10. L'heure des choix

Drago

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- Je t'aime Drago ! Tu le comprends ça ? Que je t'aime à en crever !

Bien sûr que je le comprends. Si tu savais comme j'ai conscience de ce que ça signifie. De tout ce que ça bouleverse dans mon univers. Si tu savais, Potter, le changement que tu as soufflé sur ma vie.

Tu n'imagines sans doute pas combien j'apprécie les moments passés avec toi. As-tu idée des batailles que je mène avec moi-même pour m'avouer combien j'aime découvrir chaque parcelle de ton corps et y déposer mille baisers interdits ?

Putain Potter ! Cette relation interdite me rend dingue, mais j'aime ça.

J'aime tes foutues promesses d'avenir. Autant qu'elles me terrifient. Parce que tu me laisses entrapercevoir un futur que je croyais impossible.

- Harry, ne confonds pas l'amour avec le désir...

Pathétique.

Je ne sais que le repousser.

Si seulement, j'arrivais à rassembler mon courage et à verbaliser ces phrases qui se télescopent dans ma tête.

Mais face à cet amour trop grand qu'il me porte, je ne connais que la fuite. Comme toujours. Comme si accepter son amour me rendrait trop vulnérable.

Et je flanche devant sa façon insolente qu'il a de me regarder, cette manie qu'il a à me mettre au centre de toutes ses attentions, comme s'il se foutait du reste du monde. Son amour déterminé déverse en moi une chaleur inconnue qui ne cesse de nourrir les tentacules qui grandissent en moi.

- Conneries ! Je sais ce que je ressens, me fais pas ce coup-là Malefoy ! Arrête de te voiler la face ! Je t'aime, espèce de crétin. Je ne te demande rien en retour, pourquoi tu le refuses ? Dis-moi pourquoi tu me repousses sans cesse ?

Parce que je ne mérite pas ton amour.

Parce que je ne sais pas comment gérer ces nouveaux sentiments. Il est persuadé qu'il a le pouvoir de changer les choses. Comment lui dire qu'il se ment à lui-même, qu'il ne fait qu'entretenir une douce utopie. Je le maudis pour avoir mis en moi de l'espoir. Je le déteste pour avoir changer ma vision des choses, pour cette minuscule folie qui grandit peu à peu en moi.

Et si ?

Et si j'étais plus courageux que je ne le suis. Et si j'osais enfin tenir tête à mon père. Et si j'étais assez fou pour me défiler face au Lord.

Conneries ! Je m'aventure sur des pistes de pensées sur lesquelles je n'aurais jamais osé avancer avant.

Il a semé en moi des croyances qui me rongent, des rêves qui ne se réaliseront pas, un avenir que je ne vivrai jamais. Il m'a donné l'envie de me battre, mais j'ignore si j'en ai seulement la force. Il croit en moi plus qu'il ne le devrait. Et je suis certain d'une chose : je vais le décevoir, parce qu'il croit aimer un homme qui n'a rien avoir avec celui que je suis.

Et là, à deux pas de la Grande Salle en effervescence, sa voix résonne dans ce couloir froid et silencieux. Incapable d'accepter ce que je lui dis, trop fougueux pour écouter mes fausses raisons, il s'emporte comme à son habitude les pommettes rougies par la colère.

Il va se lancer dans une nouvelle envolée quand les premiers élèves sortent de la Grande Salle. Quelques uns s'arrêtent et nous observent intrigués.

- Vas-y Potter, cries encore plus fort, je ne suis pas sûr que tout le monde t'ait entendu ! Tu veux te donner en spectacle ?

Il soutient mon regard.

- Ne me tente pas, dit-il les dents serrées.

Pendant un quart de seconde, dans son regard, je réalise qu'il en serait capable. Crier ses sentiments et ne réfléchir aux conséquences qu'ensuite. Il cligne plusieurs fois des yeux avant de se ressaisir.

Il met un peu plus de distance entre nous et passe sa main dans sa nuque.

