J'avais déménagé, comme je le faisais à chaque demie décennie, pour éviter de trop attirer l'attention sur mes… particularités. En cent cinquante ans d'existence, j'avais déjà écumé un bon nombre de villes européennes réputées pour leur manque de soleil et, chaque fois, je quittai le tout avec le plus parfait détachement. Pourquoi prendre le risque de s'attacher à ce qui, de toute façon, flétrit irrémédiablement ? Les choses, les gens… Je voyais tout se faner sous mon regard. Alors à quoi bon ?
Finalement, j'avais émigré aux États-Unis, partie du monde que je n'avais pas encore "visitée". Forks. C'était le nom de la petite ville que j'avais choisie comme nouveau lieu de résidence, pour redémarrer cinq ans de vie avant de partir une nouvelle fois. Forks, une ville de l'État de Washington ayant un taux d'ensoleillement extrêmement réduit. Exactement ce qu'il me fallait.
Le jour de mon arrivée, il pleuvait averse et, lorsque je sortis de ma voiture, je fus trempée en un rares badauds qui ne virent ce jour-là me dévisagèrent comme si j'étais totalement folle… et très bizarre. Il faut dire que, conformément à ma devise "aies l'air de ce que leur imaginaire redoute et ils te ficheront la paix", ,j'avais poussé mon look dans les extrêmes dans tous les sens du terme : une cape, deux très longues jupes noires superposées pleines de fronces et de dentelles à l'instar de mon bustier ; un corset tout aussi sombre ; ainsi que de hautes bottes un brin métallique. Je n'ignorais pas, également, que mes griffes vernies de noir, mon maquillage, ma peau blême et mes très longs cheveux couleur d'encre, en l'occurrence plaqués dans mon dos par la pluie, me rendait inquiétante, surtout dans une ville aussi paisible que semblait l'être Forks. Et j'avoue que j'en jouais à plaisir. Voir les humains réprimer un mouvement de recul lorsqu'ils m'apercevaient était depuis longtemps devenu un amusement. Du reste, il est vrai que ma technique avait toujours payé que jusqu'ici, bizarrement, tout le monde m'ignorait ou feigne de m'ignorer, ce qui me convenait puisque je n'étais pas vraiment sociable. Mais mon "asocialisme" n'était pas due à ma nature, car les humains ne craignaient rien de moi. En effet, mon organisme faisait une sévère intolérance leur sang. A ma connaissance, je devais être la seule des nôtres, que l'ingestion d'hémoglobine humaine rendait malade. Cela ne signifiait bien sûr pas qu'il ne m'attirait pas. Après tout, j'étais un vampire et leurs odeurs étaient, pour la plupart, alléchantes. Mais, après les problèmes d'ordre physique que j'avais rencontré les seules fois où je m'étais risqué en mordre, je passais outre. Assez aisément je dois dire.
Dégoulinante de pluie, je refermais le coffre de ma Twingo avec autant de douceur que possible est sorti de ma poche les clés que je m'étais fait expédier avant de quitter mon précédent domicile, en Autriche. Glissant l'une d'elles dans la serrure, je fis jouer cette dernière et pénétrais dans la maison. Quelques pas à l'intérieur m'apprirent que mes souhaits en matière d'ameublement avaient été respectés. Je souris en coin. Parfait. Déposant mes bagages dans l'entrée, j'entrepris de faire le tour du propriétaire en pensant à la surprise des gens lorsque, le lendemain, je ferais mon apparition au lycée. Réaction qui, d'ailleurs, ne changeait jamais. Invariablement, on commençait par me prendre pour une élève. Et lorsqu'on s'apercevait que ce n'était pas le cas, on détournait les yeux, gêné, ce qui me faisait rire car adultes ou adolescents réagissaient pareillement
Je fermais autour de mon cou le clip du ras-de-cou en velours noir duquel pendait une croix. Cette fois, rien de manquait à ma panoplie.
Je quittais la maison en refermant la clé derrière moi, puis allais m'installer au volant de ma voiture. J'aimais ma petite Twingo, que j'avais fait venir par avance, car je ne savais pas exactement comment étaient conçues les leurs. J'avais mes petites habitudes. Je mis le contact, puis allumais la radio… Et le GPS puisque j'ignorais quelle chemin menait au lycée. J'attendis les quelques instants nécessaires au paramétrage de l'appareil, puis quittais l'allée pour m'engager sur la route.
