Chapitre 38 : Souvenirs

A force de se ronger les ongles et de regarder fixement les aiguilles de l'horloge, la sonnette de la porte d'entrée finit par retentir. Lily poussa un soupir de soulagement, juste avant qu'une autre angoisse ne la prenne. Il y avait bien quelqu'un derrière sa porte mais rien ne lui permettait de dire qu'il s'agissait de James, elle s'imaginait souvent qu'un Mangemort pourrait l'attendre sur le seuil ou un Inferi ou encore une quelconque autorité venant lui apprendre une autre mauvaise nouvelle…Le cœur au bord des lèvres, elle colla son oreille contre la porte et, en essayant de calmer le tremblement de sa voix, elle demanda :

-James ?

-C'est moi.

-Où m'as-tu épousée ?

-A Oslo, une vraie folie si tu veux mon avis.

Les muscles de Lily se détendirent et elle ouvrit la porte en grand. Cette question était une idée de Sirius. Comme on n'était jamais sûrs qu'un Mangemort ne pourrait pas réunir la totalité des informations personnelles qui concernaient les aurors dont la tête était mise à prix, il suffisait de se mettre d'accord pour une réponse inexacte…Méthode infaillible qui avait probablement sauvé plus de gens qu'on ne le pensait…

Lily aurait voulu se jeter dans ses bras mais se retint de justesse, se trouvant déjà assez ridicule pour son comportement d'il y a quelques instants. Tout devenait trop difficile à supporter, elle avait toujours pensé, quand elle se projetait dans l'avenir, que celui-ci serait insouciant et plein de piment mais il était en réalité fait d'inquiétudes perpétuelles. Elle aurait tant voulu attendre le retour de son mari tranquillement dans un fauteuil ou en préparant le dîner ou n'importe qu'elle autre banalité même si cela s'appelait « la routine » et qu'elle s'était jurée de la fuir.

-Une vraie folie, hein ? Demanda-t-elle en le serrant un peu trop fort dans ses bras.

-Oui, un moment d'égarement sans doute, fit-il en l'embrassant dans le cou.

Il scruta son visage et Lily ne détourna pas les yeux assez rapidement pour lui cacher qu'elle avait encore pleuré….encore…

-Où est Potter junior ?

-Il dort toujours…

-J'ai réservé une table au restaurant ce soir, avec Remus et Sirius.

Lily le regarda avec des yeux ronds.

-Mais comment veux-tu qu'on fasse avec Harry, il ne peut pas sortir d'ici, c'est beaucoup trop dangereux.

-Je sais, mais Dumby a accepté de le garder ce soir.

-Dumby genre le Professeur Dumbledore ? Demanda-t-elle un brin sceptique.

-Tu connais combien de Dumby exactement ?

-Dumbledore ? Faire du baby-sitting? Refit Lily ébahie.

-S'il y a bien quelqu'un avec qui il sera vraiment en sécurité, c'est lui.

-Il a besoin d'argent de poche ? Continua-t-elle incrédule.

-Il a surpris…enfin, vu ce cher Dumby je dirais plutôt « collé son oreille contre la porte pour écouter»…une conversation que j'avais avec Sirius sur notre situation actuelle et il m'a proposé de venir chez nous pour qu'on puisse s'éclater toute la nuit comme des parents indignes…

-Waw !

Lily sourit en imaginant son turbulent de fils tirer sur la longue barbe argentée du directeur et rencontra le regard de James qui pensait plutôt à une scène de table à langer et de petits pots de talc….Ils rentrèrent dans le salon en se tenant les côtes et s'affalèrent sur un divan.

Ca faisait longtemps qu'ils n'avaient pas ri ainsi pour quelque chose d'aussi stupide. En fait, ça faisait longtemps qu'ils n'avaient plus ri tout court…Les yeux de James finirent par rencontrer la pile d'albums que Lily n'avait pas encore rangée…

Elle suivit son regard et leva légèrement les mains comme pour se rendre.

-Je ne peux pas m'empêcher de regarder des photos d'eux, c'est plus fort que moi. Mais après, c'est encore pire. Je ferais mieux de tout brûler.

-Ca, c'est parce que tu ne regardes pas comme il faut, lui dit-il en lui faisant un clin d'œil.

-Je vais te montrer, ajouta-t-il en attrapant celui du sommet de la pile.

