Titre : Start of Time.

Raiting : M (troubles mentaux, TS, drogues, relations sexuelles et plein d'autres mignonneries).

Pairing : principalement du Eren x Levi (slow burn) ; en arrière-plan Historia x Ymir ; Jean x Marco ; Petra x Oluo... et d'autres.

Disclaimer : Tout appartient au grand Isayama, si ce n'est l'intrigue générale.

Franchement, je ne m'attends pas à grand chose en postant ce premier chapitre. Puisque je ne suis définitivement pas une preuve de régularité, je ne peux rien promettre. Tout ce que je sais, c'est que j'aime profondément cette histoire et que je voudrais vraiment la voir se développer, même si ça ne tient qu'à mon inspiration très instable. Ce n'est pas très rassurant, certes, mais je préfère me montrer honnête.

Cette fic est inspirée par "Le foyer de la dernière chance" de boadicee, que je vous invite à aller lire. Mon histoire un mix des témoignages de mes proches, de ma propre expérience et des séries, des livres, des films concernant le monde de la psychiatrie. Je ne prétends pas détenir la sainte vérité sur tout, il y aura très certainement des erreurs, des contradictions. Je ne souhaite que écrire sur ces émotions brutes, ce mal-être, sur l'envie de mourir et sur une guérison possible. Y associer les personnages de SNK m'a aussitôt plu. Ce n'est sans doute pas très attrayant, c'est même assez ovni comme projet, mais j'ai aimé écrire ce premier chapitre. Je ne souhaite pas non plus supplier pour des reviews, mais en recevoir reste toujours très important pour moi.

Le lieu que je décris n'existe probablement pas mais j'aimerais que ce soit le cas. C'est un mélange entre un hôpital psychiatrique et une grosse colocation bordélique entre amis, enfin vous verrez. Bien sûr, il existe de nombreuses mauvaises expériences vis-à-vis de la psychiatrie, mais je voulais prendre une approche plus "positive". Aussi, le personnage d'Eren peut agacer. Je le comprendrai, mais il va évoluer.

Enfin bref, j'arrête de déblatérer. Faîtes-vous votre propre avis et n'hésitez pas à me le partager. Bonne lecture !


Chapitre 1.

Pour être honnête, Eren sentait un étau se refermer sur sa gorge et des larmes de plus en plus brûlantes lui piquer les yeux – tant et si bien qu'il dû les clore un court instant – alors que leur voiture progressait le long du parking. Respirer, garder son calme devenaient deux montagnes infranchissables.

Sur sa gauche, une main féminine empoigna fermement la sienne, à l'en rompre – Mikasa –, et sur sa droite, un bras puissant encadra ses épaules, l'entraînant un peu sur le côté, vers des lèvres qui vinrent déposer un baiser rassurant sur sa tempe – ça, c'était Sieg. Eren sentit un semi-sanglot franchir le pas de sa bouche, soulageant quelque peu sa tension douloureuse pour lui permettre de mieux de se diluer. Il n'était plus qu'un amas d'émotions aussi violentes que contradictoires, une stupide boule de nerfs prête à exploser, et ça le foutait en rogne.

Il aurait aimé ressembler à sa sœur adoptive et à son demi-frère. Il aurait aimé être fort comme eux.

Et ces stupides larmes…

Il aurait aimé ne pas pleurer ainsi.

« Eren… » murmura la voix de Mikasa, dont la froideur habituelle se fissurait de compassion, de tendresse. « Ce n'est pas la fin. »

Si, ça l'était. Ils allaient le mettre en cage dans ce putain de trou pour tarés, l'y laisser pourrir, ils allaient l'isoler du reste de leur famille, l'oublier d'ici quelques mois. Le noeud de ses poings se resserra, si fort que le bout de ses ongles s'enfonça au fond de sa chair, sans qu'il ne sache trop si ça faisait mal, et peut-être était-ce qu'il recherchait après tout ? la douleur la plus pure. Un pleur désemparé lui échappa à nouveau, comme s'il venait de retomber à l'époque de ses six ans, lorsqu'il pensait que déverser toutes les larmes du monde allait servir à quelque chose, que ça allait tout changer. Je suis vraiment con, je n'aurais jamais dû faire ça…

Il rouvrit des yeux rendus flous par les larmes.

Maintenant, il devait assumer. Dire adieu à sa vie d'avant. À sa chambre décorée de mille et un posters Marvel, le plus souvent plongée dans un bordel sans nom mais au coeur de laquelle il s'était toujours senti bien, en sécurité, avec ces stupides étoiles fluorescentes au plafond pour tuer dans l'oeuf chacune de ses crises d'angoisse. Adieu au lycée, à ses potes. Adieu à Armin, son meilleur ami, qui ne pourrait sans doute plus jamais le regarder de nouveau dans les yeux. Adieu à la liberté de flâner là où il le souhaitait. Adieu aux soirées. Adieu à l'alcool, adieu à l'héro, adieu à tout ce qui le rendait le plus heureux sur terre.

Bonjour à la folie, à la solitude, aux médicaments. Là où il allait, il ne serait plus considéré comme un véritable être humain.

