Titre : Haustier (animal de compagnie).

Auteur : Sahad

Note : La fanfic en elle-même n'est pas terminée mais j'avais envie de vous faire un petit cadeau en attendant la suite de "An deine Stimme" et aussi parce qu'il y a du nouveau: je déménage à Paris! Eh oui, j'ai trouvé du travail là-bas alors le temps du déménagement, je réfléchirai à la suite d'AdS et préparerai le chapitre 2 de celle-ci pour le poster.

Bonne lecture !

Chapitre 1 : Cadeau empoisonné.

« Un cadeau que l'on vous fait et que vous ne pouvez pas refourguer est un cadeau empoisonné. Donc un animal de compagnie est un cadeau empoisonné.» (ndla : Merci à mon ami Vincent pour cette remarque hautement philosophique qui m'a bien inspirée).

Nous avons tous une vie compliquée, certains la vivent mieux que d'autres, c'est tout. Moi, je fais partie de ceux qui la vivent bien, je pense. J'ai vécu avec ma mère depuis que je suis petit, mes parents ayant divorcé lorsque j'avais trois ans. Je ne me souviens pas du visage de mon père, ni de celui de mon frère jumeau qui est parti avec lui dans une autre ville. Mais ce détail, je le sais parce que ma mère me l'a dit, parce que sincèrement ce frère et ce père ne me manquent pas : je ne les ai jamais vus, même pas en photo, ce sont juste de parfaits étrangers pour moi. Ce que je ne connais pas ne peut pas me manquer.

Aujourd'hui, je vis seul dans un appartement, j'ai vingt ans et je suis en troisième année d'école de commerce, la future élite paraît-il. J'aurais préféré faire du dessin ou autre mais les débouchées n'étaient pas au rendez-vous. Bon, et j'avoue que je me suis fait baiser la tête par un ancien élève de mon lycée qui était venu nous présenter son école, ça avait l'air bien... Seulement l'air. Je ne déteste pas non plus, ce n'est pas comme si c'était bien compliqué et je profite de mes bons résultats pour m'habiller un peu comme je veux. Personne ne trouve rien à y redire. De toute façon, je préfère rester seul ; les autres me félicitent constamment ou me méprisent, mais je m'en moque : ce ne sont que des camarades de classe, et puis j'ai des amis en dehors de l'école. Mes journées se limitent à me lever, me préparer, aller en cours, sortir peut-être pour parler avec des amis que j'avais avec moi au lycée, et rentrer chez moi pour travailler et dormir. Et ça me convient tout à fait.

Certains diront que je suis hautain, distant, etc. Il faut dire que je ne laisse personne entrer dans ma bulle, ils n'ont pas besoin de connaître mon vrai moi et je ne suis pas assez faible pour leur montrer autre chose que le gars sûr de lui qui réussit tout ce qu'il entreprend.

Ma vie est plutôt tranquille et cela me va, je n'aime pas les complications, les prises de tête, d'où l'intérêt de vivre seul, sans colocataire. Mon propriétaire n'est pas casse-pied, il s'occupe simplement d'entretenir la résidence, râlant ci et là mais sans plus. En fait, je pourrais dire que ma vie est sympa, enfin je le dirais sûrement si elle n'avait pas basculé en une heure. Pourquoi ? Vous êtes-vous déjà demandé si Dieu existait et s'il avait une véritable dent de castor contre vous ? Parce que c'est exactement ce que je ressens, là, maintenant, tout de suite en fixant le vide, téléphone à la main, une espèce d'énergumène à mes côtés. Mais pour que vous compreniez le pourquoi du comment, je vais remonter un peu dans mon histoire, à la sortie des cours...

OoOoO

« Hey, Bill ! »

Je me retournais à l'entente de mon nom, cherchant vaguement qui pouvait bien m'appeler comme ça ; plissant légèrement les yeux, je distinguais une silhouette gesticulante que je reconnus tout de suite sans le moindre effort : Andreas quelque chose, blond décoloré, cheveux mi-longs (pour un homme) coiffés en pétard version manga, t-shirt noir banal, veste blanche banale, jean bleu banal, un fêtard excentrique aux résultats moyens, se pointant de temps à autres en cours et sentant parfois l'alcool à plein nez. En bref : totalement inintéressant. Lâchant un profond soupir, je me détournais pour reprendre mon chemin mais c'était sans compter l'irritante ténacité de mon vis-à-vis qui arrivait à ma hauteur :

« Hey, Bill, comment tu vas ? »

« Bien jusqu'à il y a peu. » répondis-je sur un ton aussi détaché que de coutume.

