Mouahahah!
Et voilà, après un an et des patates, la suite!!
Merci d'avoir attendu si c'est le cas, thanks à Sanashiya d'être une si sympathique première lectrice, et pas merci à ce site pour cette galère de mise en page à laquelle j'ai droit à chaque fois... .
Chapitre 10
« Ne t'inquiète pas. Tout ira bien, tu n'as rien à craindre. Je vais t'emmener loin d'ici. Tu peux me faire confiance, tout va bien se passer, désormais. »
Ashura-ô…
« Ne crains rien. Il ne t'arrivera rien de mauvais ici, tu es en sécurité. Je ne laisserai personne te faire de mal. »
Je sais. Tu veilles sur moi. J'ai confiance en toi. J'ai toujours eu confiance en toi. Ces mots ont réconforté mon cœur d'enfant, mais au fond de moi je savais déjà que toi seul pouvais m'apporter cette paix que je cherchais tant, même si j'étais trop jeune pour le savoir.
« Protège-toi. Protège ton cœur du reste du monde, si tu ne veux pas qu'il te soit arraché. Garde-le précieusement pour l'offrir à ceux qui le mériteront vraiment, qui sauront pleinement l'apprécier à sa juste valeur, et je sais à quel point cette valeur est immense. »
Gentil. Tu étais si gentil, avec moi et avec tout le monde. Si tu savais comme je regrette. J'ai échoué. Mon cœur est mort. En même temps que toi. Parce qu'il était à toi. Tu voulais me protéger, mais par ta mort tu m'as tué aussi sûrement que cette lame froide t'a tué, toi.
« Moi, je suis là. Regarde-moi, Fye. Je suis là, et je serais toujours là. Je te l'ai promis, tu te souviens ? »
Tu n'es plus là. Jeune et naïf, je croyais que toi et moi regarderions la neige tomber et recouvrir Seles, chaque hiver de chaque année de chaque décennie que nous allions passer, tous les deux, à rendre ce monde meilleur. Tu n'es plus là. Et moi ? Suis-je encore de ce monde ? Pitoyable enveloppe de chair vide de toute âme, vide de toute lumière. Vide. Seul, et vide. Voilà ce que je suis. Voilà ce que tu as fait de moi. Et maintenant ? Et maintenant, je fais quoi ?
Vis. Vis, c'est tout.
Vivre ? Moi ?
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« C'est beau ! C'est tout blanc ! C'est tellement blanc que ça fait mal aux yeux !
- C'est de la neige.
- Il y en a tellement ! Il y en a partout ! On voit pas un bout qui ne soit pas tout blanc !
- Tu aimes la neige, Fye ?
- Bien sûr ! C'est tellement joli !
- Ce n'est que de l'eau condensée en cristaux, tu sais ?
- Bien sûr que je sais, mais il ne faut pas dire ça ! C'est de la neige, c'est bien plus que juste des cristaux !
- Tu n'as pas l'âge de savoir ce genre de choses… Quand cesseras-tu de passer tes journées le nez plongé dans le premier livre qui te tombe sous la main ?
- Quand je serais mort !! »
L'enfant éclate de rire. Il est jeune, sept ou huit ans à peine. Son rire clair s'élève dans le ciel blanc de Seles, résonne entre les montagnes recouvertes de cette neige qui lui plaît tant. Ses cheveux blonds, découverts de l'épaisse capuche qui pend dans son dos, sont parsemés de flocons immaculés. L'homme, grand et brun, qui l'accompagne, secoue la tête avec résignation, et sourit doucement. C'est le sourire attendri d'un père pour son enfant, d'un oncle pour son neveu préféré, d'un professeur pour son élève favori. D'un frère aîné qui se laisse à nouveau gagner par l'exubérance de l'enfance. D'un roi qui contemple son petit protégé avec tendresse et affection.
C'est un sourire qui appartient au passé…
« Ashura… »
Les grands yeux bleus s'entrouvrent doucement. C'est le matin, et bien avancé, déjà. L'heure de se lever est dépassée depuis longtemps. La lumière qui se déverse à flots dans la pièce fait ciller les yeux à peine ouverts, mais leur propriétaire ne bouge pas. Il les referme juste, tente de retourner dans son rêve, dans ce songe qu'il sait n'être qu'une réminiscence d'un passé révolu. Et irrécupérable. Se réveiller ? Sortir de son lit, de ce rêve si doux, si chaleureux ? Et pourquoi ? Retrouver un monde dont il ne veut rien savoir ? Merci bien, mais non.