Le trajet fut des plus brefs et, comme prévu, la curiosité commença à se faire sentir dès que je me garai. Manifestement, ces adolescents n'avaient pas souvent eu l'occasion de voir une voiture européenne. Je souris en coin, éteignis moteur et radio, puis descendis de mon véhicule. A mon habitude, je n'avais pas attaché mes cheveux, qui cascadaient librement sur mes épaules et mon dos jusqu'en bas de mon dos, aussi suivirent-t-ils le mouvement lorsque je me retournai après avoir verrouillé les portières. Puis, sans tenir compte des regards ébahis qui suivaient chacun de mes gestes, je me dirigeais vers le bâtiment. Lorsque j'en franchis les portes, un surveillant m'arrêta.
- Où se trouve votre sac de cours mademoiselle ? me demanda-t-il, sévère.
Et voilà, ça me ratait jamais. Mais je tenais ma réponse toute prête, comme une mécanique bien rodée.
- J'en aurais si j'en avais besoin, répondit-je en appuyant à plaisir sur mon accent français. Ce qui n'est pas le cas.
La stupéfaction se peignit sur le visage de l'humain.
- Pas besoin ? répéta-t-il. Dois-je comprendre que vous êtes…
- Oui, le coupais-je, peu encline à m'étendre, surtout devant les élèves.
- Le bureau du proviseur se trouve sur la gauche, me renseigna-t-il ensuite.
- Merci, fit-je en prenant la direction indiquée avec le plus parfait naturel.
Le même rituel se répétait tous les cinq ans, avec des différences minimes d'un pays à l'autre, d'une ville à l'autre, d'un établissement à l'autre. J'avais heureusement la chance de m'adapter extrêmement rapidement et aisément.
Le sempiternel entretien ; l'admiration, le doute et la crainte mêlés dans le regard de mon interlocuteur ; la remise de mon emploi du temps (ou EDT comme je l'appelais) et de la liste de mes élèves répartis par classe. Hum, visiblement, ici, ils pouvaient choisir une spécialisation dans la matière qui leur convenait. Intéressant.
Un salut et je me dirigeais dans ma salle de cours d'un pas alerte, ma cape voletant derrière moi. J'ouvris la porte pour découvrir une salle bruissant des conversations mes élèves.
- Bonjour, lançais-je dans leur langue afin d'attirer leur attention.
Aussitôt, le silence se fit et tous se figèrent en me fixant, bouche bée. Tous. Saufs deux. Une mince jeune fille brune, humaine et un jeune homme dans la peau blafarde me renseigna sur sa nature mieux que des mots. Ainsi donc je n'étais pas la seule à me mêler aux humains. Lui aussi…
Il me fixa gravement, une lueur d'incrédulité dans ses yeux dorés fixés dans les miens, gris. Il avait compris comme moi.
- Je suis Sylane Alris, votre professeur de français, dis-je, toujours en anglais, en balayant la pièce du regard. Je suis là pour vous enseigner les bases de ma langue maternelle.
Quelques chuchotements animés parcoururent les rangs, mais lui se contentait de me regarder avec insistance, ce que, en bonne asociale, je finis par trouver agaçant. Vampire ou pas il était mon élève et rien ne l'autorisait à me dévisager de cette façon. Ce que je lui fis comprendre d'un regard. Je pris ensuite la liste comportant leurs noms et les lut à voix haute. L'un après l'autre, ils levèrent la main afin que je les identifie et je marquais un léger temps d'arrêt en remarquant un nom familier. Cullen. De nouveau, mon regard croisa le sien. Un parent de Carlisle ? Intéressant. Je n'avais plus eu de nouvelle du médecin depuis cent ans environ. Il était amusant de constater que sa famille s'était installée précisément dans la ville que j'avais moi-même choisie. Si l'occasion m'en était donnée, j'irais lui rendre visite.
Le cours se passa assez bien. Mes élèves n'étaient pas très doués, mais ils firent de leur mieux et je fis totalement abstraction de la présence d'Edward Cullen dans la pièce. J'étais assez douée lorsqu'il s'agissait d'ignorer les gens. Raison pour laquelle j'étais asociale.
Lorsque la cloche sonna, tous sortirent dans le plus grand désordre. On aurait dit de jeunes enfants avides de rentrer prendre leur gouter. Mais il est vrai que comparé à moi, c'est ce qu'ils étaient. Enfin presque tous. Je tournais de nouveau les yeux vers lui et son amie humaine. Comme je m'y attendais, ils n'étaient pas partis.
- Edward Cullen… fis-je alors en m'appuyant nonchalamment au bureau, bras croisés et regard braqué sur lui. Qui es-tu par rapport à Carlisle ?
- Vous le connaissez ? demanda alors la jeune fille qui s'appelait Isabella, surprise.
Tandis qu'elle me fixait, ses yeux s'agrandirent d'incrédulité et je compris qu'elle savait. Les Volturi avaient-ils connaissance que le secret qui leur était si cher était éventé ? Par une humaine qui plus était ? Carlisle était décidément toujours aussi peu prudent.
