Titre: Ab imo pectore

Auteur: Niladhevan, aka Tenbra (sii sii c'est mouwa!)

Disclaimer: Aphrodite, Death Mask, et co de m'appartiennent pas. Les autres personnages, si!

Rating: K, un peu de violence physique comme verbale.

Genre: surtout angst… xD

Résumé général: Le Poissons passe à table…! (superbe résumé, je sais, mais c'est pour maintenir le suspens)

Musiques écoutées pendant l'écriture:

Labyrinth's lullaby –thème du Labyrinthe de Pan
Opening d'Origine par Kokia
Abel no Thème
Chœurs sacrés de la Concentration

Note: A-AAAAH! Non, vous ne rêvez pas, non vous n'hallucinez pas! C'est bien la suite d'AIP qui se déroule sur votre écran pour cette nouvelle année 2008! (ou comment écrire en trois semaines ce que je n'ai pas su écrire en un an…!)
Pour me faire pardonner cet ignoble retard, ce chapitre est très long et dense (comparé aux autres du moins); j'espère qu'il saura vous plaire autant que le début!

Une dédicace particulière…

A ma sœur Liliceine, qui a vu dans ce chapitre des instants comiques là où je ne voyais que poignante tragédie;
A Wind et Raidemo, même si leur chéri ultime n'est pas très présent ce coup-ci;
A certaines serial-revieweuses qui se reconnaîtront et à qui je fais de gros câlins constricteurs;
A ma boîte de dafalgan, plus ou moins fidèle au poste depuis une semaine;
Et enfin à mon huitième sens, qui m'a permit d'accomplir ce miracle;

Bonne année 2008 à vous tous!


I can't escape this hell
So many times I've tried
But I'm still caged inside
Somebody get me through this nightmare
I can't control myself

Au-dehors le vent catabatique hurlait son élégie, aussi lancinante qu'éternelle.

Il aurait souhaité se boucher les oreilles, pour ne plus l'entendre.

La lumière semblait omniprésente. Elle, si pure, presque blessante dans sa beauté éthérée.

Il aurait souhaité devenir aveugle, pour ne plus la voir.

Et ce froid, mordant comme les crocs d'un loup enragé…

Il aurait sans doute voulu mourir, juste pour ne plus en sentir la cruelle brûlure.

Pourtant, ses paupières se levèrent. Faiblement, comme si elles étaient chargées de plomb et que rien au monde ne lui avait demandé plus d'effort. Voilà, c'était fait. Ses yeux bleu azur fixèrent un instant le vide, comme hésitants, ne sachant pas où se poser. Il n'y avait rien à regarder en particulier, de toute façon.
Avec une infinie lenteur nuancée de précaution, il amorça un mouvement pour se redresser. Sa joue se décolla de la trop fine cape glacée sur laquelle il était couché, les muscles de ses bras frémirent de douleur en étant sollicités, mais il parvint à se mettre en appui sur ses coudes.
Ses cheveux glissèrent sans un bruit de ses épaules menues pour venir s'échouer avec une fluidité quasi liquide sur la peau de son avant-bras. Il posa alors son regard sur ces mèches entremêlées, d'un bleu aussi pur et haïssable que celui du ciel du Groenland. Et il se redressa en position assise.
Tout son corps le faisait souffrir, brûlait littéralement sous le froid ambiant. Il tourna ses paumes tremblantes pour les observer; elles étaient blêmes, même écorchées au niveau de ses articulations et des lunules fragiles de ses ongles. Ses phalanges étaient totalement ankylosées; c'était à peine s'il pouvait remuer les doigts.

Il était vivant. Encore.

C'était un constat singulièrement déplaisant.

Il leva son regard terne autour de lui. Toujours cette prison de cristal…un cristal translucide, brillant, une fleur de glace qui n'avait de fragile que l'apparence. Car il avait été incapable de se libérer, depuis ses deux jours de captivité. Son cosmos s'était confronté à celui que suintaient presque les parois glacées. L'aura de son maître, froide, blessante, qui le repoussait sans ménagement…c'était lui qui conférait sa puissance à cette geôle cristalline.
Il avait même essayé de sortir à la seule force de ses poings. Ces derniers étaient à présent dans un état déplorable.
Que lui restait-il, comme options? Mourir, ou attendre d'être sauvé. Et être sauvé -par son maître?! - était aussi improbable que s'il se retrouvait soudainement entouré de cocotiers ombrageux, au bord de la mer.

Avec la lenteur et la gaucherie d'un pantin rouillé, il se mit debout. Ses pieds nus arboraient une curieuse couleur, et tout le long de ses jambes et de ses bras fins, on voyait parfaitement les rainures bleutées de ses veines sous sa peau diaphane. Il ne portait qu'un simple chiton noir ceinturé d'une maigre corde de cuir. Ses cheveux ondulaient délicatement, cascadant le long de son dos et son torse pour ne terminer leur course qu'à mi-cuisse. Ils étaient longs. Trop longs à son goût.
Cela faisait longtemps qu'il aurait dû les couper. Court, bien plus court; comme un garçon normal. Cela lui aurait peut-être évité…
Les paupières d'Aphrodite s'abaissèrent sur ses yeux fatigués, tranchant sa pensée dans son élan. Non, ne pas penser à ça. Pas maintenant…

Ses prunelles claires se fixèrent laborieusement sur la paroi de glace qui l'entourait. Il devait sortir de là. Essayer encore, et encore. Jusqu'à ce qu'il meure.
La deuxième nuit n'avait pas eut raison de lui. Il fallait avouer que son entraînement l'avait déjà formé à une résistance respectable. Un autre en de pareilles circonstances serait mort depuis longtemps; pour lui, ce n'était qu'une question de temps, vraisemblablement.
Il tendit ses mains tremblantes vers la muraille, y accolant ses paumes déjà sévèrement bleuies par le froid.
Il referma ses yeux, avec lenteur. Sa tête bourdonnait, mais il devait se concentrer.

Cosmos. Une énergie fascinante, vraiment.
Il avait vu son maître à l'œuvre, et ses apprentis les plus avancés dans leur formation. Il avait bu les récits relatant les exploits des Chevaliers d'Or, protecteurs ultimes d'Athéna…
Chaque personne affûtait son cosmos comme il l'entendait, au moyen de différents vecteurs si cela était nécessaire.
Ses mains frémirent de plus belle.
Tout dépendait de l'âme; de cette inclinaison particulière qu'on les gens pour des éléments, des objets particuliers. Si l'un maîtrisait la glace à sa guise, un autre ensorcelait grâce à sa flûte, et un troisième canalisait son énergie dans son arme…
Lui, n'avait pas été surpris de découvrir son propre "vecteur" d'énergie.

Une série de crissements légers, discontinus. Une goutte de sueur se faufila sur les reliefs crispés de sa joue.
Sans avoir besoin d'ouvrir les yeux, il savait que son cosmos opérait déjà: de longues lianes épineuses couraient le long du mur, perçant la glace en surface, s'y ménageant un passage comme autant de serpents vert profond.
L'aura de la fleur de glace palpita. Son maître devinait son action. Il pouvait presque entendre son rire moqueur à travers l'énergie dégagée par sa prison.

"Trop faible."

Son hurlement de douleur résonna longuement dans la petite cavité.
Aphrodite fut soudainement projetée en arrière, et son quasi-vol plané ne fut stoppé que par le mur opposé, et ce sans grande douceur.
Deux longues traînées de sang maculaient à présent le sol et une partie du mur encore couvert de lianes inertes.
Le jeune Suédois reprit difficilement sa respiration, contemplant d'un regard flou son œuvre réduite à néant: les lianes tombaient déjà les unes après les autres, délogées de leurs petits tunnels par la glace elle-même. Sa prison était vivante: elle se reconstituait seule.
Son maître n'y allait pas avec des pincettes…
Une nouvelle fois, Aphrodite leva ses mains vers lui. Au centre de ses paumes, deux entailles circulaires laissaient s'échapper de longues langues de sang chaud. Tout autour, sa peau avait été déchiquetée par les épines de ses ronces.
De mieux en mieux…
Les épaules du Suédois s'affaissèrent, et son crâne alla heurter le mur dans des signes sans équivoques d'abattement. Il aurait essayé une bonne dizaine de fois de se creuser une sortie depuis le début de sa captivité.
C'était peine perdue…son maître voulait le voir mort.
Il espérait qu'il serait bien satisfait!

Il se sentait épuisé. Peut-être était-ce déjà la fin…Ses grands yeux bleus, ternis par la fatigue et le désespoir, se levèrent avec hésitation vers le dôme de glace translucide qui composait sa si jolie prison.
Tout avait si vite dégénéré, au campement…S'il avait été différent, est-ce que les choses se seraient mieux passées…?
Sa vision se brouilla, ses muscles harassés se détendirent d'un coup. Si seulement…


"Maître Kaali!"

Un jeune garçon courrait à travers les sentiers creusés dans la neige, slalomant avec adresse entre la trentaine de résidents qui campement. Des isbas aux cheminées crachotantes étaient parsemées aléatoirement autour du ruisseau d'eau glacée, et au vu des constructions relativement vieilles mais solides, elles se tenaient là depuis longtemps déjà.
C'était un endroit idéal, surtout dans un environnement aussi hostile que le Groenland, pour établir un camp d'entraînement à la solde du Sanctuaire. Protégés des vents violents par les collines, abreuvée en eau par le ruisseau et en bois par un large bosquet, les jeunes enfants et leurs enseignants pouvaient y trouver un semblant de sécurité et de confort; quant à l'ensemble des séances d'entraînement, il avait lieu à l'extérieur, au-delà des collines…

"Maître Kaali!!!"

