CHAPITRE I

Deux mois. Deux mois déjà qu'ils étaient revenus de leur petit weekend. Appuyée sur le comptoir de sa cuisine, feuilletant distraitement un magasine féminin, elle repensa aux semaines écoulées. A comment sa vie avait pu changer si radicalement en si peu de temps.

Après leur retour, ça avait été la passion, les grandes effusions. Et, comme elle le pressentait, ça n'avait pas duré. Au bout de trois jours à peine ils ne se supportaient plus. Frustration, colère et cris. Il était rentré chez lui. Elle avait été bien contente de retrouver la quiétude de son petit chez elle.

Après tout, on n'efface pas des années de célibat par la simple volonté. Elle aimait le calme et la solitude. Un bon bain chaud et les câlins de sa fille. Elle aimait s'assoir sur son canapé et rêvasser des heures durant. S'évader dans son imaginaire et n'en être tirée que part les pleurs de son enfant. La bercer, la consoler, la choyer.

Lui, il aimait la musique. Son piano, ses guitares. Un bon scotch devant les péripéties d'un groupe de lesbiennes. Il aimait lire et s'évader dans le monde feutré d'une symphonie. Et il aimait la solitude. Elle le comprenait, que trop bien.

C'était ces similitudes dans leurs différences, ainsi que leur inexplicable attraction, qui les avaient amenés à se revoir, à se remettre ensemble.

Voilà où ils étaient rendus, huit semaines plus tard. Et, bizarrement, elle ne s'était jamais sentie aussi bien, aussi épanouie, aussi heureuse. Oui, heureuse. Sa vie avait pris une tournure totalement inattendue. Elle avait adopté la plus adorable des enfants. Puis, elle était retombée dans les bras de son amour de jeunesse. Et avec lui, elle avait créé cette relation anticonformiste, basée sur la liberté et le respect. Elle n'aurait jamais pensé pouvoir accepter un tel compromis. Mais House était House. Et elle avait beaucoup évolué depuis la fac. Trop de peines, de déceptions, de relations qui avaient échoué. Au final, cette relation lui convenait parfaitement.

Chacun vivait chez soi. S'ils avaient envie de se voir, ils s'appelaient. Si l'un n'avait pas envie, pas de scène, pas d'explications. Ils reportaient. Malgré cette apparente absence d'engagement, ils avaient petit à petit créé leurs propres règles, leurs propres limites. Ils se voyaient trois à quatre fois par semaine, parfois moins, parfois plus. Rarement le samedi. Journée de sortie pour House et Wilson, cocooning pour Cuddy et Rachel. Par contre, il ne se passait pas un dimanche sans qu'ils ne se voient, tous les trois. C'était devenu un rituel. Leur moment de « normalité ». Ils allaient au zoo, à la piscine, au parc, ou passaient la journée à la maison à faire de la pâtisserie, regarder des dessins animés… C'était le moment qu'elle attendait toute la semaine. Le jour où les deux personnes qu'elle chérissait le plus étaient réunies. Ça lui renvoyait l'imagine d'une famille modèle, celle qu'elle avait longtemps cherché à avoir.

Enfin, il avait résolu ce fichu cas. Une SEP, pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? C'est vrai que les symptômes étaient atypiques, mais quand même... il enfourcha sa moto. Une seule direction possible. Quarante-huit heures qu'il ne l'avait pour ainsi dire pas vu, et déjà elle lui manquait. Quelque chose ne tournait pas rond chez lui. Comment avait-il pu s'adoucir à ce point ? Il haussa les épaules et accéléra. Le plus tôt il arriverait, le plus tôt il pourrait l'embrasser, la câliner, et plus si affinités... oui, c'était le « plus si affinité » qui le faisait accélérer. Pas la simple envie de la voir, de pouvoir la toucher, d'être avec elle tout simplement. Et voir Rachel. Arrêté au feu rouge, il secoua la tête. Non, vraiment, comment ces deux femmes avaient pu l'ensorceler autant ? Faire de lui un homme qui préférait passer du temps avec sa compagne et son bébé plutôt que de trainer dans les bars et se saouler ? Deux mois qu'il avait renoncé à cette vie de débauche. Les débuts avaient été difficiles, certes, mais ils avaient fini par trouver leur vitesse de croisière.