« Crois-moi, nous ne faisons pas ça pour te punir, Eren. » affirma son père, en se retournant suffisamment sur son siège pour que leurs yeux, d'un vert bronze semblable, se croisent. À ses côtés, Dina continuait de conduire comme si de rien n'était, mais la petite moue attristée rôdant sur ses lèvres n'échappa pas à l'attention d'Eren. « Que tu t'en rendes compte ou non, des raisons bel et bien existantes t'ont poussé à… » Il s'assombrit, avant de reprendre. « À faire ce que tu as fait. Nous ne t'en voulons pas, nous ne t'en voudrons jamais. On souhaite juste que tu ailles mieux, pour l'équilibre de notre famille mais aussi, surtout, pour toi-même. Tu le comprendras peut-être plus tard, mais venir ici, c'est en priorité pour ton bien. »

La prise de Sieg en travers de ses épaules se renforça et les doigts de Mikasa étreignirent davantage sa main. Ils essayaient de lui faire comprendre qu'il n'était pas tout seul, et Eren aurait aimé les croire, il aurait aimé se bercer d'illusions, mais il demeurait horriblement lucide sur la vérité, sur ce qui l'attendait.

En fin de compte, je finirai par mourir en dépit de leurs efforts. Ce n'est qu'une question de temps.

Néanmoins, cette tirade apaisa ses sanglots. Ceux-ci finirent par s'éteindre alors qu'il s'essuyait les yeux, vaguement honteux de s'être laissé emporté de la sorte. Au même instant, Dina gara la voiture dans un créneau cinq étoiles et éteignit le moteur, avant de venir glisser une main réconfortante sur le bras raide de Grisha, à nouveau perdu dans ses pensées.

« Ça va mieux ? » lui demanda Sieg de sa voix chaude, tout en remettant du doigt ses verres en place. En le voyant acquiescer distraitement, il ébouriffa les cheveux déjà bien en pétard de son demi-frère. « Parfait. Je prends la valise rouge d'Eren, toi la noire, Mikasa. »

La jeune fille le mitrailla aussitôt du regard.

« C'est la plus lourde, je te signale. »

Pris sur le fait, Sieg réajusta encore ses lunettes avec un clin d'oeil malicieux.

« T-t-t, c'est pas mon problème, ça, miss. Fallait être plus réactive, aussi. »

« Le premier qui l'attrape porte la valise la plus légère ! » s'exclama Mikasa, en jaillissant d'un bond hors du véhicule pour se ruer vers le coffre.

Une demi-seconde de flottement plus tard, Sieg se précipita à son tour dans l'ouverture de sa propre portière sous les yeux amusés d'Eren. Il tourna la tête à temps pour les voir derrière lui se disputer la valise rouge.

« Ces grands enfants... On ne croirait pas qu'ils ont dix-huit et vingt-sept ans. » rit doucement Dina. Elle échangea une oeillade complice avec Grisha avant d'ouvrir sa propre porte. « Tu viens, Eren ? »

Il hocha de la tête en tirant son téléphone hors de la poche arrière de son jean, à la recherche de nouvelles notifications. Il était 14h22, et outre les nombreux messages transpirant d'inquiétude de Thomas, Mina, Nack, face auxquels il n'avait trouvé ni la force ni les mots adéquats pour répondre, rien. Aucun signe de vie d'Armin, ne put-il s'empêcher de noter avec un léger pincement au coeur. Cela faisait près d'une semaine qu'il avait disparu de la vie de ses amis, et ceux-ci perdaient un peu les pédales, sans autres nouvelles que la déclaration officielle du lycée, stipulant qu'Eren ne reviendrait pas en cours avant un long moment.

C'est pour ton bien, affirmait son père. Il grimaça, puis émergea à son tour hors du véhicule, pour faire face à une impressionnante maison – aux dimensions d'hôtel –, visiblement fraîchement bâtie et cernée d'une pelouse bien entretenue. Visiblement, le jardin s'étendait même derrière l'immensité du bâtiment.

Il émit un sifflement admiratif.

« Stylée, la baraque. »

Visiblement, c'était Mikasa qui avait remporté le duel, puisqu'elle traînait triomphalement derrière elle la valise rouge. Rien de bien étonnant à cela quand on savait qu'elle était ceinture noire de judo. Pour l'avoir déjà vécu, Sieg savait parfaitement qu'elle n'avait besoin que d'un simple coup pour lui faire bouffer le bitume et accessoirement lui briser ses nouvelles lunettes. Eren se doutait que si sa soeur, contrairement à d'habitude, faisait le pitre, c'était plus pour le dérider que par réelle envie de se chamailler avec Sieg.

Ça fonctionnait, mine de rien. La preuve, il avança à leur suite vers la maison d'un pas plus léger. Mais bon, d'un autre côté, il s'efforçait lui aussi de donner la chance. Il ne souhaitait pas rendre cette séparation avec sa famille plus douloureuse qu'elle ne l'était déjà, il ne voulait pas qu'ils gardent de lui un souvenir pathétique, néfaste, alors il prenait sur lui. La dose de ce matin aidait un peu. De toute façon, une fois qu'ils seraient partis, il aurait tout le temps du monde pour perdre les pédales.

C'était pour ça qu'il venait ici, non ? Pour exprimer son mal-être, cette putain de noirceur qui l'empoisonnait lui, qui rongeait son entourage.

Un homme blond aux épaules larges et aux yeux d'un intense bleu céruléen les attendait sur le perron, un sourire de bienvenue aux lèvres. Les manches de sa chemise blanche étaient retroussées à l'emplacement de ses coudes, dévoilant des bras impeccablement musclés. Il leur serra les mains tout en se présentant d'une voix calme et caverneuse comme Erwin Smith, directeur de Stohess, tel qu'était baptisé cet endroit.

« Heureux de t'accueillir parmi nous, Eren. Ça va, pas trop chamboulé ? » dit-il, ayant sans doute remarqué d'un coup d'oeil la rougeur trop intense de ses yeux verts.

La contrariété d'avoir été si aisément percé à jour poussa l'adolescent à froncer les sourcils.