« Dis, on pensait faire une fête pour l'anniversaire d'Aline, ce soir, dans un bar. Tu te joins à nous ? » me demanda-t-il.

« Non, désolé. J'ai du travail. » lâchais-je dans un soupir. « Une autre fois. »

« Oh, allez. T'es premier de promo, c'est pas comme si t'avais du mal en cours. » gémit-il.

« Non et je n'ai pas l'intention de suivre ton exemple. »

Sur ces quelques mots, j'accélérais l'allure, haussant mentalement les épaules à la remarque de l'un de ses amis qui affirmait que c'était ce genre de comportement qui le poussait à détester les grosses têtes. Etait-ce de ma faute si je n'avais pas envie de devenir aussi stupide et incapable qu'eux ? Non. Alors quelle importance ? Je classais mentalement cette anecdote dans le dossier poussiéreux de ma vie et avançais d'un bon pas pour rentrer rapidement chez moi, saluant d'un signe de tête les commerçants du coin sans vraiment les voir. Apercevoir ma résidence était comme un salut, j'entrais en saluant brièvement le concierge et montait les escaliers jusqu'à mon étage, entrant la clé dans la serrure et pénétrant dans mon appartement.

Cet endroit était tellement plus relaxant que cette école où ils semblaient faire un concours de celui qui m'ennuierait le plus. Je me reposais dans le canapé lorsque j'entendis tout à coup quelqu'un frapper à ma porte. Lâchant un profond soupir, je m'extirpais tout de même de mon refuge douillet et allais vers la porte que j'ouvris.

« Salut. »

Je haussais un sourcil. J'avais devant moi une drôle de vision, à savoir un garçon probablement de mon âge ou pas loin, vêtu comme s'il était passé dans un magasin spécial surplus pondéral exponentiel alors qu'il ne devait pas être plus gros que moi, bandeau et casquette vissés sur le crâne laissant échapper à l'arrière de son crâne des boudins filandreux entre le blond foncé et le châtain. Il avait un sac dans le dos et affichait un grand sourire qui mettait en valeur le piercing qu'il avait au coin gauche de la lèvre inférieure. Je restais un moment à le fixer avant de soupirer :

« Désolé, j'achète rien, je ne vends rien et je n'ai pas d'argent pour les œuvres caritatives, au revoir. »

J'allais refermer la porte lorsqu'il m'en empêcha, posant son pied au bas de la porte et la retenant de sa main. Je fronçais les sourcils et rouvrais pour enguirlander ce type pour ses manières scandaleuses mais mes yeux n'eurent que le temps de le voir se faufiler sous mon bras. Mais... Mais c'était qu'il entrait dans mon appartement sans y être invité, ce zouave !

« Eh ! » lançais-je.

« Uwa, il est cool ton appart ! » s'extasia mon interlocuteur.

Mais c'est qu'en plus il ne m'écoutait pas, cet abruti ! Délaissant mon habituelle indifférence, je m'approchais en quelques enjambées de cet hurluberlu qui se trouvait dans MON salon et lui agrippait l'épaule pour le retourner vers moi :

« Eh ! J'te cause ! Tu te prends pour qui pour débarquer comme ça chez moi ? »

« Ah, désolé. » sourit-il toujours, me regardant en haussant une épaule pour réajuster son sac. « C'est juste que c'est super chez toi. »

« Et t'es qui, au juste ? » me sentais-je m'énerver.

« Ton nouveau colocataire. » sourit-il de plus belle.

Pardon ? Je le regardais avec de grands yeux. Etait-il stupide ou s'était-il trompé ? Je n'avais jamais demandé à avoir de colocataire ! Aussi, je le lui faisais gentiment comprendre qu'il s'était plus que probablement trompé d'appartement, ce qui le laissa perplexe à peine quelques secondes :

« Bah, tu es Bill Kaulitz, non ? »

« Et alors ? » grognais-je. « Ce n'est pas parce que tu connais mon nom que ça va changer la donne. »

« Si, si, je viens squatter chez toi. » m'assura-t-il à nouveau.

