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Fin d'annéePOV Sylane

J'avais repris mes cours au lycée de Forks, en ayant inventé une histoire plausible pour expliquer ma longue absence. Bien évidemment, ce que j'avais raconté au chef d'établissement avait été cru.

Reprendre le train train quotidien après tout ce qui s'était produit dernièrement ne s'était pas avéré une mince affaire, mais je m'adaptais vite. Enfin presque. Depuis l'affaire de ma transformation, j'avais soigneusement évité toute situation pouvant m'amener à toucher Jacob et donc à attiser mon désir pour lui, toujours intact. Je n'avais en effet aucune envie de redevenir louve. L'expérience était trop… bizarre. Même pour moi qui étais habituée aux trucs étranges.

Cela mis à part, mon existence était devenue presque routinière, mais je ne m'en plaignais pas pour le moment. En peu de temps, j'avais atteint mon quota d'évènements illogiques pour les décennies à venir. Plus rien ne pouvait me surprendre.

Enfin presque…

POV Carlisle

Le dévoilement du thème du bal de promo avait enchanté Alice, qui s'était empressée de se plonger dans les recherches iconographiques, afin de trouver les costumes adéquats pour tout le monde. Je l'avais rarement vue aussi euphorique. Quant à moi, je craignais la réaction de Sylane quand elle l'apprendrait. Après tout, cette période de sa vie, ce siècle passé, ne recelait, pour elle, que de mauvais souvenirs à peu de choses près. Je doutais même qu'elle accepte d'y faire, ne serait-ce qu'une simple apparition. Non seulement à cause de ce que ce thème lui rappellerait, mais aussi parce qu'elle refuserait certainement de passer une soirée entière entourée d'une foule d'humains. Plus particulièrement pour cette raison en fait. Elle craindrait que la Bête ne reprenne le dessus, ce que je comprenais aisément.

Je tournais la tête vers ma fille, aussi excitée qu'à sa première remise de diplôme –enfin la première à laquelle j'ai assisté après qu'elle nous ait rejoints. Je la regardais sautiller partout, puis me décidais à l'interrompre.

- Alice, as-tu parlé de tout cela à Sylane ?

Ma question la figea, ce qui me fit comprendre qu'elle n'en avait encore rien fait.

- Peut-être devrais-tu le faire au plus vite. Avant qu'elle ne l'apprenne d'une autre façon.

- Comment penses-tu qu'elle va le prendre ?

je secouais la tête.

- Mal, je le crains.

- Pourquoi ? Un bal, c'est sympa et puis ça va lui rappeler des choses.

- Justement. Je pense qu'elle souhaite occulter tout ce qui a trait à cette période de sa vie.

Un gémissement de frustration lui échappa.

- Non ! Moi qui me faisait une joie de l'habiller comme elle l'était à l'époque ! Elle ne peut pas me faire ça !

- Tu ferais mieux d'oublier cette idée. Comprend que ce ne sont pas des souvenirs agréables pour elle, loin s'en faut.

- Elle ne peut pas me faire ça ! répéta-t-elle, manifestement très déçue et bloquée dans son idée.

- Tout le monde n'est pas aussi coulant que Bella à ce sujet, Alice. Sylane n'est pas une poupée que tu peux vêtir à ton idée. Et si tu te risque à lui en parler, prend garde à sa réaction. Tu sais comment elle est.

POV Sylane

- Jamais !

J'avais crié. Un peu trop fort. Mais l'idée seule me hérissait. Pour rien au monde je ne remettrais ce genre de… Non, c'était ridicule.

- Sylane, calme-toi. C'est juste un bal, tenta de m'apaiser ma nouvelle petite sœur.

- Jamais plus de ma vie, on ne me reverra à un bal. Point final. Fin de la discussion, tranchais-je.

- Ils n'ont plus rien à voir avec ceux que tu as connus, tu sais.

Je haussais les épaules.

- Peu importe. Tu perds ton temps. Tu ne me convaincras jamais.

J'espérais me montrer claire. Il fallait qu'elle comprenne que je ne me plierais pas à ces stupidités.

- Sylane, s'il te plait…

- J'ai dis non ! tu es sourde en plus ?

Elle m'avait énervée. Il fallait que je sorte me calmer. Je tournais déjà le dos pour franchir la porte, lorsqu'elle déclara :

- Jacob pourra t'accompagner.