Il laisse ses yeux fermés, et veut croire que s'il espère assez fort il pourra à nouveau retourner dans ce passé qu'il chérit, dans ce monde si parfait où il a grandi. Il sait que c'est juste un espoir vain, juste une fuite de plus, mais il s'en moque. Il ne veut pas savoir. Il essaye, pour ne pas à avoir faire face. Il n'en a pas le courage. Pas l'envie. Pas la force d'admettre qu'il court après une chose qu'il n'atteindra jamais. Il préfère encore rêver et occulter cette voix qui au fond de lui l'exhorte à aller de l'avant.
Alors Fye se rendort, indifférent à ce qui l'entoure et qui ne prend pas place dans son rêve. Tout le reste ne compte pas, n'a pas de valeur. Pas d'intérêt. Et il retrouve son enfance, et ce temps où la simplicité n'était pas encore morte.
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De grosses gouttes de pluie s'écrasent sur les dalles du sol. Monotone et sombre, l'eau tombant du ciel donne aux pavés un luisant qu'ils ne possèdent plus depuis plusieurs siècles. Quoi qu'on en dise, rares sont les gens qui haïssent réellement la pluie. C'est une eau tombée du ciel, don divin des dieux à la Terre et ses occupants. Elle nourrit le sol, fait pousser les arbres et les fleurs, et rien n'est plus plaisant qu'une fine pluie d'été pour rafraîchir la créature accablée de chaleur.
Mais la pluie peut être plus douloureuse encore que le plus agressif des acides. Même venue du ciel, elle peut ronger jusqu'au cœur du matériau le plus dur, et lisser les aspérités les plus tranchantes. Même la pluie faite d'eau la plus pure qui soit peut ronger un cœur, si fort soit-il. Et le cœur de l'homme qui présentement contemple les pierres brillantes, pour être fort, cède au sinistre de la grosse pluie d'hiver qui s'abat depuis plusieurs jours sans faiblir sur le château Shirasagi.
Debout derrière sa fenêtre, Kurogane regarde au dehors sans pour autant remarquer le décor. Il le connaît par cœur. Son esprit vagabonde à quelques jours de là, perdu dans les souvenirs de leur arrivée dans ce pays qui est le sien. Sales, épuisés et en sang, ils ont atterri sous cette pluie qui ne cesse pas. Et ce ciel gris à l'infini rend son humeur encore plus sombre qu'il ne l'aurait cru vraisemblable. Il ferme les yeux, et laisse les images défiler.
--Dix jours auparavant--
La pluie tombait en trombes, le fracas de l'eau heurtant le sol résonnait entre les hautes montagnes sombres. Le ciel qui s'assombrissait s'illumina soudain puis se fendit, et une boule lumineuse se posa doucement au sol avant de disparaître pour révéler cinq voyageurs exténués. Trois formes humaines se redressèrent, l'une portant une quatrième. La petite boule de poils blanche se nicha aux creux des bras de la plus petite silhouette et regarda autour d'elle, inquiète. Sa petite bouche s'entrouvrit puis se referma sans avoir laissé échapper un son.
Dans les bras de Sakura, Mokona se tourna vers Kurogane et le fixa en silence. Le ninja brun balaya du regard les environs immédiats avant de poser les yeux sur la forme inanimée du magicien blottie contre lui. Ses yeux rouges se fermèrent un instant, et il soupira. Son visage aux traits rudes sembla se détendre, et sa bouche se tordit en ce qui ressemblait fort à une ébauche de sourire contraint. Enfin. Après tout ce temps, après tout ce merdier, après avoir traversé tant de monde et tant de combats, il était de retour. Il était enfin rentré. Chez lui. Les montagnes qui dominaient le château de sa princesse n'avaient pas bougé d'un pouce, ce qui n'était guère surprenant. Et bien évidement, ils arrivaient à la saison des pluies, pour clore un chapitre particulièrement morose. Son sourire s'étira, teinté de dérision, et il secoua la tête.