« Pardon ? » je commençais sérieusement à croire qu'il le faisait exprès.

« Suite à un petit souci financier du Vater (père), je suis venu vivre chez toi en attendant que les choses aillent mieux. » il dut voir que je ne percutais pas car il ajouta. « C'est ta mère qui m'a donné ton adresse. »

J'en restais bouche bée : comment était-ce possible ? Il devait y avoir une erreur quelque part. Lui sommant de ne pas bouger de là, j'agrippais le téléphone et composais le numéro plus vite que je ne l'avais jamais fait. Cette insupportable tonalité m'exaspéra, semblant durer des heures, lorsqu'enfin elle répondit :

« Simone Kaulitz à l'appareil. »

« Tu peux m'expliquer pourquoi y a un type que tu as gentiment invité à squatter chez moi ? » lançais-je sans le moindre préambule.

« Oh, Bill ! Comment vas-tu, mon poussin ? » la Terre entière avait-elle donc décidé de se moquer de moi ?

« M'man, répond à ma question ! » grondais-je.

« Ben, vous n'avez pas fait connaissance ? » sembla-t-elle s'étonner. « C'est ton frère. Ton père a eu un souci d'argent et donc Tom n'a nulle part où aller pour le moment. Je dois partir quelques semaines donc je l'ai envoyé chez toi. »

« Quoi... ? »

« Je dois y aller, mon poussin. Amusez-vous bien. » et elle raccrocha.

Veuillez redresser vos sièges et attacher vos ceintures, s'il vous plaît. Nous venons de subir une brusque dépressurisation. Je crois que c'est là que je suis remonté dans le temps pour vous expliquer la situation ; en ce moment-même, je fixe un point dans le vide, téléphone à la main, une espèce d'énergumène à mes côtés et pour seule compagnie la tonalité de la ligne... Il me faut du temps pour bien tout comprendre et mettre les informations bout à bout dans ma tête. C'est ce moment-là que choisit ce mec pour me parler :

« Désolé, j'ai dû un peu t'embrouiller, mais c'est que je n'ai pas l'habitude de dire ma ou notre mère. »

Enfonce encore le clou, il n'était pas rentré assez profondément. Je repose le téléphone en soupirant, une seule vérité bien en tête : mon frère, le Christ ou le père Noël, peu m'importe, ce type ne restera pas dans MON appartement. Je me lève presque d'un bond qui le fait sursauter, l'empoigne par le vêtement et le raccompagne avec l'amabilité d'un buffle en colère vers la porte d'entrée qui, en l'occurrence, sera une porte de sortie pour lui. Comprenant rapidement mon intention, il me lance :

« Eh, qu'est-ce que tu fais ? »

« Je te vire de chez MOI. » réponds-je.

Plus la réponse est nette, courte et simple, moins il y a de risque d'incompréhension. J'ouvre la porte et le jette dehors avec son sac. Il me fixe quelques secondes avec surprise et incertitude, mais ça ne m'arrête pas pour autant et je lui referme la porte au nez. N'importe qui aurait eu des scrupules à agir de la sorte, pas moi. Je soupire et retourne dans le salon, me laissant tomber dans le canapé, en silence... J'ai mal à la tête.

Je me lève pour aller dans la cuisine et me sers un verre de vin blanc moelleux grec. Je ne sais pas pourquoi, mais ça a toujours eu le don de m'apaiser pour que je puisse réfléchir tranquillement... Je regarde l'heure et me lève pour commencer à me cuisiner quelque chose. Jamais de grande cuisine, je n'en ai pas la patience. Ce soir, ça sera spaghettis à la carbo et puis c'est tout.

