Disclaimer : *récite sa leçon par cœur * : Pirates des Caraïbes et ses personnages sont à Disney, pas à moi. Rendons à Disney ce qui est à Disney. C'est le cas de le dire, surtout pour cette fic.

Eh oui, c'est le printemps, alors voilà une fic aux couleurs tendres, une fic primevère, si vous préférez.

Ma première fic longue (fais trois sauts de biquette), du moins concernant Pirates des Caraïbes. Quatre chapitres sont prévus , plus un pitit épilogue pour faire bonne mesure, mais je préfère prévenir à l'avance : c'est sans heurts (ou presque) et bourré de bons sentiments. Ben oui, j'ai eu envie. Une pulsion irrésistible. Du vrai Walt Disney, quoi, et ma foi, c'est rafraîchissant à écrire de temps en temps.

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Debout auprès de son père, sur le pont d'un orgueilleux navire de guerre pavoisé de vives couleurs, Elisabeth Swann regardait s'éloigner les côtes de son Angleterre natale. Elle éprouvait bien une vague nostalgie pour tout ce qu'elle laissait derrière elle, ce pays qu'elle ne reverrait pas avant des années si elle le revoyait un jour, mais elle se sentait surtout très excitée par la perspective de ce long voyage et la découverte de ces Caraïbes, au nom enchanté, vers lesquelles ils allaient.

Son père venait d'être nommé gouverneur de Port-Royal et Elisabeth, depuis qu'elle avait appris la nouvelle et qu'elle savait qu'il leur faudrait passer plusieurs mois en mer, ne cessait de lire passionnément tout ce qu'elle pouvait trouver sur le sujet. Son intérêt était tout particulièrement éveillé par le nom de ces seigneurs des mers dont le nom revenait constamment dans tous les ouvrages qu'elle avait consultés : les pirates. Depuis, elle cherchait à glaner tous les renseignements et toutes les anecdotes possibles sur ce sujet, en dépit des remarques de son père qui estimait que ce n'était pas là un sujet convenable pour une petite aristocrate qui n'avait pas encore tout à fait douze ans.

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Dans le même moment, à bord d'un navire de commerce parti deux jours plus tôt d'un tout autre port d'Angleterre, un matelot impatienté se penchait au-dessus d'une écoutille pour beugler d'une voix de stentor :

- Oh ! Eh, gamin, tu t'es endormi ?! Dépêche-toi un peu, tu veux ! On t'attend à la cambuse pour donner un coup de main, bouge-toi un peu !

Dans la cale, Will Turner leva le nez mais ne répondit pas. Il termina rapidement de passer la serpillière enduite de goudron dans l'entrepont et rangea son matériel en s'apprêtant à courir à la cambuse comme on le lui avait demandé. Lorsqu'il se pencha pour ranger son seau, le pendentif en or qu'il portait autour de son cou, sous ses vêtements, glissa par l'échancrure de sa chemise.

Le garçon le saisit dans sa main noire de goudron et le considéra pensivement durant quelques instants. C'était désormais la seule chose qu'il posséda encore au monde, et en outre, ce bijou représentait tout son espoir pour l'avenir. Avec la confiance de ses douze ans, il ne doutait pas de retrouver son père, sa seule famille à présent –le cœur de Will se serra à cette pensée, ranimant le chagrin d'un deuil récent- dans cette lointaine Caraïbe dont il ignorait tout mais qui, bien des années plus tôt déjà, avait attiré William Turner vers ses mystères et ses attraits. Will se souvenait à peine de lui mais il ne doutait pas de parvenir à ses fins. Là-haut, le quartier-maître se pencha encore une fois par l'écoutille :

- Si je dois venir te chercher, ça ira mal ! brailla-t-il.

- J'arrive ! cria le garçon.

Il se hâta de remonter sur le pont où l'irascible Choper le saisit par l'épaule pour le secouer, sans brutalité excessive toutefois.

- Il va falloir faire mieux que ça, mon gars ! récrimina-t-il. On t'a engagé comme mousse, pas comme passager ! Aller, grouille !