- Vous êtes une… commença-t-elle.
Je ne la laissais pas finir. Les murs avaient des oreilles.
- Oui Isabella.
- Bella, corrigea-t-elle en grimaçant.
Il y eut un silence, puis je repris :
- Alors ?
Je n'avais pas eu la réponse à ma question et j'étais plutôt du genre têtue, surtout lorsque j'avais une idée en tête.
- Mon père, répondit-il finalement.
Son père… Autant dire son créateur. Il était amusant de penser qu'il considérait de cette façon très humaine celui à qui il devait son immortalité.
- Où puis-je le trouver ? questionnais-je de nouveau.
- Vous n'avez qu'à nous accompagner, rétorqua-t-il en se dirigeant vers la porte.
Je ne me le fis pas dire deux fois. Récupérant sur le dossier de la chaise, la cape que j'avais ôtée, je m'en vêtis et les suivis telle une ombre.
- Partez devant, je vous suis, dis-je en me dirigeant vers ma voiture.
Peu après, nous quittâmes le parking du lycée pour sortir de la ville. Je hochais la tête en m'en rendant compte. Bien… Ils avaient donc choisi de vivre retirés. Tout mon contraire en somme.
Bientôt nous arrivâmes à une grande maison percée de baies vitrées et nichée dans la forêt. La forêt... un bon terrain de chasse. J'y ferais un tour plus tard, car la soif commençait à se faire sentir.
Comme je le pensais, à notre arrivée, Carlisle sortit de la maison... accompagné de toute sa famille. Sa famille ? Je comptais trois femmes et trois hommes en plus de lui. Quand avait-il eu le temps de créer tous ces vampires ? Si du moins ils étaient tous ses créations.
En m'apercevant, le médecin se figea, une expression incrédule sur le visage.
- Sylane ? fit-il, ahuri.
Sa stupéfaction m'amusa.
- On dirait bien, fis-je dans un sourire en coin. Bonjour Carlisle. Ca fait longtemps.
- Plutôt oui, confirma-t-il en se fendant de l'un de ses rares sourires. Ce me fait plaisir de te voir.
Je hochais la tête, puis posais un regard interrogateur sur toute la smala.
- Je te présente Esmé, Alice, Jasper, Emmett et Rosalie, présenta-t-il en désignant tour à tour une gracieuse femme aux cheveux auburn, une fille aux courts cheveux bruns, un homme blond, un géant qui semblait taillé dans un roc et une blonde sculpturale. Tu connais déjà Edward on dirait.
- En effet. C'est l'un de mes nouveaux élèves. Lui et Isab... Bella.
- Si nous entrions ? intervint alors celle qui s'appelait Esmé. Nous serons plus à l'aise pour discuter à l'intérieur.
De nouveau, je hochais la tête et emboîtais le pas à mon ami de longue date, sous le regard des autres. Je savais que mes vêtements les étonnaient, mais j'en avais tellement l'habitude que je ne m'en offusquais pas.
Avec mon aisance coutumière, je pénétrais dans la demeure dont l'intérieur était peint en blanc.
- Qu'es-tu devenue depuis... cent ans ? questionna encore le médecin.
- J'ai beaucoup déménagé, mais c'est la première fois que je viens jusqu'aux États-Unis.
- Et qu'en penses-tu ?
J'eus un sourire en coin. Il était bien dans son style de poser ce genre de question.
- Pas grand-chose pour le moment, répondis-je. Disons que ma qualité d'européenne me pousse aux préjugés, mais que...
Je m'interrompis et me retournais avec des gestes félins, car une odeur extrêmement désagréable venait d'assaillir mes narines. Une odeur que je n'identifiais pas.
- Jacob, fit soudain Edward, approuvé par les autres.
Comme je m'interrogeais sur son identité, la fragrance s'intensifia et le dénommé Jacob passa la porte.
- Salut tout le monde, lança-t-il à la cantonade.
Son regard tomba sur Bella et un large sourire éclaira ses traits. Puis il me vit, se figea et nous nous dévisageâmes. Un simple coup d'œil me suffit pour comprendre qu'il était indien. Il en possédait toutes les caractéristiques faciales : une peau couleur pain d'épices, des cheveux noirs portés longs, un nez épaté... Mais il me fut impossible de déterminer sa tribu. Cheyenne, Hapache, Sioux... ou une autre que je ne connaissais pas ? Impossible à dire, je n'étais pas assez physionomiste. Pour moi, à l'instar des asiatiques que j'étais incapable de différencier, ils se ressemblaient tous. Mais ce n'était pas ce qui me dérangeait en l'occurrence. Cette odeur... ce n'était pas celle d'un humain, pourtant, il n'était pas comme nous.