- Drago...

Mais avant qu'il n'ait dit quoique ce soit, la Sang de Bourbe nous a rejoint. Elle me fusille du regard et l'éloigne en le tirant par le bras.

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.oOoOo.

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Lorsque tous les élèves ont quitté la Grande Salle et se sont glissés dans le parc ou dans les différents étages du château, je me retrouve seul. Le silence sournois et oppressant m'enveloppe. Et la colère revient, elle aussi, lancinante.

Je voudrais hurler ma fureur à la terre entière.

A Potter d'abord, parce que tout est de sa faute. Évidemment. Parce que je ne peux pas accepter qu'il demande de l'aide à Dumbledore dans mon dos.

A ce vieux fou justement, parce qu'il ne peut rien pour moi.

A Rogue, parce que lui non plus ne m'est d'aucune aide.

A moi-même, parce que je ne veux pas faire de choix.

J'en veux à la terre entière, mais sans cesse mes pensées reviennent vers Potter.

Parce que ce crétin de gryffondor a toujours eu tout ce qu'il voulait, il croit peut-être que tout se règle ? De toute notre scolarité, combien de fois je l'ai détesté pour toute la reconnaissance qu'il obtenait, pour sa popularité grandissante, pour la bienveillance non méritée du corps professoral. Il croit peut-être que tout se résout d'une façon ou d'une autre, et que la Fin est toujours heureuse.

Il se trompe.

Il n'y a que la mort qui m'attend. La peur puis la mort. Il n'y peut rien.

Et se battre contre des certitudes ne fait qu'entretenir de minces illusions.

Et si il y parvenait ?

Bon sang ! Ça suffit ! Je ne veux pas espérer dans le vide, y croire alors que je connais la fin de l'histoire. Je ne peux pas être comme lui, optimiste et confiant en l'avenir, alors que la réalité est toute autre.

Je ne serai jamais à la hauteur de ses attentes, de ses espérances. Et cette vérité me retourne l'estomac. Pourrait-t-il accepter ce que je vais faire ? Pourrait-t-il me pardonner ? Pourrait-t-il seulement me regarder à nouveau quand j'aurai la Marque tatouée sur mon avant-bras ?

Bon sang Potter ! A quel moment j'ai accordé autant d'importance à ce que tu penses de moi ?

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.oOoOo.

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J'ai rejoint les autres serpentards sous l'un des saules pleureurs du parc.

Son ombre est la bienvenue face au soleil estival et certains se sont allongés, profitant d'une courte sieste improvisée avant la reprise des cours.

Je cherche discrètement Potter et sa bande du regard, mais je ne les trouve pas.

Je m'adosse contre le tronc de l'arbre et ferme les yeux pour feindre profiter comme les autres des derniers instants de tranquillité.

Pourquoi tout devient si compliqué entre lui et moi quand il s'agit simplement de parler. De mettre des mots sur certaines choses. Tout semble si simple, le soir venu, quand ce sont nos corps qui s'expriment. J'ai conscience de ne pas savoir. Ne pas savoir m'y prendre. Ne pas savoir lui dire. Ne pas savoir lui montrer. Est-ce être lâche de garder mes sentiments pour moi ? Est-ce lâche de vouloir les lui cacher pour lui éviter toute déception ?

Bon sang ! C'est comme un poison qu'il fait couler dans mes veines. Comment s'y est-il pris pour rallumer la foi qui était éteinte en moi ? Et à quel moment exactement j'ai eu peur de le décevoir pour quoique ce soit ?

- Malefoy.

J'ouvre les yeux, prêt à insulter l'irréfléchie qui vient troubler ma prétendue sieste.

Miss-je-sais-tout, à la crinière incoiffable est plantée devant moi. Ses yeux sont des fentes inquisitrices fixées sur moi.

- Je peux te voir une minute ?