Will détala comme un cabri. Il aimait bien Horace Choper. Le quartier-maître criait tout le temps mais n'avait pas un mauvais fond et le jeune garçon préférait avoir affaire à lui, même s'il en avait déjà reçu quelques bourrades sans méchanceté, plutôt qu'à certains matelots dont son instinct lui criait de se méfier.

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Trois semaines plus tard…

- Elisabeth ! fit Weatherby Swann d'une voix altérée. Elisabeth, pour l'amour du ciel, où vas-tu encore ?

- Je vais voir sur le pont, Père. C'est si amusant. J'adore le grand vent ! Et…

- C'est trop dangereux, geignit le gouverneur, dont le teint était carrément verdâtre, en portant son mouchoir de dentelle à ses lèvres. Par ce temps épouvantable, tu risques de passer par-dessus bord. Et puis tu vas gêner la manœuvre.

- Oh, Père, je ne vais gêner personne, je reste dans mon coin, je ne fais que regarder. Et puis ce n'est pas si dangereux. D'ailleurs, Père, il ne peut rien m'arriver : Monsieur Gibbs est toujours là pour veiller sur moi. Il est vraiment très gentil, tu ne trouves pas ?

Weatherby ne répondit pas, car il étouffait de son mieux ses hauts le cœur dans son mouchoir. Plus vert que jamais, il finit par articuler avec peine :

- Je préfère que tu restes ici, Elisabeth. Peste soit de cette mer démontée….Et je préférerais également que tu évites la compagnie de ce matelot qui a toujours sa gourde à la main.

- Je l'aime bien, décréta l'adolescente. Il connaît plein d'histoires.

- Et moi je persiste à dire que…… ooooooooooooh !

Pris de nouvelles nausées, le gouverneur se détourna précipitamment de sa fille, la bouche dans son mouchoir. Elisabeth en profita pour se glisser rapidement hors de la somptueuse cabine qu'elle partageait avec son père et se dirigea vers le pont en nouant sa capeline sous son menton.

Elle était triste que son père souffre du mal de mer depuis que le temps avait changé, d'autant que depuis il semblait voir du danger partout, mais elle-même ne tenait pas en place. Une fois sur le pont, elle dut toutefois convenir que se tenir debout sur les planches luisantes de pluie et d'embruns qui glissaient sous ses semelles n'était pas très aisé. Le vent s'engouffra violemment sous ses jupes, les gonfla de son haleine froide et les souleva beaucoup plus haut que les usages le voulaient. Elisabeth pesta, cramponnée d'une main à ses jupons qu'elle essayait de maintenir en place, de l'autre à un cordage tendu en travers du pont pour aider les matelots à assurer leur équilibre. Le vent rabattit son capuchon en arrière et elle reçu en plein visage une giclée d'embruns et de pluie glacés, tandis que ses cheveux se gonflaient à leur tour comme une oriflamme.

Opiniâtre, la fillette voulut cependant poursuivre son odyssée mais le navire se cabra brusquement. Surprise, Elisabeth fut projetée en arrière et lâcha la corde. Une main la rattrapa, lui évitant la chute.

- Vous devriez rejoindre votre père et rester à l'intérieur, mademoiselle Swann, fit le lieutenant Norrington de son ton bref. La mer va encore forcir et ce n'est pas la place d'une demoiselle.

Vaincue, Elisabeth se laissa reconduire jusqu'à la porte de la cabine. Elle était trempée et toute décoiffée mais ne regrettait pas sa petite excursion, bien qu'admettant en son for intérieur que son père n'avait pas eu tort de la mettre en garde. Elle n'était à l'évidence pas encore un marin –elle avait spontanément pensé « pas encore », bien qu'il n'y ait aucune chance pour qu'elle le devienne jamais- et se déplacer sur le bateau malmené par les éléments relevait de l'exploit.

Un moment plus tard, douillettement enveloppée d'un peignoir, elle se contentait d'admirer le spectacle de l'océan démonté depuis les fenêtres de la cabine.

**

Horace Choper empoigna Will par le bras et le remit sur ses pieds d'une traction.

- Mais nom de d'là, fais donc attention ! hurla t-il. Qui m'a fichu un empoté pareil ?! Tu veux te faire emporter par une lame, ou quoi ?!

