"Je ne me souviens pas vraiment de comment c'était avant... enfin... "cette nuit-là", comme le disait toujours l'agent Johnston. Je n'avais rien de particulièrement remarquable, je crois. J'étais seulement un enfant turbulent friand de tout ce qui contenait du sucre en grande quantité.

Innocent aussi. Ou peut-être pas tant que ça. Les enfants sont bien moins innocents que les adultes veulent le croire. Mais inconscient, sans doute. Parce que si un cerveau d'enfant pouvait comprendre tous les dangers le guettant à chaque instant dans le vaste monde, la terreur le ferait imploser avant qu'il n'ait une chance d'y poser un pied.

Sans doute."

Extrait du journal de Remus Lupin


Prologue

Personne n'avait jamais prêté beaucoup d'attention à Remus Joachim Lupin. C'était après tout le très ordinaire septième enfant d'une très ordinaire famille d'Irlande du Nord. La seule chose qui le différenciait de tous les autres garçons de cinq ans du pays tenait à un prénom aussi exotique que le nom qui le suivait et on pouvait attribuer les deux au romantisme fantasque d'Harriet Lupin.

Harriet Lupin avait elle-même été une jeune fille plutôt ordinaire quoi qu'assez jolie jusqu'à ce qu'elle rencontre, à l'âge de dix-neuf ans, un jeune français tout juste débarqué qui entamait son premier tour du monde et se qualifiait d'aventurier. Il avait cependant dû abandonner le reste du monde cinq mois plus tard, alors qu'il épousait Harriet qui portait déjà de larges pull-over torsadés pour cacher les nouvelles courbes de sa silhouette. Ainsi qu'elle se plaisait à le dire, elle avait à l'époque oublié que les gentlemen et Richard Lupin ne venaient pas du même pays.

Et trois mois et demi plus tard, Cleopatra voyait le jour. Ensuite vinrent Lucretia, Marc-Antoine et Alexandre, suivis des jumeaux Ophelia et Demetrius.

Puis il y eut Remus. Le seul de ses enfants à avoir hérité du physique de ces ancêtres français qu'elle ne connaissait pas et non des cheveux blond-roux si frisés qu'elle avait depuis longtemps renoncé à passer un peigne dedans, des taches de rousseur et des yeux clairs qu'elle avait transmis à tous les autres.

Non, Remus avait les cheveux blonds, quasiment platine en été et à peine assez souples pour esquisser des boucles quand ils étaient courts. Harriet en était si fière qu'elle n'avait pu se résoudre à les couper que lorsque Richard était entré dans l'une de ses rages après que ces femmes se soient extasiées sur "sa jolie petite dernière" au marché.

Parce que Remus avait aussi des traits si fins qu'Harriet songeait souvent qu'elle aurait mieux fait de lui donner le nom d'un ange androgyne et délicat plutôt que celui d'un rude guerrier romain. Ah, mais il était trop tard pour pleurer sur le lait renversé et les yeux sombres de Remus parlaient déjà de bravoure, affirmait-elle. Richard ricanait, répliquant qu'il n'y avait nul courage dans un enfant de cinq ans. Mais Harriet savait déjà que Remus serait le meilleur d'entre eux, qu'il pourrait partir de ce village qui était sa propre cage depuis si longtemps et accomplir tout ce dont elle ne pourrait jamais que rêver en regardant par-delà les collines lors des soirs de mélancolie.

Parce que de ses enfants, Remus était son préféré, et elle berçait cette préférence à l'abri des regards comme un sentiment un peu honteux contre lequel elle ne pouvait rien.

Et elle s'était jurée que Remus serait le dernier, mais Rosalinde n'était pas encore née et la vie continuait malgré tout.

Rien de terrible ne pouvait arriver, tant qu'on ne faisait rien de mal et qu'on priait tous les soirs. N'est-ce pas ?

Harriet tapota son ventre rond tel un animal si familier qu'on ne lui prête plus attention et remua la soupe avant d'appeler ses sept enfants pour le dîner.


Remus n'avait jamais été particulièrement intrépide. Il avait cinq ans, il avait peur des gros chiens de monsieur McKief qui gardaient la ferme en bas de la colline, des rats aussi longs que ses avant-bras et trois fois plus larges qui se faufilaient parfois jusque dans la cuisine la nuit, et du noir.

Surtout du noir.

Et hier soir, alors que tout le monde le croyait au lit, coincé entre Ophelia et le mur de droite blanchi à la chaux de la chambre des enfants, oncle Ian avait raconté à ses parents qu'on avait vu des loups près d'ici. Penché en avant sur le fauteuil réservé aux invités, un verre rempli d'un liquide ambré qui prenait des reflets presque rouges à la lumière du feu à la main, il leur avait conseillé de ne pas laisser "les petits" s'éloigner de la maison tant que lui et sa bande ne se seraient pas occupés du problème. Remus avait alors reculé d'un pas dans l'ombre, oubliant tout du verre d'eau qu'il était allé chercher à la cuisine. Il n'était pas trop sûr de ce dont il était question, mais il était déjà évident que si on l'avait attrapé, on l'aurait aussitôt renvoyé au lit. Et Remus était fatigué d'être sans cesse plus-tard-trop-petit-pour-comprendre.

Ensuite, papa avait dit qu'il voulait "en être aussi", et maman s'était levée du canapé, posant la main sur son ventre où Rosalinde se cachait encore et secouant la tête.

Elle s'était mise à parler très fort, et non, et s'il arrivait quelque chose, les enfants...

Mais papa n'avait rien voulu entendre et oncle Ian avait continué à regarder dans le feu en buvant la jolie eau fauve pendant que les deux autres criaient.

Ensuite, Cleo était descendue et l'avait trouvé recroquevillé derrière le mur. Quand il avait demandé si papa allait être mangé, elle l'avait renvoyé au lit avec une tape sur la tête et mais non, stupide.

Remus avait quand même un peu pleuré, poussé contre le mur froid par Ophelia, Alexandre et Demetrius. Parce que même si le reste lui demeurait obscur, il savait que les loups étaient plus méchants que les rats, plus gros que le chien jaune et noir auquel il manquait un œil et qui paraissait continuellement fâché, et qu'ils dévoraient les petits enfants.

Et Remus avait peur.

Alors, que faisait-il dehors tout seul dans le noir au moment où retentit le premier hurlement ?


N/A : Je sais que c'est assez court. J'ai vraiment essayé de ne pas me remettre à la fanfiction avant d'en avoir terminé avec mes véritables obligations mais, comme souvent, je me suis retrouvée à écrire sur Remus sans même m'en rendre compte. Ah... l'appel de la fiction.

Bref, au fil du temps, Remus est devenu l'un de mes personnages préférés alors j'ai eu envie d'écrire ça. Je ne sais pas quelle longueur aura l'ensemble ni le temps que ça prendra, mais je promets d'aller jusqu'au bout d'une façon ou d'une autre.

Evidemment, plus il y aura de commentaires, plus j'aurai mauvaise conscience de vous faire languir et plus je posterai rapidement XD (coughinsinuationdiscrètecough).