Voilà l'épilogue de ce premier tome. J'espère que vous l'apprécierez.

Bonne lecture à tous.

Epilogue

Sigrid contemplait le splendide paysage qui se déroulait devant elle. L'océan se fracassait sur les falaises en une gerbe d'écume. L'eau était de la même teinte que le ciel, un bleu foncé, presque violet. Les hautes herbes des champs se mouvaient en vagues souples sous les rafales du vent. Au loin, le tonnerre gronda. Son propre corps vibrait au son de ce tumulte. Jamais elle ne s'était sentie aussi vivante qu'à l'approche de sa propre mort.

Elle se laissa tomber tout au bord de la falaise, la tête et les bras dans le vide. En bas, tout en bas, elle voyait les rochers, elle voyait l'eau s'y fracasser. Sur ses lèvres, le goût entêtant du sel. Elle se redressa, un vertige la saisit.

Elle pouvait sauter. Elle n'avait qu'à s'avancer un peu, si peu. Les pieds, les jambes d'abord et s'aider de ses bras. Elle n'aurait qu'à se laisser tomber. Elle eut une vision nette de son corps désarticulé, emporté par les flots.

Elle retira une à une ses épingles à cheveux, le vent les lui arracha. Sa lourde chevelure se répandit sur ses épaules d'albâtre, les envahissant de leurs ténèbres, lui fouettant le visage. Elle avait froid. Sa simple robe blanche d'été, immaculée, à la mousseline légère, n'était pas faite pour ce genre d'intempéries. Mais quelle importance ?

Elle ferma les yeux. Il fallait dire adieu à tout cela ? Mais elle voulait tant vivre, elle voulait se battre ! Ses souvenirs refluaient ; le baiser que lui avait donné Sean, si longtemps auparavant, en cet endroit même. Elle s'était sentie pleine d'espoir alors, et elle avait cru qu'elle était invincible. Sean… et Lou, son tout petit, son bébé, sa fillette aux cheveux d'or. Elle avait encore tant de choses à lui dire, tant de choses à vivre ! Elle ne serait pas là pour l'accompagner à sa première journée d'école, pour lui apprendre ses premiers sorts. Elle ne serait pas là pour sécher ses larmes, pour son premier chagrin d'amour. Elle ne serait pas là pour la voir devenir femme, pour voir quel genre de beauté elle deviendrait. Elle ne serait pas à ses côtes pour les moments difficiles comme pour les moments de joie. Il lui faudrait apprendre à vivre avec un souvenir, le souvenir d'une mère aimante, un souvenir qui deviendrait de plus en plus flou avec les années. Il n'y aurait alors plus que la mémoire de Sean, de ses quelques amis, il n'y aurait plus que les photographies. Lou découvrirait alors de qui elle tenait ses grands yeux bleu vert, sa bouche bien dessinée.

Sigrid eut un sanglot, très bref, un spasme. Ses belles mains tremblaient. Un rayon de soleil rompit alors la masse nuageuse, aveuglant, éclaboussant de lumière l'étendue d'eau, de l'or liquide. Une étrange sérénité l'envahit. Elle avait eu le droit de voir une dernière fois le soleil, d'admirer pour la dernière fois le spectacle. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres, impromptu. Elle faisait ce qu'il fallait. Pour mettre à l'abri sa famille, elle devait accepter de mourir. Les choses étaient aussi simples et cruelles que cela.

Un autre coup de tonnerre retentit, qui résonna dans sa propre poitrine ; l'odeur de la terre devenait de plus en plus âcre. La pluie ne tarderait pas. Ce fut un craquement sec, un pied marchant sur un bout de bois, qui la sortit de ses réflexions. Déjà.

Elle se leva, lentement ; le vent était tombé soudainement, une immobilité irréelle avait saisi le rivage. Elle se retourna. Dix hommes encagoulés de noir formaient un demi cercle autour d'elle. Elle était cernée, par le vide et par les Mangemorts. Un onzième fendit l'arc de cercle, s'avançant d'une démarche souple et retira son capuchon. Peau pâle, yeux ambrés avec d'étranges reflets rouges, aux joues creusées, beau, d'une beauté qui ne tarderait pas à s'évanouir. Il n'était déjà plus que le pâle reflet de l'adolescent séduisant qu'il avait été, longtemps auparavant. Non. Pas si longtemps que cela ; Mais pour Sigrid, cela remontait à une éternité, l'impression que plusieurs vies s'étaient écoulées entre leur première rencontre.

