Bonjour à tout le monde et bonne année !

Voici le nouveau chapitre, j'espère qu'il vous plaira ! Je vous attends en review ou sur la page Facebook pour en parler !

Écrit sur :

Undo, Naughty Boy
When The Lights Go Down, DJ Snake
Hello Seattle (remix), Owl City
God Is A Girl, Nightcore
Lights, Archive
La seule, BigFlo & Oli, feat Kacem Wapalek et Naâman


XXV

Sacha prit trois inspirations rapides, ses paupières battant un rythme effréné alors que ses yeux s'égaraient sur les fenêtres de l'appartement où vivait Flora. Les lumières clignotaient doucement quand elle passait d'une pièce à l'autre et cet étage paraissait respirer suavement, au rythme de ses allers-retours.

Il serra les poings, faisant un pas en avant, puis deux en arrière.

C'était elle qui lui avait demandé vingt-quatre heures de réflexion. Elle lui avait demandé un délai, pour savoir si oui ou non elle acceptait de pardonner son absence, et il avait ravalé ses griefs – lui avait-elle demandé si lui était magnanime envers elle ? Elle avait tout de même choisi de croire Aurore plutôt que lui, il avait toutes les raisons du monde d'être furieux contre elle – lui accordant ce temps comme il le pouvait. Il soupira, secouant la tête.

Il avait appliqué les conseils de Max à la lettre. Il était allé s'excuser et il était un peu de mauvaise foi en prétendant qu'elle n'avait pas évoqué ses propres torts. Ils en avaient longuement parlé, ils avaient pas mal pleuré, aussi et finalement, la gorge sèche et les joues humides, ils s'étaient séparés sur une promesse : « Demain. Donne-moi vingt-quatre heures. »

La réponse lui avait fait mal. Il avait espéré qu'elle lui pardonnerait simplement, et c'était Shaymin qui avait levé les yeux au ciel en ricanant quand il lui avait confié ses mauvais sentiments.

Quand il parlait avec la jeune femme aux cheveux verts, il avait toujours une sorte d'appréhension. Il craignait qu'elle affirmât qu'il était toxique, qu'il était nocif, comme elle le faisait sans la moindre hésitation pour tout comportement qui n'entrait pas dans sa vision du monde. Pourtant, il lui parlait quand même, c'était comme un besoin, il fallait qu'il se violente dans ce genre de discussions. Il avançait, ainsi. Il savait mieux que jamais ce qu'il voulait ou ne voulait pas pour lui et il voulait devenir un homme bien, comme il l'avait murmuré à son père, tant d'années auparavant.

Puis Shaymin avait posé un baiser sur sa joue, prononcé un « tu me manqueras » détaché qui cachait beaucoup de choses et elle n'avait jamais dit ce que signifiait ce ricanement.

Un nouveau soupir le poussa en avant et il passa le battant de l'entrée, gravissant finalement les marches pour frapper à la porte de Flora. Elle ouvrit et lui fit signe de se mettre à l'aise, tandis qu'elle restait au téléphone.

Se faisant le plus discret possible, il obéit, saluant Drew et s'approchant doucement.

— Elle est débordée, dis donc…

— Un groupe a décommandé une date, éclaira l'avocat, et elle a un trou en première partie de soirée un jeudi, donc elle cherche un remplaçant. On ne t'attendait plus, ajouta-t-il en jetant un regard neutre à Sacha.

Mal à l'aise, il se trémoussa un peu sous le poids de cette œillade assassine.

— Je… Dois-je vraiment me justifier auprès de toi ?

— Non. Je ne suis pas bien placé pour te demander de te justifier sur tes erreurs, on en fait tous.

Il referma le livre qu'il consultait et descendit du tabouret où il s'était perché, pour faire le tour du comptoir servant de séparateur entre le salon et la cuisine. Il sortit des tasses et enclencha la bouilloire électrique.

— Veux-tu un thé ? proposa-t-il. La conversation de Flora risque de durer.