« Non, ça va. »

Erwin ne se laissa pas intimider par cette démonstration de froideur, et les invita tous à entrer d'un mouvement de main. Ils pénétrèrent dans un hall de taille moyenne, décoré d'un carrelage rouge et blanc et de quelques meubles ici et là, parmi lesquels se comptaient une poignée de fauteuils assez confortables à vue d'oeil et deux tables en bois, couvertes de magazines. Il s'agissait apparemment plus d'une salle d'attente qu'autre chose. Retranchée jusque-là dans un coin, une paire d'hommes approcha à leur rencontre avec une expression amicale.

L'un était blond et mince, l'air avenant et les cheveux noués en chignon à l'arrière de son crâne, tandis que l'autre présentait une charpente plus costaude et une crête noire. Eren réprima une grimace à la vue du badge suspendu à leur ceinture – de toute évidence, la plupart des portes ici seraient verrouillées, très probablement par question de sécurité.

« Voici Erd et Gunther, deux des assistants qui t'accompagneront à partir de maintenant. Tu auras l'occasion de croiser les autres au fil de la journée, normalement. » indiqua Erwin, avant de se tourner vers Grisha et Dinah. « En tant que parents d'Eren, serait-il possible que vous veniez signer quelques papiers dans mon bureau ? »

La jeune femme blonde émit un gloussement embarrassé.

« Oh, mais je ne suis pas la mère d'Eren. »

Dans sa jeunesse, elle avait été la première épouse de Grisha. Lors de leurs études, ils fréquentaient les mêmes fêtes et les mêmes manifestations, si bien qu'ils s'étaient rapidement dans le même cercle d'amis, puis dans le même lit. Ils s'étaient mariés jeunes. Sans réelle surprise, le divorce était tombé au terme de deux années de vie conjugale, peu de temps après la naissance de Sieg. Néanmoins, ils étaient demeurés des amis proches, et le courant avec Carla passait si bien qu'elle était devenue avec le temps comme une seconde génitrice pour Eren. Bien entendu, sa relation avec sa belle-mère avait connu des hauts et des bas mais ils s'étaient toujours tendrement aimés.

Eren haussa les épaules, lui décochant une oeillade bienveillante.

« Vas-y, Dinah, ça ne me dérange pas. »

Les yeux bleus de la mère de Sieg miroitèrent de milles émotions. Elle le remercia d'un hochement de tête et disparut à la suite d'Erwin et de Grisha par une porte ouverte à la volée, sur leur droite.

« Tu veux bien venir avec moi ? » l'invita Erd avec un sourire rassurant. « Je vais te montrer ton studio. Gunther va se charger de tes valises, si ça te va. »

Vous voulez dire les fouiller, non ? Même si cette remarque acide lui brûlait la langue, il laissa sous silence toute forme de protestation, et autorisa d'un hochement de tête son frère et sa sœur à remettre à l'éducateur musculeux ses bagages. Ce dernier ne parut avoir aucune difficulté à les transporter lorsqu'il quitta à son tour le hall.

« On peut venir avec lui ? » demanda Sieg, les traits de son visage un peu crispés et le bras revenu se placer en travers des épaules de son petit frère, comme pour chercher à le garder sous son aura protectrice.

Il sentit Mikasa se tendre à ses côtés, et lui-même en oublia un peu de respirer, anticipant la réponse. Lorsque celle-ci fut positive, ils se détendirent toutes les trois à vue d'oeil et suivirent Erd avec davantage de légèreté.

« La zone dans laquelle vous vous trouvez n'est pas accessible aux résidents en temps normal, à part pour les visites ou en cas de convocation dans le bureau d'Erwin. La famille, les amis restent la plupart des temps hors des locaux où vivent les résidents. La séparation se trouve ici. » Il désigna de la main la porte vitrée leur faisant face et la déverrouilla à l'aide de son pass. « Sans ce truc, on ne peut ni y entrer ni en sortir, et ce verre est juste incassable, alors pas la peine de chercher à y bousiller ses poings. »

Cette dernière remarque déversa un frisson purement claustrophobe dans l'échine d'Eren. Ainsi, il allait se trouver prisonnier dans cette prison luxueuse ? Enfermé derrière ces murailles transparentes, écarté de force de sa vie d'avant, de ceux qu'il aimait ? Tel un oiseau dans une cage dorée.

Il aurait sans doute explosé de panique sans la présence rassurante de Sieg et de Mikasa à ses côtés. Grâce à leur attitude solitude, à leur regard ferme, il s'enfonça sans broncher dans un long couloir. Il débouchait sur une vingtaine de portes. Ses murs blancs étaient tapissés de photos, de peintures, de stickers – un tourbillon de couleurs vives permettant d'atténuer l'effet « hôpital » de ce corridor.

« C'est plutôt joli. » fit remarquer Mikasa, l'inquiétude au fond de ses yeux sombres subitement diluée.

« On a la chance d'avoir une équipe et des résidents plutôt… artistes. » sourit en retour Erd. « Cette maison a donc la capacité de recevoir neuf résidents – tu es le dernier, petit veinard – et six assistants qui dorment sur le lieu. En tout, si l'on omet Erwin, nous sommes huit assistants. Après, nous ne travaillons pas aux mêmes moments. Il y a généralement une équipe du matin, et une équipe du soir, qui sont chacune constituées en moyenne de trois assistants. »

À cet instant, une adolescente apparut au coin du couloir, mains dans les poches. Elle leur adressa un bref coup d'oeil, de marbre, et sans les saluer, tourna les talons dans la direction opposée. Ses cheveux étaient d'un blond pâle, sa silhouette petite mais élancée, et ses yeux du bleu le plus glacé qu'ait jamais vu Eren. C'était néanmoins une très jolie fille au nez caractéristique.