Tom la dévisagea. Ses longs cheveux bruns, dans lesquels il avait adoré passer la main, masquaient à moitié son beau visage. Ses magnifiques yeux clairs. Sa robe adhérait à son corps, plaquée par le vent. Elle lui montra ses mains vides. Pas de baguette.

Il eut une moue déçue. Il aurait préféré un vrai combat, un combat avec son égale. Il s'approcha d'elle. Très droite et digne, elle ne fit pas un mouvement de recul. Il se retrouvèrent à moins de trente centimètres l'un de l'autre et tous leurs souvenirs refluèrent. Leurs nuits. Leurs batailles. Leur ultime confrontation.

Pour la dernière fois, il la contempla à loisir. Le temps avait marqué ses traits ; de fines ridules autour de ses yeux, autour de sa bouche, un teint plus fatigué. Mais le menton volontaire était toujours le même, le dessin des cils et des sourcils toujours aussi beau, l'arc émouvant des lèvres n'avait pas changé.

« -Tom, murmura-t-elle.

-Ne m'appelle pas comme cela, répondit-il, froidement.

-Tom, répéta-t-elle, avec un petit rire. Tu vas me tuer de toute façon, alors je prends le risque. Tom Jedusor. Ecoute ton nom. Seul Dumbledore te rappellera qui tu es vraiment quand j'aurai disparu.

-Je suis…

-Tu es Tom. Et tu resteras Tom. Et tu mourras en t'appelant Tom. »

Il abaissa sa baguette. Elle avait crispé ses deux mains sur sa robe, la serrant tant que ses jointures devenaient blanches. Il posa une main sur sa nuque et l'attira à lui. Elle sentit ses lèvres sur les siennes, leurs souffles se mêlèrent, une dernière fois. Elle se cambra, et poussa un gémissement. Il la relâcha. Elle baissa les yeux sur son ventre. Une large tache de sang s'élargissait ; la dague était entrée profondément. Sa propre dague, celle de sa famille, au manche sculpté, celle avec laquelle elle avait blessé Tom, un soir d'octobre. Cette dague qu'elle lui avait offert, peu avant leur séparation brutale.

Elle tomba à genoux, le souffle court, et s'appuya contre un tronc d'arbre mort. Les images s'entrechoquaient dans son esprit. Sa mère tournoyant sur un lac gelé, son père jouant du piano, Rose tricotant, Eleanor riant, Lloyd, surgit du passé, Sean allongé sur le sofa, et Lou, sa petite fille. Lou, ses cheveux de blé, sa peau bronzée, sa voix claire.

Du sang jaillit de la bouche de Sigrid, coula sur son menton, dans son cou, éclaboussa son teint diaphane de rouge. Son regard se voilait. Elle tendit la main, dans un geste désespéré. Tom la regardait lutter, lutter encore contre cette mort inéluctable.

Elle n'avait plus mal. Non, plus du tout. Un grondement, un autre. Elle sentit les premières gouttes de pluie sur son visage, fraîches, délicieuses. Elle sourit. Une petite fille se tenait juste devant elle. Ses longs cheveux bruns bouclaient sur ses épaules fluettes. Des fossettes se creusaient sur ses joues. Elle fit signe à Sigrid.

« Tu viens ? ». Sigrid saisit la main de la fillette.

Sa poitrine arrêta de se soulever, ses yeux cessèrent de voir. La mort semblait lui avoir rendue sa jeunesse, les traits lissés. Il effleura une dernière fois la chevelure ; il prit sa baguette.

« Ne la touchez pas. Je veux qu'elle reste intacte. »

Un sourire inexplicable flottait sur ses lèvres. Les sorciers disparurent un à un. Il fut le dernier.

Sigrid demeura seule sous la pluie.