Elle affiche un air assuré, mais elle ne peut s'empêcher de lancer des regards furtifs autour d'elle. Naïve gryffondor entourée de serpentards. Crabbe et Goyle la dévisagent, attendent un signe de ma part.

- Et bien, tu me vois, tu m'as vu, je suis là. Ça ne te suffit pas ?

Crabbe ricane. Granger s'agrippe à ses livres comme à une bouée de secours.

- Je veux dire en privé.

Pansy s'est relevée sur les coudes et fronce les sourcils. Blaise a ouvert un œil pour suivre l'échange.

Et comme j'ai le mauvais pressentiment que sa venue n'est pas étrangère à Potter, j'aimerais autant éviter d'attirer l'attention.

En une seconde, je pèse le pour et le contre.

Me lever à sa demande porterait un sacré coup à ma réputation.

La laisser parler de Potter devant tout le monde me tuerait.

Elle semble observer mon tracas intérieur et roule des yeux.

Le choix est cornélien mais cacher cette histoire avec Potter reste la priorité ultime.

Je fais mine de lui accorder une grande faveur et me lève.

Elle s'éloigne de quelques pas et n'attend même pas que je sois à son niveau.

- Tu vas m'écouter Malefoy. Je ne sais pas à quoi tu joues, mais ça suffit. Tu vas le laisser tranquille et retourner avec tes amis serpentards.

- Je peux savoir de quoi tu parles ?

Elle lève les yeux au ciel.

- Je te parle d'Harry. Crétin ! Je t'avais prévenu que si tu le blessais à nouveau, tu entendrais parler de moi. Me voilà ! Je veux que tu le laisses tranquille.

- C'est lui qui t'envoie ?

Un rire nerveux s'échappe de ses lèvres. Elle secoue la tête puis me détaille du regard.

- Si tu me poses cette question, c'est que tu ne le connais vraiment pas. Il croit pouvoir tout supporter, tout endurer, mais c'est faux...

- Je peux savoir ce qu'il t'a dit ?

- Justement, il ne veut rien dire. Ce que je sais, c'est qu'il tient à toi. Je ne comprends pas pourquoi, mais c'est un fait. Et toi, tu agis comme un enfoiré. Si tu ressens, ne serait-ce qu'un soupçon de sympathie ou d'amitié pour lui, et laisse-moi te dire que j'en doute, change de comportement ou laisse-le tranquille !

- Tu devrais t'abstenir de parler de choses dont tu ignores tout Granger.

Un cri s'étouffe dans sa gorge. Elle fait mine de se masser la tempe avant de reprendre.

- Explique-moi alors ! Explique-moi pourquoi mon meilleur ami s'attache autant à un enfoiré de première qui n'a rien à faire de lui ?

- Tu ne sais pas de quoi tu parles...

- Alors dis-moi ! Dis-moi Malefoy, pourquoi Harry est prêt à remettre en question sa préparation au combat pour toi ? Pourquoi il est prêt à aller tenir tête à Dumbledore, pour te protéger, toi ? Pourquoi il se met à négliger certains de ses amis pour ne penser d'abord qu'à toi ? Dis-moi Malefoy !

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? J'en sais rien...

Elle ferme les yeux un instant, puis me donne un coup de poing dans l'épaule, bien trop léger pour qu'il soit réellement douloureux.

- Parce qu'il t'aime, espèce d'enfoiré. Il t'aime. Assez pour renoncer à l'idée de se battre. Et toi, tu lui promets quoi en retour ? Rien. Strictement rien. A part des tourments et de la souffrance.

- Tais-toi. Tu ne sais rien Granger.

Elle s'approche bien trop près de moi et pose son index accusateur sur ma poitrine.

- Je sais qu'Harry t'aime et qu'il pense que tu es quelqu'un de bien. Personnellement, j'ai du mal à le croire. Mais au final, seuls tes actes prouveront ta bonne foi. En attendant, ce ne sont que des paroles en l'air. Agis en homme pour une fois Malefoy ! Fais tes choix et assume-les jusqu'au bout ! Mais ne fais pas souffrir Harry pour rien. Tu ne ressens rien pour lui et tu t'en fiches qu'il ait le cœur brisé, alors laisse-le tranquille tout de suite, avant qu'il ne soit trop tard.