Il ne fallut pas plus que la mention de mon âme sœur, pour que je m'immobilise. Je me tournais lentement vers elle.

- Qu'est ce que tu as dis ?

- La vérité. Tu es un professeur. Tu peux donc être accompagnée de qui tu souhaite. Et… je sais que Jake sera éblouissant en costume d'époque.

Je devinais qu'elle avait joué sa dernière carte… et qu'elle savait pertinemment quels mots précis elle devait prononcer pour que je change d'avis ; qu'elle savait que je changerais d'avis. Elle avait du le voir. Foutu don ! Comment, en effet, aurais-je pu résister à l'envie de voir mon Jacob vêtu comme un lord de mon époque ; résister à l'attrayante idée qu'il me découvre comme la lady que j'étais en 1850, avant… tout le reste ?

Ma soudaine absence d'objections lui fit pousser un cri de triomphe.

- Oui ! Merci, Sylane ! Tu ne le regretteras pas, je te jure !

Une vraie enfant… Comment pouvait-on autant s'enthousiasmer à la simple idée d'habiller des gens ? C'était une chose qui dépassait mon entendement. Cela étant, je devais mettre un frein à son ardeur avant qu'elle ait des initiatives malheureuses.

- Alice, l'interpellais-je sèchement.

- Oui, je sais, ce sera à tes conditions, pas aux miennes. Mais tu as une idée et besoin de moi pour la réaliser ! J'approuve ! Tu seras magnifique !

J'ouvris la bouche pour dire quelque chose, puis la refermais. A quoi bon discuter avec quelqu'un capable de voir l'avenir et de prédire ce que je m'apprête à dire ?

POV Jacob

J'en avais à peine cru mes oreilles lorsqu'elle m'avait téléphoné. C'était une plaisanterie ? Moi, au bal du lycée de Forks ? Elle avait du oublier un micro minuscule léger détail…

- Sylane, je vais à l'école de la réserve, je te rappelle, lâchais-je dans le combiné, un brin grincheux.

Il m'était pénible de le rappeler sans cesse. Je trouvais déjà suffisamment rabaissant et humiliant d'être cantonné à la réserve, comme les Indiens du Far-Ouest étaient parqués dans les leurs… J'avais toujours trouvé le respect de ça complètement idiot, surtout au XXIe siècle. Parce que respecter ça, induisait qu'on acceptait cette sectorisation et ça revenait au même qu'à l'époque… à ceci près que nous avions le choix de ne pas y adhérer et que n'étions maltraités par personne. D'ailleurs, je ne comprenais pas pourquoi personne ne s'était jamais rebellé. A notre époque, ça restait dégradant, même si nous y étions pas confinés comme nos ancêtres de l'ouest. Je m'interrompis moi-même au milieu de mes réflexions. Après tout, c'était une occasion de casser cette habitude.

- Ok, finis-je par dire bien qu'elle n'ait plus prononcé le moindre mot. Je suppose qu'il y a un thème ?

Je l'écoutais énoncer ce dernier avec son économie de mots habituelle… et écarquillais les yeux, ce qui devait me donner l'air parfaitement stupide.

- Heu… nan. Là, ne compte pas sur moi. Je refuse de me déguiser en pingouin du siècle dernier.

Oui, je me débinais. J'en avais parfaitement conscience, mais tant pis. « Bal en Europe, au XIXe siècle »… Non mais on n'avait pas idée de thèmes aussi crétins et craignos… Non, vraiment très peu pour moi.

J'écoutais un instant, enfermé dans ma résolution, puis elle énonça le seul argument susceptible de me faire changer d'avis. C'était si inattendu, que j'en perdis la voix un instant.

- T'es sérieuse ? interrogeais-je lorsqu'elle fut revenue. C'est vraiment toi qui me dis ça ? Je croyais que…

Elle m'interrompit sèchement et je me tus. Elle pouvait être vraiment intimidante quand elle voulait. Même pour moi qui connaissais ses réactions.

- Ok Ok. J'ai compris, capitulais-je. Qui s'occupe de… D'accord. Quand alors ?

Je raccrochais après avoir pris note de l'heure à laquelle je devais me trouver chez les Cullen et grimaçais. J'allais me retrouver endimanché façon aristocrate français… merveilleux.