Le souvenir de ce type me revient à l'esprit et je demeure un moment à regarder l'eau qui boue. Ma mère a dit que c'était mon frère... A présent, j'arrive à mettre un visage sur ce nom : Tom. C'est la seule chose que j'ai toujours su au sujet de mon frère jumeau... Enfin, je suppose qu'on dit jumeau parce qu'on est né le même jour parce que je ne ressemble quand même pas à ça ! Je frissonne encore en pensant à ses dreads, qui sait ce qui pourrait grouiller dedans ! Je secoue la tête et me reconcentre sur ma cuisine, je ne suis déjà pas un astre des fourneaux, il ne faudrait pas que je m'empoisonne en plus. Lorsque c'est prêt, je me sers une assiette et commence à manger, savourant le silence et la quiétude de mon chez moi.

Une rapide vaisselle et je me vais me pencher sur mon travail. Non pas que les cours soient particulièrement fascinants, mais j'aime assez aller en cours et savoir de quoi on parle : c'est déjà difficile de suivre alors je tente au moins de rester éveillé. Lorsque je relève le nez de mon ordinateur, il est deux heures passées... Ma nuit sera encore courte. Bah, pas plus que d'habitude en fait. J'éteins mon ordinateur, me démaquille et vais me coucher.

OoOoO

Un son comparable à une fanfare me réveille en sursaut et je me masse péniblement le visage : c'est mon réveil. Ce qui me sert de sonnerie, c'est la radio réglé sur plein volume ; un réveil assez horrible, je vous l'accorde, mais sinon, je ne me lèverais jamais. Je m'extirpe péniblement du lit et vais me glisser sous la douche, savourant les bienfaits de l'eau chaude : il n'y a rien de mieux le matin. Ceci fait, je m'habille et me maquille. Beaucoup de personnes trouvent ça bizarre et complètement débile mais moi, je préfère être maquillé : mes yeux ressortent plus et je n'ai pas l'impression d'avoir des tous petits yeux version junky mal réveillé.

Une fois que j'ai fait quelque chose qui me plaît assez, je regarde l'heure... Il me reste encore un peu de temps avant de devoir partir pour aller en cours. Je vais dans la cuisine et me prépare mon petit déjeuner, pas grand-chose, des tartines, juste de quoi tenir jusqu'à la pause de midi. Un rapide lavage de dents et je sors de chez moi, mais à peine ai-je ouvert la porte que je m'arrête net : il est là.

Allongé à même le sol, son sac en guise d'oreiller, il dort. Il n'est quand même pas resté devant chez moi toute la nuit... ? Il serait mort de froid ! Bon, peut-être pas, mais il fait quand même bien froid la nuit en cette saison. Je m'approche, l'appelant doucement :

« Eh... »

Il ne réagit pas. J'avance ma main pour toucher la sienne mais la retire presque aussitôt : la sienne est glacée ! C'est pas vrai... ! Je le secoue par l'épaule et ne parvient qu'à avoir un faible grognement de sa part. Mais pourquoi il n'a pas été dans un hôtel ou dans une auberge de jeunesse, ce crétin ? Je regarde l'heure : je vais finir par être en retard en cours... Mais je ne peux pas le laisser là, si ? Je reste un moment indécis avant de me décider en soupirant profondément : je le redresse comme je peux et, dos à lui, je passe mes bras sous les siens pour le soulever et le tirer vers l'intérieur. Il n'est pas gros mais ce n'est pas simple pour autant. Je lui retire ses chaussures et le tire à nouveau jusqu'au salon où je le dépose dans le canapé. Bon, je fais quoi... ?

Je le regarde un moment, il tremble... Bon, on va commencer par une couverture. Je vais dans ma chambre et prend une couverture que je garde depuis que j'ai emménagé : ma mère me l'avait donnée au cas où j'aurais des visites. Elle n'a pas souvent servi, jamais en fait, mais là, j'en ai besoin. Je reviens au salon et lui mets la couverture dessus ; ceci étant fait, je le frictionne un peu, me souvenant vaguement d'un reportage que j'avais vu à la télé. Bon, je ne l'ai pas retrouvé sous une couche de neige mais je suppose que ça doit être le même principe. Lorsqu'il s'est bien réchauffer et que j'ai mal au bras, je l'observe un peu : il ne tremble plus autant qu'avant, il a juste l'air de dormir normalement... Je baisse les yeux sur ma montre :

« Merde... ! »

Je prends mes affaires et regarde encore une fois ce mec... Je peux pas le laisser comme ça... Je reviens, prends un stylo et un post-it puis griffonne un rapide message ; je n'ai pas le temps de faire plus alors allons droit au but :

''Je t'ai trouvé dehors. Je suis en cours. Touche à quoique ce soit et je te tue en rentrant. Bill.''