-Waw, on commence en beauté, fit-il en contemplant une photo de lui en gros plan…

-Ne te complais pas dans le passé mon chéri…Dit Lily en recouvrant tout son mordant.

-Le passé ? Tu utilises ce mot pour son caractère inactuel et révolu ?

-Le temps passe, tu sais…Bon tourne la page James, se précipita-t-elle ensuite pour être bien sûre d'avoir le dernier mot.

-Miam, c'est fou ce que Sirius n'a pas changé, ajouta-t-elle.

-Dis, Lily, c'est pas parce qu'on se replonge dans le passé que tu dois nécessairement rechausser l'humour pourri que t'avais à l'époque.

-Humour pourri, hein ?

-Bon tourne, j'ai hâte de revoir ton ancienne coiffure, tu sais celle qu'on surnommait « ton Tchernobyl capillaire ».

-James Potter, tu n'es qu'un mufle et…

James tourna la page et Lily tomba sur un portrait d'elle qui lui arracha une grimace…

-Et tu n'as pas tout à fait tort, en définitive.

-Mais non, j'exagérais, tu étais magnifique.

-« Etais », tu utilises ce mot pour son caractère inactuel et révolu?

-Tu es magnifique. Ca va mieux comme ça ? Wow, je ne me rappelais pas qu'Alice se fringuait comme ça !

-Mais si, Sirius l'a surnommée «la soixante-huitarde attardée » pendant une année entière.

-Ah oui, tiens. Mais attends un peu, pourquoi est-ce que Sirius est quasi sur toutes les photos en train de nous imposer son sourire de star écoeurant ?

-Parce qu'il est très photogénique et qu'il le sait…

-Stop, reviens un peu sur celle-là…

-Pourquoi ? Demanda Lily, en faisant un retour en arrière.

-Parce que là, il ne regarde pas l'objectif et qu'il ne sourit pas…

-Incroyable…

-Qui a réussi à prendre cette photo-là, que je l'embrasse… ?

-Je pense que c'est Lola…Juste après le départ de Roxanne…

Ils ne s'arrêtèrent pas trop sur le fait que de là où elle était, Lola serait très difficile à embrasser et dévièrent sur le sujet Roxanne…Le sujet tabou de Sirius, l'unique…

-Je croyais qu'on devait dire « Roxanne la salope » ? Interrogea James.

-Uniquement devant Sirius. Moi, je l'aimais bien.

-Attends, se tirer comme ça sans le prévenir à l'avance : « Bon en fait, Sirius, je repars en Amérique, c'était sympa quand même ! Salut. »

-Ouais, c'est vrai que ça manque un peu de romantisme…Mais, on sait tous qu'elle l'aimait.

-Qu'elle l'aimait ? Attends là, elle lui a transpercé le cœur, puis arraché, pour ensuite le piétiner sous ses yeux, et avec un sourire sadique en plus…C'est de l'amour ça ?

-Après cette analyse typiquement masculine, nous pouvons passer à la version féminine et qui est, par définition, la bonne.

-Vas-y pour voir.

-Roxanne et Sirius formant un couple très très passionnel avec des hauts et des bas, s'aimaient comme de fous contrairement à ce qu'auraient pu penser les gens qui les voyaient se disputer sans arrêt.

-Ca me rappelle quelque chose.

-J'ai dit qu'ils s'aimaient, pas qu'IL l'aimait.

-Mauvaise.

-Bref, continua-t-elle avec un sourire victorieux, quand Roxanne sut qu'elle devait rentrer chez elle sur l'autre continent, elle n'eut pas le cœur de l'annoncer à Sirius tellement la nouvelle lui causait déjà une énorme souffrance à elle-même. Ce pourquoi, elle attendit le tout dernier moment, évitant ainsi des adieux déchirants, des promesses qui ne seraient jamais tenues et de se laisser aller jusqu'à, allez savoir, pleurer ; ce qui lui apparaissait comme la pire des faiblesses. CQFD.

-Ouais, pas mal.

-Avoue que je suis un génie…

-Avoue que les femmes sont atrocement compliquées…

-On dit, atrocement surdéveloppées, mon chéri…

-Tourne la page…

-Je pense que ça, ça devrait quand même être à ta portée, mon cœur…

-C'est moi ou tu m'as dit un jour un truc du style « Arrête avec tes 'mon…quelque chose', Potter, je ne t'appartiens pas ! » ? Demanda James en imitant à merveille sa femme.

