait quelqu'un. »

« Il n'a personne. C'est leur premier rendez-vous. » Il y avait une rediffusion de l'émission The Tonight Show à la télé, mais le son était coupé. Derek regarda l'invitée du jour s'installer dans le fauteuil. Il ne la reconnut pas et n'avait aucune idée depuis quand ce mec de Saturday Night Live était devenu l'animateur de l'émission. Derek était vraiment à la ramasse sur pas mal de trucs de la pop culture d'aujourd'hui.

« Et comment tu te sens par rapport à ça ? »

« Je n'ai pas spécialement de ressenti là-dessus. Il peut sortir avec qui il veut. S'il veut. »

« Okay. » Laura s'arrêta à nouveau. « La personne avec qui il sort est sympa ? »

« Je ne sais pas. Je ne l'ai pas rencontré. »

« Mais Stiles l'aime bien ? »

« Il a l'air. Enfin, c'est ce qu'il m'a dit par texto juste avant que je t'appelle. »

Laura fredonna légèrement un 'hm', comme si quelque chose était devenu tout d'un coup bien plus clair. Il détestait lorsqu'elle faisait ça. Spécialement quand il ne comprenait pas lui-même quelle était la révélation derrière ça.

« C'est plutôt bien, non ? Puisque tu n'es pas intéressé par lui. »

« Peut-être que je suis juste inquiet. » admit Derek, pensant que c'était probablement ce pourquoi il s'était senti bizarre toute la journée.

« Je sais, mais il est légalement un adulte, dans tous les sens du terme, pas vrai ? Il peut prendre ses propres décisions, même si ce sont des erreurs. »

« Ce n'est pas forcément une erreur. Peut-être que ce mec est le bon pour lui. »

« Et c'est plutôt bien, donc ? » demanda Laura à nouveau.

Il se posa la même question. Pourquoi ce ne serait pas bien ? Elle babilla pendant un moment, comme si elle savait qu'il était en train de se perdre dans ses pensées. Elle raccrocha vingt-cinq minutes plus tard et Derek découvrit un autre texto de Stiles.

/ On ressort ensemble le week-end prochain :D

Derek éteignit son téléphone.

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À suivre…

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J'espère que ce premier chapitre vous a plu. Il faudra attendre plusieurs semaines avant que le chapitre 2 n'arrive (je ne sais pas encore trop combien de temps, mais je m'y mets au mieux, comme vous le constatez, les chapitres sont très longs !).

N'hésitez pas à laisser une review pour dire ce que vous en pensez, merci !

Bon week-end tout le monde !