POV Carlisle

Elle marqua un temps d'arrêt en descendant l'escalier. Mon regard remonta le long d'une splendide robe de jaune doré ornée de dentelle jaune ocre ; nota les longs gants de même couleur, taillés dans la même matière ; un décolleté discret orné de cette même dentelle ; un cou de cygne orné d'un collier de perles factices. J'admirais les longues anglaises châtaines qui descendaient d'un chignon haut et le port de tête altier du magnifique visage de mon ancienne compagne, dépourvu de son habituel maquillage noir. Malgré moi, je retins mon souffle… et je savais que je n'étais pas le seul. Même Emmett, qui n'aimait pourtant rien tant que taquiner ses soeurs, resta muet d'admiration, ce qui lui valut un coup de coude et un regard noir de Rosalie.

Une foule de souvenirs me revint à l'esprit, issus de notre vie commune passée. Je fermais brièvement les yeux, de nouveau troublé.

- Tu la reconnais ? demanda Sylane, me tirant de mes pensées.

Comment aurait-il pu en être autrement ? Cette femme désirable ne pourrait jamais s'effacer de ma mémoire ; de la même façon que jamais je n'oublierais cette tenue.

- C'est la robe dans laquelle je t'ai trouvée voici cent cinquante neuf ans, répondis-je en espérant que la tension de ma voix ne trahirait pas mon agitation intérieure. A ceci près qu'elle n'est pas couverte de sang.

- Son exacte copie, rectifia-t-elle en achevant sa descente de l'escalier pour s'approcher de moi.

- Pourquoi ? ne pus-je m'empêcher de l'interroger en ayant l'impression que ma voix n'était qu'un murmure.

Ce choix me semblait incompréhensible. A sa place, j'aurais définitivement banni de mon existence tout souvenir de cet horrible jour, de cette vie. D'ailleurs, je ne saisissait même pas pour quelle raison elle avait accepté de se rendre à ce bal, connaissant le danger que cela représentait. A moins, bien sûr, qu'elle s'abstienne de respirer pendant toutes les heures qu'elle y passerait. Ce qui se révélerait très inconfortable et risquait d'attirer l'attention des curieux.

- En premier lieu, justement parce que c'est celle dans laquelle tu m'as trouvée. Elle symbolise le début de ma nouvelle vie. De plus… c'était tout simplement ma préférée dans ma garde-robe fournie de l'époque. Alice m'a aidée à recréer ma coiffure.

- Classe, grâce, féminité et distinction ! Tu ressemble à une lady ! s'exclama alors cette dernière, enthousiaste comme à chaque fois qu'il s'agissait d'habiller quelqu'un.

- C'est ce que j'étais, rétorqua Sylane sans son sarcasme habituel.

- Wow… put seulement murmurer Jacob, resté figé, bouche bée, à côté de moi.

Visiblement amusée de sa réaction, mon ancienne compagne s'approcha de son âme sœur.

- Je te plais ? demanda-t-elle, taquine, en pirouettant sur elle-même.

- Je savais que tu serais belle en robe d'époque, fit le jeune homme, mais là tu es… Ben je ne trouve aucun mot assez fort pour te qualifier.

A ces mots, un vrai sourire, lumineux, magnifique, fleurit sur ses lèvres qui avaient retrouvé leur adorable couleur rose. Le même genre de sourire qu'elle me dédiait avant. Stupidement, je fus jaloux que ce soit Jacob qui en bénéficie. J'étais bien sûr heureux du bonheur tout neuf de mon ancienne compagne, qu'elle méritait amplement… mais je ne pouvais m'en empêcher, ce qui était inique étant donné les circonstances et nos vies respectives actuelles…

- Tu es très élégant, déclara-t-elle en l'admirant à son tour.

Là encore, Alice avait sévi : elle avait remué ciel et terre pour dénicher le costume d'époque masculin qui irait de pair avec la robe de sa nouvelle grande sœur. Malgré ma jalousie, il me fallait bien admettre que c'était l'exacte vérité : n'eût été sa peau couleur pain d'épices, Jacob serait facilement passé pour un Lord anglais ou un aristocrate français. Il en avait le maintient sans défaut.

Devinant mes pensées, Edward, relooké XIXe siècle, à l'instar de ses frères et sœurs, vint poser une main encourageante sur mon épaule. Je plaçais brièvement la mienne au-dessus en retenant un soupir.