« Ah, ça c'est Annie. Elle ne parle pas beaucoup de façon général, donc ce n'est pas contre vous. »

Erd rangea une mèche éparse derrière son oreille, avant de poursuivre :

« Les autres résidents ont tous à peu près ton âge, Eren, et ils ont tous débarqué ici il y a moins d'un an. Tu ne seras pas trop perdu. Ah, voici ton studio. »

Il venait de s'arrêter devant une pièce déjà grande ouverte, toute clean. Un lit, un bureau, une paire de chaises, des étagères creusées dans le mur, une kitchenette, une salle de bain, des prises un peu partout. Il inhala l'odeur du désinfectant, et douta qu'il se sentirait jamais un jour chez lui, ici.

Sieg ouvrit de grands yeux surpris derrière le verre de ses lunettes.

« Waouh, c'est bien plus grand que ce à quoi je m'attendais. C'est limite si ça dépasse pas les dimensions de mon appart. »

Il s'esclaffa et Eren se joignit à lui. Son rire fut ce qui le trahit, étant plus lent que lorsqu'il était sobre, ce que Mikasa remarqua, évidemment, au vu de ses prunelles s'étrécissant de manière contrariée.

« Pleure pas Sieg, pleure pas… »

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Du haut de sa sainte maladresse, Grisha fut le premier à l'étreindre contre son torse. Le front d'Eren heurta ses lunettes de plein fouet, mais il ne s'en formalisa pas en remarquant les légers tremblements qui parcouraient le corps de son père. Je leur ai vraiment fait peur, réalisa-t-il. Une vague de culpabilité assaillit sa gorge de plus en plus serrée. Dina l'embrassa ensuite sur la joue, les yeux un peu trop brillants pour que c'en soit normal. Sieg prit le relais, plaquant avec fermeté ses longs bras autour de lui, tandis que Mikasa l'enlaçait tout aussi puissamment, le nez plongé dans son cou.

Bien trop tôt, ils furent partis tous les quatre et Eren demeura bras ballants, un peu tétanisé d'être à présent emprisonné derrière cette foutue porte en verre. Le voilà voué à se débrouiller seul, maintenant.

« Allez, viens. » lui intima gentiment Erd, demeuré un peu en retrait tout le long des adieux. « Levi va arriver, il faut que tu aies vu Hanji avant qu'il ne te prenne en charge. »

Tous ces noms inconnus lui arrachèrent un haussement de sourcil indécis. Il embraya le pas à l'éducateur, le suivant mains plongées dans les poches de son jean dans l'escalier. Celui-ci était d'une écoeurante teinte orange citrouille, et ne s'élevait apparemment qu'à un seul étage.

« Si le rez-de-chaussée est réservé aux studios, ceux des résidents mais aussi ceux des assistants, cet étage regroupe des pièces à titre plus… professionnel. On y trouve l'infirmerie, la chambre de désintoxication, le bureau de Petra… »

Ce couloir-ci ne différait pas vraiment de l'autre, même si le nombre de portes était moindre, et que la baie vitrée tout au fond donnait sur un toit strié de lumière ensoleillée. Il était équipé d'une moquette grise.

« Pourquoi il n'y a personne ? »

« À part Annie, tout le monde est parti au parc avec Oluo, un autre assistant. On a procédé ainsi pour que tu puisse arriver dans le calme. »

« Oh. D'accord. »

Erd fit une pause devant un battant, où était écrit en grosses lettres noires « INFIRMERIE », et y asséna trois lents coups. Une fraction de seconde, la porte s'ouvrit violemment, et une femme écumante d'enthousiasme apparut devant eux, provoquant chez Eren un mouvement de recul. Ses lunettes embuées gisaient de travers sur son nez. Elle se trouvait dans la fin de sa trentaine et avait tiré ses cheveux bruns en une haute queue-de-cheval. Son sourire, quant à lui, était quelque peu… effrayant.

Erd lui glissa un regard navré.

« Hanji adore accueillir les nouveaux. C'est toujours Noël pour elle. »

« Alors c'est toi, Eren ?! » brailla la ci-nommée en effectuant un bond vers lui. « Ravie de faire ta connaissance en tout cas, moi c'est Hanji, l'infirmière de la maison ! J'ai plein de questions à te poser, tu sais ça ? »

Malgré sa forte proximité, il nota qu'elle s'efforçait de ne pas entrer en contact physique avec lui. Peut-être avaient-ils déjà accueilli de résidents capables de piquer des crises dès qu'on les touchait… Il savait néanmoins qu'il appréciait cette retenue, aussi minime soit-elle.

« Lui fais pas peur comme ça, il vient tout juste de débarquer. » la gronda doucement Erd. « Tu as vingt minutes, dont jusqu'à 15h pétantes, avant que Levi n'arrive. Tu sais bien qu'il préférerait que cette partie des procédures soit bouclée pour commencer son entretien avec Eren aussi tôt que possible. »

« Bien compris, chef ! » ricana Hanji, en incitant d'un geste de la main Eren à la suivre à l'intérieur de l'infirmerie. « Il ne faudrait surtout pas énerver le nabot de service. Allez, à plus Erd ! »

Sur ce, d'un vigoureux élan du pied, elle claqua la porte au nez de l'éducateur blond. Elle se pivota ensuite vers le jeune garçon, poings sur les hanches. Son expression était tout simplement jouissive.