C'est suffisant. Je prends mon sac et sors en courant, refermant la porte à clé derrière moi avant de me remettre à courir. L'école n'est pas très loin mais je n'aime vraiment pas arriver en retard. Je cours à en avoir mal aux poumons et aux jambes, ce n'est que dans l'établissement que je m'arrête pour souffler un peu, notant dans un coin de mon esprit que c'est probablement pour cette fatigue et cette impression d'étouffer que je n'aime pas le sport. Je rejoins rapidement ma classe et suis soulagé d'arriver juste à l'heure.

Le professeur de marketing commence à faire son cours. Je l'écoute quelques minutes avant que mes pensées, comme à leur habitude, vaquent vers d'autres sujets : comment va ce type ? Je l'ai laissé chez moi donc il est à l'abri du froid mais est-ce que je me suis assez occupé de lui ? Est-ce que je vais le retrouver dans le coma en rentrant ? Et s'il meurt, je fais quoi ? Oh là, stop ! On ne va pas commencer à flipper pour rien. Si ça se trouve, il va très bien... Bon, peut-être juste un peu malade... ? Et zut. C'est de ma faute... ? Bon, à moitié, on va dire. Et merde ! Et ma mère qui part en voyage à ce moment-là, elle ne pouvait pas me prévenir, non ? Je veux bien qu'elle soit tête en l'air, mais quand même ! Ou alors elle a voulu me mettre devant le fait accompli parce que j'allais forcément refuser si elle me le proposait ? Je soupire profondément.

« Monsieur Kaulitz, si mon cours vous ennuie, vous pouvez nous épargner votre aimable présence, vous savez. » me lance sèchement le prof.

Apparemment, j'ai soupiré un peu trop fort...

« Excusez-moi, monsieur... » je bredouille.

J'ai horreur de m'excuser, notamment à cause de tous ces regards bovins braqués sur moi ; en plus, on est en promo entière, ce qui me fait 141 crétins qui me fixent avec probablement un large sourire aux lèvres. Enfoirés... Je me tiens tranquille pendant le reste de l'heure, regardant désespérément ma montre. Finalement, si j'avais loupé le cours, je n'aurais sûrement rien raté. A peine le professeur annonce-t-il que le cours est terminé que je prends mes affaires et suis le premier à sortir ; je traverse l'école et en sors rapidement : c'était mon premier et dernier cours de la journée et j'aimerais savoir comment se porte ce type. Pas que je sois particulièrement inquiet, mais j'aimerais quand même m'éviter des ennuis inutiles.

« Bill ! »

Je tourne la tête pour voir Andreas venir vers moi. Mais quel pot de colle ! Il ne comprend pas que je n'ai aucun intérêt à discuter avec lui et que si c'est encore pour une invitation, je vais évidemment dire non ? Je soupire et ralentis mon allure, le laissant me rattraper.

« Hey, Bill, t'as loupé quelque chose hier ! L'anniv' d'Aline, c'était trop sympa ! »

« Ah... » je lève mentalement les yeux au ciel : il ne devinera probablement jamais combien je m'en moque qu'il ait passé une bonne soirée ou non.

« T'as pas un peu de temps libre, là ? » s'acharne-t-il.

« Non. » je réponds instantanément.

« Ah ? Tu fais quoi ? »

Rah, c'est pas vrai d'être aussi curieux ! Je m'arrête, un peu agacé mais surtout, je cherche une bonne raison pour qu'il me fiche enfin la paix. Mais je dis quoi ? Je réfléchis à toute vitesse, pensant à ce mec chez moi qui agonise peut-être sur mon canapé :

« Je... Mon chat s'est blessé hier et j'ai oublié de remplir sa gamelle ce matin parce que j'étais à la bourre. » m'entends-je dire.

« T'as un chat ? » s'étonne Andreas.

« Ouais, un chat errant qui est venu chez moi et que j'ai adopté. » ma capacité à mentir m'effraie parfois.