- Tais-toi, je t'ai dit !

- Pourquoi ?! Ce n'est pas la stricte vérité ?

- Tu ne sais rien...

- Alors dis-moi ! Dis-le Malefoy...

Il y a dans son regard un air suppliant. Comme si elle voulait que je la rassure. Comme si elle voulait entendre une explication rationnelle à tout ça. Que je lui dise peut-être que je protègerai Harry, ou que je serai toujours présent ? Un tissu de mensonges ? De belles paroles ?

- Tout a l'air si simple pour vous les gryffondors... Mais est-ce que ça changerait vraiment quelque chose si je l'aimais en retour ? Non. Non, ça ne changerait strictement rien !

Un léger sourire naît sur ses lèvres, et elle incline légèrement la tête, comme pour m'observer sous un nouveau jour.

- Détrompe-toi Malefoy. Ça change tout.

Elle me presse doucement le bras avant de s'éloigner vers le château.

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.oOoOo.

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Les cours sont passés avec une lenteur effarante.

En fin d'après-midi, je fais rapidement le tour du château et des pièces communes sans trouver celui que je cherche.

Puis je me dirige vers le seul endroit qu'il me reste : la crique au bord du lac.

Je retrouve tant bien que mal le petit sentier puis crapahute sur les rochers jusqu'à la plage de galets. Et je l'aperçois enfin.

Il est assis contre un rocher, les genoux remontés contre sa poitrine, la tête entre les mains.

- Je te cherchais.

Il lève brusquement la tête. J'attends qu'il me hurle dessus ou qu'il me balance les premiers cailloux venus, mais rien ne vient.

Je m'approche de lui, les mains dans les poches. Je ne sais pas par où commencer. Finalement, c'est lui qui brise le silence.

- Pourquoi tu es venu ?

Avant que je ne dise quoique ce soit, il se lève et s'éloigne.

- Va-t-en Drago.

Et si j'étais sain d'esprit, je l'écouterais. Parce que ça me fait mal de le voir comme ça. De savoir que j'en suis la cause. Mais ma raison m'a apparemment quitté depuis un moment puisque je m'approche de lui. Le dos voûté et les épaules rentrées, il semble porter le poids du monde et sa fatigue me saute aux yeux. Et je m'en veux de ne pas m'être rendu compte qu'il avait tant de choses à se soucier concernant la Guerre. Je m'en veux de n'être qu'un poids supplémentaire pour lui.

- Je suis venu m'excuser pour la scène dans le couloir. Je n'aurais pas du te crier dessus, je me suis emporté. Je suis désolé.

Il a les mains enfouies dans ses poches et garde les yeux fixés sur ses chaussures.

- Harry, regarde-moi. Insulte-moi. Frappe-moi. Mais dis quelque chose.

Concentré sur le bout de ses chaussures, il semble muré dans son silence. Sur son visage, mille expressions défilent que je ne sais pas décrypter. J'ai l'impression qu'il lutte avec lui-même pour retenir des larmes et j'ai un poids en fonte dans l'estomac. Il hausse les épaules.

- Je ne sais pas quoi te dire Drago.

Il me jette rapidement un regard en biais et j'ai le cœur qui se comprime.

A quel moment j'ai voulu être à la hauteur de ses folles attentes ? A quel moment j'ai voulu être l'homme qu'il voyait en moi ? A quel moment j'ai voulu ressembler à celui qu'il aimait ?

Je me racle la gorge et me concentre sur ma voix pour qu'elle ne flanche pas.

- Tu sais ce que je vais devenir. Tu l'as toujours su. Je ne t'ai jamais rien promis Potter.

- Peut-être.