"Si j'étais toi, je n'irais pas le voir dans sa masure…"

Aphrodite stoppa net sa course devant le garçon qui venait de lui adresser la parole. Assis sur la souche d'un arbre, il était vêtu comme les autres apprentis d'un chiton et de chausses noirs, ainsi que quelques protections de cuir à l'épaule gauche, aux poignets et aux genoux.

"Bah pourquoi?"

La question candide du jeune Suédois arracha un sourire bienveillant à l'autre. Il avait de court cheveux blond platine et lisses qui encadraient délicatement son visage souriant. Une minuscule tresse prenait naissance derrière son oreille pour s'échouer au creux de son épaule, ornée à son extrémité d'une petite perle aussi grise que l'étaient ses yeux.
Manifestement, il était occupé à tailler quelques motifs sur son bâton d'entraînement avec un petit canif.
Tout en répondant d'une voix calme à la question du Suédois, il reprit son ouvrage en achevant la gravure d'une longue arabesque fleurie:

"Il n'est pas d'humeur, c'est tout."

Le garçon aux yeux bleus resta un instant indécis, fixant avec attention le novice en plein travail. Après un instant de silence, il fit d'une voix timide:

"Je…Je suis nouveau ici! Je m'appelle Aphrodite, et toi?"

Le blond leva ses yeux gris vers lui, et lui adressa un sourire assez amusé:

"Roderick…Tu es Suédois, non?

-O…Oui…

-Ca s'entend! Moi je suis Danois, fit-il dans un rire léger, mais loin d'être moqueur. Si tu veux voir Maître Kaali, il faudra patienter, je pense.

-C'est aussi ton maître?

-Non, c'est son frère cadet qui s'occupe de moi, Dëmi de la Couronne Australe…Athéna soit louée, ajouta-t-il avec un sourire espiègle. Ils ont des caractères diamétralement opposés."

Aphrodite resta muet de stupéfaction. Il avait déjà vu le dénommé Dëmi, c'était un homme très doux, voire même insouciant, qui enseignait surtout à ses élèves à développer leurs pouvoirs psychiques et les initiait aux soins. Mais Maître Kaali était sensiblement différent, comme l'avait fait remarquer Roderick: violent, colérique et borné, il ne croyait qu'en la force brute du cosmos et entraînait sans relâche ses élèves pour les endurcir. On voyait mal deux personnes aussi différentes être liées par le sang.

"Surpris?

-Plutôt, oui…"

Aphrodite s'accroupit, ses bras fins croisés sur ses genoux, et posa son menton sur le dos de sa main. Ses yeux bleus suivirent avec intérêt le dessin ciselé sur le bois, avant qu'il ne s'exclame d'un ton enthousiaste:

"Des roses! C'est très joli!

-Tu aimes les fleurs?"

Le jeune Suédois hocha la tête vivement, un large sourire étirant ses lèvres. Roderick émit un rire léger, sans doute amusé de tant de conviction fournie pour une question en apparence anodine.

"Il y en avait plein, là où j'étais avant! Dit Aphrodite dans un souffle joyeux. Les rosiers avaient grimpé sur toute la hauteur du mur, et avaient même atteint le clocher! Quand ils fleurissaient, c'était tellement beau…

-Un clocher?

-Euh, oui…Des Sœurs m'ont 'adopté', expliqua Aphrodite avec un brin de nostalgie gênée dans la voix. C'était un couvent, en fait."

Le blond afficha l'espace d'une seconde une mine surprise, avant de retrouver son sourire amical:

"La différence doit être radicale, hein…"

Roderick leva alors son regard vers le ciel, l'air pensif. La voûte boréale se couvrait déjà de son voile d'encre et par endroit, de timides étoiles fleurissaient déjà. Les nuits étaient particulièrement belles ici: le ciel nocturne était illuminé de tant et tant d'étoiles qu'on en avait le vertige à tenter de les observer. D'ailleurs, la soirée s'annonçait déjà.

"Je dois te laisser, Aphrodite…"

Le blond se leva, aussitôt imité par un Suédois assez déçu d'interrompre là leur début de conversation. Roderick remarqua sa moue, et afficha un large sourire en abattant doucement sa main sur l'opulente chevelure bleutée du garçon:

"Allez, on se reverra bientôt, d'accord? Je pars demain en excursion avec Maître Dëmi pour quelques jours.

-Ah…

-Je suis content de t'avoir rencontré, fit poliment le Danois sans se départir de son sourire. A la prochaine…"

Roderick s'éloigna du jeune Suédois et lui adressa également un signe de main avant d'emprunter un sentier isolé, son bâton passé en travers de ses épaules.
Aphrodite le regarda partir, immobile. Un sourire timide flottait sur ses lèvres. Il venait de se faire un ami? Il en avait l'impression…mais quel dommage qu'il doive attendre le retour de Roderick pour s'en assurer!
L'air enjoué, il prit le chemin menant aux dortoirs d'un pas léger, voire même dansant. Il pouvait toujours attendre que son maître soit disposé à le voir pour lui montrer enfin le fruit de son entraînement!

Depuis l'entrée d'une isba, un homme à la forte carrure se tenait aussi droit qu'un rapace attentif. Ses yeux verts n'avaient raté aucune miette de la scène, et une flamme livide et éthylique brûlait dans les prunelles du Saint. Un sourire se tailla sur ses lèvres; un sourire carnassier, avide, cruel.
Il saurait lui ôter ce rire cristallin de sa gorge de moineau…il saurait le briser, et montrer à tous que cette catin ne serait jamais digne de porter une armure!

Le lendemain, Aphrodite fut réveillé par les secousses énergiques d'un garçon également apprenti de Maître Kaali. Il grogna un peu, aveuglé par la pluie de lumière que déversait la petite lucarne de l'isba des novices, et s'extirpa à contre-cœur de sa couverture si agréablement chaude.

"Entraînement spécial." Articula son aîné d'une voix au fort accent russe, sans lui adresser un regard. "Dans les bois du sud. Dépêche-toi."

Le laconique adolescent à la chevelure myosotis sortit prestement de la cabane, y laissant un Aphrodite seul et interloqué. Son regard parcourut rapidement l'espace du dortoir; les cinq autres lits étaient vides et encore défaits, et il ne voyait l'ombre qu'aucune protection d'entraînement.
Ils étaient partis sans lui.
Le Suédois ravala fermement les larmes de frustration qui lui montaient déjà aux yeux et sortit d'un bond de sa couchette. Cela faisait tout juste deux mois qu'on l'avait envoyé dans ce camp, et il cumulait déjà les brimades des autres apprentis plus âgés que lui, combinées à celles de son maître. Ce n'était même pas parce qu'il était faible…Non en fait, il ne voyait pas pourquoi ils ne l'aimaient pas.

En quelques minutes, il enfila ses vêtements d'entraînement, et se contenta de lacet ses jambières avant de se précipiter à l'extérieur. Le vent glacé du matin fouetta sa chevelure claire et l'obligea à se protéger les yeux d'un revers de bras. Sa vision était mauvaise par un temps pareil, mais Aphrodite se mis tout de même à courir à travers le sentier déjà envahi de neige.

Courir, oui. Courir à en perdre haleine, mais surtout, surtout ne pas s'arrêter, ne pas ralentir. Les Bois du sud étaient un endroit isolé, plutôt éloigné du campement mais idéal pour les entraînements de groupe. S'il arrivait en retard, son maître ne se priverait pas de le rabrouer. Et "rabrouer" ici sous-entendait des insultes, des humiliations, des coups. Aphrodite, suffoqué de crainte, entendait déjà les rires sonores de ses compagnons d'arme, et accéléra encore le pas.
Il faisait tout pour être un élève parfait. Sa volonté de plaire aux gens ne l'avait jamais quitté.
Mais il se demandait, encore, continuellement, et plus fréquemment chaque jour s'il n'aurait pas mieux fait de rester au Couvent des Sœurs. Avec celles qui l'aimaient comme une famille. Athéna, la Déesse qu'il se devait de vénérer, ne l'aimait pas; sinon, elle serait déjà venue à son secours, n'est-ce pas?

Courir. Le vent cherchait à ralentir son avancée, et tant de violence aurait découragé plus d'un téméraire. La neige mouchetait sa chevelure de blanc, et le froid mordait de toutes ses petites dents pointues ses oreilles et ses lèvres déjà gercées. Il avait oublié son manteau.
Loin devant, il percevait la vague teinte sombre du bosquet sud, parfois totalement occulté par le vent catabatique saturé de flocons.

Courir, courir. Une fois arrivé là-bas, les arbres épais et endurant de la lisière les protégeraient des rafales les plus violentes. Resteraient le froid et l'obscurité à combattre, en plus des adversaires de sang chaud.
Il eut une pensée pour Roderick. Il avait tellement envie de le revoir! Une part de lui lui soufflait qu'il idéalisait peut-être un peu trop ce garçon qu'il connaissait à peine, et qu'il serait forcément déçu plus tard. Mais lorsqu'il repensait au sourire du Danois, il repoussait ses douces d'un revers de bras. Un Ami. Enfin, un ami!
Aphrodite conçut un véritable soulagement lorsqu'il pu enfin marquer un temps d'arrêt, en s'appuyant sur le tronc du premier arbre des bois. Essoufflé, mais soulagé d'avoir accompli le plus dur du trajet, il s'autorisa une minute de pause avant de s'élancer prestement à travers les bois épais et sombres, à la recherche des autres apprentis et du maître Kaali.
Ses bottes s'enfonçaient dans la couche de neige craquante, et il buttait de temps en temps sur des racines dissimulées. Mais il percevait déjà la rumeur lointaine d'une présence humaine: des râles rauques de garçons concentrant leur cosmos étique, des cris vifs et perçants comme ceux des aigles, et enfin, des sons de démolition en tout genre.