- Tu aurais fais des malheurs à mon époque… Sir Jacob, fit Sylane dans une petite révérence.

L'appellation le fit s'esclaffer.

- Sir Jacob ! Hé ça sonne bien !

Son rire était communicatif et nous nous joignîmes tous à lui.

POV Sylane

Les quinze derniers jours avaient défilé à toute vitesse, pour toute la maisonnée, lancée dans les préparatifs du bal. Esmé s'était laissée gagner par l'euphorie d'Alice, qui avait fini par s'étendre à Rosalie aussi… et à moi-même, dans une mesure bien moindre. Le plus difficile pour nous, avait été de convaincre les garçons d'apprendre à valser. Ils s'étaient tous fait tirer l'oreille, râlant tant et plus, ce qui avait fini par m'agacer et, comme, je l'avais fait avoir sans ménagement, ils avaient fini par se laisser faire.

Et le jour J était arrivé.

Je contemplais ma nouvelle famille, réunie dans le salon, en grande tenue. Tous mes frères et soeurs semblaient parfaitement à l'aise. Les filles étaient resplendissantes dans leurs longues robes et les garçons superbes en jaquette festonnées. Mais il y avait, au tableau, une ombre que je ne m'expliquais pas. Une certaine tristesse émanait de Carlisle, sans que j'arrive à en identifier la cause. Comme je m'interrogeais, Edward me murmura à l'oreille que lui et Esmé auraient aimé nous accompagner, mais qu'ils savaient ne pas pouvoir, puisqu'ils étaient les « parents » de tout le monde excepté Bella, Jacob et moi.

Ayant abandonné la lutte contre son don, bien que ses incursions dans ma tête m'énervent toujours, je ne relevais pas la nouvelle entrée dans mon esprit. Surtout que, en l'occurence, je lui était reconnaissante de cette révélation. Poussée par une envie subite de le réconforter, je fis ce que jamais je n'avais fais depuis plus d'un siècle : je l'embrassais sur la joue. Si mon geste le surprit tout d'abord, il en fut ensuite ravi, comme en attestait son sourire.

- Passez une bonne soirée. Amusez-vous bien, nous souhaita-t-il.

Bientôt, la porte s'était refermée sur nous tous et nous nous dirigeâmes vers les véhicules stationnés dans le garage. Nous étions si nombreux, qu'il faudrait en sortir deux au moins. Je poussais un petit soupir en contemplant les calandres rutilantes d'une Porche, d'une Volvo, d'une Mercédès et d'une autre que je n'identifiais pas. Soupir qui n'échappa pas à Jacob, toujours à côté de moi.

- Sylane ? Quelque chose ne va pas ? s'enquit-il, visiblement inquiet. Tu regrette ?

Je secouais la tête pour le détromper.

- Je pensais simplement au véhicule tout à fait différent, que j'avais emprunté la dernière fois que je m'étais rendue à un bal.

- Qu'est ce que c'était ? s'enquit Alice, curieuse.

- Un phaéton, tiré par quatre chevaux d'une blancheur de neige.

Comme le terme semblait les laisser perplexes, je me mis en devoir de leur expliquer de quoi il s'agissait.

- Ca ne devait pas être très rapide, objecta Emmett lorsque j'eu terminé.

- Ce n'était pas le but. Comme je l'ai expliqué, un phaéton était une voiture découverte dont l'utilité principale était de laisser admirer ses passagers aux passants.

Il y eut un court silence, puis Jacob me demanda :

- Ton époque te manque ?

- Le temps me manque.

Il me regarda, ahuri.

- Le temps ? Mais...

- Pas le temps dans le sens où tu l'entends. C'est la vitesse de la vie qui était différente.

- Était-elle plus lente ? me demanda Rosalie.

Je hochais la tête.

- C'est sans comparaison possible. A cette époque, tout va trop vite. Je n'aime pas cela.

C'est alors que la voix d'Alice se fit entendre, pressante.

- Il faut y aller sinon on va être en retard !

Comme mus d'un même mouvement, nous prîmes tous place dans les voitures et les chauffeurs (Edward et Emmett) démarrèrent sur les chapeaux de roues, me faisant râler que personne n'avait écouté ce que je venais de dire. Emmett, dans la voiture de qui je me trouvais avec Jacob, sembla trouver cela très drôle, car il s'empressa d'accélérer davantage, dès qu'il le put.