- Mais….

- « Mais » quoi ?! Il n'y a pas de « mais ». Dépêche-toi d'aller aider à serrer les cordages… fais vite, avant que la tempête emporte les voiles !

Will ne jugea pas nécessaire de répondre et mesura du regard la distance qu'il allait lui falloir parcourir pour aller accomplir la tâche dont on venait de le charger. Il serra les dents. Le vent soufflait avec une violence accrue depuis quelques instants et le navire dansait sur les vagues démontées comme un cheval fou.

Meurtri par sa première chute, le garçon s'efforça vaillamment d'avancer, mais il manquait d'expérience et le vent paraissait s'acharner à souffler contre lui. Obstiné, il parvint à couvrir la moitié de la distance et s'en félicitait déjà quand une vague plus grosse que les autres bondit soudain par-dessus le bastingage et balaya le pont.

- Fichu gamin ! beugla Choper en voyant Will disparaître dans un tourbillon d'écume.

Endurci par la vie en mer, Choper n'était pas particulièrement sentimental et n'avait pas d'attachement particulier pour le mousse. Mais il appréciait la bonne volonté que le gamin mettait à accomplir ses tâches. Certes, comme les autres marins, qui avaient tous été élevés à la même école, il ne voyait rien d'extraordinaire au fait qu'un enfant de douze ans, celui-là ou un autre, fasse le travail d'un homme. Il demeurait néanmoins un bourru plutôt bien disposé envers le monde. Aussi poussa t-il intérieurement un soupir de soulagement en voyant Will émerger en toussant et atteindre enfin les agrès à serrer. Puis il lui fallut se concentrer sur son propre travail, en espérant seulement que le gosse allait s'en sortir.

**

- Regarde, Père ! s'écria Elisabeth en riant, regarde ! Mon assiette bouge toute seule !

- Oui… ouiiiii…. gémit Weatherby Swann, à qui la seule vue de la nourriture était insupportable tant son estomac se révoltait.

Paisiblement assise à table, comme si de rien n'était, sa large serviette brodée soigneusement étalée sur ses genoux, Elisabeth quand à elle s'amusait à prendre une cuillerée de potage chaque fois que le tangage ramenait vers elle son assiette, qui glissait sur la nappe d'avant en arrière au rythme des mouvements du navire. Décidément, la vie en mer lui plaisait chaque jour davantage. Le fait même de ne pouvoir allumer la moindre lampe de crainte qu'elle ne tombe et mette le feu au navire l'amusait. C'était une véritable aventure et elle adorait cela ! Un jour gris et sale entrait dans la cabine, c'était suffisant. Lorsque le soir tomba, faute de pouvoir faire de la lumière elle dut aller se coucher et se glissa dans ses draps de dentelle en souriant. Bercée par le roulis, elle s'endormit en rêvant qu'elle faisait à nouveau de la balançoire dans le parc de sa maison natale.

- Eh ! Mousse ! Tu peux aller dormir, tu es du prochain quart. Tâche de prendre un peu de repos, il y a une accalmie mais la tempête n'est pas terminée pour autant. Elle reprend seulement son souffle.

Will ne se le fit pas dire deux fois. Il était transi, il grelottait si fort que ses dents, en claquant les unes contre les autres, provoquaient de douloureux élancements dans son crâne. De toute façon, ses doigts gonflés, mangés par le sel, étaient bleus et raides et ne lui permettaient plus le moindre travail.

Il se faufila dans l'obscurité jusqu'à son hamac et dû s'y reprendre à plusieurs fois pour s'y hisser, car ses membres raides et douloureux lui refusaient tout service. Roulé en boule sous sa couverture, s'efforçant de retrouver un peu de chaleur, il était si épuisé que malgré le froid et l'inconfort de ses vêtements mouillés –les matelots ne se déshabillaient jamais, sachant qu'ils pouvaient être amenés à tout instant à monter en catastrophe sur le pont et que se vêtir leur ferait alors perdre trop de temps- il sombra dans le sommeil.

