Au préalable...

Pour un résumé général du schmilblick, retournez voir en tête du chapitre précédent. Chapitre au cours duquel Harry, manipulé par une Voix, une volonté étrangère insinée dans son esprit, avait été à deux doigts de se laisser suicider avec une dague ancienne sortie de nulle part, avant de réussir à reprendre à peu près le contrôle. (le chapitre précédent est objectivement impossible à résumer, en fait...)

Après une longue panne d'inspiration, j'ai enfin réussi à me remettre au boulot - grâce à quelques influences bien utiles !


You can't put your arms around a memory

Chapitre 10

Il est là, debout au milieu de la pièce, à quelques mètres de moi.

Silhouette nue et pâle, noueuse, presque maladive dans la mauvaise lumière – visage aux yeux mangés d'ombre sous les cheveux en débâcle.

L'instant de surprise passée, mon premier mouvement me précipite vers lui – vers cette présence enfin tangible, pleinement humaine, à la chaleur de laquelle je pourrai enfin m'assurer d'être sorti du cauchemar, d'être toujours vivant…

Je ne réfléchis pas, je le regarde à peine – et tout juste ma main s'est-elle posée sur sa peau qu'il tressaille et me repousse, brutalement. Je perds l'équilibre, me rattrape comme je peux, sans rien comprendre, soudain plus déboussolé que jamais, jusqu'à ce qu'en relevant la tête, son regard croise le mien et me fige.

Ce n'est pas lui, cette expression.

C'est l'autre.

N'est-ce pas ?

...

- Vous ne comprenez donc décidément rien à rien.

Sa voix brise moins le silence qu'elle ne s'y coule, en un accord étrange et dérangeant. Une basse sourde et menaçante – parodie de ce que devrait être la sienne. Bien plus sourde, bien plus basse, que ce qu'une voix humaine semblerait capable de produire, mais dans laquelle chaque mot se distingue avec une précision glacée…

- Vous n'auriez jamais dû revenir ici.

- Je ne me suis pas invité tout seul.

Ma protestation sonne vaguement discordante et ridicule à mes propres oreilles. Je dois me reprendre – au plus vite…

- C'était une erreur…

Ne pas me laisser dérouter par l'apparence. Ce n'est pas lui. Ça ne peut pas être lui.

- … une erreur grossière, que je ne saurais trop déplorer.

- Vous ? Qui, au juste ? Celui dans le lit duquel j'étais tout à l'heure ne semblait pas déplorer grand-chose.

Son sourcil se hausse sur une expression de condescendance étonnée, mais il m'a semblé voir passer un éclair de colère, dans le regard enchâssé d'ombres… Fragile indice auquel se raccroche tant bien que mal ma certitude.

- Qui d'autre que moi ? Cette demeure vous monte-t-elle donc à la tête, que vous y imaginiez des fantômes ?

- Je sais très bien de quoi je parle. Vous n'êtes pas Severus.

Dire ça face à ce visage, ce corps qui doit encore porter les traces de nos étreintes, bon sang…

- Vous êtes fou, mon pauvre garçon.

- Je ne suis pas fou ! Je crie, avec sans doute un peu trop de véhémence pour quelqu'un pleinement convaincu du contraire. Bordel, mais pourquoi ne réagit-il pas, aussi ? Rien en lui – rien de lui – ne semble lutter contre l'invasion, comme s'il n'avait plus de conscience pour s'en rendre compte. Comme s'il l'acceptait…

- Je ne suis pas fou, et nous sommes trois, ici. Deux corps et autre chose. Vous. Qui étiez en moi tout à l'heure, qui êtes en lui maintenant. Vous qui voulez me voir partir, mourir. Lui ne voudrait pas ça.

Il s'avance d'un pas, un sourire glacé, cruel, sur les lèvres, et je dois prendre sur moi pour ne pas reculer, soudain terriblement conscient de sa stature et de ma solitude absolue. Mais en même temps, la nature enfin physique, tangible, de la menace qui se dessine dans cette approche, dans ce rictus, est quelque chose de familier. Quelque chose à quoi je sais répondre, même si j'ai toutes les chances de ne pas faire le poids.

- Je vous trouve bien confiant.

L'insinuation a changé de ton – elle renonce à cette parodie de conversation qui ne mène à rien, et ne se fait plus que menace. Défi.

- Je le suis.