Le jeune Suédois tâcha de faire une entrée discrète dans une étroite clairière, mais, comme s'ils n'attendaient que cela, tous les apprentis stoppèrent immédiatement leurs activités pour darder sur lui des regards inquisiteurs, voire même mauvais. Aphrodite se figea face à la douzaine d'apprentis âgés entre six et quatorze ans. Son cœur battait toujours la chamade, mais à présent c'était surtout de peur. Une peur viscérale, incontrôlable…

Où était le maître…?

"Asteroth Squall!"

Aphrodite eut à peine le temps d'écarquiller les yeux d'horreur qu'une onde de choc violente le cueillit en pleine poitrine, et le fit effectuer un long vol plané. Son corps, constellé d'estafilades à cause des lames de glaces dissimulées dans la rafale de vent, heurta violemment le tronc d'un arbre, le tout sans qu'un seul cri ne s'échappe de sa gorge. Ils n'avaient entendu qu'un sombre craquement lorsque l'arbre avait stoppé sa course.
Le Suédois, sonné, glissa ensuite lentement jusqu'au sol, ses longs cheveux bleus cachant son visage.
Maître Kaali s'avança alors, et les élèves s'écartèrent prudemment de son chemin en fixant avec un paradoxal mélange de satisfaction et de peur la silhouette inerte de leur cadet.

Le Saint de la Couronne Boréale portait un long manteau brun doublé de fourrure, dont la capuche rabattue sur ses larges épaules laissait sa tête nue. Les innombrables petites mèches lisses de sa chevelure étaient d'un vert de jade, tout comme ses yeux de rapace fermement plantés sur son apprenti. Ses traits étaient figés dans un rictus moqueur, et dans un ample froufrou de sa cape, il se retourna vers ses élèves en arguant d'une voix de stentor:

"Qu'est-ce qu'un Chevalier d'Athéna, selon vous? N'est-il pas un protecteur de l'humanité, un serviteur dévoué à sa Déesse? Athéna n'a pas besoin des faibles, elle veut des guerriers courageux et puissants…"

Le maître irradiait littéralement de sa force sauvage, et ses yeux luisaient d'un éclat émeraude presque irréel.

"Seule la force pourra vous départager. Les Parques ne couperont le fil de votre existence que si vous êtes trop faibles pour abattre vos ennemis. Seuls les forts seront consacrés par la Déesse, et recevront les honneurs des Chevaliers!"

Kaali se stoppa, presque satisfait de voir tous ces visages livides braqués sur lui avec soumission et admiration. Son regard dériva sur Aphrodite, qui venait le relever faiblement la tête, et sa bouche se tordit de mépris.

"Aphrodite…gronda-t-il. Tu crois-tu fort?"

Le Suédois, les yeux étrangement voilés, comme s'ils étaient aveugles, fit frémir ses lèvres comme pour parler. Seul un filet de sang d'un rouge soutenu s'écoula de sa bouche close.
Kaali eut un rire dédaigneux, et se tourna à nouveau vers ses apprentis:

"Pensez-vous qu'Aphrodite est digne de devenir un Chevalier?"

Beaucoup secouèrent négativement la tête avec conviction, se permettant même des rires moqueurs. Seul le Russe Mihka, connu pour son mutisme pratiquement constant, n'esquissa pas le moindre geste. Kaali étira un sourire carnassier qui fit tressaillir de crainte les plus jeunes, puis s'approcha en quelques enjambées d'Aphrodite. Sa main plongea et agrippa brutalement la chevelure azurée du jeune garçon pour l'obliger à se lever. Les jambes d'Aphrodite étaient flageolantes, et son visage était crispé par la souffrance ; mais aucun cri de douleur ou de protestation ne s'était encore élevé.

"Catin." Cracha le maître en le projetant d'un mouvement sec au milieu des autres apprentis. Aphrodite tomba sur son épaule droite, roula sur lui-même et demeura immobile aux pieds des plus jeunes élèves, étant apparemment retombé dans l'inconscience."Les abominations dans son genre n'ont pas plus d'utilité que la poussière sous nos pieds."

Kaali darda un regard méprisant sur le corps ensanglanté et inerte de son élève, puis se tourna vers ses élèves les plus âgés:

"Loth, Nebel, Ilgaël… Les cibles de glace brute ne sont plus de votre niveau…Montrez-lui donc ce que vous savez faire."

Un cauchemar, c'était un cauchemar.

Aphrodite ne sentait plus rien, tant il avait mal. Il ne savait pas combien de temps cela avait duré, il ne pouvait même pas tourner les yeux vers le ciel pour voir s'il faisait nuit ou jour. De toute façon, il n'y voyait plus grand chose.
Les aînés s'était entraînés sur lui. Il avait eu vaguement conscience du poing cuirassé de glace d'Ilgaël, le cosmos brumeux de Nebel avait manqué de peu de l'asphyxier…quant à Loth, il avait poussé le vice jusqu'à lui déchirer ses vêtements pour mieux de rouer de coups supersoniques.
Maintenant? Ils étaient tous parti. Ils l'avaient laissé là, sous cet arbre au tronc aussi meurtri de coups de points que l'était son propre corps, pratiquement nu, et au seuil de la mort.
Il ne se demandait même pas s'il allait survivre. Non, probablement. Et s'il survivait, Kaali viendrait certainement l'achever dans son sommeil…non, en fait, il se demandait surtout: Pourquoi?

Quelle belle question...

Pourquoi lui? Qu'avait-il fait pour mériter un sort pareil? Qu'avait-il de moins que les autres?

Qu'est-ce que j'ai fais?

Il était couché sur le côté. Sa poitrine était totalement bleue, ses épaules étaient ensanglantées. Même sa chevelure bleutée était complètement poissée de sang. Et il tremblait convulsivement. Ses lèvres étaient déchiquetées et bleuies par le froid. Sa respiration était sifflante, comme un tissu que l'on déchirait, et brûlait ses poumons à chaque fois que l'air glacé le pénétrait.

Mais qu'est-ce que j'ai fais, Athéna?

Puis il sentit un cosmos. Un cosmos qui, s'il avait eu encore l'usage entier de ses muscles, l'aurait fait frémir d'horreur.
Maître Kaali?!
Non…non, c'était une aura plus douce, ce ne pouvait pas être lui.

"Asclepios bless"

Cette voix murmurée, grave et douce coula comme de l'eau fraîche sur lui. Il sentit ce cosmos, cette énergie filtrer la sienne, et apaiser son corps endolori. Aphrodite eut alors assez de force pour verser des larmes silencieuses.

"Mon pauvre enfant…mais que t'a-t-il fait?"

Une ombre se baissa sur lui, et une main large chassa avec délicatesse les cheveux qui voilaient son visage. Aphrodite leva un œil brumeux, aveuglé par le sang qui coulait de son front vers lui. Il avait des cheveux vert de jade, comme son maître, mais ils étaient plus longs, et légèrement ondulés.

"Quel est ton nom, mon garçon?"

Il y avait tellement de douceur dans son regard que l'enfant faillit fondre en larmes. Une deuxième ombre s'allongea dans son champ de vision redevenu plus trouble encore, et une voix familière et plus jeune répondit à sa place:

"Il s'appelle Aphrodite, Maître Dëmi."

Roderick semblait troublé, hésitant. Avait-il eu du mal à le reconnaître? C'était probable.

"Aphrodite…? Tu m'entends?"

Il hocha faiblement la tête, et sentit aussitôt les mains larges du Chevalier de la Couronne Australe se glisser sous sa nuque et ses genoux. Son corps quitta le sol neigeux et une vertigineuse nausée manqua de peu de lui faire tourner de l'œil. Son front rencontra le torse drapé de fourrure du Chevalier, et il referma les yeux, presque apaisé par cette étrange et nouvelle impression de sécurité. Jamais, au grand jamais il se s'était senti aussi rassuré depuis son arrivé au Groenland.
Il entendit vaguement la voix anxieuse de Roderick demander s'il s'en sortirait, et celle grave et lente de Dëmi répondre quelques mots qu'il ne comprit pas. Puis il sombra dans un noir et lourd océan d'inconscience.

Depuis que le Maître Dëmi l'avait sauvé d'une mort certaine et ramené au campement, Aphrodite se sentait constamment épié par les autres apprentis. Il percevait leurs regards caustiques, leur lourdeur peser sur sa nuque; mais dès qu'il se retournait, ils faisaient mine d'être absorbés par leurs corvées.
Quant au Maître Kaali…

Aphrodite leva ses yeux pâles comme les cieux hiémaux vers le chevalier à la forte carrure qui se tenait devant lui. Il l'avait fait convoquer dans son isba, cet endroit sombre et étouffant dans lequel il avait espéré ne jamais mettre les pieds.

Il se tenait raide, et s'évertuait à dompter son corps qui tremblait au souvenir des lourdes blessures que cet homme lui avait directement ou non infligé. Le cosmos du Chevalier de la Couronne Australe en avait guéri les plus graves, le reste s'était curieusement résorbé en l'espace de quelques jours. Il savait que Kaali promenait son regard d'épervier sur lui, comme on observe un phénomène naturel passablement insolite mais surtout écœurant. Il y avait toujours eu beaucoup de dégoût dans la façon qu'il avait de le regarder.

"Ne pense surtout pas que, parce que mon frère a eu la stupidité de te sauver, tu es soudainement devenu un être de valeur."

Le Suédois se crispa encore plus, les yeux baissés, et murmura du bout des lèvres:

"Oui Maître."

Il entendit un froufrou de cape et osa élever légèrement son regard. Le feu de cheminé ronflait comme une créature vivante, et éclaboussait de reflets mordorés les reliefs du visage de son maître. Froideur, férocité, colère. Ses yeux de jade brûlaient plus violemment encore que le brasier qu'il contemplait.

"Demain, toi et les autres passerez un test dans le Jardin. A l'aube."