Bien, puisque telle était la nouvelle situation dans laquelle ce destin satyrique venait de les amener, il ferait face. Il était né pour être un ninja victorieux, et dans ce pays où ses compagnons et lui venaient d'arriver davantage que partout ailleurs. Cet endroit, ces plaines et ces montagnes, ce monde qui l'avait vu naître et grandir, était le plus bel écrin de sa force. Et le seul qu'il n'ait jamais souhaité. Et enfin, toutes ses pérégrinations étaient achevées. Restait un unique problème. Qui actuellement se trouvait blotti au creux de ses bras, appuyé contre sa poitrine, profondément endormi.
Kurogane baissa les yeux sur la couronne de cheveux blonds. Le magicien semblait de plus en plus pâle. Le ninja se flanqua soudain une monumentale baffe mentale pour la pensée qui venait de montrer le bout de son nez dans son esprit. Pendant un court instant, il s'était pris à souhaiter que le mage reste inconscient le plus longtemps possible. Ce qui n'était digne ni d'un fier ninja qui ne reculait devant aucune bataille, ni d'un ami. Quant au plus si affinités, il serait bien temps de voir ça plus tard. Mais au fond de lui, il devait bien admettre, même si à contrecoeur, qu'il appréhendait énormément le réveil du magicien.
Il n'y avait rien de réjouissant à cette idée. Kurogane se demanda vaguement quelle serait la première réaction de Fye. Colère, rage noire ? Chagrin et douleur ? Rejet pur et simple ? Ou alors suprême indifférence… Peu probable. D'autant que l'intégralité de ses souvenirs à leur sujet n'était pas revenue. Et Fye ne verrait probablement en lui qu'un monstre qui avait assassiné son roi. Non, vraiment, cela n'avait absolument rien de réjouissant. Et la gamine qu'il avait créée, Chii, ne serait pas là pour le convaincre de la bonne foi du meurtrier qu'il était devenu. Les pensées vagabondes du ninja furent brutalement interrompues par une voix surexcitée.
« Puuuuu ! Yuko ! »
Kurogane fit un bond de surprise très peu macho rendu minime par le poids qu'il portait. Bénissant le poids plume calé sur sa hanche d'avoir tout de même réussi à lui éviter cette indignation supplémentaire, il déposa en douceur le magicien inconscient contre le tronc d'un arbre avant de se tourner le plus calmement possible vers l'image de la sorcière des dimensions qui venait d'apparaître. Il songea un instant qu'elle ressemblait à un démon qui jaillit d'une boîte surprise. A l'improviste, toujours malvenue, et n'apportant que trop rarement des bonnes nouvelles. Yuko dans toute sa splendeur, en fait. Il sourit. Le ciel et toutes les merveilles qu'il renfermait soient loués, il restait dans ce monde des choses qui jamais ne changeraient. Cette idée avait quelque chose d'étrangement rassurant. Le changement, c'était bien joli, mais il y avait quand même des limites. Un peu de constance n'a jamais fait de mal à personne.
Et cette très chère sorcière était une constante. Ses longs cheveux noirs toujours impeccablement coiffés, toujours l'air de se foutre royalement des autres. Réprimant un mouvement agacé, Kurogane leva les yeux vers elle. Et sentit aussitôt sa colère gronder de nouveau. Elle savait. Depuis le début ou presque, elle savait. Et elle avait laissé faire, et tout ça pour… quoi ? Il ouvrit la bouche pour parler, et… la referma. Mince, c'est qu'il avait vraiment changé, alors. Il était maintenant prêt à attendre qu'elle leur dise ce qu'elle leur voulait plutôt que de lui rentrer dedans sur-le-champ. Magnifique chose que la patience. Faut croire que ça s'apprend, finalement.
« Mes félicitations. Vous en êtes sortis, en fin de compte… » Yuko, altière comme à son habitude, les regardait, un demi-sourire aux lèvres. Un rien choqué, le cerveau de Kurogane se vida quasiment sur-le-champ. Non mais ça la faisait rire, en plus ? C'était drôle, sans doute, de voir des gens exténués, trempés jusqu'aux os, blessés, un mage inconscient, une princesse aux joues couvertes de traces de larmes à moitié effacées par la pluie, un archéologue miniature fidèle à lui-même et un ninja sur le point d'exploser de colère trop longtemps contenue ? Ou alors ce sourire n'était que l'expression de son soulagement de les voir en vie et en relative bonne santé ? Dans ses rêves. Bien, on respire et on s'assure des véritables intentions de la dame.