Je soutiens le mensonge avec autant de bravade que possible, le regard planté dans le sien pour tenter de percer le masque, de saisir ce qu'il y a – ce qu'il doit nécessairement y avoir – derrière, mais je ne parviens à déceler que la colère, plus nette encore que tout à l'heure sous l'expression d'un froid calcul.

Il attaque quelques fractions de seconde avant que je ne m'y résolve moi-même.

Un pas de plus et sa main droite m'attrape à la gorge, la gauche est déjà sur mon poignet, le plie dans mon dos, brutalement, avec une rapidité, une précision qui me laissent à peine le temps de réagir – et mes propres doigts plantés dans sa chair sont incapables de desserrer cette poigne de fer. Pendant quelques instants, je ne peux qu'à peine me débattre, à demi étranglé contre son corps qui s'impose, me domine au point d'en paraître inhumainement immense, avec toutes les ombres de la pièce qui semblent se concentrer, vaciller autour de moi. Mais enfin, à force de me tordre dans son étreinte, à bout de souffle, la vision floue, le bras tordu à en crier, je parviens à me dégager suffisamment pour lui envoyer mon coude dans l'estomac, pas aussi fort que je l'aurais voulu – assez, toutefois, pour affaiblir sa prise, pour que d'un sursaut rageur, d'un autre coup plus violent je parvienne à m'en arracher. Et s'il réattaque aussitôt, c'est avec une certaine maladresse – ses doigts butent contre mon cou, échouant à étreindre alors que je leur échappe d'un geste brusque, s'agrippent à mon épaule mais ne peuvent m'empêcher de frapper à nouveau, rendent coup pour coup, mais sans précision, comme si à chaque atteinte quelque chose se détraquait un peu plus entre ses gestes et ce qui les commande. J'en profite pour reprendre l'offensive – un crochet du droit en pleine mâchoire, de toute la puissance dont je suis encore capable, auquel il ne s'attend pas et qui le fait trébucher en arrière, m'entraînant avec lui dans un fracas de meuble renversé.

J'ignore à quel miracle d'équilibre nous devons de rester sur nos pieds – vacillants, raccrochés tant bien que mal l'un à l'autre, mais encore debout – son visage à quelques centimètres en amont du mien, ses yeux troublés dans lesquels il se passe enfin quelque chose… et je l'appelle, je crie son prénom, toutes les incitations et les injures appropriées ou pas qui me viennent à l'esprit, mes ongles bien trop courts cherchant à labourer sa chair trop dure, comme pour arracher cette saloperie de lui.

Je perds à moitié le contrôle, mais lui soudain me repousse, à nouveau, balbutiant un nom qui me fige et n'est pas le mien.

Regulus ?

Il y a de l'horreur dans sa voix, une horreur croissante, dévorante dans son regard, fixé sur moi comme sur une apparition devant laquelle il recule – quelques pas incertains, trop précipités. Il tend la main autour de lui, ne trouve rien à quoi se raccrocher et tombe à genoux sur le tapis, comme si la chose seule avait jusque là maintenu ses forces, comme si sa disparition laissait place à un abîme…

Comme si… je devenais moi-même figure de cauchemar, incarnation d'un souvenir trop cruel. Son visage blême, choqué, éveille en moi un écho fugace, sur lequel je ne prends pas le temps de m'attarder – ma seule urgence est de le ramener à lui-même, de faire revenir un semblant de normalité, de rationalité dans ce face à face qui s'enlise dans l'absurde. Et lorsque, accroupi à mon tour sur le sol, je répète mon nom à cet homme que je ne reconnais plus, c'est moi-même que j'ai l'impression de chercher à convaincre de ma propre identité.

Harry… Harry Potter – moi – ce personnage incongru, tombé à la frontière de la nuit, entre les tentacules d'un cauchemar trop réel qui n'aurait jamais dû le concerner, bousculant l'obscurité de ces mots pressants… auxquels, enfin, une autre voix finit par former écho…

Potter ?

Crispées de part et d'autre de son visage, ses mains frémissent d'un tremblement nerveux incontrôlable. Mais si ses yeux écarquillés, plantés sur moi, portent en eux le chaos, ils semblent au moins me reconnaître…

- Je l'ai tué.

La constatation est posée sur le silence revenu, d'une voix parfaitement atone, qui semble conjurer le bouleversement dévorant que trahit tout son corps.