Aphrodite hocha docilement la tête, sans vraiment analyser l'information. Il n'avait qu'une seule envie à présent: quitter cette isba sinistre et rejoindre Roderick. Lui saurait lui remonter le moral, lui raconter les innombrables contes tissés du vent du Groenland et recouvrir d'une fine pellicule de neige tendre ses tourments…
Le jeune Suédois cilla, et chassa ces pensées rêveuses pour rediriger son attention vers son maître –il serait fou de baisser aussi stupidement sa garde dans un moment pareil. Ce dernier le fixait avec sa répugnance coutumière, les poings serrés, et se tenait toujours campé devant la cheminée. Il paraissait si tendu par la hargne qu'Aphrodite eut l'impression d'un seul faux mouvement de sa part aurait déchaîné un nouvel Asteroth Squall.

"Aphrodite."

L'enfant se figea, les sens en alerte et les yeux rivés avec crainte sur son maître. Il mettait tant de conviction à prononcer son prénom comme s'il était la plus ignoble des insultes qu'il se demanda l'espace d'un instant s'il sortirait vivant de cette isba.

"O-Oui…Maître?

-Je t'interdis de t'approcher de Dëmi, c'est clair? Il en va de même pour ses apprentis. Ne les approche plus."

Kaali sourit en voyant l'éclat de stupeur révoltée étirer tous les traits du visage poupin d'Aphrodite. L'enfant ouvrit la bouche, puis serra les dents en baissant les yeux. Le Chevalier de la Couronne Boréale prit cela pour une reddition aussi prudente que méprisable, et laissa échapper un rire moqueur.

"N-Non…!"

La voix d'Aphrodite était à peine plus élevée qu'un murmure. Pourtant, ce fut comme si elle avait lourdement résonné dans la sombre isba –comme une sentence de mort, un glas vibrant de sombres présages.

L'espace d'une seconde, tout resta silencieux, comme figé dans le temps. Kaali regardait Aphrodite avec des yeux arrondis par la colère, mais aussi de stupeur face à tant d'audace, et le jeune apprenti, qui semblait tout aussi sidéré de sa propre folie, tremblait de tous ses membres.
Puis il y eut une sorte de déclic, une déchirure dans ce bref instant de tension muette: dans un râle furieux, Kaali projeta sa main en avant et des pics de glace brisèrent le sol de bois comme autant d'immenses dents blanches. Aphrodite bondit juste à temps, tomba de côté et se releva avec la rapidité et la gaucherie d'un chaton bousculé et effrayé. D'autres pics crevèrent le plancher avec plus de rapidité et de violence, mais le garçon aux cheveux bleus les esquivait toujours de justesse, ou parfois se faisait écorcher le bras ou la cheville en se tordant souplement pour les fuir.
Les yeux baignés de larmes de frayeur, l'enfant se campa solidement sur une dernière parcelle nue tout pic glacé, dans un recoin de la pièce principale, et darda l'espace d'une demi-seconde un regard affolé vers son maître transfiguré par la rage. Puis il poussa un cri étrange en se recroquevillant sur lui-même.
Un éclat lumineux l'entoura, et Kaali recula de surprise devant cette soudaine lueur dorée mêlée de rouge. Un véritable soleil couchant.

"Qu'est-ce que…?!"

Des pétales. Écarlates, et se mouvant comme un banc de minuscules poissons frémissant autour d'Aphrodite, une nuée ondoyante qui le dissimulait presque totalement. La Couronne Boréale se figea, abasourdi par le cosmos que dégageait ce gamin, mais aussi par l'étrangeté de son pouvoir. Des roses?!
La stupeur laissa place à une déferlante de rage. Cette mauviette osait le défier avec son cosmos et cette défense ridicule?!

"Asteroth Squall!"

Les carreaux des fenêtres volèrent en éclat, de même que la porte qui fut projetée au loin par la violence du souffle de glace confiné dans l'isba. Les murs étaient criblés de projectiles effilés comme des lames. Kaali se redressa de toute sa hauteur, et planta son regard de jade sur les reliefs chargés de neige de son propre logis dévasté, s'attendant à retrouver le cadavre de son élève disloqué par son attaque.
Ce qu'il vit lui fit l'effet d'un coup de poing en plein plexus. Aphrodite était étendu sur le ventre dans le même angle que tout à l'heure. Son corps était vraisemblablement intact, et tout autour de lui, un cercle entier semblait avoir été épargné par le Squall. Quelques pétales, étrangement noirs cette fois, gisaient autour de lui.
Un bref mouvement d'épaule d'Aphrodite tira son maître de son ébahissement rageur. Il parvint jusqu'à lui en quelques enjambées rapides, et empoigna sèchement sa chevelure bouclée. Les yeux d'Aphrodite étaient hagards. Une estafilade d'un rouge soutenu se dessinait en travers de sa joue et épanchait quelques gouttes de sang de le long de sa peau pâle.

"Ne me défies plus jamais, où je saurais te le faire regretter éternellement."

L'enfant ne répondit pas, encore sonné, mais Kaali sut que le message était passé. Il lâcha brusquement son emprise et la tête du Suédois heurta lourdement le plancher fissuré.

"Rappelle-toi de ce que tu es, Aphrodite."

Les lèvres du garçon remuèrent faiblement, et la botte de son maître s'écrasa violemment sur sa main. Un cri déchira l'air glacé de l'isba, et dans un sanglot, Aphrodite répéta à voix haute:

"De…De la…

-PLUS FORT!

-De la poussière…! Je suis juste…de la poussière…"


Aphrodite ouvrit les yeux avec peine. Encore cette prison de glace, ce vent hurlant avec la férocité des Erinyes, et ce froid mordant…
Vivement que tout cela se termine…
Il essaya de fermer ses mains, mais des élancements brûlants lui rappelèrent la présence de plaies au creux de ses paumes. Leur croûte fragile venait de se déchirer, et du sang s'écoulait à nouveau entre ses doigts. Aphrodite grimaça et renonça à amorcer le moindre mouvement.
Il s'était fait piéger. Quelle idée…se présenter sagement à l'entraînement du lendemain alors que son maître avait essayé une nouvelle fois de le tuer! Il n'avait pas prêté attention au regard explicite de Mihka, ni à ceux sidérés des autres apprentis –il était trop fier pour ça. Le Jardin était le domaine privé du Maître Kaali, au-delà des collines orientales. S'élevaient là des dizaines de gigantesques cristaux de glace luisant, comme autant de fleurs sans parfums ni couleurs. Chaque élève avait affronté Kaali en duel pour lui démontrer ses talents et ses progrès. Il s'était montré relativement cordial avec les autres, mais quand vint son tour…
Dès les premiers instants du combat, des blocs de glace compacts manquèrent de lui arracher un bras, il ne put qu'esquiver encore et encore, derrière ses nuages de pétales. Puis il finit par glisser, et se retrouva instantanément prisonnier de sa "Northen Bloom", et abandonné là sans autre forme de procès.

Deux jours...

Aphrodite ferma ses yeux azuréens. Il était seul. Personne ne viendrait l'aider cette fois. Roderick et le Maître Dëmi avaient de nouveau quitté le campement…on lui avait vaguement dit que Roderick allait recevoir son armure d'argent, là-bas. Ils lui manquaient. C'était bête, il les connaissait à peine, et pourtant…il leur devait la vie, et ils demeuraient les seules personnes à lui manifester un minimum d'affection ici.

Quand Roderick reviendrait glorieusement avec son armure –s'il revenait-, lui serait certainement déjà mort et prisonnier à jamais de sa fleur de glace. Aphrodite soupira de peine. Il aurait voulu connaître le jeune Danois davantage. Etre vu comme un ami, un égal à ses yeux, et pas comme un gamin faible qu'il fallait secourir à tout bout de champ…
Un faible sourire se fraya un chemin sur ses lèvres, mais n'y tint pas longtemps. La fatigue gagnait du terrain…sans doute allait-il alterner instants d'éveil de d'inconscience jusqu'à ce qu'il ferme définitivement les yeux.
Le Suédois se laissa glisser lentement contre la paroi gelée, puis se recroquevilla en position fœtale au centre de sa prison. Il porta l'une de ses mains à son visage, l'air absent, et lécha un peu de son sang. Sa tiédeur ferreuse coula dans sa gorge, et il trouva cela curieusement apaisant. Il n'était pas sûr de savoir pourquoi. Peu importait, après tout.

Adjö.

Il entendit soudainement un craquement. L'espace d'une seconde, il n'y prêta aucune attention, puis le bruit s'étendit et devint nettement identifiable. Une fêlure. Aphrodite ouvrit brusquement ses yeux et les tourna vers le dôme de glace, où s'étendait une longue déchirure craquante.
L'ahurissement laissa place à de la peur lorsque la prison entière vola en éclats. Une pluie de débris glacés l'entoura, et il eut à peine le réflexe de se protéger la tête de ses bras. Il releva cependant son visage, et vit se découper dans l'aveuglante lumière du jour, encore constellée de poudre de glace tintinnabulante et vibrante du cosmos courroucé de Kaali, la fine silhouette de Roderick. Ses courts cheveux blonds voletaient furieusement sous le vent catabatique, sa mince natte battant sa gorge en cadence, ses yeux gris comme un ciel orageux brillaient d'un étrange éclat qu'Aphrodite n'identifia pas immédiatement. Un halo de lumière blanche l'entourait, gorgeant de mille reflets aveuglants les lignes de son armure blanche et grise finement ciselée.

"Aphrodite!!… Oh Athéna soit louée, tu es vivant!"

Roderick lâcha aussitôt la hallebarde d'argent qu'il tenait dans sa main, et tomba à genoux pour recueillir le corps blême du jeune Suédois, encore éberlué d'une telle apparition. Il n'émergea de sa stupéfaction qu'en sentant des sanglots secouer les épaules du jeune chevalier d'argent. Il pleurait…? Pour lui…?