« Félicitations pour quoi, on peut savoir ?
- Votre voyage est achevé, cette petite Chii détenait l'avant-dernière plume de Sakura. C'est drôle, j'aurais pensé que cela vous ferait davantage plaisir, surtout toi, Kurogane. Tu voulais tellement rentrer chez toi, c'est chose faite. La dernière plume qu'il manque encore à Sakura se trouve ici, au Japon.
- Eh, minute, papillon ! Y'en a pas une qui est restée à Seles ? Il jeta un coup d'œil rapide à Fye toujours inconscient sous l'arbre. Celle qui avait fusionné, ou je sais pas quoi, avec cet espèce de cinglé de roi… Ah c'est vrai… la plume qu'il avait avec lui…
- Exact. Votre voyage est terminé. Sakura et Shaolan n'auront plus qu'à rentrer chez eux, au pays de Clow, une fois que vous aurez récupéré la dernière plume. »
Sakura fronça les sourcils, cherchant dans sa mémoire un élément manquant. Et en effet…
« Oh, c'est vrai, je… je ne trouve pas… on dirait qu'il ne me manque rien… Enfin je…
- Ce qui te manque encore, tu ne sauras pas ce que c'est jusqu'à ce que tu l'aies retrouvé. Mokona vous ramènera chez vous dès que toutes tes plumes te seront revenues et dès que vous en exprimerez le souhait. Quant à toi, Kurogane, ton souhait a été exaucé, toi qui voulait tant rentrer chez toi. Reste ce magicien. Lui par contre, il me pose un problème. »
Yuko rejeta ses longs cheveux bruns en arrière, ignorant aussi royalement qu'elle en était capable la lueur de rage pure qui irradiait des yeux du ninja, que le ton léger et franchement trop détaché de la sorcière avait fini par faire craquer. Un problème, hein ? Elle osait dire de Fye qu'il était un problème, cette fichue sorcière de malheur ? Jamais, au grand jamais, il ne laisserait quiconque parler ainsi de… enfin, à part lui, manifestement. Il grommela dans sa barbe. Ceci dit, il aimait à croire que le problème qui Fye lui posait à lui n'était pas le même que celui qu'il posait à Yuko, ou alors il avait loupé un chapitre.
Avant qu'il ne finisse de s'extirper de ses pensées où les deux magiciens batifolaient joyeusement ensemble, Yuko reprit la parole.
« Inutile de t'énerver, Kurogane. Vois-tu, Fye me pose un problème, parce que je mets un point d'honneur à réaliser les souhaits de mes clients, et 'au vu des circonstances on pourrait croire que j'ai raté mon coup avec lui. Et je te conseille de savourer ce moment, car j'admets rarement mes erreurs. Même si cela n'en était pas vraiment une, satisfaire ses clients est important dans mon métier, et je doute qu'il le soit. Fye a eu ce qu'il voulait, mais son roi a fichu un beau bazar.
- Un beau bazar ? T'es gonflée, quand même, sorcière. Tu…
- … maintiens ce que je dis. J'ai exaucé son vœu, quitter le Japon et voyager pour ne pas que son roi le retrouve, et je lui en ai donné la possibilité. Mais ce qui se passerait par la suite n'était pas de mon ressort. Tous les pouvoirs magiques ne protègent pas contre la plus forte des déterminations, et Ashura était apparemment fermement décidé. Mais il n'empêche que le vœu de Fye n'a pas été exaucé. Par conséquent, je vais lui laisser Mokona, il peut continuer son voyage s'il le souhaite.
- … Pourquoi tu n'as rien fait ? Tu aurais pu l'en empêcher. Tu aurais pu nous prévenir.
- J'aurais pu, effectivement ! Bien sûr que j'aurais pu ! J'aurais pu vous raconter en long, en large et en travers ce qui se passe à chacun de vos pas ! Je pourrais aussi vous prévenir qu'il va pleuvoir pendant encore une paire de semaines, que la petite chatte qui vit sous le porche va bientôt concevoir une adorable tripotée de chatons tous plus mignons les uns que les autres, j'aurais pu vous prévenir de vous méfier des grands bruns en manteau bleu et blanc, et je pourrais peut-être aussi, tant que j'y suis, te raconter ce que tu feras dans dix ans jours pour jour ! Arrête de penser comme un ninja, Kurogane, et met-toi à penser tout court ! Ca ne marche pas comme ça, tu dois bien t'en douter, non ?