Etant donné la vitesse à laquelle nous roulions, nous fûmmes arrivés sur le parking du lycée en moins de temps qu'il n'en fallait pour dire « bal de promo ».

Emmett et Rosalie étaient déjà sortis de la voiture et je m'apprêtais à en faire autant, lorsque Jacob me retint.

- Tu es sûre de toi ?

Étonnée par sa question sibylline, je le dévisageais sans comprendre.

- Que veux-tu dire ?

- Je veux dire que tu es prof et que, malgré tout ce qu'on peut dire, je suis un gamin à côté de...

Je le fis taire en l'embrassant furtivement (je n'osais pas plus pour éviter les débordements qui suivaient toujours un baiser passionné).

- Hum, fit-il lorsqu'il put de nouveau parler, je dois prendre ça pour un « Jake, la ferme » ?

- Exactement. Ce qui t'évitera de débiter des stupidités.

C'est à ce moment qu'Emmett ouvrit la portière sans douceur.

- Bon, dites Bonnie et Clyde, vous sortez ou vous attendez le dégel ?

La référence au célèbre couple de malfaiteurs des années 1930, fit s'esclaffer mon compagnon. Je ne l'imitais pas. Une fois hors de la voiture, je dépassais mon facétieux petit frère et en profitais pour lui asséner de toutes mes forces,une grande claque à l'arrière de la tête.

Pris par surprise, il n'eût pas le temps d'anticiper mon geste et Alice ne le prévint pas de ce qui allait lui arriver. Ahuri qu'une vampire si petite ose le frapper comme ça, il porta une main à son crâne, comme pour se prouver qu'il n'avait pas rêvé le coup qu'il venait de prendre.

J'avais vu un personnage de série policière faire ça à la télévision. Ca semblait efficace.

- Voilà qui t'apprendra à respecter tes aînés, jeune freluquet, maugréais-je, consciente que mes idées du siècle précédent refaisaient surface sous ma couche de modernité.

La scène n'avait duré que quelques secondes à peine, mais avait attiré les regards. Détachant mon regard de mon athlétique frère, je regardais Jacob, sorti à ma suite et totalement mort de rire.

- Quoi ? fis-je d'un ton peu amène.

- On dirait Gibbs ! dit-il entre deux éclats de rire qui lui firent venir les larmes aux yeux. Tu as trop regardé NCIS !

Sur ces mots, il repartit de plus belle dans son fou rire, au point que je finis par les fixer comme s'il avait perdu la raison.

Comme j'étais un brin perdue, Jasper, les yeux brillants d'amusement, me dit qu'il s'agissait d'une série policière, dont le héros, Jetro Gibbs, avait coutume de punir ainsi ceux de ses collègues qui proféraient des idioties. A la lumière de cette explication, je compris qu'il s'agissait de celle que j'avais vue. Décimément, les références modernes et moi...

Comme son regard se posait sur Emmett et qu'il continuait à rire, littéralement plié en deux, je regardais Edward, afin d'obtenir une explication que mon compagnon était dans l'incapacité de me donner.

- Il imagine Emmett à la place de Dinozzo ou McGee, répondit mon frère à ma question muette.

J'ignorais ce que pouvaient représenter ces noms, mais je pouvais supposer, sans trop me mouiller, qu'il s'agissait encore de personnages fictifs issus de cette série. Je levais les yeux au ciel puis, d'un geste impatient, claquais des doigts près du visage de l'Indien. Celui-ci rencontra mon regard et se calma aussitôt.

- OK, OK, désolé, fit-il en s'essuyant les yeux, un grand sourire joyeux encore sur les lèvres.

J'avais encore du mal à m'habituer à ses nouveaux yeux dorés. Son « regard Cullen », comme je l'avais baptisé, mais lui semblait s'y être parfaitement accoutumé.

Alors, imitant mes frères, Jacob me présenta son poing ganté fermé, sur lequel je m'empressais de poser la main, tout comme je le faisais à l'époque avec mes cavaliers.

Je semblais aussi à l'aise que les autres mais, intérieurement, j'appréhendais ce premier bal après des décennies. Mon premier bal de vampire entouré d'humains. De trop, bien trop nombreux humains. Heureusement, je savais que les autres étaient là et qu'ils interviendraient immédiatement, avant que je ne puisse faire du mal à tous ces enfants.