- Je ne veux pas être marin, murmura t-il, les yeux déjà clos, juste avant de dormir pour de bon. Je ne sais pas ce que j'aimerais faire, mais pas ça !

**

- Et alors, dit Gibbs en fixant Elisabeth d'un regard pénétrant qui donnait plus de poids à son récit, ce vieux capitaine Flint a trouvé une île pour enterrer son trésor. Mais ce qu'il ne savait pas, c'était que sur cette île vivaient des cannibales. Oui, mam'zelle ! D'horribles sauvages peinturlurés avec des plumes sur la tête et des os dans le nez ! Et alors…..

Assise tout bonnement sur un tonneau, ses jupes bien étalées et ses talons tambourinant doucement contre le bois, Elisabeth écoutait passionnément. Sous le soleil revenu, elle s'efforçait chaque jour de passer un moment avec le marin lorsque celui-ci n'était pas de quart. La fillette aimait beaucoup son ami Gibbs, qui connaissait tant de merveilleuses histoires, et elle ne se souciait ni des remontrances de son père ni des expressions désapprobatrices du lieutenant Norrington chaque fois qu'ils la surprenaient avec lui.

- Vous connaissez des histoires de pirates, Monsieur Gibbs ?

- J'en connais plein…. Mais ça porte malheur de raconter des histoires de pirates quand on est en mer !

- Oh, s'il vous plaît ! S'il vous plaît !

- Ben…. disons qu'il y a des passages que je ne pourrai pas vous raconter pour pas nous attirer la poisse, mais…. Ça vous dirait d'entendre l'histoire de l'Acongagua, qui était commandé par un fameux marin, je ne vous dis que ça ! On le surnommait « le Cormoran » et….

Gibbs n'était jamais en peine d'inspiration et Elisabeth jamais lassée. Ainsi, d'histoire en histoire, les jours filaient tandis que le navire taillait sa route dans une mer de plus en plus bleue et sous un soleil de plus en plus chaud.

**

Par un après-midi calme et ensoleillé, Will Turner, une fois encore, enduisait le pont inférieur de goudron quand il eut le pressentiment d'une présence derrière lui. Il se retourna vivement et se retrouva presque nez à nez avec un matelot qu'à bord on surnommait « Brèche-Dents ». Plusieurs fois déjà cet homme lui avait adressé la parole, lui posant quelques questions sur lui-même ou parlant de la pluie et du beau temps, mais Will, instinctivement, se méfiait de lui. Et le sourire édenté qui s'étalait sur le visage buriné du marin en cet instant était d'une telle fausseté qu'il fut instantanément sur le qui-vive.

- Salut, p'tit ! fit Brèche-Dents.

Will ne répondit pas, tous ses sens en alerte et les muscles contractés.

Le marin tendit le bras et lui heurta assez sèchement l'épaule :

- Je t'ais dit salut ! On t'a jamais appris à répondre, môme ?

- Ca a tout à apprendre, à c't'âge ! fit une voix doucereuse dans la pénombre.

Un second matelot apparut, l'air guère plus fiable que le premier.

- T'as bien raison, mon vieux Collins ! approuva Brèche-Dents sans quitter Will des yeux, sa bouche édentée étirée d'un rictus qui ne présageait rien de bon.

- Heureusement, on est là pour ça, fiston, ajouta Collins en s'approchant d'une démarche de prédateur.

Will savait qu'il était en danger, bien qu'il ignore la nature exacte de ce danger, mais les deux hommes, légèrement écartés l'un de l'autre, lui coupaient toute retraite. Appeler au secours, le jeune garçon n'y songea même pas, trop occupé à chercher une issue. Il esquissa prudemment un pas de retraite, mais Brèche-Dents le saisit par le col de sa chemise.

- Reste ici, p'tit, gouailla-t-il, il est temps qu'on complète ton apprentissage.

- Y'a pas qu'laver l'pont ou serrer des cordages, minot, renchérit Collins.

- Non, il y a beaucoup mieux. Tu sais que les marins restent toujours entre eux, hein, mon garçon ? Tu sais qu'y a jamais de filles sur les navires ? Tu le sais, ça ?