— Je veux bien, s'il te plaît, accepta Sacha distraitement. Drew, est-ce que tout va bien, entre toi et moi ? As-tu quelque chose à me dire ? Tu sembles plus distant que lorsqu'on s'est quittés.

Drew papillonna des cils, soupirant légèrement. Il disposa les tasses sur le comptoir, ainsi que la boîte renfermant les sachets de thé.

— Je suis navré. Tellement de choses se sont passées depuis que tu as pris un avion pour Los Angeles que je ne sais plus comment traiter mes amis.

Quand il eut fini son manège, il fit de nouveau le tour et s'approcha de Sacha, le serrant contre lui avec force.

— Tu m'as manqué, murmura l'avocat. Excuse ma froideur, je suis toujours mal à l'aise pour exprimer mes sentiments.

Sacha lui balança une tape dans le dos et laissa un rire soulagé envahir sa gorge.

— Alors, dis-moi, que s'est-il passé ? Je ne m'entendais pas à vous retrouver tous les deux dans le même appartement et encore moins fiancés !

Un sourire rayonnant dévora le visage de Drew et pour la première fois depuis son retour, Sacha eut l'impression que rien n'avait changé.

— Tout a commencé quand ma mère a reçu une lettre anonyme avec une photo de Flora et moi…

Écoutant le récit avec attention, Sacha ne pouvait s'empêcher de noter tout ce qui se trouvait dans son champ de vision : de la bouteille de vin français vide aux partitions abandonnées sur la table du salon, à côté d'un livre qui ressemblait à un exemplaire de la constitution, des chaussures à talons trop chics pour être une paire que Flora portait au quotidien à la veste un peu usée sur l'accoudoir d'un fauteuil qui semblait aussi vieux que confortable, ils avaient l'air bien.

Plus Sacha observait ce cadre, plus il voyait le bonheur qui irradiait de Drew, plus il se demandait s'il n'allait pas retirer sa proposition à Flora. C'était égoïste de sa part de vouloir qu'elle renonce à ce bonheur si différent de ce qu'ils s'imaginaient quand ils étaient jeunes.

Cependant, il ne pouvait pas oublier que les rêves étaient mobiles, qu'ils pouvaient varier et si ce n'était pas le rêve d'enfance de Flora, il n'en restait pas moins qu'il semblait lui convenir.

Après tout, c'était vrai. Elle avait son appartement, un emploi intéressant en partenariat avec son cadet, son fiancé vivait avec elle et lui offrait chaque jour des sourires tellement rayonnants que Sacha était persuadé qu'ils étaient responsables du changement climatique. Comment pouvait-il arriver et s'immiscer là-dedans sous prétexte que son rêve à lui n'avait pas réussi à évoluer ?

— … puis mon père m'a retrouvé. Il a donc décidé de me renier, de me faire passer pour une nouvelle maîtresse afin de financer mes études à Harvard et quand j'ai obtenu mon diplôme, il m'a recruté pour que je sois celui qui s'occupe de son divorce. Il se trouve qu'il ne souhaitait pas rester marié avec son épouse, parce qu'il avait rencontré quelqu'un d'autre et qu'à présent que la cohésion familiale ne pouvait plus être brandie pour le menacer, il avait choisi de refaire sa vie, ou plutôt, je le cite, de la faire pour la première fois, avec son fils adoré et la seule femme qu'il aimera jamais.

Sacha eut un rire familier à Drew.

— Tu t'es bien amusé, durant ce dossier, je me trompe ?

— Énormément, concéda Drew. Flora est venue me soutenir à mon procès. J'ai gagné, bien entendu.

— Bien entendu.

La sensation de bien-être qui se répandait dans son corps, la façon dont il bougeait d'instinct dans cet endroit pourtant si peu familier, l'impression de rentrer à la maison était à la fois ce qu'il avait ressenti de plus réjouissant depuis des mois et de plus terrible.