- De mes mains. Il avait raison…

Ne rien comprendre commence à devenir pour moi une désolante habitude, et je me contente de le contempler d'un air incrédule, sans doute parfaitement abruti.

- Je suis un meurtrier.

- Vous…

- Vous ne savez rien !

Si ce n'était, au moins, ma piètre tentative condamnée à l'échec…

- Mais…

Il secoue la tête et m'interrompt à nouveau – impératif, récupérant déjà un semblant de maîtrise malgré son angoisse évidente.

- Peu importe. Vous devez partir.

- Partir ?!

- Oui. Immédiatement.

Je ne veux même pas savoir ce que cache cette urgence dans sa voix. Quelque part dans ma tête, je sais que je devrais rester calme. Que la situation nécessite que je le sois, pour deux. Mais j'en suis rigoureusement incapable. Ces mots-là étaient de trop. La situation, est de trop.

J'explose.

- Vous vous foutez de moi ? Ça fait des heures que je me bats contre cette saloperie qui veut se débarrasser de moi, et tout ce que vous trouvez à dire, c'est la même chose qu'elle ? Il est hors de question que je mette les pieds hors de cette maison cette nuit, vous entendez ? Hors de question que je vous laisse après ce qui vient de se passer, avec ce…

- Harry !

J'aurais pu continuer encore un bon moment s'il ne m'avait pas interrompu, avec un accent d'autorité assez saisissant pour briser net mon inspiration.

- Ce n'est pas moi qui viens de manquer de me faire étrangler. C'est vous. Vous seul que… qui êtes en danger.

- Justement !

Je le dévisage. Il est d'une pâleur affreuse, toujours, mais semble s'être repris. Assez, du moins, pour poser sur moi un regard lucide, bien que hanté et fuyant – pour s'afficher maître de son corps, de ses réactions…

- Qu'est-ce que vous imaginez – que je vais vous remercier pour le dîner et reprendre la route, sans même essayer de comprendre le commencement de la moitié de toute cette merde ? Qu'est-ce que c'était que cette chose, déjà ? Et pourquoi moi ?

- Je… n'en sais rien.

- Oh, vraiment ?

Il secoue la tête, négativement, et prend appui sur ses mains encore crispées pour entreprendre de se relever, avec toute la dignité qu'il lui reste. Je l'imite machinalement, à peine conscient de trembler comme une feuille, mais luttant pour maîtriser ces accents d'hystérie dans ma voix – dans ma tête.

- Ça a un lien avec ce portrait, n'est-ce pas ? Celui de votre ancêtre, Tommaso…

Il se détourne sans répondre, puis s'approche soudain d'un fauteuil sur lequel ont été abandonnés des vêtements – les miens, la veille, comme dans une autre dimension… Pull et pantalon qu'il me lance sans cérémonie, en m'enjoignant de me couvrir, avant de draper ses propres épaules d'un long plaid en laine puis de s'asseoir sur le divan, jambes serrées, mains accrochées au bord frangé du tissu, visage obstinément détourné sous la protection agaçante de ses cheveux.

Je m'habille sans vraiment y penser, rendu maladroit par mes mains animées d'une vie propre, les yeux fixé sur lui – avec dans mon dos la conscience glaçante de cette présence que je viens d'évoquer, toujours tapie dans l'ombre à quelques mètres de là…

Sa voix s'élève à nouveau, alors que je ne l'attends plus, hésitante, grave et plate, comme cherchant à définir quelque chose, ou s'en assurer, mais sans vouloir paraître s'y attarder.

- N'est-ce pas absurde ? Comment voudriez-vous qu'un tableau… puisse avoir la moindre influence sur quiconque ?

- Je n'en sais rien…

Je me mords la lèvre et me rapproche, viens m'agenouiller sur le tapis, à côté de la table basse – autant pour éviter à mes jambes de se dérober sous moi, que pour tenter d'accrocher son regard.

- Je sais juste… qu'il y avait quelque chose. Et vous le savez aussi ! Quelque chose… qui nous a manipulés. Vous et moi. Pour… me faire disparaître.

Ma voix s'étrangle un peu lorsque les mots ravivent le souvenir confus de tout ce qui a été déterré, insinué… J'inspire un grand coup et pose fermement mes paumes sur la table, devant moi, pour tenter de calmer ce qu'en font mes nerfs.