« Ah, j'adore décidément croiser de nouvelles têtes. Va t'asseoir sur le lit, Eren, sois pas timide. » Il contourna le bureau et les deux chaises placés près de la fenêtre pour mieux poser précautionneusement ses fesses sur la couchette bleue. De son côté, Hanji s'affala sur la table, s'y juchant en tailleur afin de le surplomber un peu, un bloc-note et un stylo quatre couleurs dans les mains. « Comme je disais un peu plus tôt, j'ai quelques questions à te poser. On doit établir un dossier en trois C, c'est-à-dire : clair, cohérent, complet. Ça te gêne, de me voir écrire ? »

Il secoua la tête, un peu étonné de se voir poser cette question. Il était dépressif et toxicomane, pas complètement t… En songeant ça, il eut envie de se frapper la tête dans un mur. Quoi qu'il en pense, quel que soit son état actuel, il se trouvait en psychiatrie, avait définitivement de sérieux troubles mentaux et ne pouvait pas se targuer d'être meilleur qu'un autre.

Idiot.

« Parfait. » reprit la jeune femme, subitement plus sérieuse. « Je récapitule ce qu'on sait déjà, via les explications qu'on a eu de ton père au téléphone : tu t'appelles Eren Jäger, tu as dix-sept ans, et tu as fait une tentative de suicide au rasoir il y a six jours. De plus, tu as une addiction à l'héroïne depuis au moins deux ans. Tu as passé quatre jours complets à l'hosto et tu t'y trouvais encore lorsque ton père nous as appelé. J'ai tout bon, jusque-là ? »

La voix d'Eren fut si faible qu'elle aurait pu sembler inaudible.

« Oui. »

« Est-ce que tu pourrais m'expliquer pourquoi et comment tu as fait ça ? Si c'est trop dur à raconter, tu n'es pas obligé. »

Aussitôt, son coeur se serra face au tumulte de souvenirs revenant noircir son humeur, les vallées de esprit, mais il tint bon. Il ne pleurerait pas une deuxième fois. Ses poings se resserrèrent, posés sur ses cuisses, et il braqua un regard d'une immense tristesse sur son interlocutrice.

« Je… je venais de faire ma redescente, après une nuit corsée. Cette nuit-là, j'espérais déjà mourir d'une surdose, parce que je venais de me disputer avec mon père, que je foutais en l'air mes notes, que je n'arrivais plus à rien contrôler dans ma vie. Mon angoisse était devenue trop… grande. Trop insurmontable. Je voulais partir. Je ne voyais plus l'intérêt de continuer. Mais quand je me suis réveillé, j'étais encore là. Alors… mon premier réflex a été d'appeler mon pote Armin. Je lui ai tout dit, combien je voulais dégager de ma propre chair, combien je… j'étais mal. Il m'a dit de ne pas bouger, qu'il arrivait… mais j'étais seul chez moi et j'ai pas pu l'attendre… J'ai changé d'avis, je me suis laissé obstruer par mes émotions et j'ai démonté le rasoir de mon père et j'ai… j'ai… » Il clôt momentanément les paupières, inspira profondément. « J'ai fait ce que j'ai fait. Quand Armin est arrivé, je baignais dans mon sang, y'en avait tellement qu'il a glissé dessus et moi j'étais à peine conscient, je voulais lui dire de ne pas être triste, que je savais ce que je faisais… mais j'étais en réalité aussi terrifié, aussi perdu que lui. »

Il se souvenait du moindre détail de cette soirée. La douleur suraiguë déchirant sa chair ouverte, la coagulation de son hémoglobine, son champ de vision se noircissant peu à peu, et les grands yeux bleus d'Armin qui déversaient un flot de douleur et de panique où il se noyait, encore et encore… C'était à peine s'il avait senti les mecs du SAMU le hisser sur un brancard, les soins, le masque respiratoire. Il n'avait vu que son visage à elle, un visage froissé de chagrin, une femme aux yeux bruns dévorés de tristesse.

Sa mère. Elle n'avait pas voulu le voir la rejoindre dans la mort.

Les griffonnements d'Hanji l'arrachèrent à l'obscurité de ces souvenirs récents et le ramenèrent au sein de cette réalité si terne, si absurde.

« Merci, Eren. J'ai encore d'autres questions, tu pense tenir le coup ? » À la vue du hochement de tête placide du jeune garçon, elle poursuivit. « Quelle est ta situation familiale ? »

« Je vis avec mon père et ma belle-mère, Dinah. Mon demi-frère, Sieg fait ses études dans une autre ville, alors on le voit plus trop maintenant. J'ai aussi une sœur adoptive, Mikasa. Elle a un an de plus que moi. »

« Et ta mère biologique, où est-elle ? »

Son ventre se tordit tout à coup, un remous de malaise et de douleur, tandis que son visage se vidait peu à peu de toutes ses couleurs. Il abaissa ses yeux vers le jaune moutarde de ses baskets, refusant de se perdre plus longtemps dans les prunelles d'Hanji.

« Elle est morte. »

Eren, ma petite crapule adorée… N'oublie jamais que je t'aime plus que quiconque. Plus que ma propre vie.

Heureusement, l'infirmière n'insista pas, se contentant de retranscrire ses mots sur le papier.