-Ouais un jour, mais à présent tu m'appartiens, tu te souviens ?

-A oui, le moment d'égarement à Oslo !

-C'est ça, bon tourne la page, mon amour.

-Ca te rend pas triste toi, tout ça ? Fit James en désignant tous les albums. Que ça soit déjà derrière nous ?

-T'étais pas censé m'expliquer comment regarder des albums photo sans pleurer, toi ?

-C'est vrai.

-Mais…Non, en fait, je ne trouve pas ça triste. Ne pleure pas parce qu'une chose est terminée mais sourie parce qu'elle a eu lieu.

-Wow…Ca en jette…

-N'est-ce pas ?

-Si j'avais su que j'avais épousé Simone de Beauvoir…

-Oula James!

-Quoi ?

-Tu as cité le nom d'une moldue…Et le pire, c'est que c'est pas mal adapté…Au moins, elle écrivait, elle.

-Ouais, je me suis amélioré depuis mon pitoyable « J'ai épousé Marie Curie ! » quand t'avais fait un super poulet qui sentait très bon.

-T'étais quand même pas si loin que ça, cette fois-là. Après dégustation, mis à part l'odeur, mon faisan avait pas mal d'éléments communs avec une substance radioactive…

-Y avait un peu de ça, c'est vrai…Un peu, insista-il ensuite en esquivant un coup d'album.

-N'empêche y a un truc qui m'a frappé l'autre jour…Fit-il tout à coup.

-Waw, ça travaille là-dedans, dit Lily en tapotant son front.

-T'as jamais remarqué que tous les couples de notre bande ont tenu le coup ?

-Eh oui, si on omet Sirius.

-Mais Sirius est un cas à part...

-C'est vrai. Il devait y avoir quelque chose de magique dans ce groupe.

James l'approuva puis rit doucement comme à chaque fois que son ancienne moldue de femme plaçait le mot « magique » dans une phrase sans y faire attention. Puis il y eut un petit silence nostalgique à cause de l'emploi de l'imparfait dans la phrase de Lily…

-On était cinglés, quand même, commenta ensuite rapidement James en feuilletant le début d'un nouvel album où on les voyait tous ensemble dans diverses postures et grimaces. Tu peux me dire ce qu'on fait sur celle-là exactement ? Fit-il en désignant une des photos.

Lily se pencha sur la photo pour découvrir qu'ils étaient tous autour du lac, les filles bien emmitouflées dans leurs vestes et les garçons en maillot.

-Ben, c'est la fois où vous avez décidé que le calmar géant manquait sérieusement d'affection et que le premier d'entre vous qui parviendrait à l'embrasser aurait…

-L'immense honneur de pouvoir se servir en priorité de la carte, acheva James.

-Ce que vous étiez cons…

-Je te signale que sans cette fameuse carte, je n'aurais jamais pu t'inviter à dîner à Pré-au-Lard les soirs de semaine…Et puis d'ailleurs, je te signale que tu étais la première à m'encourager ! La taquina-t-il.

-A ça, ça m'étonnerait.

-Non mais, attends là, tu as vu ta tête sur la photo ?

-Mais non, rien à voir, ça c'est moi qui te hurle dessus pour que tu rentres au château.

-Avec une pancarte « vas-y James !» brandie au-dessus de ta tête ?

-Hein ? Fit Lily en se regardant de plus près sur la photo. Ah…oui, peut-être…

Ils éclatèrent de rire puis Lily reprit :

-De toutes façons aucun de vous n'a réussi et vous n'y avez rien gagné à part une bonne grippe…

-Une grippe ??

-James, il neigeait !

-C'est vrai…Et celle-là regarde…Tu te souviens ?

-Oulà oui…Tu parles, je pense que si tu fouilles dans les albums photos de tous les élèves de notre promo tu tomberas sur cette photo et même parfois en double…Elle se vendait cher à l'époque…

-J'aimerais bien voir quels sont les prix du moment…

-Bête type…Cette photo n'a aucune valeur hors de son contexte, en plus…On nous voit juste descendre un escalier main dans la main…Vachement érotique !

-Ouais, mais tu oublies que l'escalier était celui qui menait au dortoir des garçons, qu'il était plus de dix heures du mat' et qu'on était vachement débraillés !

-C'est ce fichu réveil qui nous avait lâché.