"Je suis désolé, Aphrodite…si j'avais su plus tôt…"

L'ancien captif laissa ses paupières retomber sur ses yeux, ses muscles complètement détendus. Si seulement il pouvait rester entre ces bras protecteurs indéfiniment…!
Aphrodite lutta cependant pour ne pas plonger à nouveau dans l'inconscience, et se força à dévisager son aîné, dont les joues étaient baignées de larmes. Il esquissa un maigre sourire, et éleva une main rougie de sang pour essayer de les chasser; mais ses doigts arachnéens ne firent que souiller de traces sanguines la peau blanche de Roderick.

"P…par…d…"

Il ne put terminer son laborieux murmure d'excuse. Au même instant, un souffle violent qui n'avait rien de naturel les balaya tous les deux. Roderick se rétablit souplement à genoux dans la neige, quelques mètres plus loin, et tenant toujours Aphrodite contre lui. Il leva des yeux furibonds vers la haute silhouette qui se dressait non loin d'eux en irradiant un cosmos déformé par la rage.

"COMMENT OSES-TU, RODERICK?!"

Kaali jeta à terre d'un mouvement sec son épais manteau, révélant son armure de la Couronne Boréale.

"TU N'AVAIS AUCUN DROIT D'INTERVENIR!"

De hauts pics de glaces jaillirent du sol sous les pieds de Roderick, qui se déporta brusquement en avant, en récupérant d'un même élan sa hallebarde d'argent. Il se redressa de toute sa hauteur, brandissant son arme devant lui comme une lourde menace:

"Athéna ne tolère pas les souffrances que vous infligez à ses serviteurs!

-La Déesse Athéna n'a pas besoin de faibles comme lui!"

Un nouveau pic de glace creva le sol, mais fut décapité d'un ample mouvement de bras par Roderick. Une aura argentée l'entourait et nimbait d'éclats lunaires sa chevelure blonde. Amplifiée par la puissance de son aura et par la colère qui la faisait vibrer, sa voix tonna comme un orage divin qui trouvait un écho lumineux au fond de ses yeux gris:

"Il y a bien assez eu de Northen Blooms dans votre Jardin, Maître Kaali! Votre frère ne pourra cacher éternellement vos agissements aux yeux du Grand Pope!"

Le Chevalier de la Couronne Boréale renifla avec mépris, et répliqua d'une voix sifflante:

"Tu viens à peine d'être sacré Chevalier d'Argent du Sculpteur que tu prends déjà de grands airs moralisateurs…C'est insupportable!… THORNY CROWN!"

Des rangées rugissantes de stalactites aiguisées fusèrent du sol, écumantes de neige et de cristaux scintillants. Aphrodite poussa un cri étranglé, projeté loin de Roderick par le tranchant d'un pic qui déchira sa tunique au niveau du ventre. Il roula sur lui-même, et s'immobilisa, sonné, à cinq mètres du combat féroce que se livraient les deux chevaliers d'argents. Il leva les yeux laborieusement, les entrailles nouées par l'inquiétude. Même si Roderick était protégé par une armure d'argent et bénéficiait d'une incroyable vélocité, le maître Kaali était nettement plus puissant et plus expérimenté que lui.
Il vit Roderick se relever de l'attaque, l'épaule ensanglantée, puis repartir à l'assaut en abattant sa hallebarde dans le sol, qui se fissura dans un lourd craquement, se disloqua pour laisser émerger d'étranges et hautes silhouettes de glace brute. Ceux-ci, avec une surprenante rapidité, fondirent d'un même élan vers Kaali, qui du sauter pour éviter leur charge.

"Ce n'est pas avec des pantins que tu m'auras!"

Le Chevalier de la Couronne Boréale éclata d'un rire moqueur en atterrissant souplement plus loin, près à contre-attaquer. Mais une voix tonnante figea les deux adversaires sur place:

"KAALI!"

Aphrodite tourna faiblement de côté. A l'orée du Jardin venait d'apparaître Dëmi. Il semblait à la fois surpris, furieux et déçu. En un clin d'œil, il fut près de lui et s'agenouilla pour lui toucher les cheveux. Un éclat de rancœur passa dans ses prunelles de jade. Il déboucla son manteau de fourrure, le laissa retomber avec douceur sur les épaules du jeune Suédois, puis il se releva brusquement pour faire face à son frère aîné.

"Kaali, cesse ce combat immédiatement. Nous devons parler."

Puis il se retourna vers Roderick et lui adressa un sourire qui se voulait apaisant:

"Je comprends ta colère, mais je ne puis te laisser affronter mon frère. Va, et emmène Aphrodite avec toi. En sécurité. Je reviendrais le plus vite possible..."

Le blond acquiesça docilement, bien qu'un peu décontenancé par la soudaine intervention de son maître, et fit tournoyer sa hallebarde pour en dissimuler le tranchant dans un signe manifeste de renoncement au combat. Il recula prudemment, surveillant du coin de l'œil Kaali demeuré immobile et silencieux depuis l'arrivée de Dëmi, puis se précipita vers Aphrodite. Il le serra contre lui, le soutenant d'un bras comme il l'aurait fait avec un jeune enfant ne pesant pas plus qu'une plume. Roderick jeta en regard interrogateur et inquiet vers son maître, puis se dirigea rapidement vers la sortie du Jardin.

Une fois seuls, Kaali grimaça de dégoût, avant de faire d'une voix grondante:

"Un autre que toi serait déjà mort pour avoir osé m'interrompre en plein combat."

Dëmi sourit presque tristement à cette remarque cinglante, et secoua la tête avant de demander à voix basse:

"Dis-moi…dis-moi juste pourquoi tu le déteste tellement…

-Qui?

-Aphrodite..."

La Couronne Boréale eut un rictus de dédain profond. Il ne supportait pas le regard limpide et presque apitoyé de son jeune frère.

"Ce n'est qu'une larve destinée à être piétinée toute sa vie. Il ne mérite pas de porter la moindre armure." Cracha-t-il avec véhémence.

Dëmi ne répondit pas immédiatement, égarant son regard clair sur les dizaines de sinistres mais si belles fleurs de glace disséminées dans le Jardin. Le soleil commençait à décliner vers l'ouest, mais le ciel restait couvert d'un épais manteau de nuages identique à la pelisse blanche dont se couvrait la région.
La Couronne Australe posa son regard vert tendre sur le visage crispé de son frère, puis reprit sur le ton de la conversation:

"Il a un visage très féminin. D'ailleurs, je trouve qu'il ressemble beaucoup à Brynhild."

Les traits de Kaali s'affaissèrent tandis que son teint devenait blême de rage mêlée d'une sincère stupeur.

"Que…

-C'est pour cela que tu le déteste? Parce qu'il lui ressemble? Renchérit Dëmi d'une voix où vibrait une colère sourde.

-Comment oses-tu…

-Kaali, le coupa-t-il aussitôt. Je suis fatigué de tout ça. Brynhild est morte parce qu'elle avait fait le choix de devenir chevalière…Au lieu de la haïr, sois un peu fier de ta fille. C'est tout ce que tu lui dois."

Dëmi esquissa un ample mouvement du bras pour désigner le Jardin baignant dans l'anémique lueur du crépuscule.

"Ca…Ca ce n'est pas ce qu'elle aurait souhaité pour sépulture.

-LA FERME!"

Le cadet des frères leva soudainement la tête, les yeux grands ouverts. Kaali venait de bondir vers lui avec la rage d'un fauve, le poing en avant. Et dans ces prunelles semblables aux siennes brûlaient des feux qu'aucune larme de viendrait jamais étouffer. Il sut que le combat était désormais inévitable; mais il s'y était préparé.

"NORTHEN BLOOM!

-STAR-CROSSED CORONATION!"


Tout à l'Ouest du campement se dressait, pour marquer les limites du village, une statue de vieille pierre d'Athéna. Mais celle-ci, contrairement à sa classique image hellène, était vêtue d'un long manteau de fourrure et portait sur son bras droit tendu en angle un hibou, symbole de clairvoyance. Les plus jeunes l'appelaient tout simplement la Dame, d'autre encore la Dame de Pierre.
C'était à ses pieds que reposait Aphrodite, emmitouflé dans le manteau du maître Dëmi. Ses cheveux bleus pâle ondulaient sur la fourrure brune, constellés de neige et poissés par endroit d'un peu de sang. Sa peau était d'une extrême pâleur, et son regard flottait dans le vide, sans jamais s'accrocher, comme s'il était devenu aveugle. Il avait l'air d'un petit animal, minuscule, chétif, recroquevillé pour tenter d'échapper à la vue des prédateurs.
Roderick l'observait avec inquiétude, accroupit non loin de lui. Jamais il n'aurait pensé qu'un garçon aussi adorable que lui pouvait avoir tant de problèmes. Il était innocent de tout crime, et pourtant on le traitait comme la pire des engeances. Le cœur du Danois se serra de douleur. S'il avait été plus présent pour lui, Aphrodite aurait moins souffert…il aurait été là pour le protéger, l'empêcher de connaître de si terribles épreuves.

"Ne t'inquiète pas, Aphrodite …"

Il répétait cette phrase comme un mantra salvateur, et presque pour lui-même. Bientôt, le Maître Dëmi reviendrait, et tout irait pour le mieux…
Son regard gris retomba sur le jeune Suédois. Il semblait totalement ailleurs, comme en état de choc. Il ouvrit la bouche pour lui parler, mais une onde accompagnée d'un bref flash de lumière fit soudainement vibrer l'air.
Il tourna la tête vers l'origine de cette déflagration de cosmos, le souffle coupé. Le Jardin…
Roderick se leva, agrippa sa hallebarde fixée à son dos et en allongea le manche d'un mouvement de paume nerveux. Il sentait l'agitation naître dans le hameau, notamment auprès des nombreux disciples du maître Kaali qui sortaient des dortoirs, agités, en dévisageant le ciel crépusculaire comme pour y lire la signification de ce qui se déroulait plus loin dans les collines.
Certains d'entre eux l'aperçurent –son armure luisait sous la lumière déclinante, et même que sa hallebarde qui n'avait rien de particulièrement discret-, et s'avancèrent vers eux d'un pas à la fois précipité et méfiant.