I Il se gara dans l'allée et fut surpris d'y voir une berline autre que celle de Cuddy. Il retira son casque et s'approcha du véhicule inconnu. Une belle Audi break. Avec intérieur cuir. Certainement pas celle de la nounou. Pas non plus celle de Wilson. À qui alors ? Il scruta un peu plus l'intérieur. Un costume, sortant visiblement du pressing, était couché sur le siège arrière. Son sang ne fit qu'un tour. Il boita du plus vite qu'il pouvait jusqu'à la porte et entra sans frapper. Il fumait de colère. Ils n'avaient jamais établi de règles, mais la monogamie lui semblait être le B-A-BA. Visiblement pas pour tout le monde. Quel con ! Mais ce n'était pas encore le temps des lamentations. Il voulait d'abord la surprendre, savoir qui c'était. Une boule se noua dans sa gorge alors qu'il traversa le hall.

Un cri, une réprimande la sortirent de sa torpeur. Sa mère, assise à table, essayait en vain de donner à manger à sa petite fille. Cette dernière avait la fâcheuse manie de recracher tout ce que la vieille femme lui mettait en bouche. Rachel ne faisait cela qu'avec sa grand-mère. Dix mois et déjà de la graine de filoute, sourit Lisa. Elle s'apprêtait à intervenir quand sa porte d'entrée s'ouvrit. Intriguée, elle se pencha par-dessus le comptoir, pensant pouvoir apercevoir l'invité mystère. Puis, elle entendit le bruit de la canne sur le parquet.

Deux jours qu'elle ne l'avait pas vu. Enfin, en dehors du travail. Elle devait bien avouer qu'il commençait à sérieusement lui manquer. Ses baisers, ses caresses, son humour. Sa présence. Mais ses parents avaient débarqué et elle ne se sentait pas prête à les lui présenter. Dommage qu'il en ait décidé autrement...

Puis le soulagement. Il relâcha son souffle. Cuddy faisait dans la nounou de luxe. À moins que... la femme leva la tête vers lui. Mêmes cheveux noirs bouclés. Même forme de visage. Même intensité dans le regard. Pas de doutes, c'était sa mère. Il la regarda se lever, s'approcher de lui. Et même silhouette! Si Lisa devait ressembler à ça dans trente ans, il voulait bien l'épouser de suite!

Il fut ramené à la réalité par Rachel, qui s'était mise à gazouiller à sa vue. Cuddy mère et fille se tenaient à présent à côté de lui. Sa compagne se leva sur la pointe des pieds et lui donna un chaste baiser sur les lèvres.

« Quoi, c'est tout ? » demanda-t-il en faisant la moue, alors qu'elle reculait d'un pas. « Deux jours qu'on s'est pas vu, et c'est tout ? Je t'ai connue plus passionnée... » La jeune femme lui lança un regard sévère avant de tourner la tête, lui signifiant la présence de sa mère. « Lisa, t'as quarante ans. Je pense que ta mère sait que tu as déjà embrassé quelques garçons. Je suis même sûr qu'elle ne te croit plus vierge. » Ajouta-t-il sur le ton de la confidence. Il se targua d'avoir eu l'effet escompté en voyant leurs mines choquées.

Avec ça, il attrapa sa compagne par la taille, l'entraina quelques pas en arrière dans le salon et l'embrassa à pleine bouche. Il glissa une main le long de son dos avant de la laisser reposer sur ses fesses. Il reçut une petite tape et sa main fut replacée quelques centimètres plus hauts. Il entrouvrit un œil pour voir sa belle-mère les observer. L'incrédulité avait fait place à l'amusement, ainsi qu'à quelque chose d'autre, la fierté ? Il ferma les yeux de nouveau. Ce baiser monopolisait toute son attention.

« Grégory House, je suppose ? » Lui dit-elle en lui tendant la main.

« Cuddy mère, je suppose ? » Répondit-il sur le même ton, en se saisissant de la main offerte.

« Maman, excuse-le, il a eu une dure journée. » Dit Lisa, en posant une main sur le bras de son amant et plantant son regard dans le sien, le défiant de dire quoi que ce soit. « Maman, je te présente le Dr Grégory House. Greg, ma mère, Sarah Cuddy. »

« Oui, j'avais deviné. » Répondirent-ils d'une même voix avant de se défier du regard.

« Alors, ça fait quoi de sortir avec sa patronne ? » demanda Sarah au bout d'un moment, rompant le lourd silence.

« Ça fait quoi de se faire dominer par une gamine de dix mois ? » lui sourit-il faussement, avant de détourner son attention vers Rachel. Il lui caressa le crâne et lui vola une cuillère de compote.

« J'ai beaucoup entendu parler de vous. » Dit-elle en plongeant son regard émeraude dans le sien. « Seulement en mal, rassurez-vous. » Ajouta-t-elle en lui lançant un sourire malicieux.