Comme Will ne répondait pas, l'homme lui allongea une nouvelle bourrade.

- Tu le sais, oui ou non ? aboya-t-il.

- Oui, souffla l'enfant.

- Il le sait ! fit Brèche-Dents en se tournant d'un air faussement admiratif vers son compagnon. V'là un bon début !

Un sourire qui se voulait patelin aux lèvres, il entoura brusquement les épaules du garçon de son bras.

- Mais est-ce que tu sais pourquoi ? poursuivit-il. Hein ? Tu sais pourquoi on n'a pas besoin de filles à bord ?

La gorge serrée d'appréhension, Will fit non de la tête.

- Ah voilà ! fit le marin en regardant à nouveau Collins. Y sait pas, j'm'en doutais.

- Alors il faut qu'il apprenne, ricana l'autre.

Réagissant d'instinct, le jeune garçon mit à profit cette seconde d'inattention pour tenter de s'échapper. Il plia vivement les jarrets, glissant sous le bras posé sur ses épaules, bouscula le marin et s'élança vers la sortie. Malheureusement, Collins tendit vivement la jambe et lui fit un croc-en-jambe dans les règles de l'art. Les chevilles fauchées en pleine course, Will effectua un plongeon spectaculaire et atterrit à plat ventre sur le sol, s'étalant de tout son long dans le goudron.

Il n'eut pas le temps de se relever.

Ou plutôt, Collins le releva sans douceur, l'empoigna par le devant de sa chemise et le frappa en plein visage, durement, en homme accoutumé à frapper.

- Arrête ça, grogna Brèche-Dents. Des fois que quelqu'un y demande ce qui est arrivé !

Ses mains rudes se saisirent à leur tour du garçon et commencèrent à défaire la boucle de sa ceinture. Will se débattit vainement et n'y gagna qu'un coup douloureux dans les côtes.

- Tiens-toi tranquille, môme !

- Tâche qu'il gueule pas ! fit Brèche-Dents.

Mais ce ne fut pas la voix de Will qui résonna soudain dans l'entrepont. Ce fut celle de Choper, comme toujours impatientée :

- Où es-tu encore passé, à la fin, damné gamin ? Pas encore terminé en bas, non ?!

Les deux marins sursautèrent comme si un taon les avait piqués et lâchèrent brusquement leur victime.

- L'quartier-maître, merde ! grogna le premier.

- Y tombe toujours mal çui-là ! geignit le second en regardant nerveusement autour de lui comme s'il espérait découvrir une cachette ou une issue.

- Ho ! beuglait Choper. Ho, le mousse ! Tu dors, ou quoi ?

- File ! siffla Brèche-Dents en poussant Will vers la sortie. Allez, dégage ! Et tâche pas de l'ouvrir, ou tu auras affaire à moi !

Ce fut les jambes flageolantes et le teint pâle que Will rejoignit celui qui venait sans le savoir de le sauver d'un viol. Il n'entendit même pas les invectives de Choper, qui le secoua un instant, à son habitude, avant de remarquer sa mine défaite, ses vêtements poissés de goudron et son visage marbré de rouge par le coup qui lui avait été asséné. Il l'observa un instant des pieds à la tête, les yeux légèrement plissés, et finit par demander d'un ton lourd de sous-entendus :

- Des problèmes, gamin ?

Will fit « non » de la tête. Il n'osait parler de crainte que sa voix le trahisse. Il avait déjà décidé de ne rien dire de ce qui venait d'arriver. Pas à cause des menaces de Brèche-Dents mais parce que son orgueil se révoltait contre le fait de se plaindre comme un bébé. Et puis, d'une certaine manière, il avait honte. Pourtant, une évidence s'était faite jour dans son esprit : les plus petits, les plus faibles, ceux qui ne savent ou ne peuvent se défendre sont victimes de gens sans scrupules. Il n'avait pas l'intention d'en faire partie. Il devait apprendre à se défendre.

- Monsieur Choper, dit-il d'un ton bas, en se concentrant pour maîtriser sa voix, est-ce que vous pourriez m'apprendre à me battre ?

- Hein ?

