Chapitre 18 : Mises au point
La clochette tinta à l'ouverture de la porte.
ANDRE : bonjour, que puis-je pour vous ?
L'apothicaire releva la tête pour apercevoir la personne qui venait de franchir le seuil de son échoppe. Il s'agissait d'une jeune femme d'environ dix-huit ans, ses cheveux châtains étaient tressés dans son dos et ses épaules étaient recouvertes d'un épais châle de laine qu'elle maintenait fermement serré sur sa poitrine.
ANDRE : oh bonjour Lira… comment allez vous ?
LIRA intimidée par la présence de cet homme qui s'était avancé : bien Monsieur André…
ANDRE en lui souriant pour la détendre : voyons…. Ne vous ai-je pas dit plusieurs fois de ne plus m'appeler « Monsieur »… cela fait tant d'années que l'on se connaît.
C'était vrai. Il l'avait rencontrée pour la première fois dans une des ruelles voisines elle était à la recherche de la boutique de l'apothicaire justement mais dans sa quête, elle avait fait une mauvaise rencontre : un homme, imbibé d'alcool, avait voulu l'entraîner dans un coin et si André n'était pas passé par là, la jeune femme serait sans aucun doute déshonorée à ce jour. Depuis la jeune femme se sentait intimidée en sa présence.
LIRA le rouge au joue : bien Mons…. André…
ANDRE : alors que te faut-il aujourd'hui ?
LIRA : Madame m'a donné une liste…
ANDRE : très bien, je vais voir si j'ai tout cela…
L'apothicaire prit le papier des mains de la jeune femme et commença sa recherche : il sortit des bocaux, pila ses ingrédients, transvasa certains liquides inconnus.
ANDRE : j'ai tout sauf le dernier ingrédient de la liste… ce sera prêt ce soir
Il rassembla les différents produits dans le panier de la servante et lui tendit le tout. Ses mains frôlèrent imperceptiblement les fines mains de Lira qui s'empourpra dans la seconde. « M…erc… » bredouilla-t-elle.
ANDRE : tu reviens ce soir pour le reste ?
LIRA en tenant fermement le panier à deux mains le long de son corps : je ne sais pas… Madame me donne beaucoup de travail… sans doute à la fin de la semaine
ANDRE : c'est comme tu veux… tu es toujours la bienvenue ici.
Le visage de Lira devint écarlate… cet homme était vraiment intimidant : son œil vert brillait d'une telle tendresse… elle se sentait comme une enfant en sa présence…
ANDRE : à bientôt Lira…
LIRA en s'inclinant devant lui : oui, à bientôt…. André…
Elle lui tourna le dos et sortit de la boutique. L'homme sourit devant la « maladresse » de la servante… elle avait une beauté infantile, innocente… mais il avait passé l'âge de ces jeux… et puis Lira était si différente d'ELLE… ELLE était la beauté, la force, le caractère réunis…. un peu comme Oscar….
…
La calèche s'arrêta devant le Château des Jarjayes. Un jeune homme en descendit, ses cheveux blonds étaient maintenus par un bandage tandis qu'il avançait, le pas légèrement hésitant, vers le perron. Un homme d'âge mûr franchit les hautes portes de bois et se précipita à la rencontre de l'arrivant.
ALFRED : que s'est-il passé ? Tu as disparu depuis deux jours !
OSCAR : ça va aller… j'ai fait une mauvaise rencontre, c'est tout
ALFRED furieux : « une mauvaise rencontre… c'est tout » et tu n'as rien d'autre à me dire… je me suis un soucis monstre !
La jeune femme nota alors les yeux rougis, les traits tirés, les vêtements froissés de son ami : visiblement, il n'avait pas fermé l'œil depuis sa disparition. Pour la seconde fois elle réalisa l'affection que lui portait Alfred, ce second « père ». Elle se précipita dans ses bras. « Pardon » murmura-t-elle. « C'est moi qui te fais des excuses, je ne voulais pas m'énerver » chuchota-t-il en la serrant tendrement dans ses bras. Au fil des années, il avait appris à aimer ce garçon manqué comme sa propre fille…
OSCAR en se dégageant de cette douce étreinte : allons nous reposer… j'ai quelque chose à faire ensuite…
ALFRED : quoi donc ?
OSCAR un sourire aux lèvres : trouve moi simplement une bouteille de notre meilleur cognac…
Il regarda Oscar interrogateur…
…
A la caserne, le Capitaine Girodelle revoyait les plans du convoi d'armes quand on frappa à la porte de son bureau.