Il ne voulait pas mettre fin à cette ambiance. C'était au-dessus de ses forces. Il ne pouvait pas retirer ça à Flora, pas après qu'elle eut eu tant de mal à retrouver un confort sans lui. Il attrapa sa tasse et la porta à ses lèvres, avalant une gorgée dans laquelle il chercha comment formuler sa question suivante. Elle n'était qu'à moitié sincère, trop pleine d'une curiosité malsaine qu'il essayait de réfréner.

Il semblait pourtant que certains réflexes et certaines habitudes ne disparaissaient pas en seulement deux ans. Drew sourit, lui coupant l'herbe sous le pied :

— Régis et Ondine, c'est compliqué.

— Je n'allais pas demander, s'offusqua Sacha d'un air courroucé.

Drew ignora l'interruption.

— Ils sont sortis ensemble, pendant quelques mois.

— Je sais, grommela Sacha, on pouvait pas les rater au Rallye Orange.

Et ça l'avait terriblement troublé. Clay regardait toutes les transmissions de la course, parce que « Mademoiselle Waters est une cliente », disait-il en se gonflant le torse d'un air important.

La première fois que Sacha l'avait vue, il avait cru défaillir. Elle avait de la poussière orange sur le visage, des cernes et un sourire invincible. Elle était arrivée dans les derniers, lors de la première épreuve et les reporters n'en avaient eu que pour elle : une femme, riche de surcroît, qui prenait la place de l'homme pour piloter, c'était un potin suffisamment intéressant pour ameuter les journalistes.

Reggie avait simplement posé une main sur son épaule quand il avait remarqué que Sacha ne pouvait plus vraiment respirer.

La caméra avait cadré sur la main de Régis, sur la hanche d'Ondine et son cœur s'était arrêté lorsqu'elle avait saisi les doigts de son ancien ami pour les entremêler aux siens, pour trouver une place toute naturelle au creux de la silhouette du jeune parvenu. Sacha avait finalement fui cette scène, prétendant n'importe quoi d'autre à faire et il avait refusé de parler à Clay.

— Je ne pensais pas que les sports automobiles t'intéressaient, s'étonna Drew en clignant des paupières.

— Pas moi, corrigea Sacha, un de mes colocataires.

Drew l'ignora une nouvelle fois, scrutant derrière pour voir comment se déroulait la conversation de Flora. Toujours au téléphone, elle sillonnait l'appartement, les épaules tendues, guettant la réponse de son interlocuteur.

— En tout cas, ça n'a pas fonctionné. Ils sont toujours fiancés, mais ils s'évitent le plus possible.

Sacha soupira.

— C'est tellement de la merde, ces mariages arrangés.

— Et toi ? As-tu finalement rencontré quelqu'un ?

Sacha regarda en arrière, guettant Flora puis il se pencha en avant en roulant des yeux :

— De toute évidence, je suis toujours amoureux d'Ondine. Et tu ne me feras pas croire que tu ne le sais pas, vu que tu joues des sourcils vers moi depuis qu'on parle d'elle.

Il cligna des yeux, alors que Drew pouffait devant son air choqué. Il se redressa et secoua la tête.

— Ça sonnait pas pareil dans ma tête, je te le jure.

— Qu'est-ce qui ne sonnait pas pareil ?

Flora s'était approchée d'eux et, sans attendre de réponse, elle observa le comptoir.

— Vous auriez pu me préparer un petit truc, tant qu'à faire, râla-t-elle avant de contempler Drew et Sacha, tour à tour. J'ai réussi à trouver des remplaçants, mais ils sont loin d'être à la hauteur. Enfin, parlons des choses sérieuses. J'en ai parlé avec Drew. Je vais te suivre.

Sacha avala sa gorgée de travers, toussota sans élégance et personne ne fit un geste pour l'aider.

— Un an, continua Flora quand il cessa de faire du bruit en s'étouffant.

— De toute façon, je devais me rendre en Europe, précisa Drew. Mes allers-retours incessants et le stress de Flora avec le Clémentiville auraient été incompatibles.