- Dis donc, toi, tu …
- Suffit ! Ecoute-moi bien, Kuro-chan. Tu n'as pas la moindre petite ébauche de début d'idée de ce que ça peut être. La vie n'est pas un film qu'on regarde tranquillement dans son salon… Je sais, tu ne sais pas ce qu'est un salon, mais on s'en fout. Ce que j'essaye de te dire, c'est que les quelques personnes qui peuvent voir l'avenir ont un devoir, qui est de n'en révéler que le moins possible. Où irait-on si chaque quidam savait ce qui l'attend à chaque instant de sa vie ? Réfléchis, à quoi bon vivre une vie déjà connue d'avance ? C'est pour ça qu'il y a des règles chez les voyants, des règles qu'on ne transgresse pas, à moins de vouloir mettre en péril tout l'équilibre d'une monde qui existe uniquement grâce au libre arbitre de tout un chacun. Il n'y pas de choix possible si tu sais déjà quel est le résultat. Inutile de t'en prendre à moi, espèce de… de ninja, brute épaisse et bornée !! »
Pfff… Kurogane secoue la tête et rouvre les yeux. Sans commentaire. D'autant que ce n'était pas les insultes de cette maudite bonne femme qui l'avaient le plus choqué. C'était ce qu'elle avait dit ensuite.
« De toute façon, je savais bien que tu irais le chercher, tu me prend pour qui, là ?? »
Pour personne, en fait. Mais il n'aime pas tellement le fait de savoir qu'il est si prévisible. Ou l'a été. Parce que pour lui, aller jusqu'à faire appel à Yuko pour obtenir un moyen de sauver Fye, c'était absolument tout sauf une évidence. Alors que ça en soit une pour elle… surtout pour elle…Bref, il n'aime pas ça du tout. C'est… déplaisant. Très.
« Si tu n'y étais pas allé, c'est que tu ne tenais pas assez à lui, alors je n'avais aucune raison de mettre tout l'équilibre en péril pour rien. »
D'autant qu'elle a raison sur quasiment tout le reste de la conversation. Qui sait, Fye aurait pu être heureux à Seles. Avec son roi. Peut-être que s'il n'avait pas débarqué là-bas avec les autres, tout se serait bien passé pour lui. Mais maintenant qu'ils ont soigneusement détruit tout l'univers que ce fou d'Ashura avait recréé pour lui, il ne lui reste rien. Ni nulle part où aller.
Le ninja sait que le mage va devoir choisir. Et ça ne lui plaît pas non plus. Parce que le choix c'est rester ou partir. Rester, c'est ici, dans ce monde, celui de l'homme qui a tué son roi. Partir, c'est gagner le pays de Clow avec les deux gamins, ou repartir à l'aventure avec une boule de poil blanche pas fiable du tout. Pas terrible, tout ça. D'autant qu'en bonne brute épaisse, Kurogane préfère encore se balader avec de fausses oreilles de chat plutôt que d'admettre que oui, effectivement, il préfère que Fye reste.
« Kurogane ?
- … »
Oh non.
Il entend le froissement du tissu qui enveloppe la fine silhouette qui s'approche. Curieusement, ça lui rappelle quelque chose qu'il a vu pendant leur voyage. C'était un monde assez bizarre, les gens y avaient l'habitude de regarder fixement une boîte noire et carrée, sur un côté de laquelle il y a des gens qui bougent et qui parlent. Ils appellent ça « des films ». Ou du cinéma, ou des séries… Il se souvient que c'était trop compliqué et surtout bien trop bizarre pour qu'il accepte de s'asseoir et plonger ses yeux là-dedans, des fois qu'il ne pourrait pas les récupérer après… Fye avait éclaté de rire en entendant ça, comme si c'était la chose la plus drôle (ou la plus stupide) qu'il n'ait jamais entendue.