"Que se passe-t-il dans le Jardin?!

-Roderick, c'est ça? Tu es déjà revenu du Sanctuaire?!

-Quels sont ces cosmos?"

Puis le regard d'un des garçons, qui se prénommait Loth, tomba sur la silhouette d'Aphrodite dissimulée derrière le Danois.

"Hé…! Mais… c'est la catin! Il est sorti de la Northen Bloom?!"

Un murmure de surprise et d'agacement notoire passa dans le petit groupe d'apprentis. Roderick se campa solidement devant le jeune Suédois, et répliqua d'une voix acide:

"Je ne te permets pas de l'appeler ainsi!"

Loth rit, à la façon d'une hyène face à une proie agonisante, et croisa les bras sur sa poitrine. A ses côtés Ilgaël le grand rouquin fit d'une voix doucereuse:

"Apparemment il s'est trouvé un copain…

-Dis donc Roderick, tu sais pas qu'il est la chasse-gardée du Maître Kaali?"

Quelques rires discrets congratulèrent l'audace dont faisait preuve Loth par de tels propos. Le Danois aux cheveux blonds fronça les sourcils, les mâchoires serrées, jugulant de justesse la rage qui lui soufflait de trancher ces langues de vipères au plus vite.

"Allez-vous en maintenant!"


Eau.

Oui, j'ai l'impression d'être plongé dans l'eau. D'y sombrer, lentement, tout doucement, avec la tranquillité du dormeur qui s'enlise dans ses rêves les plus douillets.

Se noyer, sans aucune résistance. C'est bien mieux que ce qui m'attend à la surface.

Je la vois, cette surface brillante, ondoyante, lointaine. Elle brille de cosmos divers. Je sens l'aura de Roderick, celles des apprentis remplaçant celles de Kaali et Dëmi.

Je ne sais pas ce qui se passe, là-haut. Je ne veux pas savoir non plus.

Au Couvent, c'était mieux.

Les Sœurs étaient gentilles avec moi, même si elles m'obligeaient à laisser mes cheveux longs et à porter les même vêtements que les filles. C'était pour me protéger de tout cela; elles étaient contre le Sanctuaire d'Athéna dont elles connaissaient étrangement l'existence. Je n'aurais jamais du en partir, ne jamais laisser ces Chevaliers m'arracher à ma dernière famille.

J'aurais du rester là-bas.

Sœur Lucie m'avait promis…quand je serais grand…quand je serais grand je pourrais m'occuper des rosiers de la Chapelle. Elles étaient si belles ces roses, d'une merveilleuse teinte rouge.

Elles grimpaient, encore et toujours plus haut.

Avec des roses, je pourrais occulter cette surface dont je ne veux rien savoir.

Toujours plus belles, plus enjôleuses par leurs parfums…

Je ne veux plus voir cela. Ces combats, ce sang, cette haine. Tout n'est que laideur et atrocité.

Et leurs épines plus aiguisées, plus courbes, plus noires. Assoiffées.

Je veux retourner au Couvent. Je veux oublier tout cela.

Elles…

Elles me protégeront. Elles me montreront de belles choses. Mes Roses…

Je les vois. Elles se faufilent jusqu'à la surface. Leurs longues ronces noires sont comme des tentacules criblés d'épines, elles croissent au milieu de mon Eau. Là-haut, elles fleuriront –elles me le soufflent à l'oreille. Il y aurait des milliers de pétales qui peupleront ma Mer comme autant de délicats poissons ondoyants.

Je souris. Elles seront belles, très belles. J'en suis sûr.

Des lèvres qui frémissent comme un faible papillon. Un sourire fantomatique dévoré par quelques mots murmurés, valseurs néfastes:


Deep Crimson Ocean


La nuit était déjà bien avancée quand ils arrivèrent au campement groenlandais. Même s'il s'accoutumait déjà à la lecture les astres, les multitudes d'étoiles mouchetant le ciel noir lui paraissaient d'une beauté inégalable.
L'air était pur, mais terriblement glacé pour lui. Il n'y avait pas un seul nuage, comme s'ils s'étaient tous enfuis. Ou comme s'ils avaient été repoussés.
Saga arrêta sa marche, et porta brièvement une main à son visage pour toussoter. Le vent s'élevait parfois, violent et fourbe, pour flageller son épais manteau noir. Il avait renoncé depuis longtemps déjà à couvrir sa tête de la capuche sans cesse rabattue en arrière par les doigts joueurs de Borée. Sa longue chevelure océane flottait tout autour de lui, glacée, poudrée de flocons, et comme douée d'une vie propre tant elle s'agitait en tout sens.
Ses yeux se promenèrent sur les alentours, profitant de leur arrêt au sommet d'une des innombrables dunes de neige qui surplombait le vallon abrité des intempéries. A ses côtés se dressait la silhouette altière et impressionnante du Grand Pope. Il était lui aussi vêtu d'une longue capte noire ballottée par le vent nocturne, mais par un profond mystère du cosmos, la capuche ombrageait presque amoureusement son visage masqué d'onyx poli, lui donnant des traits pareils à ceux des antiques statues grecques.

"Il n'y a plus aucun cosmos perceptible, Seigneur..."

Le Grand Pope hocha la tête à la remarque inquiète de Saga, puis sembla porter son regard vers la vague tâche noire qui se dessinait en contre-bas. Le campement était presque invisible, comme si l'air à ses alentours était devenu soudainement dense et opaque à leurs visions.
Sans les cosmos habituels qui signalaient comme des lanternes au milieu de la nuit la présence du camp, ils avaient l'impression de tomber sur une toile éclaboussée de peinture noire. Plus aucune étoile ne brillait ici-bas.

"Comment se…?

-Ne tardons pas, Saga."

Le Grand Pope s'élança dans la pente poudreuse de la colline, aussitôt suivit par l'adolescent rongé par une sourde angoisse. Il avait peur de ce qui les attendait là-bas. Qu'était-il arrivé au campement…? Le Grand Pope lui avait demandé de l'accompagner juste pour récupérer des apprentis, à placer sous la tutelle du Sanctuaire…mais il avait brusquement précipité leur départ, comme piqué d'une soudaine intuition.
Saga leva ses larges yeux d'émeraude vers la silhouette souveraine de Shion, admiratif. L'éternel régent du Sanctuaire avait tant de prestance, tant de bonté…il était un modèle de perfection. Il saurait suivre cet exemple.
Ils arrivèrent bien vite par l'entrée Est du campement. Saga eut un hoquet de surprise en découvrant une sorte de grande étendue glacée, piquée de-ci de-là d'imposant bouquets de cristaux de glace. Shion s'était arrêté, et avait posé une main sur son épaule pour le pousser délicatement de côté.
Le jeune chevalier des Gémeaux tressaillit, un regard interrogateur et anxieux scrutant les étranges sculptures de glace. Shion essayait de lui cacher quelque chose.

"Que s'est-il passé ici…Seigneur…?"

Il vit les épaules du Grand Pope s'affaisser sous le poids d'un soupir. Son masque luisait faiblement à la lueur des Etoiles – Où donc était passée la Lune…?

"Un fratricide, Saga. Le plus cruel des destins."

Le jeune grec frémit comme si l'on avait déversé sur ses épaules un sceau d'eau glaçée. Au centre de cet étrange jardin blanc se dressait une "fleur" plus grande que les autres. Elle était haute de cinq ou six mètres, tintant de reflets blafards sous l'anémique lueur stellaire, imposante comme une stèle funéraire. Au cœur de cette glace se profilaient à peine des silhouettes humaines. Deux.

"Oh Athéna…"

Saga eut un mouvement de recul, secoué d'un haut-le-cœur atroce. Il se détourna, les yeux brûlants.

"C'est…C'est…Le Maître Dëmi…?

-Et son frère aîné Kaali, confirma Shion d'une voix atone, le visage toujours tourné vers la Nothern Bloom à la taille décuplée par la Star-Crossed Coronation. Hélas, je suis arrivé trop tard pour les arrêter…"

Le Grand Pope se tut. Sa voix était celle d'un vieillard. Elle l'avait toujours été, même dans les souvenirs les plus lointains de Saga. Mais même s'il paraissait toujours vigoureux et lucide, chaque année semblait rajouter un poids invisible sur ses épaules.

"Seigneur…?

-Allons-y…Nous n'avons que trop tardé."

Shion dépassa d'un pas preste Saga, qui demeura un bref instant en retrait. Son regard s'attarda douloureusement sur la sépulture des deux frères couronnés, puis se leva vers la voûte céleste. Il lui paraissait insensé que deux hommes du même sang puissent en venir à de telles extrémités.
C'était tout bonnement inconcevable à ses yeux.
Dans un frou-frou de tissu noir, il se détourna pour suivre les pas de Shion en direction du village.

Là-bas, c'était un autre spectacle qui l'attendait.

Shion stoppa sa marche à l'entrée du hameau, là où la neige avait été creusée pour ménager un sentier entre les isbas. Son visage masqué se pencha, scruta pensivement les abords comme s'il avait peine à y croire.
Un Rosier.
Un gigantesque rosier.
Il entendit les pas feutrés de Saga derrière lui, puis une exclamation de stupeur murmurée en grec.
Tout le village était envahis par ces plantes. Les toits étaient troués, les murs envahis, le sol recouvert. Les ronces noires s'élevaient en boucles agressives vers le ciel, déroulaient leurs rubans endeuillés en toutes directions comme l'aurait fait la lave d'un volcan en furie. Rien ne semblait avoir été épargné.
Tout semblait avoir été fureur et violence, et à présent, c'était un silence de cimetière qui régnait sur le campement.