Il relève la tête et fixe son regard au loin, sur les eaux calmes du lac. Il ouvre la bouche à plusieurs reprises avant qu'un son n'en sorte enfin.

- Mais j'ai toujours cru que je pouvais te sauver Drago. Te faire changer d'avis.

Je peux lui mentir à lui, jusqu'à la fin des temps, mais pas à moi-même.

Bien sûr qu'il m'a changé. Qu'il m'a sauvé. Bien sûr qu'il a bouleversé ma vision des choses. Qu'il a piétiné mes croyances et planté une graine d'espoir au fond de moi.

- C'est typiquement gryffondor ça...

Il esquisse un sourire. Et j'aimerais le faire sourire plus souvent. Je voudrais pouvoir alléger ce poids énorme qui pèse sur ses épaules.

Je sais qu'il ne me demandera jamais de choisir entre lui et la Marque. Il n'est pas égoïste et ne me mettra pas au pied du mur. Parce qu'il m'aime. Il m'aime bon sang !

Une petite voix au fond de moi me dit insidieusement qu'il suffirait d'un mot de tes lèvres, Potter, pour que je plaque tout.

Elle me souffle que si tu me demandais à nouveau de tout quitter, je le ferai. Ici et maintenant. Laisse-moi être lâche et fuyons ce monde trop compliqué pour nous.

Mais je fais taire cette voix sourde. Parce que je ne veux plus fuir. Parce que je voudrais tellement être à la hauteur de ses sentiments.

- Qu'est-ce que je vais faire sans toi ?

Et là, tout de suite, j'ai envie de crier ou de pleurer. Parce que c'est Lui, parce que c'est Nous. Parce que j'entraperçois ce qu'on aurait pu vivre. Parce que je comprends enfin celui que je veux être, pour Lui. Et au fond de moi, je commence à deviner la voie dans laquelle je vais m'engager. Faire un choix et l'assumer. Jusqu'au bout.

- Tu continueras à te battre. Parce que tu es fort et parce que je crois en toi, comme beaucoup d'autres ici.

Viens là. Il a arrêté de retenir ses larmes et vient nicher sa tête dans mon cou. Son corps contre le mien est secoué de sanglots qu'il tente d'étouffer. Il s'agrippe à moi comme s'il allait me perdre, et c'est sûrement le cas. Je le serre dans mes bras pour m'imprégner de tout ce que j'aime en lui. La chaleur qui émane de lui se répand dans tout mon corps. Je laisse courir mes doigts dans ses cheveux ébène et j'essaie de mémoriser son odeur.

- J'ai peur Drago.

- Tu t'en sortiras. Tu as travaillé dur pour gagner cette guerre, et tu es bien entouré.

Il renifle.

- J'ai peur pour toi, crétin.

Je prends son visage en coupe dans mes deux mains et je pose mes lèvres sur les siennes. Pour le faire taire. Pour chasser ces angoisses sournoises. Pour sceller dans ce baiser tout ce à quoi je m'apprête à renoncer.

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Le soleil est haut dans le ciel malgré le début de la matinée. Dans le bureau circulaire, les rayons éclairent depuis quelques heures déjà les curieux instruments qui s'entassent pêle-mêle ci et là. Les grandes fenêtres donnent sur le terrain de quidditch et je laisse vagabonder mon esprit vers des souvenirs où il y a quelques semaines encore, sur ce même terrain, je tentais d'oublier en vain mon funeste sort.

- Tu as fais le bon choix Drago.

Mon attention revient vers le vieux directeur qui me détaille de ses yeux malicieux derrière ses verres en demies-lunes.

- Et je continue de penser que c'est une très mauvaise idée...

Rogue a lâché ça dans un souffle rauque. Il est debout contre la paroi du bureau circulaire, les bras croisés et le regard furieux.

- Vous ne pouvez pas accepter ça. C'est le jeter dans la gueule du loup, vous en avez conscience ?

Dumbledore incline la tête, m'observe un moment avant de se tourner vers Rogue.