« À quel âge as-tu commencé à consommer de la drogue ? »

« À quatorze ans, je me suis mis à prendre de l'herbe pour imiter mon frère Sieg. C'était de toute façon assez répandu dans mon collège, et il arrivait que mon père se fasse un joint de temps en temps. C'était assez innocent. Et puis… l'année suivante, je suis arrivé au lycée, et je me suis fait des amis qui consommaient des trucs nettement plus forts. Moi, comme un con, je voulais faire mes preuves, montrer que je n'étais plus un gamin en couche-culotte. Alors, un jour, un pote m'a proposé de me faire tester de l'héro, et j'ai accepté. »

Ce rush, cette incroyable sensation d'euphorie précédant les premières secondes après l'injection, avait fait bondir son petit coeur d'adolescent de quinze ans. Il s'était assoupi sous le coup de cette vague de bien-être, comme si rien au monde ne pouvait plus arriver, comme s'il était définitivement complet, soumis à un bref instant de bonheur qu'il n'avait plus retrouvé depuis la mort de sa mère. Son épaule était pressée contre celle de Thomas, alors qu'ils se faisaient lourds, somnolents, que leurs paupières ne se soulevaient plus qu'à demi.

Environ cinq heures plus tard, il avait complètement émergé, toujours étendu en travers du tapis de la chambre de Thomas. La nuit était tombée et son ami était parti prendre sa douche dans la salle de bain annexe. Une atroce sécheresse habitait sa gorge, et des flashs de douleur tiraillaient l'intérieur de son crâne, comme s'il encaissait la pire des gueules de bois. Ce soir, en revenant à la maison, il n'en avait parlé à personne. Mikasa s'inquiétait déjà à l'époque de sa lourde consommation d'herbe et aurait alerté dans la même minute son père. Sieg, quant à lui, était trop occupé par ses études pour prendre le temps de l'écouter, et Armin n'avait définitivement pas besoin de savoir qu'il avait franchi un nouveau cap…

Peut-être bien qu'avec du recul, il aurait dû faire l'exact contraire. Ouvrir sa bouche et expliquer la situation à sa sœur.

Mais il ne l'avait pas fait. Stupide pulsion de défier constamment ses propres limites. Stupide crise d'adolescente. Il s'était peu à peu enfoncé dans la toile d'araignée de ses problèmes, la tissant au gré de ses mensonges, de ses non-dits. Au terme de plusieurs mois, il ne pouvait plus se passer de ses doses quotidiennes, jusqu'à commencer à entuber son entourage pour obtenir plus d'argent et payer sa consommation de plus en plus coûteuse. Il ne s'était jamais prostitué, mais en serait probablement venu à cette éventualité s'il avait continué sur cette lancée – ce serait probablement le cas un jour, puisqu'il n'était pas sorti d'affaire.

Aujourd'hui, son addiction frôlait de tels sommets que, ce matin, vers 9h, savoir qu'il allait entrer en désinthox d'ici quelques heures et que sa famille le surveillait de près, ne l'avait pas empêché de s'enfermer dans les toilettes et de cueillir dans ses dernières réserves d'héroïne, cachées sous les lattes du parquet de sa chambre, en s'impliquant une injection brutale dans la plante du pied.

La simple idée de ne plus en prendre du tout lui paraissait… inconcevable. Au fil du temps, se piquer était devenu un besoin aussi naturel pour lui que l'était boire, manger, dormir. À l'hôpital, il avait cru devenir fou, alors qu'il ne s'était même pas écoulé une semaine complète et qu'on le goinfrait d'une myriade de médocs. Jamais il ne pourrait s'en passer.

Pourquoi chercher à l'empêcher de goûter à la mort, quand sa vie ne s'avérait qu'une longue, interminable agonie, où il vivait que pour ce poison en train de signer sa perte.

Quel monde sans queue ni tête.

Je n'ai aucune raison d'espérer. Je sais que j'ai raison.

« D'accord. Tu consommes essentiellement de l'héroïne ? »

« Oui. »

Hanji se leva avec lenteur, comme pour ne pas l'effrayer.

« Est-ce que tu me donnes l'autorisation de t'examiner ? Je vais devoir faire un bilan complet de l'état physique dans lequel tu trouve en ce moment demain, en réunion. »

N'y voyant pas d'objection, Eren haussa nonchalamment les épaules tout en acquiesçant, un peu absent de son propre corps. Même si sa dernière dose datait de près de six heures, les effets continuaient d'alourdir ses membres, de le ralentir de façon notable. Il n'émit pas plus de protestations lorsqu'elle lui demanda de retirer son T-shirt en préparant ses instruments. Il le laissa tomber à côté de lui dans un son sourd puis sentit l'anxiété lui geler les veines en la voyant commencer à le détailler d'un oeil rapace. Rapidement, Hanji eut un léger froncement de sourcils et le jeune garçon sut, dès alors, qu'il avait été démasqué.

« Tu as pris une dose aujourd'hui, n'est-ce pas ? Tes pupilles sont en tête d'épingle. »

Tel un enfant pris en faute, Eren abaissa la tête et se ratatina sur place, la mâchoire subitement crispée sous une vague suintante de culpabilité.

On appelle ça la honte de Sartre. Et j'ai vraiment putain de honte.

« … Oui. »

Mais l'infirmière, au lieu de se parer de colère et de lui passer le savon qu'il méritait sans doute, se contenta de lui adresser un sourire triste. Elle posa ensuite une main légère sur son épaule, dénuée de tout ressentiment.

« C'est pas grave, Eren. On est là pour t'aider à faire face tes problèmes, de toute façon, pas t'enfoncer gratuitement. À quelle heure tu l'as fait ? J'ai besoin que tu sois aussi honnête que possible avec moi, mon coco. C'est primordial. »

« À 9h. »

« Ok, les effets doivent déjà être en train de s'estomper. J'imagine que tu ressentiras une sensation de manque d'ici ce soir. Tu vas commencer ton traitement à la méthadone plus tôt que prévu. »

Ses yeux marron s'abaissèrent pour poursuivre son examen. Elle vérifia les veines du jeune garçon, criblées de traces de piqûre, mais exhala un soupir soulagé en notant à haute voix qu'aucune d'entre elles n'avait explosé. Elle passa à ses pieds, dont l'un commençait à s'infecter à cause de la dose de ce matin – à cause du manque d'espace des toilettes et par peur d'être surpris par ses proches, il n'avait clairement pas fait dans la dentelle.