« Ah ok... Bon, ben, à demain alors... »

« A demain. »

Sur ces quelques mots, je repars au pas de course, le distançant rapidement. Je salue à peine le concierge en entrant dans l'immeuble et monte les escaliers quatre à quatre, ne m'arrêtant que devant la porte de mon appartement, le temps de l'ouvrir. Lorsque j'entre, je sens une odeur plutôt alléchante me chatouiller les narines... Qu'est-ce que ça veut dire ? Je m'avance et, entrant dans le salon, remarque que le canapé et vide, la couverture pliée dessus. Tournant la tête, je le vois par-dessus le comptoir américain, debout devant la gazinière, en train de cuisiner. Je n'ai pas le temps de poser ne serait-ce qu'une question car il se retourne et me sourit :

« Ah, bonjour. »

Je ne réponds pas, le regardant plus ou moins sans comprendre : il était à moitié mort lorsque je l'ai laissé ce matin et là, je le retrouve en train de cuisiner dans mon appartement. Bon, en même temps, j'avoue que c'est quand même moi qui ai fermé à clé en partant mais je n'aime que l'on prenne trop facilement ses aises chez moi. Face à mon manque de réaction, il reprend :

« Quand je me suis réveillé, t'étais pas là alors... Je savais pas si tu rentrais manger mais j'ai cuisiné un truc quand même avec ce que j'ai trouvé dans le frigo. »

Je le regarde encore un moment avant de m'avancer et de baisser les yeux sur ce qu'il prépare. Ça sent bon... Je ne sais pas trop si je dois lui demander de quel droit il a fouillé dans mon frigo ou le remercier d'avoir cuisiné pour moi. Mon mutisme semble le déranger car il murmure sur le ton de l'excuse :

« Tu n'aimes peut-être pas ça... »

Je lève les yeux vers lui, il soutient mon regard un moment avant de baisser les yeux sur ce qu'il a fait. Peut-être s'attend-il à ce que je le remette à la porte... Je reste un moment immobile puis, repensant à ce qui m'a accaparé l'esprit pendant tout mon cours, je lève la main et la pose sur son front. Il semble surpris et me regarde sans comprendre, je m'écarte :

« T'as pas l'air d'avoir de fièvre... » je me détourne, allant vers ma chambre avec mon sac de cours sur l'épaule. « Les assiettes sont dans le placard à côté de ta tête. »

Je ne sais plus trop à quoi je pense, d'un côté, je suis un peu rassuré qu'il aille mieux, mais d'un autre, j'ai horriblement envie de le chasser de chez moi : après tout, mon appartement n'est pas un hôtel ! Et puis même s'il s'agit de mon frère, je ne le connais pas. J'ai plutôt l'impression de me tenir devant un parfait inconnu.

« C'est prêt. » m'appelle-t-il.

Mon sac sur le lit, les mains dessus, je reste un moment sans réagir, me demandant encore comment je suis sensé me comporter face à lui. Je soupire et me détourne finalement, le rejoignant à la table du salon qui me sert de temps à autre de salle à manger. Les assiettes fument et l'odeur me met l'eau à la bouche. Ça a vraiment l'air bon...

« Bon appétit. » lance-t-il en prenant ses couverts.

« ... Bon appétit. » je murmure après un moment d'hésitation.

Ma réponse semble lui faire plaisir car il me sourit avant de se repencher sur son assiette. Je prends à mon tour les couverts et goûte. Ce sont des nouilles avec de la viande en sauce... Délicieuses. Je mange de bon cœur, me régalant. Ça ne ressemble en rien à la nourriture que je mange habituellement et j'avoue que ce n'est pas désagréable. Je me sens beaucoup mieux après avoir fini.

« Tu as encore faim ? » me demande-t-il.

« Non. » je réponds. « Merci, c'était très bon. »

« Mais de rien. C'est le moins que je puisse faire alors que tu m'as recueilli chez toi ce matin. » sourit-il.