- C'est son choix Severus, et il semble avoir conscience du danger.

- Ce n'est qu'un gamin ! Comment pourrait-il saisir tous les enjeux de cette décision ?

- Il connait l'importance qu'aura cette mission dans l'évolution de cette guerre. Et il sait que son rôle sera capital.

- Vous le condamnez vous-même à mort ! Il ne sait pas dans quoi il s'engage.

- En tout cas, « il » aimerait bien que vous arrêtiez de parler de lui comme si « il » n'était pas la même pièce...

Rogue me fusille du regard et je peux lire la fureur sur ses traits.

- Je ne vous comprends pas Drago ! Il y a quelques jours, vous vouliez fuir la guerre sans demander votre reste, et aujourd'hui vous vous jetez à corps perdu dans quelque chose qui vous dépasse...

Peut-être parce que je ne veux plus fuir. Faire des choix et les assumer, quitte à en payer le prix. Parce que je ne veux pas voir la déception dans les yeux d'Harry.

- Ma décision est prise Professeur.

La colère s'est quelque peu effacée et a laissé place à de l'inquiétude chez mon directeur de maison.

- Vous n'êtes pas taillé pour devenir un espion Drago. Vous n'imaginez pas à quel point c'est dangereux et difficile.

Je relève le menton et plante mon regard dans les yeux bleus de Dumblelore.

- Pourtant certains pensent que j'en ai la carrure.

Celui-ci ne dit rien, se contente de hocher doucement la tête.

Rogue explose.

- Parce que ce qui lui importe, c'est gagner cette foutue guerre et préserver Potter coûte que coûte ! Il ne se soucie pas de vous comme moi !

Dumbledore ne réagit pas mais continue de m'observer silencieusement.

Je réalise que pour ce vieux fou, je ne suis peut-être qu'un simple pion sur son échiquier géant, mais je comprends aussi qu'on a finalement le même but : protéger Harry et le faire gagner la guerre.

- Ça me va. C'est mon choix et je l'assumerai jusqu'au bout.

Rogue se laisse tomber dans un fauteuil et secoue la tête.

- Dites-moi que vous ne faites pas ça pour Potter...

Je sens une bouffée de chaleur me monter jusqu'aux oreilles, mais avant que je n'ai à lui répondre, Dumbledore prend la parole.

- Chacun à ses raisons propres quand l'heure des choix importants approche Severus. Si je me souviens bien, tu avais les tiennes quand tu es venu me trouver, il y a des années.

Rogue marmonne quelque chose que je ne saisis pas.

Dumbledore se tourne à nouveau vers moi.

- Il y a quand même une chose que je ne saisis pas Drago...

Il pioche un bonbon au citron dans un panier posé sur son bureau, défait lentement l'emballage avant de le poser sur sa langue.

- Pourquoi ne veux-tu rien dire à Harry ?

- Je ne veux pas qu'il croit que je le fais pour lui. Il trouvera mille raisons pour que j'abandonne cette idée, mille raisons pour me retenir et me garder près de lui.

Je me racle la gorge pour faire disparaître la boule qui se forme.

- Et il y arrivera sûrement. Mais il n'y a que comme ça que je peux l'aider. De l'intérieur.

Mon discours me semble un peu trop récité, à force d'y avoir réfléchi cette nuit, mais Dumbledore ne tilte pas.

- Dans quelques jours, il me haïra d'avoir rejoint les rangs de Vous-Savez-Qui. Mais il sera vivant. C'est tout ce qui compte.

Le vieux directeur pose son menton sur ses mains jointes. Il me semble tout à coup n'être qu'un simple vieillard éreinté par le poids des années.

- Tu sous-estimes sa capacité à aimer. S'il comprend ton geste, ton amour le sauvera et le portera pendant la guerre. S'il te hait, s'il ne comprend pas, il ne sera que rancœur et colère, et ça risque de le détruire à petit feu. Harry est un idéaliste, ne l'oublie pas.