Le gamin leva le nez vers lui :

- Je voudrais apprendre à me battre répéta t-il patiemment. Vous pourriez ?

- Et puis quoi, encore ? Tu crois que je n'ai que ça à faire, morveux ? Occupe-toi déjà d'apprendre à naviguer, non mais.

Son refus ne découragea pas l'enfant. Sa résolution était prise : seul au besoin, il apprendrait à se battre et il s'entraînerait pour devenir toujours meilleur, afin de ne plus jamais être impuissant devant le danger.

**

- Nous sommes entrés dans la mer des Caraïbes, mademoiselle Swann, dit le lieutenant Norrington gentiment. La fin du voyage approche. Vous devez être impatiente d'arriver, après ces longs mois passés en mer.

- Oh non, répondit sincèrement la fillette. J'aime bien naviguer.

Elle était même persuadée que la vie à bord allait lui manquer. Tout cela avait été si nouveau et si amusant pour elle. Les matelots courant à la manœuvre, les grincements de la coque, le claquement des voiles, les histoires de son ami Gibbs, oh oui, tout cela allait lui manquer.

Toutefois, elle était contente de savoir qu'ils étaient dans la mer des Caraïbes. C'était là, d'après ce qu'elle avait lu, que vivaient les plus fameux de tous les pirates. Peut-être son espoir incessant depuis le début du voyage d'en rencontrer un allait-il enfin se réaliser. Après tout, il y en avait encore pour quelques semaines de navigation, tout était encore possible.

Quelques jours plus tard, un épais brouillard tomba. Le commandant fit réduire la voilure et le navire parut avancer désormais au ralenti, glissant sans bruit, tel un fantôme, au milieu de la brume. Elisabeth ne comprenait pas pourquoi les matelots paraissaient tous nerveux depuis que ces épaisses nappes cotonneuses voilaient ainsi la mer. Certes, le premier amusement passé, elle trouvait que c'était désormais assez monotone de ne plus rien voir d'autre que du gris, du gris, toujours du gris et jamais rien d'autre. Même les bruits paraissaient être assourdis et étouffés si bien que le second jour, lorsque pour tromper son ennui naissant elle se rendit à la proue et entreprit de chanter une chanson de pirates qu'elle avait apprise à l'insu de son père lors d'une escale, elle n'osa pas chanter à pleine voix comme d'habitude mais se mit plutôt à fredonner pour elle-même.

- Yo ho, nous sommes les pirates, les forbans. On rançonne, on ravage, on pille, on vole...

**

- J'aime pas ça, pour sûr ! grogna Choper.

Maussade, il fourragea un instant dans sa tignasse rebelle, le nez en l'air.

- On ne voit même plus la pomme des mâts, dans cette maudite purée.

- Monsieur Choper, demanda Will, quand est-ce que nous arriverons à Port-Royal ?

- Si ce fichu temps continue, difficile à dire.

Il s'éloigna. Un instant, Will demeura sur place à regarder les nappes de brume qui semblaient glisser doucement le long du navire. Il n'avait plus eu maille à partir ni avec Brèche-Dents, ni avec Collins ni avec personne d'autre, du moins rien de sérieux. Il ignorait que le quartier-maître Choper avait discrètement resserré sa vigilance et que ses tourmenteurs d'un jour s'en étaient, eux, parfaitement aperçus. Choper n'avait jamais fait ni commentaire ni allusion à ce qui s'était ou non passé ce jour-là : la vie était rude en mer, à bord des navires, et il ne serait venu à l'esprit de personne de materner un mousse. Mais sachant par expérience que ceux-ci étaient souvent en butte aux mauvais traitements des équipages, dans l'indifférence générale la plupart du temps, le quartier-maître gardaient d'instinct toujours un œil sur eux, en particulier lorsqu'il sentait se tramer quelque chose de louche.