Nous fûmmes tous pris en photo en passant la porte, après laquelle je marquais un temps d'arrêt

- Jacob, je ne vais pas respirer de la soirée, le prévins-je. Je préfère que tu le sache afin que tu ne t'étonne pas. Ce serait trop dangereux.

Il fit une grimace éloquente.

Je comprenais sans peine que, pour un humain, le concept de passer plusieurs heures sans respirer, même en sachant ce qu'il savait, soit plutôt difficile à assimiler.

Le voyant crispé, je lançais avec désinvolture :

- Du calme. Ce n'est pas un drame.

- Tu as raison. Allons-y.

POV Jacob (musique : Sinead Mulvey & Black Daisy : et caetera)

J'ouvris les portes battantes et une chanson rock nous parvint, assourdissante tant le volume était fort. Je vis alors Sylane porter les mains à ses oreilles comme pour les boucher.

- Qu'est ce que c'est que ce bruit ? me cria-t-elle pour se faire entendre.

- Quel bruit ? m'étonnais-je de même. Ah tu parle de la musique ?

- Musique ? Tu ose appeler ça de la musique ? C'est du bruit, rien d'autre !

- Tu exagère !

Mais à la réflexion, je ne l'avais jamais vue écouter de la musique, qu'elle qu'elle soit.

- C'est de la musique moderne ! Mais je comprend qu'elle te choque si tu n'en as plus écouté depuis...

Je m'interrompis. Je n'allais pas crier sa nature devant tous les élèves.

A ce moment-là, la musique changea et le DJ annonça une danse plus en rapport avec le thème du bal : une valse.

Cette annonce et la baisse du volume sonore soulagèrent manifestement ma compagne, qui ôta les mains de ses oreilles. Nous entrâmes donc dans la salle, avec les Cullen et notre arrivée provoqua un flot de murmures admiratifs, tandis que la masse des élèves plus ou moins bien déguisés, s'ouvrait devant nous comme la mer rouge devant Moïse.

- C'est le moment de voir si tu as retenu la leçon, me dit alors ma compagne sans paraître le remarquer.

Ce fut à mon tour de grimacer. Pendant qu'elle tentait de m'apprendre cette danse, je lui avais marché sur les pieds un nombre incalculable de fois. Même si elle avait la peau aussi dure que la pierre et qu'elle ne pouvait pas avoir mal, me montrer si maladroit m'ennuyait profondément. Pourtant, j'obtempérais.

La prenant par la taille, je commençais par suivre la mesure, les yeux rivés sur nos pieds afin de ne pas perdre le rythme du fameux « un, deux, trois » qui constituait cette danse. Mais ma trop belle cavalière ne l'entendait pas de cette oreille et, d'un doigt glissé sous mon menton, m'obligea à lever la tête.

- C'est moi que tu dois regarder, me murmura-t-elle, pas le sol. Tu n'en as pas besoin. Il te suffit de me suivre et de sentir la musique.

La suivre ? Genre « c'est moi qui conduit » ? Génial, voilà qu'elle me piquait mon rôle... Enfin, il fallait bien admettre qu'elle s'y connaissait mieux que moi en la matière. Je n'avais eu qu'à la regarder et l'écouter jouer du piano sans se lasser pendant des heures, pour en être convaincu.

Je pense que je ne m'en sortis finalement pas trop mal, mais je ne fus cependant pas fâché que la musique s'arrête, remplacée par quelque chose que je connaissais bien mieux : un slow.

- Viens, allons dehors, dis-je à Sylane lorsque les premières mesures se firent entendre.

Sans répliquer, elle me suivit et j'apperçus une petite rotonde placée un peu en retrait du bâtiment, vers laquelle je me dirigeais. Nous y prîmes place et, la serrant contre moi en faisant fi, comme toujours, de la température glaciale de sa peau et nous commençâmes à évoluer lentement.

Je laissais le silence s'installer, appréciant l'instant et le fait de l'avoir pour moi seul, puis déclarais :

- Tu sais, j'aurais voulu rester vampire. J'aurais pu rester près de toi pour l'éternité...

Un sourire énigmatique fleurit alors sur ses lèvres et elle répondit :

- Cela tombe très bien. Tu as l'éternité.

FIN