"Qu'est-ce qui s'est passé, Seigneur?"

Shion allongea le bras vers une ronce particulièrement épaisse qui barrait l'entrée du hameau. Une main ridée et blanche, exempte de toute tâche, émergea des vêtements noirs du Grand Pope pour effleurer avec délicatesse la plante inerte.

"Encore le fruit de mes erreurs, Saga. J'ai naïvement laissé Kaali agir à sa guise au Groenland, hors de portée de ma surveillance. Il a détruit de nombreuses vies, et ceci…ceci est un cadeau empoisonné engendré par une souffrance inouïe."

Le Gémeau ne répondit pas, interloqué. Il lui semblait déjà difficile d'imaginer une erreur commise par le Grand Pope, qui à ses yeux demeurait l'image d'un presque-Dieu. Mais il ne comprenait pas non plus ce qu'il entendait par "cadeau".

"Seigneur?

-Met ton masque. L'air est très certainement empoisonné."

Saga obtempéra. Il sortit d'un repli de son manteau un masque noir, pareil à celui que portait le Grand Pope et les femmes du Sanctuaire. Il l'apposa sur la peau de son visage, et rabattit prudemment sa capuche sur ses longs cheveux bleus avant de suivre son supérieur qui s'avançait déjà au milieu de ce véritable océan de lianes et d'épines.

"Qui a bien pu faire une chose pareille? Des rosiers…dans un lieu aussi désertique…

-Il faut beaucoup de puissance pour créer des formes de vie si proches de la réalité. Certains chevaliers en sont capables, d'autres ne font que modeler la forme pure de leur cosmos…"

Le Grand Pope semblait penser à voix haute, mais Saga ne l'écoutait pas moins. Qui, mais qui aurait été capable d'un tel prodige?

Plus ils progressaient dans l'épaisse masse noirâtre, plus le ciel disparaissait sous un dôme de ronces enchevêtrées. Shion ouvrait la marche, taillant un chemin d'amples mouvements du bras. Ses traits de lumières déchiraient la plante avec une surprenante facilité, et éclairaient par flash les alentours.

C'est ainsi que Saga aperçut le premier corps.

L'adolescent eut un geste de recul, trébucha sur une ronce et tomba en arrière dans un éclat de voix effrayé.
Il leva des yeux arrondis vers le corps suspendu aux ronces, à deux mètres du sol. C'était un garçon, d'une dizaine d'années peut-être, aux cheveux myosotis. Des centaines d'épines s'étaient plantées dans sa chair, devenue aussi blanche que de la craie. Il était exsangue.

"Seigneur! Regardez!"

Mais le Grand Pope avait déjà le visage levé vers le cadavre blafard. Des roses d'un rouge soutenu avaient fleuri tout autour du corps emprisonné. Il toucha l'une d'elle du bout des doigts, et lorsqu'il l'ôta, ses phalanges étaient poissées de sang.

"C'est bien ce que je pensais…"

Shion soupira sous son masque noir, et recula d'un pas. Saga s'était relevé, le cœur battant, et porta son regard tout autour:

"Il…y en a d'autres…?

-Je crois."

Le Grand Pope ouvrit une main avec lenteur. Des perles de lumière y naquirent, frémirent presque timidement avant de s'élever autour d'eux pour illuminer leur voie. Mais plus la luminosité croissait, plus nombreuses étaient les silhouettes qui se découpaient de la pénombre, pendues aux ronces, des pantins de craie perdus cernés de roses gorgées de sang. Saga déglutit faiblement, mais reprit bien vite ses esprits. Ils marchèrent encore un peu au travers de le sombre massif de roses, observant tous deux un silence nerveux.

"Que venons-nous chercher s'ils…s'ils sont tous morts?

-Le jeune garçon dont Dëmi de la Couronne Australe m'avait parlé lors de sa visite au Sanctuaire."

Les deux voyageurs se frayèrent encore longuement un sentier au mieux des bois noirs et empoisonnés. De temps en temps, Saga voyait le Maître du Sanctuaire effleurer du bout des doigts les ronces, puis changer de direction, comme si la plante pouvait le mener jusqu'à son créateur.
Ils se trouvaient à présent au cœur du rosier –on n'y voyait plus du tout le ciel, et il faisait sombre malgré les particules de lumières générées par le Pope. Ce dernier s'arrêta, et se concentra sur les sons qu'il percevait. Outre les faibles toussotements de Saga et le lointain murmure du vent entres les branchages les plus élevés, il y avait comme un goutte-à-goutte. Proche.

Shion sentit alors une goutte tomber sur son masque, dans un "ploc" sourd. Il tressaillit, et posa une main à son visage pour l'essuyer. Ce n'était pas de l'eau, mais du sang. Encore chaud. Il leva son regard au-dessus de leurs têtes, et sentit aussitôt une vague de froid parcourir son être. Il y avait là-haut un adolescent de l'âge de Saga –ou un peu plus jeune-, qu'il reconnaissait à ses cheveux blonds et à ses yeux gris, à présent recouvert d'un voile diaphane et terne. Roderick aussi avait été fait prisonnier du Rosier. Et à en juger par ses bras lacérés, il avait lutté longtemps. Très longtemps.
Le jeune chevalier des Gémeaux sembla lui aussi le reconnaître, et murmura une prière désolée du bout des lèvres, avant d'incliner la tête, l'air abattu.

"Ce garçon a tué ses propres compagnons d'armes…" fit-il d'une voix blanche.

-Je ne pense pas qu'il en ait été pleinement conscient…

-Comment…?"

Shion sembla sourire derrière son masque; le jeune grec ne pouvait dire pourquoi il le devinait, mais c'était ainsi.
Le Pope commença à faire émerger de longues écharpes d'un cosmos doré autour de son corps, et d'une seule impulsion, il déblaya un vaste périmètre de ronces sur le côté, révélant la présence d'une haute statue figurant la déesse Athéna.
Saga cligna des yeux, surpris d'une telle apparition, puis les abaissa vers les pieds de pierre de la Déesse. Un enfant était recroquevillé là, et il l'aurait volontiers confondu avec le reste des dépouilles tant il était pâle, griffé par les épines et immobile. Mais il respirait, aussi profondément et faiblement qu'un dormeur. Saga s'agenouilla, profitant de la lueur dispensée par l'aura de Shion, et détailla le visage poupin à moitié caché par un bras rouge d'éraflures. Il était jeune, très jeune. De longs cheveux bleus ondoyaient sur ses épaules et au sol. Ses yeux étaient inexplicablement entrouverts, ombragés d'une large frange de cils sombres. Ses prunelles semblaient bleues, et luisaient d'un éclat étrange, presque surnaturel.

"Seigneur, c'est …lui?

-Aphrodite."

Dans un lourd clappement de son manteau, le Grand Pope s'agenouilla à son tour auprès de l'enfant roulé en boule, qui n'avait aucunement réagit à leur présence. Il lui toucha le front, puis ôta sa main lentement. Sa voix s'éleva, douce comme un ruban que l'on dénoue du bout des doigts, quoique rendue rocailleuse par l'âge:

"Aphrodite, reviens. Tu es en sécurité, maintenant. Reviens…"


Soleil.

Mais quel est ce soleil…? Au fond de l'Eau…?!

Il brille fort, mais je n'ai pas mal aux yeux. C'est doux, agréable et tiède. L'Eau devient plus claire, se teinte de pers comme si je quittais des eaux arctiques pour les lagons d'équateurs.

Quelle clarté…!

Mais mes Roses n'aiment pas ça. Elles me soufflent des mots. Elles m'incitent à attaquer.

Mais on ne peut pas tuer le Soleil.

Le Soleil…

Je…

Je ne suis pas sûr d'avoir envie de voir tout ce que cette lumière va me révéler.

J'ai peur.

Mais le Soleil m'appelle, par mon prénom. En sécurité…?

"Reviens…Ne restes pas tout seul dans l'ombre. La solitude est le pire des poisons. Reviens, Aphrodite."

Solitude…?

Oui, j'étais seul. Mais j'ai mes Roses, ne sont-elles pas suffisantes?

Dis-moi, Soleil…


"E…Es…Est-c…e…"

Saga cilla. L'enfant essayait de parler. Mais il n'y avait que ses lèvres qui frémissaient, tentaient d'articuler. Comme si le reste de son corps était déjà mort.
Shion, à ses côtés, caressa encore le visage du jeune Suédois, avec l'attention et la douceur d'un père envers sa propre progéniture.

"Reviens Aphrodite. Ces Roses ne seront jamais les amies dont tu as besoin…"

Ils virent l'enfant tiquer, peut-être involontairement. Shion poussa un soupir, et retira d'un mouvement précautionneux et élégant son masque poli. C'était la première fois que Saga le voyait à visage découvert, et il retint de justesse un hoquet de surprise: même âgé de largement plus de cent ans, l'homme qui se tenait à côté de lui ne semblait pas plus affecté par le temps qu'un homme d'une soixante d'années, tout au plus. Les rides au coin de ses yeux parmes ne faisaient qu'adoucir son regard, et celles encadrant son sourire donnaient un rebondi tendre à ses joues nues de toute marques. Il portait deux points pâles à la place des sourcils. Comme le jeune Mû.
Saga inspira longuement, presque ému par cette vision. Ainsi donc, le Grand Pope était un Lémurien…ce qui expliquait son impressionnante longévité et son lien avec le petit Tibétain du Sanctuaire…

"Aphrodite, reprit Shion d'un ton plus clair. Ecoute-moi…Il y a bien longtemps, j'avais un ami, à qui tu ressemble beaucoup. Son nom était Albafika, et tout comme toi il manipulait les roses à sa guise…Cependant…à force de côtoyer des roses empoisonnées, son sang était devenu lui-même un poison mortel."