Et bien sûr, il avait réussi à le faire asseoir à côté de lui sur le canapé et à regarder pendant deux heures un de ces trucs louches. Et justement, un des crétins dans la boîte avait dit une chose… qui semblait très appropriée à la situation présente. « C'est le son de l'inéluctable… » Sur le moment, cette expression avait semblé complètement stupide au ninja, comment diable l'inéluctable pourrait-il faire du bruit ? Et puis c'est quoi, l'inéluctable, d'abord ? ça n'a pas de corps. Donc ne produit pas de son. Ce à quoi Fye avait répliqué par une question idiote dont il avait le secret. Il avait demandé au ninja si un arbre tombant dans une forêt déserte faisait du bruit s'il n'y avait personne pour l'entendre. C'était à peu près à ce moment-là que le ninja avait brusquement décidé qu'il était plus que l'heure d'aller se coucher.
Mais en entendant le son doux du tissu froissé, présentement, il commence à réaliser ce que c'est exactement que ce fameux « son de l'inéluctable ». En gros, c'est le bruit que font les emmerdes quand elles arrivent. Et l'emmerde en question a beau peser trois grammes cinquante, elle va, et ça il en est certain, joliment lui pourrir la vie. Genre c'est utile d'en rajouter, jetez-en encore, il reste de la place.
« Nous n'avons pas terminé notre discussion, tu sais, tu es parti comme une furie au beau milieu, hier…
- … Et alors ?
- D'abord, c'est mal élevé. Ensuite, c'est grossier. Enfin, c'est inutile. Il va bien falloir que tu me parles, à un moment ou à un autre. C'est inéluctable, en somme.
- Inéluctable, hein ? »
Le ninja sent ses lèvres s'étirer en un sourire forcé bien malgré lui. C'est pas croyable. Tu parles d'une misère…
« Kurogane…
- Désolé. »
Le grand homme brun se retourne, et s'agenouille. C'est le minimum qu'il peut faire. Parce que mine de rien, il a vraiment dépassé les bornes. Traiter sa princesse de triple crétine et s'en aller en claquant la porte, c'est très moyen, quand on est supposé être un guerrier fidèle et dévoué. Ok, elle aussi a poussé mémé dans les orties en l'envoyant en balade de cette manière, mais Tomoyo reste sa princesse. Son seul maître. Alors il reste à genoux, tête baissée, et il attend qu'elle parle à nouveau.
« Lève-toi, Kurogane. Ce n'est pas ta princesse qui est venue aujourd'hui, c'est juste une amie qui souhaite te parler. »
Et le pire, c'est qu'il vient de réaliser que la petite voix douce de la jeune prêtresse lui a vraiment, vraiment manqué. Et que lui, en bon rustre qui se respecte, il l'a envoyée bouler d'entrée de jeu. Bon ok, elle l'avait mérité, mais tout de même. Et il n'y est pas allé de main morte. Rien que de repenser au niveau sonore de la discussion, il baisse encore plus la tête. Chier, c'est pas des façons de faire.
Une petite main se pose sur son épaule.
« Lève-toi. Je t'en prie. Kurogane…
- Pardonne-moi, Princesse.
- Evidemment. Tu te lèves, maintenant ?
- Ouais. »
Elle est rudement jolie, comme toujours C'est ce qui traverse l'esprit de Kurogane quand il pose son regard sur Tomoyo. Les longs cheveux bruns sont toujours aussi lisses et souples, le visage aussi ovale et sans défaut, éclairé par les immenses yeux violets, qui pour le moment brillent d'une lueur d'amusement mêlée d'une étrange dose d'inquiétude. Elle est inquiète. Mais pas pour Kurogane. Personne sain d'esprit ne se fait de souci pour un ninja de deux mètres habillés tout en noir et portant un sabre. Manifestement, c'est pas utile. La seule personne à s'être un jour inquiétée pour lui, c'est un idiot de magicien épais comme une brindille, aux mèches blondes toutes folles, un soir, dans une forêt inhospitalière. Tiens, d'ailleurs, il ne l'a toujours pas remercié, pour le coup de la flèche. Kurogane secoue la tête. C'est pas vraiment le moment de se soucier des bonnes manières.
« Kurogane…
- Je sais, oui. Je sais.