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.oOoOo.

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La nuit est bien avancée quand je rejoins mes quartiers. Les couloirs sont silencieux et ma chambre est froide malgré la saison estivale.

J'allume les bougies de mon bureau et m'y installe. Les parchemins et les bouteilles d'encre y sont éparpillés, les bouquins entassés. Inutile de continuer à étudier ce soir. La décision est prise, mon destin scellé. Contrairement à ce que je pensais, je n'ai rien ressenti en faisant ce choix. Aucune étincelle, aucune chaleur, aucune reconnaissance.

Je rassemble les pages de parchemins, les mets en ordre, range mes plumes, referme l'encrier. Je jette un œil à l'heure ; il est minuit passé.

Et je n'ai jamais autant souhaité qu'il vienne. Malgré la dispute, malgré la tension, j'ai besoin de lui, de le voir, de le toucher. J'ai besoin qu'il m'apaise.

Les secondes tiquent, les minutes s'égrènent. Après avoir rangé le bureau, puis mes livres et enfin mes affaires avec minutie, je souffle les bougies et je résigne à me glisser dans mon lit trop grand.

La nuit avance, et sans surprise, je suis incapable de trouver le sommeil. Une sournoise angoisse s'empare de moi et s'étend douloureusement dans tous mes membres. Je me retourne sur le dos et me force à me concentrer sur ma respiration, quand j'entends la poignée de ma porte se tourner doucement.

Je sens sa présence avant de décerner vraiment sa silhouette, puis je le devine dans l'ouverture de la porte, une main sur la poignée, comme s'il hésitait à entrer dans la chambre.

Puis il se décide à s'approcher. Doucement. Un pas après l'autre. Il se mordille la lèvre inférieure, ses cheveux sont en bataille et ses yeux sont rougis.

- Harry...

- Shh... Tais-toi...

Il grimpe lentement sur le lit et m'observe un instant. Il s'approche de moi.

- Écoute... je murmure.

Il pose un doigt sur mes lèvres et secoue la tête. Bientôt son doigt est remplacé par sa bouche, brusque et désespérée. Sa main passe dans mes cheveux et s'accroche sur ma nuque.

- Harry...

Tandis que sa langue se fraie un passage entre mes lèvres, il s'assoit à califourchon sur mes cuisses et reprend son baiser avec urgence.

- Harry, on devrait parler...

Puis sa bouche s'aventure dans mon cou et dépose lentement des baisers brûlants jusqu'à ma clavicule. Elle me lèche, me suçote et mon désir me fait tourner la tête. Mes mains trouvent naturellement leur place sur ses hanches, et le contact de sa peau m'affole délicieusement.

- J'ai envie de toi...

Son souffle contre mon oreille m'électrise.

Ses lèvres capturent mon lobe et le mordillent doucement.

Rien que l'idée de son corps sur le mien est à deux doigts de me faire perdre pied, mais ma raison me rappelle vicieusement à l'ordre.

J'essaie de l'éloigner doucement, de me détacher de ses caresses, de ses murmures et de ses baisers. Et ça me déchire lentement.

Je prends ses poignets et le fixe sérieusement.

- Il faut que je te parle...

Il doit s'apercevoir de mon air grave, puisqu'il prend du recul et s'assoit en tailleur sur le lit.

Il fronce les sourcils et me fait signe de continuer.

- Écoute, c'est important. Fais en sorte qu'il y ait le moins d'élèves possibles dans l'école demain soir et prépare ceux qui restent à se battre.

Il secoue la tête.

- Je ne comprends pas...

- Demain soir. Des mangemorts vont attaquer l'école. Ils vont s'en prendre à Dumbledore. Ils engagent les hostilités et Tu-Sais-Qui a décidé de marquer le coup en commençant par Poudlard.

- Pourquoi tu me dis ça ?

- Écoute Harry, tu dois te tenir prêt et avertir les autres élèves. C'est tout ce que tu dois savoir...