Tandis que son protecteur s'éloignait, l'attention de Will fut attirée par un mouvement différent des autres. C'était amusant, on aurait dit que la brume dessinait un motif. Un motif de plus en plus précis qui…. et brusquement, du brouillard jaillit le cauchemar. Comme si les nuées prenaient consistance, des voiles noires, effilochées et trouées, se dessinèrent, toutes proches. Puis la flamme orangée du premier coup de canon déchira le gris ambiant. Le bastingage vola en éclats. Soufflé comme un fétu par la déflagration, Will fut littéralement arraché du pont et précipité tête la première dans les eaux grises. A demi assommé, les oreilles bourdonnantes à la fois du choc et du bruit de l'explosion, il battit mécaniquement des pieds et des mains et remonta à la surface.

Un morceau de bois arraché au navire par la canonnade flottait juste à côté de lui. Dans un dernier acte conscient, il l'empoigna et s'efforça de s'y hisser. Il eut du mal à y parvenir, la planche ayant tendance à se soulever chaque fois qu'il s'appuyait sur elle, mais il finit par y arriver et s'y affala, le souffle court et la tête douloureuse. En un instant la brume l'avait avalé et le courant l'éloignait du lieu du combat. Des coups de canon et des cris retentissaient de toutes parts mais le jeune garçon ne pouvait rien voir, le brouillard lui cachait toutes les phases du drame.

Soudain, une explosion beaucoup plus forte que les précédentes se fit entendre. Des débris de toutes sortes transpercèrent les voiles de la brume et retombèrent en pluie, une odeur de poudre et de bois calcinée imprégna l'air. L'assaillant avait touché la soute à poudre du navire qui avait transporté Will depuis l'Angleterre, mettant un terme au combat.

La gorge nouée, le jeune garçon se demanda ce qu'il était advenu de tous ceux avec lesquels il avait navigué. Ce n'était pas tant pour la sympathie qu'il éprouvait pour certains –le quartier-maître Choper entre autres, ainsi que deux passagers, un jeune couple, qui s'étaient montrés très gentils avec lui durant tout le temps de la traversée- que parce que la brusquerie avec laquelle les événements avaient changé du tout au tout l'épouvantait. Sans compter que le fait de ne rien savoir, rien voir, d'être réduit à des suppositions toutes plus effrayantes les unes que les autres le glaçait jusqu'au cœur. Le drame avait été si soudain, si brutal, qu'il avait encore du mal à réaliser. Il revoyait en esprit l'instant où surgissant du néant le navire inconnu était apparu, si proche. Et soudain, le feu et la mort répandus. Comment était-ce possible, comment les choses pouvaient-elles ainsi basculer, en quelques instants à peine ? Terrassé à la fois par l'émotion et par le choc physique, Will se sentit pris de vertige. Tout devint noir devant ses yeux, il se sentit glisser dans l'inconscience.

**

Un objet blanc attira soudain l'attention d'Elisabeth qui, en regardant mieux, reconnut une ombrelle ouverte, à l'envers, tournoyant doucement sur les vagues. Amusée, la fillette avança le long du bastingage pour ne pas la perdre de vue quand, du coin de l'œil, elle aperçut un autre objet flottant sortir de la brume.

Elle dut cette fois y regarder à deux fois avant d'identifier une planche, probablement arrachée à un navire et, sur cette planche….

- Regardez, un enfant ! cria-t-elle. Il y a un enfant sur l'eau !

Plusieurs marins, dont le lieutenant Norrington, accoururent.

- Un homme à la mer ! cria le jeune officier. Allez chercher un grappin ! Remontez-le à bord !

Will perçut un brouhaha confus, des voix, des pas précipités, au loin quelqu'un semblait crier des ordres, puis il éprouva soudain la sensation très nette d'une présence proche à le toucher. Dans une brusque giclée d'adrénaline il se redressa d'un coup et sa main se referma vivement, par réflexe, sur un poignet gracile.

Il découvrit alors devant lui le visage d'une fillette de son âge.

- Il n'y a pas de danger, dit-elle, le souffle légèrement court car il venait de la faire sursauter. Je m'appelle Elisabeth Swann.

- Will Turner, murmura le garçon.

- Je veillerai sur toi, Will.

Le jeune garçon entendit à peine. La tension qui l'habitait depuis les derniers événements se relâcha d'un seul coup, le vidant de ses dernières forces.

- Elisabeth Swann, répéta son esprit, comme un écho.

Et il perdit connaissance.