Ce matin... Je revois lentement les évènements de ce matin qui avaient failli me faire arriver en retard en cours. J'observe un moment de silence avant de lui poser une question qui me brûle les lèvres d'un ton moins aimable :

« Dis... Pourquoi t'as dormi devant chez moi ? Il fait froid la nuit en cette saison, tu voulais attraper la mort ? »

« Ah... » il sourit d'un air un peu gêné. « En fait, je savais pas où aller. J'ai déjà mis au moins deux heures à trouver où t'habitais, alors le reste de la ville... Et je ne connais personne. »

« Bah, tu aurais pu demander à n'importe qui de t'indiquer un hôtel ou une auberge de jeunesse. » je réplique.

« Ben... J'ai que cinq euro sur moi alors si tu en connais à ce prix là... »

J'écarquille les yeux : cinq euro ? C'est tout ? Mais on ne peut pas être aussi fauché quand même ! Il se moque de moi, c'est pas possible ! Je soupire en me massant la tempe, poursuivant mon interrogatoire :

« Et les distributeurs ? Tu vas pas me dire que tu ne pouvais pas en trouver un pour retirer de l'argent. »

« J'ai plus rien sur mon compte. » répond-il. « J'ai essayé d'aider mon père avec tout ce que j'avais mais apparemment ça n'a pas été suffisant. Donc je n'ai qu'un euro sur mon compte en banque. »

J'en reste muet. Effectivement, je comprends un peu mieux l'ampleur des paroles de ma mère lorsqu'elle disait que mon père avait quelques difficultés financières : je n'aurais pas pensé que c'était à ce point-là. Le silence que je laisse planer semble le gêner, il pince un peu les lèvres avant de murmurer :

« T'inquiète, j'ai bien compris le message, hier soir... Je vais trouver un endroit où squatter. Ça ne peut pas être si difficile à trouver. »

Je ne réponds pas, réfléchissant : bien sûr, j'avais eu envie de le mettre dehors au début, mais maintenant que je sais tout ça, j'hésite. Il ramasse les assiettes et va faire la vaisselle, me laissant seul avec mes pensées... Je l'imagine déjà dormir dans un carton au fond d'une ruelle sombre, tremblant de froid comme ce matin ; les réprimandes de ma mère ; un homme inconnu débarquant dans ma vie en prétendant être mon père et m'accusant d'être un enfoiré. Ce que je suis, je ne le nie pas. Mais bordel, c'était quand même pas compliqué de me prévenir un peu avant plutôt que de me lâcher le bébé comme ça sans explications. Je soupire et me masse à nouveau la tempe droite. Il revient vers moi et met fin à mes pensées en posant un billet de cinq euro devant moi ; remarquant très probablement mon haussement de sourcil et mon regard interrogateur, il s'explique :

« C'est pour t'être occupé de moi et pour le repas. »

Sur ce, il laisse le billet sur la table, prend son sac et s'éloigne. Je le regarde partir sans rien dire, puis baisse les yeux sur le billet... Il n'a que cinq euro sur lui et il me les donne alors que je n'ai rien fait pour lui. Je n'allais pas le laisser crever devant ma porte. Quant au repas, c'est lui qui s'est servi... Je reste quelques instants à fixer ce billet avant de claquer ma main dessus en râlant :

« Putain de conscience de merde ! »

Je prends le billet et sors en courant, claquant la porte derrière moi ; je regarde dans le couloir mais ne le vois pas. Je jure et cours jusqu'aux escaliers que je dévale en courant et me précipite dans la rue ; je le retrouve enfin, s'éloignant en marchant, main dans la poche. Pris d'un nouvel élan de je ne sais trop quoi, je le rattrape :

« Eh ! »

Il se retourne, surpris de me voir là. Je prends quand même le temps de reprendre mon souffle et de normaliser ma respiration, ce qui le pousse à parler le premier :

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

« Tiens. » je lui tends le billet de cinq euro.

« Mais... Je te l'ai donné pour... » commence-t-il.