GIRODELLE : entrez
SOLDAT : excusez moi de vous déranger Capitaine, mais Monsieur Jarjayes souhaiterait s'entretenir avec vous.
GIRODELLE surpris par une telle visite : bien sûr, qu'il entre.
Le capitaine rassembla tous les documents qu'il déposa au fond d'un de ses tiroirs et se leva pour accueillir son visiteur. Il s'arrêta net devant le jeune homme : Oscar avait une cicatrice sur le coin de l'œil, œil qui avait pris une teinte violacée, il remarqua également que celui-ci boitait légèrement.
GIRODELLE empressé : que vous est-il arrivé, mon ami ? Dites moi et je ferai immédiatement arrêter ce scélérat !
OSCAR : calmez-vous, Capitaine… je ne suis pas là pour ça…je désire seulement voir votre lieutenant…
GIRODELLE s'énervant : quoi ? Comment a-t-il osé….
OSCAR voyant que Girodelle s'imaginait des choses : il suffit Capitaine, Monsieur Soissons n'est en rien responsable de mes blessures…
GIRODELLE gêné : pourtant je croyais que…
OSCAR : que croyez vous donc… que votre lieutenant m'aurait frappé ?
GIRODELLE : en fait c'est déjà arrivé…
OSCAR : comment ?
GIRODELLE : oui…. il y a quelques mois, il a frappé un noble qui devenait trop empressé auprès de sa jeune sœur
OSCAR satisfaite de glaner quelques informations sur cet homme étrange : qu'en est-il advenu ?
GIRODELLE presque naturellement : le Lieutenant lui a brisé la mâchoire.
OSCAR un rictus aux lèvres : je vois…. Non je dois voir le lieutenant pour tout autre chose… Pourriez vous m'indiquer sa couchette ?
GIRODELLE : en fait, il a sa propre chambre… je vais demander à un de mes hommes de vous y accompagner
OSCAR : merci Capitaine.
Que pouvait bien vouloir le jeune héritier au lieutenant ? Girodelle laissa là ses pensées : il avait une autre mission bien plus importante : le convoi d'armes.
…
On frappa à la porte de sa chambre. « Lieutenant, une visite pour vous ». Pensant qu'il s'agissait de sa sœur Diane, Alain ne prit pas la peine de refermer le col de sa chemise et de mettre sa veste. Quand il ouvrit la porte, il croisa le regard bleuté … il marqua un temps d'hésitation puis invita son visiteur à entrer. Apparemment le jeune homme s'était en partie remis de ses blessures… il imaginait mal les gros titres de la Gazette de Paris : « Le riche héritier des Jarjayes battu à mort à quelques pas d'une bande de soldats saouls. »
ALAIN : que me vaut l'honneur de cette visite ?
OSCAR : Mademoiselle Rosy m'a informée que vous et vos amis êtes venus à mon aide l'autre soir.
ALAIN en se frottant la tête de la main : bah on passait par là alors on est intervenu… n'importe qui en aurait fait pareil.
OSCAR : je ne sais pas…. mais c'est un geste que je n'oublierai pas
Alain regarda le jeune homme : ses yeux azurs trahissaient le sérieux de ses mots. Il était impressionné qu'une personne si jeune puisse montrer une telle force de caractère… d'ailleurs il se rappelait des mots que le tavernier avait prononcé le fameux soir alors que lui et sa bande allaient quitter l'estaminet.
…..
TAVERNIER : ce doit être les mêmes
ALAIN : les mêmes quoi ?
TAVERNIER : les mêmes hommes qui ont attaqué le gamin tout à l'heure avant qu'il n'entre ici
ALAIN : quoi ! Il s'était déjà fait attaqué ?
TAVERNIER : je pense bien : il avait du sang qui coulait de sa bouche et avait du mal à marcher.
« Il s'est battu à un contre trois, tout à l'heure » pensa le lieutenant, perplexe.
…..
Oscar s'approcha de la petite table qui trônait dans la pièce et y posa une bouteille de cognac.
OSCAR : voilà pour vous et vos hommes… Merci ….
Sur ce elle se retourna et ouvrit la porte. Un sifflement admiratif emplit la chambre. « Eh ben… une bouteille de presque tente ans d'âge, c'est pas rien » la gratifia le lieutenant. Oscar quitta la pièce sans se retourner … elle sourit…. son cadeau lui faisait plaisir.