Sacha parut comprendre la fraîcheur avec laquelle Drew l'avait reçu. Elle serait inévitablement passée inaperçue pour quiconque ne le connaissant pas, mais Sacha l'avait vivement ressentie. L'avocat n'avait pas envie que Flora s'en aille, il ne pensait pas un seul instant que leurs emplois du temps auraient été incompatibles. Ses épaules s'affaissèrent d'un coup et il chercha le regard de son ami.

Quand il réussit à l'attraper, il tenta de lui montrer toute son incrédulité, toute sa désolation et combien il n'avait pas imaginé les conséquences d'une telle chose.

Il saisit le regard de Flora et ce qu'il y lut était horrible de tristesse. Il vit qu'elle n'y croyait pas non plus, au discours de Drew, mais qu'elle comprenait qu'il le tienne, afin qu'elle ne renonce pas à ses rêves pour lui, parce qu'il ne croyait pas un seul instant qu'elle devait sacrifier ses désirs pour lui.

Il souhaita, quelques secondes, n'avoir jamais demandé à Flora de les rejoindre. Il avait tellement l'impression de s'immiscer entre eux.

— On repart dans combien de temps ? demanda-t-elle en baissant la tête, sa main cherchant les doigts de Drew à tâtons, pour les serrer très fort.

C'était tout. Drew se détendit et dissimula sa tristesse, le pétillement dans les yeux de Flora redevint de l'anticipation face à cette nouvelle aventure. L'échange n'avait duré qu'un instant si court qu'il aurait tout aussi bien pu ne pas exister et c'était beau tellement ils croyaient l'un en l'autre sans condition.

— Vous me faites vraiment me sentir comme une horrible personne, murmura-t-il, la lèvre un peu tremblante.

Lui n'avait jamais sacrifié pour eux le quart de ce à quoi ils venaient de renoncer.


— Je viens.

La voix d'Ondine résonna dans la rue, ponctuée par le son mat de son sac de voyage tombant sur le sol. Elle vit les yeux de Flora s'écarquiller et Drew faire un arrêt sur image, mais elle ne lâchait pas Sacha des yeux, comme le défiant de refuser qu'elle suive le mouvement.

Elle n'était absolument pas en train de mener une négociation, ça n'avait jamais été son genre. Entre elle et lui, il avait toujours été question de s'imposer, de donner son point de vue plus fort que l'autre et cette fois n'était pas différente des autres, malgré les années.

Elle ne demandait pas l'autorisation, elle ne suppliait pas. Elle confirmait seulement sa présence dans cette nouvelle aventure. Flora secoua légèrement la tête, comme hallucinée et Ondine leva un peu plus le menton, le défi toujours plus haut.

Le froid commençait à tomber, comme la nuit, mais elle se refusa à frissonner.

Ce n'était pas comme ça qu'elle aurait dû expliquer qu'elle voulait être présente pour l'ascension de son amie, ce n'était pas acceptable de montrer ainsi qu'elle croyait en eux bien plus que n'importe qui, mais elle n'avait jamais su utiliser les mots pour exprimer ce genre de choses, alors elle agissait. Elle avait fait sa valise tellement rapidement qu'elle en avait probablement oublié l'essentiel, mais finalement, l'essentiel se trouvait face à elle.

Les minutes s'égrenèrent. Les regards de Sacha et Ondine ne se lâchaient pas, fouillant l'un l'autre au plus profond pour savoir pourquoi, chercher une réponse et il s'agissait ici de la donner sans la dire. La commissure des lèvres d'Ondine frémit légèrement. Un sourcil s'agita de façon compulsive sur le visage de Sacha et lui aussi retint un sourire satisfait. Il n'avait pas espéré autre chose de la part de l'impétueuse héritière. Du ton péremptoire à l'allure désordonnée qu'elle présentait au monde, il retrouvait tout ce qu'il avait regretté de laisser derrière lui. C'était cette fille-là dont il était tombé éperdument amoureux, certainement pas celle qui se décorait comme un sapin et qui buvait du champagne en écoutant du mauvais Mozart.