- C'est qui ? se décida à demander le jeune homme en me désignant du menton, après un temps infini.
- Jacob, je te présente Sylane Alris, une amie de longue date, présenta obligeamment Carlisle.
- Ah ok, fit l'indien. Salut.
Je répondis par un hochement de tête, attendant que le médecin élucide le mystère olfactif.
- Sylane, voici Jacob Black... commença-t-il.
Mais le nom du nouveau venu ne m'intéressait pas.
- Cette odeur... le coupais-je, un brin tendue.
- Jake est un loup-garou, me renseigna alors Bella depuis les bras d'Edward.
Je sursautais.
- Ils sont sensés avoir tous disparus...
Ma phrase n'était qu'une constatation dénuée de toute inflexion accusatrice, pourtant, l'indien la prit comme une agression personnelle.
- Désolé de vous décevoir, aboya-t-il.
- Du calme, Jake, tenta de le tempérer l'humaine.
- Jacob est un indien Quileute. Ils sont loups-garous de génération en génération, intervint diplomatiquement Carlisle.
Mon regard, posé sur mon ami, revint sur le jeune homme. Quileute ? En effet, le nom même de cette tribu m'était inconnu.
- Une humaine, un loup-garou... Tu as toujours d'aussi étranges fréquentations Carlisle, constatais-je sans méchanceté.
Cette fois, ce fut Bella qui prit la mouche.
- Merci bien. Ca fait toujours plaisir... fit-elle aigrement.
- Tu t'attendais à quoi venant d'une sangsue ? rétorqua alors Jacob en la regardant.
Le terme injurieux me fit froncer les sourcils. Que faisait-il ici, entouré de vampires, s'il nous détestait au point de nous traiter de sangsues ?
- Jacob... fit de nouveau Bella d'un ton réprobateur.
En dehors d'elle, nul ne sembla plus choqué que ça, ce qui me conduisit à déduire que ce n'était pas la première fois qu'il le faisait.
- Si ça ne te convient pas, personne ne te retient, clébard ! cracha alors Rosalie qui écoutait sans rien dire depuis le début de la scène.
Oh là... Charmants les rapports. Ces deux-là semblaient se haïr cordialement.
- Que tout le monde se calme, intervint finalement le médecin d'une voix ferme. Jake, que venais-tu faire ?
L'indien se tourna vers lui.
- Voir Bella, puisqu'elle est toujours fourrée ici, répondit l'indien, grincheux.
- Jake ! s'exclama la jeune fille, de nouveau réprobatrice.
- Ben quoi, c'est vrai, argua encore le loup-garou. Tu vas pas prétendre le contraire. Même Charlie dit qu'il te voit plus. T'es pire qu'un courant d'air.
Cette assertion fit taire l'humaine, ce qui me fit comprendre qu'il s'agissait d'un membre de sa famille auquel elle était très attachée.
Il s'était écoulé plusieurs minutes depuis ma déclaration qui avait généré tant de mots. Pour faire finir cette discussion qui commençait à m'impatienter, je tendis à l'indien ma main gantée. Mon geste eût l'effet que j'escomptais : une chape de silence tomba comme un linceul sur l'assistance, qui nous observa.
Jacob fixa ma main, visiblement méfiant, puis, n'ayant aucune raison valable de se défier de moi en dehors du fait que j'étais un vampire, il s'en saisit et la serra. Je me tournais ensuite vers Carlisle.
- Il faut que j'aille chasser. Je n'ai pas bu depuis mon départ de Vienne.
Comme je parlais, je sentis Jacob se tendre de nouveau et un grognement lupin s'échappa de sa gorge. A sa position, je compris qu'il était prêt à se transformer et à bondir à la moindre sollicitation.
- Ca suffit Jacob, fit alors le médecin d'un ton à nouveau ferme. Sylane n'enfreindra pas le traité. Elle est comme nous.
Les mots de mon ami désamorcèrent le jeune homme, qui se détendit mais continua à me fixer.
- Qu'est ce que c'est que ce traité ? demandais-je à mon tour.
- Je t'expliquerais, répondit mon ami. Pour le moment, si tu veux chasser, Jasper et Emmett vont t'accompagner.
Je jetais un coup d'œil au blondinet et à l'armoire à glace. Non merci, très peu pour moi.
- Inutile. Je chasse seule, rétorquais-je en fixant le médecin dans les yeux. D'ailleurs, il y a un peu trop de monde pour moi ici.
Sur ces mots, je me détournais, ouvris la porte et sortis en imaginant sans peine le soulagement de l'indien à mon départ momentané.