- Tu n'as pas la moindre idée de ce que je vais te dire, pourtant…
- Je crois que si, en fait. »
Ce voyage l'a rendu plus réceptif, peut-être. Elle veut lui parler de Fye, bien sûr. C'est pour lui qu'elle s'inquiète. Et c'est compréhensible, le magicien fait peine à voir. Enfin, c'est ce qu'il parait. Comment il le saurait ? Il l'a à peine vu depuis leur arrivée. Il sait seulement ce que Tomoyo a tenté de lui faire comprendre la veille au soir, juste avant qu'il ne sorte comme une furie, en lui balançant qu'il ne lui pardonnerait jamais de l'avoir envoyé dans ce voyage pourri absolument sans aucune raison valable et qu'elle n'avait absolument pas le droit de faire ça, toute princesse qu'elle était, et qu'elle allait voir un peu de quel bois il se chauffait, nom d'un ninja en plastique !
Il avait hurlé, tempêté, menacé sa princesse des pires sévices, et pas vraiment pour exprimer une colère qui, au fond, était passablement émoussée. En fait, il ne voulait pas y penser. Pas évoquer le frêle mage blond perdu dans ses pensées au milieu d'une chambre intentionnellement obscure. Et surtout pas à l'unique fois où il avait tenté d'aller lui rendre visite. Bah il n'était pas totalement crétin, non plus, il se doutait bien que le blond allait pas l'accueillir avec un grand sourire franc et sincère en le remerciant, mais tout de même, il avait espéré pouvoir parler un peu avec lui.
Et là, pour le coup… Debout devant une fenêtre aux rideaux à peine entrouverts, Fye ne l'avait même pas regardé. Son regard était resté fixé sur un point indéterminé, dehors, regardant le paysage sans même le voir. Pire que la colère, les cris ou les larmes, la suprême indifférence du magicien avait crucifié le ninja. Dans une autre vie, il aurait attrapé le bras du mage et l'aurait forcé à lui faire face. Il lui aurait balancé à la figure tout ce qu'il avait à dire et se serait assuré que ça pénètre bien dans son cerveau. Il l'aurait secoué, enguirlandé, houspillé, j'en passe et des meilleures. Bref, il aurait agi en bon Kurogane, et peut-être que ça aurait fonctionné. Ou peut-être pas. Probablement pas. Pas avec lui. Pas avec Fye.
Il l'avait appelé. Une fois, deux fois. Puis devant l'absence de réaction du magicien, qui ne pouvait ne pas l'avoir entendu, il avait préféré sortir. Il s'était retourné, pourtant, avant de quitter la pièce froide, espérant sans trop y croire, que Fye aurait fait de même. Mais son compagnon n'avait pas bougé, et Kurogane s'en était allé noyer sa frustration mêlée de peine dans le plus gros fût de saké qu'il avait pu trouver, et il savait où chercher.
Il lève à nouveau les yeux sur sa princesse qui lui fait face, et soupire. Il en a marre, en fait. C'était tellement simple, avant. Maintenant, c'est un merdier si énorme que même lui n'est pas vraiment sûr de pouvoir en sortir.
Et là, Tomoyo, de sa petite voix flûtée, lui sort une évidence plus grosse qu'elle.
« Tu dois y aller, Kurogane.
- … »
No comment. Ben voyons, genre c'est simple.
« J'ai essayé, déjà. Ça n'a pas vraiment marché. Que j'y aille ou pas, ça fait aucune différence. Et je crois pas qu'il ait envie de me voir.
- Détrompes-toi. Il a autant envie de te parler que toi. Il a juste un peu de mal à l'admettre. Mets-toi à sa place, c'est difficile pour toi, mais cela l'est encore plus pour lui.
- Ah ouais ?
- Kurogane, je t'en prie… C'est ton ami. Tu ne peux pas décemment le laisser comme ça.
- Je t'ai dit que j'ai déjà essayé.
- Alors réessayes. Retournes-y, encore et encore, jusqu'à ce qu'il t'accepte. Si tu le laisses maintenant, jamais tu n'auras d'autre chance.
- D'autre chance ?? »
Mince, de quoi elle parle, là ? Yumemi ou pas, elle est flippante, par moment. Elle lit dans les pensées, maintenant ?