Il secoue la tête et me regarde avec incompréhension.

- Pourquoi tu me confies ça, si tu t'apprêtes à accepter la Marque ? Tu te rends compte du danger que tu cours s'ils s'en aperçoivent ?!

- Il ne m'arrivera rien parce que tu vas le garder pour toi et ne surtout pas dire que l'information vient de moi.

Je laisse quelques secondes de silence, le temps à son esprit d'assembler tous les éléments en sa possession.

Il écarquille les yeux quand il saisit où je veux en venir.

- Je ne te demande pas de me comprendre Harry. Il n'y a que comme ça que je peux mettre toutes les chances de ton côté dans cette guerre ! Sans me défiler, sans être un lâche à tes yeux.

Il me regarde horrifié.

- Qu'est-ce que je t'ai poussé à faire ? Tu n'as pas à te sacrifier Drago. Tu n'as pas besoin de prendre ces risques. Je peux te protéger. Tu le sais. Tu n'as pas à faire ça.

Il serre mes mains dans les siennes et je vois dans ses yeux toute la détresse que je craignais y lire.

- C'est la meilleure chose que je puisse faire. Il n'y a que comme ça que je peux réellement t'aider.

- Et en restant avec moi, tu n'y as pas songé ? C'est à mes côtés que j'ai besoin de toi Drago.

Ses yeux sont remplis de larmes et il efface d'un revers de manche celles qui se mettent à rouler sur ses joues.

- N'essaie pas de me retenir s'il te plait. On va se battre Harry, peut être pas comme tu l'aurais voulu, pas côte à côte, mais on va se battre et quand tout sera terminé, quand tu l'auras tué, je viendrais te chercher. Je te le promets.

Il renifle et porte mes mains à sa bouche.

- Ne dis pas que tu as fais ça pour moi, je t'en supplie, dit-il dans un souffle.

J'efface ses larmes avec mes pouces et me rapproche de lui.

- Je ne l'ai pas fait pour toi, je l'ai fait pour nous. Parce que tu m'as transformé, parce que tu m'as donné l'espoir d'une autre vie, d'un autre monde, parce que tu m'as montré ce que c'était d'aimer, d'être aimé et c'est la chose la plus précieuse que j'ai connu.

Viens là. Je pose mon front contre le sien et passe mes doigts dans sa tignasse.

- Je ne veux pas vivre notre histoire en cachette tu entends. Je veux pouvoir te donner la main, te sourire, être à tes côtés sans avoir peur d'être condamné. Je veux pouvoir t'embrasser sans crainte.

Entre deux sanglots, je le sens acquiescer.

- Je vais me battre Harry, à ma façon. Pour nous. Parce que je t'aime Potter. Malgré tout ce que tu peux croire, je t'aime. Et s'il m'arrive quelque chose, tu resteras la plus belle chose qui me soit arrivée.

Il passe alors ses bras autour de mon cou et me serre contre lui. Ses doigts s'accrochent dans mes cheveux et il presse ses lèvres contre les miennes avec l'énergie du désespoir. Sur ma langue le goût salé de ses larmes se mêlent à celui de ses lèvres. Et je peux pas me résoudre à penser que ce baiser pourrait être le dernier.

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.oOoOo.

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Alors que Rogue est sur le point de faire entrer les mangemorts dans l'enceinte de Poudlard, c'est la fin d'un chapitre pour moi, la fin d'un monde, d'un univers. Et mes sens tentent de graver dans ma mémoire tous les détails d'Harry. Sa saveur, son odeur, le grain de sa peau, les traits de son visage, l'expression à la fois douce et si grave de ses yeux bien trop verts. Et l'Amour que j'y lisais. Parce que je vais en avoir besoin, là-bas, en Enfer, pour me guider, m'y accrocher et retrouver, un jour, le chemin du retour.

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- THE END -

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Merci à tous ceux qui ont suivi l'histoire jusqu'au bout !

N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé ! Je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures ;)