- Quelque chose qui ne veut pas de moi ici. Qui s'est insinuée dans ma tête pour retourner contre moi ce qu'elle pouvait y trouver. Qui a bien failli me pousser à me tuer de mes propres mains, alors que je n'ai jamais eu de tendance au suicide…

Je déglutis, résolu à me maîtriser pour de bon, jusqu'au bout.

- Et qui affirme que vous connaissez son existence.

Snape, jusqu'alors si immobile qu'on aurait pu le croire mort, a eu un tressaillement infime à mes derniers mots, mais il ne rompt pas pour autant son mutisme. Et alors que celui-ci s'étire, pesant, tendu, les éléments se mettent en place au fond de mon cerveau…

- C'est pour cela… que vous avez cherché à me repousser, à chaque fois. N'est-ce pas ? C'est…

La certitude glisse soudain en moi comme une marée de glace.

- C'est déjà arrivé.

Il relève enfin la tête. Ses yeux brillent étrangement, comme s'ils retenaient des larmes, mais ils sont aussi durs, froids, impénétrables qu'un désert, et sa voix tient à distance toute trace d'émotion, qui risquerait de la briser.

- C'est déjà arrivé, oui.

S'établit une courte pause, que je n'ose pas briser d'une question.

- Et il n'a pas eu votre chance.

Son regard se pose brièvement sur les traces de sang séché, entre mes doigts.

- Gorge tranchée. Net. Par une dague ancienne…

J'acquiesce vaguement, pétrifié par la manière presque clinique dont il a su dire ça, ma bouche sèche peinant à sortir le moindre mot…

- C'était… une dague. Aussi. Elle… elle doit être encore là-bas.

- On ne l'a jamais retrouvée. Mais c'était la même – très exactement la même – que celle du portrait.

Le silence se creuse avec mon malaise. Par réflexe, je porte la main à la balafre entaillant mon poignet, qu'irrite déjà le contact du pull, et ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil furtif en direction de la porte, grande ouverte sur l'obscurité béante du hall…

- Alors… ce serait vraiment lui, je finis par murmurer, encore incertain.

Snape hoche la tête, lentement.

- Cela fait plus de vingt ans que j'essaie d'en avoir le cœur net. De savoir ce qu'est réellement ce portrait.

Son regard revient s'accrocher au mien, avec une résolution impressionnante, devançant les protestations qui se bousculent déjà derrière mes lèvres.

- Et je compte bien persévérer jusqu'au bout.

Il n'y a rien à répondre à cela – aucun argument susceptible de bousculer cette volonté que je devine inébranlable… et pourtant…

- Alors vous allez réellement rester ici… après ce qui s'est passé. Avec lui. A la merci… de ce qu'il peut faire de vous ?

- Oui.

La réponse est abrupte et il lui faut quelques instants, un effort manifeste – peut-être l'incompréhension dans mes yeux – pour la nuancer.

- J'appartiens à cette maison, Potter.

Il pourrait tout aussi bien dire « à cet homme »…

- Cette histoire est la mienne, je ne peux pas renoncer à la comprendre. Et… il ne pourra plus me pousser à faire de mal à quiconque, tant que je serai seul.

Je le dévisage. Mais l'amertume qui courbe toujours sa lèvre n'est qu'un pli machinal. Le sentiment est mien, désormais…

- Alors vous le laissez gagner, c'est ça ?

Sa mâchoire se durcit légèrement et son regard se fait plus dur.

- Là n'est pas la question.

Il se lève soudain et me toise, presque impérial dans les plis de cette couverture qui devrait pourtant lui donner l'air ridicule.

- Vous n'êtes pas en état de reprendre la route pour l'instant. Avalez un whisky, soignez votre bras, retournez dans la chambre et essayez de vous reposer un peu. Vous partirez lorsque le jour sera levé.

Sans même attendre de réponse, il tourne les talons, et je ne peux que baisser la tête, contemplant sans bien la voir ma main toujours encerclée autour de mon poignet blessé.

Toute envie – de me battre, de crier, de pleurer – s'est évanouie. Je me sens juste vide. Au bord de la nausée.

Vaincu…


A suivre... (25-02-2009)

Evidemment, je suis encore loin d'être satisfaite par ce chapitre... mais je crains que le choix ne se résume à le poster maintenant, ou à attendre encore six mois !

Toute critique est toujour bienvenue. Et si vous voulez offrir des fleurs, tournez-vous vers Archéa !