Poupée de sang

Par Tsubaki Hime

A Mimimuffins, de tout mon petit cœur de princesse des camélias…

Prologue

Rouge. La pleine lune, s'élevant par delà les nuages gris, était baignée dans cette couleur si amère, le rouge du sang. Les pétales des cerisiers en fleur, roses et douces comme les songes, flottaient librement dans le vent, par la brise de temps en temps interrompue par un profond silence de nuit.

Ce n'était pas un lieu comme les autres. Cette immense bâtisse avait l'apparence du tribunal le plus important de tous les temps. Car on ne jugeait pas pour un crime, ni pour un vol.

On ne jugeait que les morts.

Les portes étaient closes, l'air était frais. On n'entendait que le murmure des rêves, ceux que le jeune homme faisait, enveloppé dans le noir.

Il était dans la bibliothèque de cet endroit fantasmagorique, la fenêtre entrouverte, les rideaux fins et blancs comme les pétales des cerisiers. Un livre était posé sur la table d'un bureau, resté ouvert, ses pages tournant au gré du vent.

Le garçon était assis, le menton reposé sur ses bras posés sur la table vernie, les yeux fermés. Sa respiration était régulière, profonde, au même rythme que son cœur serein. Ses cheveux châtains eurent comme un étrange reflet d'or à la lueur de la lune rouge qui semblait le contempler dans son halo protecteur.

Regarde… mon cher pantin…

Les mains du jeune homme se serrèrent sur la table et sa bouche aux lèvres effilées se tordirent dans une grimace douloureuse. Cet homme, dans son esprit…

Admire la créature qui partage ton sang… Cette chose née de mes entrailles…

Un homme se tenait sous le cerisier en fleur, ce cerisier que le jeune homme maudissait de toute sa hargne et sa fureur. Et au-dessus de lui resplendissait cette lune rouge qui le toisait, lui, cet homme à l'apparence d'un ange.

Blanc. Habillé d'un somptueux costume blanc comme neige, il souriait, le sourire d'un ange déchu.

Ce sourire… si maléfique… dévoré par les ténèbres de son cœur.

- Non…

Ce goût dans sa bouche… Un goût douceâtre qui était celui du sang. Ses mains, peu à peu, se couvrirent de plaques rouges, semblant ressembler à des signes inconnus de ce monde.

- Ah…

Son corps tout entier lui brûlait. C'était comme s'il venait d'entrer dans un bain rempli de lave en fusion.

Un meurtre avait été commis… Celui d'une poupée…

Poupée de sang…

Cette chose vient de mon être, tout comme toi, mon cher pantin… Sens-tu les marques que je t'affliges? As-tu mal comme je le désire?

Ces yeux… capables de faire fondre l'acier le plus dur, le plus robuste. Mais le jeune garçon n'était pas fait d'acier. Et ces yeux aux éclats d'argent machiavélique le traversaient sans la moindre difficulté. On aurait dit deux poignards chauffés à blanc qui le transperçaient inlassablement.

- Pourquoi es-tu là? Voulut-il dire mais sa voix se bloqua dans sa gorge, en même temps que cette peur ineffable. Que me veux-tu? Ne m'as-tu pas assez fait souffrir? Tu m'as violé, tu m'as tué après bien des souffrances et tu réapparais à chaque fois que mon esprit, au bout du temps, s'est enfin débarrassé de ton être.

L'homme eut un sourire. Le sourire de l'Apocalypse.

- Je ne disparaîtrais jamais, siffla-t-il dans le silence nocturne. Où que tu ailles, où que tu sois, je serai là. J'empoisonnerai l'air que tu respires, l'eau que tu pourras boire et torturerai les personnes qui te sont chères. Comme ce mouton noir, ajouta-t-il après un silence menaçant.

Le sang du garçon ne fit qu'un tour. Ses yeux vagues dans son songe semblèrent pétiller de haine.

- Je t'interdis de le toucher! Explosa-t-il, fou de rage. Même si je dois en souffrir, je le protégerai!

Le regard droit et sournois de l'homme eut une étincelle.

- Quelle touchante intention de ta part, répondit-il à cette affirmation qui venait du cœur. Mais sache une toute dernière chose: tu es incapable d'aimer, mon petit pantin. Tu le sais mieux que moi: ton cœur s'est endurci après ce que tu as enduré dans ta famille qui t'a élevé à l'écart des autres. Tu n'as plus confiance en personne, tu es seul au monde. Il n'y a plus que moi qui soit en mesure de t'apprécier…

Sa main aussi blanche que ses vêtements se tendit vers la joue du garçon. Le cœur de ce dernier se mit à battre à tout rompre.

- Non, ne me touche pas…, supplia-t-il. Ne… pose pas… la main… sur moi…

Il suffoquait, son souffle se faisait plus faible. La rage à l'âme, il n'eut pas d'autre choix que de se laisser faire, se laisser enlacer par les bras de cet homme qui l'avait tué. Son parfum était celui des fleurs fanées, celles que l'on ait fait souffrir en silence.

L'homme le berça comme un tout petit enfant.

- Je… Je te hais, lança vainement le garçon, au bord des larmes. Je crois que je n'ai jamais haï quelqu'un autant que toi…

L'homme sourit davantage, caressant tendrement la chevelure châtain claire de sa victime.

- Tes sentiments… n'ont aucune importance pour moi… cher pantin…

La lune les embrassait de sa lumière de sang. Sous ce cerisier où plusieurs années auparavant ils s'étaient rencontrés pour la première fois, une musique résonnait.

La musique d'une poupée…

- Arrête!

Le garçon se réveilla en sursaut, haletant, les larmes aux yeux. Dans un geste, il avait relevé le buste et tendu la main, comme s'il avait voulu repousser quelqu'un.

« Un rêve… »

Mais ce songe avait l'air si réel. Le garçon avait l'impression de sentir l'empreinte glacée de cet homme sur sa peau et à l'intérieur de lui. Ses yeux vert émeraude se posèrent sur le livre qu'il avait lu jusqu'à épuisement. Les pages ne cessaient de tourner sous son regard vague, poussées par le vent qui s'était fait soudainement plus frais.

Les lèvres du garçon se serrèrent. Cela faisait longtemps qu'il n'avait rêvé de ce type, cet homme infâme. Depuis la fameuse histoire sur le paquebot, il ressentait ce dégoût insurmontable, cette envie de haine que nul autre que lui ne pouvait étancher.

Soudain, il se figea. Il considéra, horrifié, les marques rouges qui s'étaient étalées sur ses mains et ses poignets. C'étaient des malédictions, brûlantes et acérées. Machinalement, le garçon retroussa sa chemise et aperçut les marques remonter jusqu'à son torse et son dos. Il frissonna malgré lui, se frictionna la peau de ses mains souillées. Cette douleur était comme la rouille ou le sang. On avait beau frotté, supplié les cieux, elle ne s'effaçait pas. C'était tout simplement impossible.

Pantin…

Ces mots se formèrent inconsciemment sur ses lèvres, sans faire sorti un son. Il porta son regard sur la lune qui était la seule lumière existant dans ce monde noir.

Il n'était pas un pantin.

Il était lui.

A suivre…