Le Pope marqua une pause, une étincelle de douleur passant brièvement dans ses prunelles rosées.

"Il était devenu si dangereux…que quiconque l'approchait courrait le risque d'être empoisonné par son sang ou son parfum. Albafika avait le cœur tendre et un grand sens de la justice, il ne voulait faire de mal à personne…Et cette solitude constante…cet écrasant isolement a fait de sa courte vie un véritable supplice. Jusqu'à sa mort…il est resté loin des autres…de nous. Sans jamais pouvoir ne serait-ce qu'effleurer ses amis, les embrasser, les aider..."

Shion inclina la tête.

"Aphrodite, reviens. Nous ne te laisserons jamais tomber dans une pareille souffrance. Reviens, s'il te plaît."

A cet instant, l'enfant aux cheveux bleu ciel papillonna des cils, et leva son visage pareil à celui d'une poupée vers les deux hommes qui l'observaient. Un maigre sourire d'enfant se dessina sur ses lèvres, et ses mains lacérées se tendirent faiblement vers Shion, qui n'en attendit pas plus pour le prendre dans ses bras et le serrer contre lui. Comme un père.
Saga, le cœur littéralement broyé par ce qu'il venait d'entendre, ôta à son tour son masque pour révéler un visage souriant, mais ses yeux étaient tristes, et emplis d'une compassion sans bornes.

"Nous ne te laisserons jamais seul, Aphrodite. J'en fais la promesse."

Shion approuva les paroles du jeune grec d'un signe de tête léger, et caressa tendrement le dos d'Aphrodite. Ce dernier venait de sombrer dans une inconscience plus sereine, un sommeil sans rêves qui le préserverait pour un temps de l'horreur dont il était responsable.

"Cet enfant…Seigneur…

-Saga, j'ai besoin de ton aide."

Le jeune Gémeau cligna des yeux, interloqué. Son aide? Pourquoi donc…? Shion laissa une aura dorée envelopper le corps juvénile d'Aphrodite, et ils assistèrent sans échanger un mot à la guérison accélérée des blessures qui marbraient la peau blanche de l'enfant.

"Je ne veux pas d'un deuxième Albafika, reprit d'une voix blanche le Pope sans quitter des yeux le jeune Suédois. Je suis arrivé trop tard pour sauver Dëmi, Kaali et Roderick. J'ai commis la même erreur pour ce pauvre garçon envoyé en Sicile…pour lui, c'est peut-être déjà trop tard. J'espère qu'il n'en est pas de même pour ce petit.

-Seigneur…

-Utilise ton Genromaouken sur lui, s'il te plaît. Scelle au fond de son esprit cette technique qu'il a utilisé pour détruire le campement, de même tous les souvenirs qui pourraient lui rappeler cette nuit."

Saga ouvrit la bouche pour l'interroger, mais se résigna presque aussitôt. Bien sûr. Faire oublier à cet enfant ce qu'il avait subi, ce qui l'avait poussé à brûler son cosmos de façon aussi dévastatrice…il pourrait repartir à zéro; s'épanouir, peut-être.

"Bien."

Le Grec étendit sa main et accola sa paume contre le front brûlant de fièvre d'Aphrodite. Ses doigts s'enlisèrent dans sa chevelure. Il ferma les yeux, et murmura du bout des lèvres:

"Genromaouken."

Il y eut quelques instants de silences. Shion replaça son masque, et dévisagea attentivement le jeune chevalier des Gémeaux. Lorsque ce dernier ouvrit les yeux, ce ne fut que pour déverser de lourdes larmes, qui s'écoulèrent le long de ses joues aussi furtivement que des étoiles filantes. Un sanglot lui échappa, et la main qu'il venait d'ôter du front d'Aphrodite alla chasser les intruses rivières luisantes de son visage. Le visage caché, il s'efforça tout de même d'articuler d'une voix hâchée:

"C'…C'est…trop…beaucoup… trop… pour un enfant de… son âge…Seigneur…!"

Le Pope hocha la tête avec compassion, et laissa Saga endiguer vaillamment les pleurs engendrés par son voyage dans l'esprit d'Aphrodite. Maintenant que le sceau était posé sur ses souvenirs, Aphrodite pourrait mener une vie à peu près normale. Saga seul choisirait le moment propice pour rendre ses souvenirs au jeune Suédois, et il avait confiance en son jugement. Pour sa part, il se chargerait de condamner à jamais ce campement groenlandais…


Aphrodite lâcha de but en blanc:

"J'ai brûlé ces lettres parce que j'avais envie d'oublier.

-Oublier ton amant? Sympa pour lui.

-…Roderick était un apprenti que je connaissais au campement du Groenland…

-Quoi, celui qui a cramé pour "insubordination"?

-Ca c'était juste après mon départ.

-Ouais et donc, ce Rode-machin…

-Il était mon seul ami là-bas. Le seul auquel je me sois jamais attaché…

-…Chose étonnante venant d'une sangsue comme toi, fit remarquer Death Mask avec la mine grave des médecins en plein diagnostic.

-Pendant des années, continua Aphrodite d'une voix sans timbre, j'ai écris ces lettres dans l'espoir de les lui envoyer. Je ne savais pas ce qu'il était devenu après la condamnation du campement…J'ignorais même s'il était encore en vie.

-Et quand est-ce que tu l'as retrouvé?"

Death Mask grimaça légèrement, peu avide d'obtenir des détails sur les amours folles de son ami, mais dramatiquement trop curieux pour taire ses interrogations.

Aphrodite étala un sourire lisse sur ses lèvres, son regard fuyant obstinément les yeux cobalt de l'Italien.

"Oui je l'ai retrouvé. Saga me l'a apprit dès que nous sommes revenus à la vie."

Death Mask haussa les sourcils. Si tard? Il avait du mal –beaucoup en fait- à s'imaginer Aphrodite bercer pendant des années un pan de sa vie que lui-même ne connaissait pas du tout. C'était incongru, presque vexant en fait.

"Et alors?

-Il est mort en mission, juste avant la condamnation du campement."

Aphrodite mordit dans son sandwich sans paraître accorder d'importance à la lourdeur de ses derniers mots. Le Cancer lui se figea l'espace d'une demi-seconde, parvenant à de nombreuses conclusions en un seul instant: de un, Aphrodite s'était payé sa tête en faisant passer ce fameux Roderick pour un amant. De deux, il ne semblait pas si bouleversé par cette disparition pour être capable d'en jouer et d'en parler aussi légèrement. Et point final mais non moins important: ce fichu poisson regretterait de l'avoir fait tourner en bourrique, foi de Death Mask.

"Aphrodite, vieille morue desséchée…grommela-t-il en guise de menace. Tu te fous de moiii…!

-Oui, un peu.

-Tu vas souffrir!

-Je suis liquéfié de trouille.

-Je me vengerai dans l'arène, tu vas voir!"

Le Suédois laissa échapper un rire cristallin devant la mine superbement outrée de son vis-à-vis. Mais au fond, il ne riait pas tant que ça. Il s'était montré incapable de délier le nœud sur sa langue, de dire la vérité. Certes, Saga avait levé le sceau qui pesait depuis des années sur son esprit lors de leur résurrection. Il ne comprenait même pas pourquoi Arlès n'avait pas saisit l'opportunité, à l'époque, d'employer le Deep Crimson Ocean à ses propres fins, et il n'avait toujours pas osé poser la question au Gémeaux.

Le Suédois jeta un regard discret à Death Mask et à son sourire carnassier tandis qu'il lui exposait les milles et une tortures qu'il lui ferait expérimenter dès qu'il aurait terminé son déjeuner.

Il sourit à son tour, plus doucement. Il n'avait pas envie que Death Mask sache tout cela de lui. S'il était possible de sceller à nouveau ces souvenirs, il le ferait sans sourciller –quitte à oublier son lien avec Roderick. Car c'était aussi la mort qui avait frappé Dëmi, Mihka et d'autres innocents, ces spectres qui l'avaient tant terrifié qu'il avait fuit les combats –même amicaux-, et cherché à tout prix une rédemption inutile.

Il ne voulait pas que Death Mask change son regard.

Être regardé, couvé du regard comme un grand frère protecteur et fier de l'être, ça le rendait heureux. Le ciel au-dessus de lui était devenu ces yeux bleu cobalt, emplis d'une douceur sous-jacente, discrète mais bien présente. Les flots de sang déversés par son massacre changeraient ce regard, il en était sûr –et il ne voulait pas ça.

"Death Mask du Cancer, je te provoque en duel!

-Que…?! Mais tu délires vieille folle! C'est MOI qui t'ai provoqué d'ABORD!

-AHAA! Tu abandonne?!

-Q…BIEN SÛR QUE NON!"


Notes:

"Asteroth Squall!": l'attaque de Maître Kaali vient d'une étoile principale de la Couronne Boréale, Alphecca, qui est aussi appelée Asteroth. "Rafale d'Asteroth", donc.

"Northen Bloom!": Prison de glace dont la forme peut évoquer une fleur. Le Jardin de Kaali est composé de ces 'trophées', pour certains cercueils d'ennemis de la Couronne Boréale.

"Thorny Crown!": Autre attaque de Maître Kaali, "Couronne d'Epines".

"Asclepios bless": Dëmi l'utilise pour soigner. Asclepios est le dieu grec de la médecine. Signifie littéralement "bénédiction d'Asclépios".

"Star-crossed coronation!" : "Couronnement maudit", l'attaque de Dëmi de la Couronne Australe.

"Deep Crimson Ocean" : Attaque originale d'Aphrodite, scellée par les bons soins de Shion. "Profond Océan Ecarlate", littéralement et sans élégance.

Albafika des Poissons: Personnage de Saint Seiya The Lost Canvas (une pure merveille à découvrir d'URGENCE si vous ne connaissez pas encore).