« Ah, s'il te plaît, ne joue pas au con avec moi : j'ai horreur de ça ! » je le coupe. « T'as que ça sur toi alors le donne pas bêtement à n'importe qui parce que tu t'imagines qu'il t'a aidé ! J'en avais rien à foutre que tu dormes dehors ! Je t'ai pris chez moi juste parce que j'ai paniqué de te trouver à moitié crevé devant ma porte ! Arrête de te faire des films ! »

Je m'arrête, à court d'idées et de souffle. Il me dévisage avec des yeux écarquillés, comme choqué. Je me calme progressivement et le regarde toujours, la mine sévère. Je dois avoir l'air de prendre ça vachement à cœur mais si c'est pour le retrouver à dormir encore dehors et le laisser crever pour de bon, j'imagine pas tout ce qui va me retomber sur le coin de la tête après. Je soupire et lui tends toujours son billet ; il ne réagit pas.

« Y en a qui sont morts comme ça, t'es au courant ? » je lance sèchement.

Il hésite encore et tend finalement la main, reprenant son billet. Il a l'air à moitié perdu, ne sachant probablement pas s'il doit me remercier ou, comme beaucoup d'autres l'ont déjà fait, me traiter de connard et partir sans un regard en arrière. J'ai l'habitude, pas la peine de me ménager, en plus, je trouve que c'est une manière très pratique de couper les ponts. J'attends encore un peu qu'il bouge ; il me regarde un moment puis son billet dans la main, il se mordille la lèvre inférieure... Bon, il se décide ? Je ne vais pas attendre jusqu'à la saint glin-glin non plus.

Une vibration me fait baisser les yeux vers mon pantalon, je tire mon portable de ma poche et lit le message que je viens de recevoir : « Dommage que tu ne sois pas resté, on boit un verre. Câline ton chat pour moi, qu'il se remette bien. A plus. Andy ». Je hausse un sourcil à la signature puis efface le message ; c'est vrai que j'ai évité Andreas en lui disant que j'avais un chat errant chez moi... Mais c'est vraiment l'effet que me fait ce gars : un chat errant. Son mutisme me permet de réfléchir un moment, je repense aux images que j'ai eu de ma mère horrifiée par mon comportement et mon hypothétique, et pourtant réel, père en colère... Je soupire. Prend sur toi.

« Bon... » il relève la tête au son de ma voix. « J'accepte de te loger chez moi. »

« C'est vrai ? » s'étonne-t-il. Sa surprise n'aurait certainement pas été moindre si je lui avais annoncé que je venais de voir la vierge en string.

« Oui, mais à certaines conditions. » je reprends. « Je suis pas l'hospice des démunis ni quoique ce soit en rapport avec la charité, alors que ça soit clair : tu restes mais en échange, tu t'occupes de l'appart, ménage, cuisine, vaisselle, etc. Mais pas question de te plaindre ou autre, c'est clair ? »

« Heu... Oui... » il n'a pas l'air de se remettre de sa surprise, notamment face à mon énumération. « En gros, je travaille pour toi et j'ai aucun droit, c'est ça ? »

« C'est ça. » je réponds du tac-o-tac. « Tu es un chat errant que j'ai recueilli. »

« Hein ? » il écarquille les yeux.

« T'es mon animal de compagnie, en somme. » je lâche, croisant les bras. « C'est ça ou la rue. A toi de voir si tu t'en sens capable ou pas. Si tu refuses, c'est ton problème, pas le mien. »

La meilleure façon d'étouffer la culpabilité lorsque l'on propose un truc digne du dernier des enfoirés : rejeter la culpabilité sur l'autre en lui laissant le choix. Après tout, je lui ai proposé mon appartement, ce ne sera pas de ma faute s'il refuse. Il me regarde un long moment, comme hésitant, puis fait la moue en hochant doucement la tête avant de me regarder et d'esquisser un sourire en coin :

« Ok. Je marche. » il me tend la main. « Tom Kaulitz, ton nouveau locataire. »

« Locataire, hein ? » le reprends-je, puis je lui serre la main. « Bill Kaulitz, ton nouveau maître. »

Son sourire se fait amusé. Peut-être ne réalise-t-il pas à quel point je peux être détestable... Je le lâche puis fait un signe de tête, lui sommant sans un mot de me suivre. Nous retournons dans la résidence et montons jusqu'à mon appartement devant la porte duquel je commence à me faire les poches... Je marque un temps de pause avant de me refaire les poches... Non, pas de clés... Je pose sans douceur mon front contre la porte.

« Ça commence bien... »

A SUIVRE...