-Ouais, nous qui croyions qu'il n'était que six heures et que je pourrais te raccompagner peinard jusqu'à ta chambre et dans la plus grande discrétion…

-C'était plutôt raté vu qu'à peu près l'intégralité des Gryffondors ainsi que McGonagall s'étaient attroupés dans la salle commune…La honte, fit Lily en en rougissant encore. Qu'est-ce qui lui avait pris aussi de s'amener nous faire un communiqué un dimanche matin…

-Et ce crétin de Lionel Crivey avec son bête appareil photo…

-Ah lui, si je savais où il habite je le…

-38, Jackson Street à Londres, si mes souvenirs sont bons.

-Prends le flingue, je m'occupe de la pelle…

Les pages se tournèrent ensuite de plus en plus vite, révélant à chaque froissement de papier de nouveaux souvenirs. Les batailles de boule de neige dans le parc, les batailles de nourriture, les Serpentards dans diverses postures plutôt embarrassantes, Rogue avec la peau bleue, Rogue avec une peau recouverte d'écailles, Rogue sans peau, leur slow en pleine nuit en pyjama et sous la pluie, leurs dégustations de bonbons divers dans les dortoirs après le couvre-feu, leurs retenues les plus saugrenues, leur remise de diplôme, leurs adieux à Poudlard, leurs baptêmes d'étudiants, leur mariage, …

Et bientôt le tout dernier album fut reposé sur la table.

-On a quand même eu une vie géniale…Commenta Lily.

-Effectivement mais tu me feras un plaisir d'ôter le passé composé, je ne compte pas m'arrêter en si bon chemin…

-Ouais, t'as raison.

-Viens par ici toi, fit James en lui attrapant délicatement le menton.

-Je t'aime.

-Je sais.

Lily recula sa tête en fronçant les sourcils.

-Oui, bon d'accord, moi aussi je t'aime, ajouta-t-il en souriant.

Au moment où leur baiser commençait à friser l'indécence, un « crac » bruyant se fit entendre juste devant leur canapé. C'était bien évidemment Dumbledore, pile à l'heure comme à son habitude. James et Lily sursautèrent et se levèrent d'un bond pour aller saluer leur baby-sitter, avec un sourire extrêmement gêné. Ensuite, Lily déserta rapidement le salon sous prétexte de se recoiffer pendant que James donnait les instructions au professeur qui conservait le même sourire énigmatique depuis qu'il était arrivé.

Bientôt, après l'avoir encore remercié mille fois de jouer les nounous et embrassé leur fils, James et Lily franchirent le seuil de leur porte, pour ensuite exploser de rire dans la nuit noire.

-On peut dire qu'il a encore bien choisi son moment, celui-là.

-On en était où déjà ? Demanda Lily en passant ses bras autour du cou de James.

-Dieu, ce que tu as la mémoire courte, Evans.

Ils marchèrent encore un peu sous la lune avant de rejoindre Sirius et Remus pour ce qui allait être une soirée magnifique.

La semaine suivante voyait s'achever le mois d'octobre et tout le monde sait ce qui leur arriva ce jour-là. Il est donc inutile de revenir là-dessus d'autant plus que ce n'est pas ça l'important. Peu importe, en effet, qu'ils soient morts peu après cette soirée. L'important est que pour l'instant, il marche dans la rue main dans la main en ignorant encore que les projets d'avenir qu'ils échafaudent ne verront jamais le jour et que leur fils adoré ne recevra pas toujours l'amour qu'ils s'étaient jurés de lui donner. L'important est qu'à cet instant, ils sont heureux ; qu'à cet instant, ils s'aiment.

« Ne pleure pas parce qu'une chose est terminée mais sourie parce qu'elle a eu lieu »


Voilà. C'est terminé. J'ai vraiment du mal à le croire, presqu'autant que j'ai eu de mal à écrire ce dernier chapitre (je ne suis d'ailleurs toujours pas convaincue du résultat). Plus de trois ans passé à l'écrire puis bouf, fini plus rien... Dur, dur même si je n'ose pas relire le début tellement je trouve ça minable...

Donc, voici l'heure de vous faire mes adieux, je remercie tous ceux qui sont un jour passés mettre leur nez dans cette fic...J'espère que la conclusion que je lui apporte vous plaira et que vous serez encore nombreux à la lire...

Zoubis

Cowéti