« Non. Mais j'ai longuement discuté avec Yuko, et avec Sakura et Shaolan. Surtout Sakura, en fait. Elle est vraiment adorable, c'est incroyable ce qu'elle est mignonne…
- Sans rire…
- Oui, enfin ce n'est pas la question. La question, ta question, Kurogane, c'est : veux-tu vraiment qu'il parte ? Parce que la seule personne qui pourrait le retenir ici, je crois que c'est toi, et ce n'est pas en restant aussi loin de lui que tu peux, à vider les réserves de saké en compagnie de cet adorable Mokona et à démolir toutes les jeunes recrues que tu vas y parvenir.
- … vaudrait ptêt mieux qu'il s'en aille. Il me hait, et c'est compréhensible. Il sera mieux ailleurs.
- Tu as d'autres bêtises de ce style en réserve ? Si oui, sors-les tout de suite, qu'on ait la paix pour après. A qui essayes-tu de faire croire ça, dis-moi ? Si tu crois vraiment qu'il vaut mieux qu'il s'en aille, que ce soit pour lui ou pour toi, va te passer la tête sous une eau bien glaciale, on en reparlera ensuite. Maintenant, arrête de geindre, ça ne te ressemble pas. Tu y vas, et tout de suite. Tu connais le chemin, pas vrai ?
- … »
Incrédule, il la regarde. Elle est terrible, elle a vraiment pas changé. Non mais qu'est-ce qu'elle croit, qu'elle peut lui sortir des sermons de ce genre-là et s'en sortir à si bon compte ?? Elle ne paye rien pour attendre, non mais oh ! Lui, geindre ? Et puis quoi encore ? C'est un ninja, nom d'un dragon, pas une femmelette. Elle va voir ce qu'elle va voir, et ce fichu mage aussi !
Furibard, le ninja tourne le dos à la petite princesse et sort à grandes enjambées, direction la chambre d'un certain magicien blond, sans voir l'air ravi et très satisfait de la jeune demoiselle qu'il vient de planter là sans autre forme de procès. Il est tellement déterminé à lui prouver qu'elle a tort qu'il a complètement oublié de lui hurler dessus. Tomoyo sourit. Elle le connaît bien, son ninja, très bien, même.
Elle aimerait les aider, lui et ce jeune homme blond, mais elle préfère s'abstenir. C'est un conflit duquel les interférences extérieures doivent être bannies. Elle a passé beaucoup de temps en compagnie de Sakura et Mokona, mais elle n'a pas non plus négligé de rendre visite au mage. D'abord parce qu'elle est polie. Ensuite, parce qu'elle est redoutablement curieuse. A ce qu'elle savait déjà de par ses rêves, s'est ajouté ce qu'elle a appris au fil du temps par Yuko, et enfin ce que lui ont raconté Sakura et Shaolan.
Elle sait que Fye est bien plus blessé qu'il ne le laisse voir. Elle sait aussi qu'il ne souffre pas uniquement de la mort de son roi, ni de ses propres erreurs. Elle a bien remarqué derrière les sourires de pure politesse du mage qu'il lui manque quelque chose. Qu'il feint inconsciemment d'ignorer, barricadé derrière sa peine. Ici, il se remet doucement des épreuves passées, et elle a adoré discuter avec lui, entrevoyant parfois, à peine perceptibles, des traces de l'esprit vif, malicieux et rieur du mage. Et elle a parfaitement compris que rien ne pourra le retenir au Japon. Rien, à l'exception de ce qu'elle vient de lui envoyer. C'est la seule chose qu'elle peut faire. Reste à espérer qu'il s'en rende compte. Et qu'il l'accepte.
Tomoyo sort à son tour, croisant mentalement les doigts pour que Kurogane parvienne à atteindre le magicien, et se dirige d'un pas décidé vers ses appartements où Sakura doit l'attendre. Elle lui a fait confectionner une tenue ravissante qu'il faut absolument qu'elle essaye le plus vite possible.
A un autre étage, un ninja pas tellement calmé se tient devant une porte close. Il est toujours aussi déterminé à ne pas se laisser marcher sur les pieds et surtout sur la fierté par sa princesse, mais ça ne l'empêche pas d'hésiter pour autant. Bah, après tout, pour ce qu'il a à perdre, il ne risque pas grand-chose. Il frappe, trois coups brefs, contre le montant de chêne. Et sans attendre une hypothétique réponse, il pousse la porte et pénètre dans la pièce.
Part se planquer dans un coin. Je suis pas là. Vous m'avez même pas vue. ;P