« Tu es en sous-poids, et un peu de renforcement musculaire ne ferait pas de mal – enfin, ça, c'est avec Nanaba qu'il faudra voir. » Se rendant compte du haussement de sourcil outré d'Eren, elle se hâta de se justifier. « C'est d'un point de vue strictement médical, après tu es libre de manger et de faire du sport comme tu l'entends. »

Tout en gesticulant autour de lui, elle continua de lui poser quelques questions à titre informatif, qui finiraient de compléter son dossier. Elle vérifia son coeur, ses poumons, son transit, les cicatrices de ses poignets et bien d'autres choses, jusqu'à trouver pleine satisfaction au terme d'une dizaine de minutes.

« Maintenant, Eren, on va passer à une partie nettement moins sympa. J'ai besoin que tu te déshabille entièrement, que tu mettes tes vêtements dans le bac bleu et que tu enfiles ceux qui se trouvent dans le bac jaune, là. Ne t'inquiète pas, ils sont à la taille précise que nous a transmis ton père par mail. » Le jeune garçon se raidit. Lui qui s'était peu à peu détendu au fil de l'entretien, cette phrase suffit à le faire brutalement redescendre dans le froid de la réalité. Il mordit à pleines dents la dureté de se trouver en psychiatrie. « Tu ne les porteras pas longtemps, ce n'est qu'une question de jours. C'est plus pour nous assurer que tu n'essaye pas d'attenter à tes jours, puisque le port de la ceinture et de lacets sont prohibés pour le moment pour toi. Les prochains jours vont être un peu pénibles, autant pour toi que pour nous. Tu vas en effet entrer dans une phase de la désinthox où tu seras physiquement plus faible, mais surtout grandement irascible et trois fois plus déprimé que d'ordinaire. Mais la situation ne va pas rester telle quelle, crois-moi. Tous les résidents de cette maison sont passés par cette étape et ils vont beaucoup mieux aujourd'hui. »

Au terme d'une longue réflexion, les épaules d'Eren finirent par s'abaisser sous le poids de la résignation. Ce n'était pas s'il avait vraiment le choix.

« D'accord. » fit-il d'un ton acide. « Vous comptez rester là pour jouer aux voyeuristes ? »

Elle éclata de rire.

« Tutoie-moi, d'accord ? J'ai l'impression d'être une mamie édentée, sinon ! Personne ne se vouvoie de toute façon dans cette maison. Et ouais, je vais me retourner, ne t'inquiète pas. J'ai juste pas le droit de te laisser seul avec tous ces médocs et ces objets tranchants à disposition. Mais si ça te gêne trop, je peux appeler Erd pour me remplacer. »

« Non, ça ira. »

Comme promis, Hanji pivota sur ses talons, et l'adolescent en profita pour se délester de son jean, de ses chaussettes, de ses baskets. En caleçon à rayures bleus, il finit par demander en jaugeant son portable d'un regard peiné :

« Mon téléphone aussi ? »

« Oui, on te le rendra dès que possible. Et si tu porte le moindre piercing, tu dois aussi le… »

« Je n'en ai pas. » soupira-t-il, en jetant ses affaires dans le bac bleu, un petit serrement au coeur quand même.

C'est comme si on m'arrachait mon identité propre. Je ne suis plus qu'un numéro.

Un jogging et un T-shirt de couleur verte, ressemblant à une sorte de pyjama, se retrouvèrent ensuite entre ses mains. C'était moche. C'était stupide. Eren serra les dents, et s'en revêtit sans le moindre enthousiasme. Des pantoufles bleues à scratch vinrent ensuite parer ses pieds, assez désagréables à porter.

Hanji se retourna lorsqu'il lui en donna l'autorisation, et applaudit avec un esclaffement légèrement hystérique. Cette femme est complètement folle, ne put s'empêcher de songer avec désarroi Eren alors qu'elle l'invitait, crépitante de bonne humeur, à la suivre hors de l'infirmerie. Mais pourtant, ce n'est pas elle qui porte le pyjama. Bordel, dans quel bordel je viens de tomber ? Elle redescendit presque au triple galop les escaliers orange vif, l'adolescent à sa suite, et ils retrouvèrent l'interminable couloir du rez-de-chaussée, qu'elle remonta d'un pas plus vif encore. Bientôt, ils tournèrent dans une embouchure.

Aussitôt, ils débarquèrent dans une immense salle de vie, décorée en trois parties : la cuisine était grande, munie de deux éviers, d'un lave-vaisselle, d'une paire de plaques de cuisson. Eren remarqua que, en dépit de son aspect chaleureux, presque familial, des serrures sur un peu tous les placards, les tiroirs et même sur le frigo et le congélateur étaient bel et bien présentes ; la salle à manger offrait une très longue table en bois clair, autour de laquelle fourmillaient des chaises bleu roi ; le salon était composé de deux canapés, d'une poignée de fauteuils, d'une haute étagère où s'entassaient des livres, des objets de décoration et des jeux de société, et d'une grande télé. Pour finir, d'imposantes baies vitrées cernaient la pièce, offrant une belle vue sur un jardin tout aussi vaste que ce à quoi il s'attendait, et sur une terrasse meublée.

Même si l'amertume ne le quittait pas, Eren fut saisi par la beauté des lieux. Il y avait de l'espace, c'était propre, la déco était loin d'être dégueulasse. Ce ne serait sans doute pas si horrible que ça d'y vivre à l'année.

Hanji fondit vers une porte située à droite du seuil de la salle de vie. Aussi verte que son pyjama, de longues ailes angéliques d'un blanc nacré y étaient peintes. Elle l'enfonça d'un coup de pied brutal, et le son parut se répercuter au travers de toute la maison.

« Salut Levi ! » tonna-t-elle. « Je t'amène le petit nouveau ! »

« Cinq minutes sans péter la maison entière, tu t'en sentirais capable la binoclarde ? » lui répondit du tac-au-tact une voix masculine et débordante d'ennui. « Les gars vont vraiment en avoir marre de réparer tes conneries. »

« T'inquiète pas, ça leur fait de l'exercice ! » Elle se tourna vers Eren, souriante alors qu'elle venait de se prendre en pleine poire une remarque cassante. Peut-être n'étaient-ce là que de simples chamailleries entre collègues, mais le ton du mec dans le bureau lui avait vraiment fait froid dans le dos. « Je te présente notre nain d'appartement, Levi. C'est le responsable de la maison. En gros, en terme de hiérarchie, il est juste derrière Erwin. »

Aussitôt, le jeune garçon se sentit intimidé par la prestance et la froideur que dégageaient la simple présence de l'homme ci-désigné. Assis à une table ronde en proie à un bordel monstre – cette pièce ressemblait d'ailleurs fort à une salle de réunion d'équipe –, il arborait une fort petite taille, intensifiée par sa minceur, mais qui rien ne le rende moins intimidant avec ses cheveux sombres, rasés undercut, un peu façon militaire au niveau de sa nuque et au-dessus de ses oreilles, et ses yeux si… indifférents ? tout droit pointés vers lui. Il ne le salua pas ni ne lui accorda le moindre signe de main, se contentant de le fixer durant de nombreuses secondes qui devinrent une éternité d'embarras pour Eren.

« Viens t'asseoir, gamin. » finit-il par dire d'une voix toute aussi égale, menant dans une position étonnante du poignet une tasse fumante, constellée d'hamburgers kawaii, à l'orée de ses lèvres. « Et toi, la binoclarde, ferme normalement cette porte en partant. »

Quelque peu mal à l'aise, l'adolescent entreprit quelques pas à l'intérieur du bureau et ne put masquer un énième sursaut lorsque Hanji claqua de toutes ses forces le battant dans son dos. Il choisit une chaise, s'affala devant la table jonchée de stylos, de feuilles volantes, de cahiers, et autres.

« Désolé pour le bordel. Quand je suis pas là, ces abrutis en profitent toujours pour ne rien ranger. » Honnêtement, Eren fut un peu choqué de la manière si crue dont il parlait de ses collègues de travail. Ces mots vulgaires tranchaient étonnamment avec l'attitude calme, quelque peu élégante, de son interlocuteur. « Bref, comme l'a dit la binocl – Hanji –, je m'appelle Levi et c'est moi qui dirige cette maison. Je travaille sous les ordres d'Erwin, que tu as dû rencontrer un peu plus tôt. Lui, c'est le directeur, il s'occupe de la paperasse et co, et il ne vit sur le lieu. Dans l'équipe, il n'y a qu'Hanji et Petra – la psy – qui dorment ailleurs. Les autres, moi y compris, avons notre propre studio ici, dans cette maison, au même titre que toi et les autres résidents. Pour que l'organisation de la maison fonctionne, il y a des horaires à respecter : le petit-déjeuner s'étend de 8h à 10h, le déjeuner est à 12h30, et le dîner à 19h30. Avant chaque repas, l'un des assistants vous distribue vos médocs – si je me fie à ton dossier, on t'a administré des antidépresseurs et de la méthadone. Donc, si on se rend compte que tu ne les prends pas à notre insu, tu dégages automatiquement de la maison. C'est compris ? »

Eren se recroquevilla un peu sous l'intense grisaille des yeux intimidants de Levi. Ciel, il n'avait jamais eu autant envie de s'écraser devant quelqu'un depuis ce maître d'école au crâne chauve qui le faisait pleurer à chaudes larmes d'un simple regard, en maternelle.

« C-Compris. »

« Les journées sont plutôt calmes et au début, soyons clair, tu vas te faire chier. Tu seras privé de ton téléphone et de tes autres affaires personnelles pendant quelques temps. Elles te seront restituées une fois que tu te seras acclimaté un minimum à la maison et que la première phase de ta désintox aura été bouclée. Dès ce soir, je te préviens, tu vas nous détester. Me détester. On va t'installer pour au minimum 48h dans la chambre de désintoxication, et tu n'auras aucun contact avec l'extérieur le temps qu'il faudra pour calmer ton manque. Je viendrais te voir de temps en temps, pour m'assurer que tu ne te noies pas dans ta propre merde. De toute façon, si ça ne va pas, tu auras la possibilité de m'appeler à toute heure du jour et de la nuit. Je suis là pour ça. Tu ne seras pas le premier à me supplier pour une simple dose d'héro. En clair, ça ne va être facile ni pour toi ni pour moi, mais il faut qu'on travaille ensemble. Qu'on coopère. C'est essentiel. »

Quelque chose, derrière le ton tranchant de Levi, donna alors presque envie à Eren d'espérer. Pour la première fois depuis bientôt, il souhaita un maigre instant se battre pour vivre.

« D'accord. Je vais essayer. »


Merci d'avoir lu, et à la prochaine.

Lybeah.