Son héritière jurait, buvait trop de vodka, fumait des cigarettes trop chères et conduisait comme un pied qui se croit seul sur la route. Son héritière était mal coiffée, mal fringuée, elle se foutait complètement de passer pour une pouilleuse et chérissait sa basse plus que n'importe quel objet dans ce monde. Et elle était là, devant lui, disant des choses tellement évidentes qu'il se sentit hausser les épaules.

— Alors pourquoi tes affaires sont toujours pas dans la caisse ?

Il n'ajouta rien de plus, ce n'était pas nécessaire et personne n'avait besoin de le questionner sur cette décision : ce n'était pas lui qui l'avait prise, c'était elle. C'était toujours elle qui était aux commandes. Se détournant, il laissa son sourire fleurir, jetant un regard dans le rétroviseur pour ne rien rater de la joie pétillant dans les yeux de Flora.

Il avait été difficile pour elle de passer outre. Les deux ans de séparation pesaient sur son moral et la seule chose qu'il pouvait faire était de lui montrer qu'il n'avait pas changé. Et quoi de mieux que de reprendre là où ils s'étaient arrêtés avec l'héritière, entre joutes verbales et sourires détachés ?

Régis s'avança, sortant de l'ombre dans laquelle il se terrait et il saisit Ondine par l'épaule au moment où elle s'apprêtait à monter dans le van.

— Misty, s'il te plaît, je dois te parler…

— Ça peut pas attendre que je revienne ? grimaça-t-elle.

— Parce que tu reviendras ?

Le ton sceptique de Régis arracha une grimace à Ondine et elle eut un vague geste des épaules avant de se tourner vers Pierre.

— Attendez-moi. Je vais chercher deux ou trois choses et en profiter pour voir ce qu'il veut.

Le guitariste hocha la tête et Régis se demanda vaguement où il avait déjà vu ce type. Sacha était revenu entouré de drôle de façon, mais ça lui allait bien, ses nouveaux amis étaient assortis à son nouveau look. Et Flora s'y accordait merveilleusement, alors que demander de plus ?

Ondine lui fit un signe autoritaire et il tourna les talons pour la suivre. Elle marchait vite et il devait forcer l'allure pour la rattraper finalement. Elle ne tourna qu'à peine la tête vers lui pour exiger qu'il parle vite et clair.

— Je sais où est Aurore.

La phrase était abrupte, sèche, et il n'était pas question pour lui de s'écarter une seule seconde de son objectif.

— Elle ne va pas bien. Et je suis responsable de tout ça.

— LSD ? demanda Ondine, à peine surprise.

— Héroïne, contra Régis. Depuis des mois. Je ne sais plus quoi faire.

— Envoie-la en cure, m'enfin, s'étonna Ondine. Pourquoi tu n'y as pas pensé plus tôt ? Tu as accès à mes comptes, tu connais tous les centres où elle a régulièrement fait voyage, tu n'as qu'à prendre une décision.

Énoncé comme ça, cela semblait facile. Il ne lui fallut qu'une seconde pour réaliser que ça l'était en effet. Il cumulait tellement de mauvaises décisions qu'il avait eu peur d'agir comme il le fallait et à présent que sa fiancée lui présentait la solution la plus évidente pour résoudre le souci d'Aurore, il se sentait mal.

— C'est tout ? pressa Ondine. J'ai encore quelques choses à empaqueter avant de partir, donc presse-toi.

— Je suis désolé, Misty. J'aurais voulu… J'aurais voulu… Être capable de ne pas te trahir. De ne pas te mentir.

Elle haussa les épaules et consentit à cesser de darder sur lui un regard si dur. Elle humecta les lèvres, papillonna des cils et attrapa sa main avec lenteur, pressant doucement ses doigts.

— C'est moi qui suis désolée… Notre pseudo histoire d'amour, nos fiançailles… Ça n'aurait jamais pu marcher et j'ai été stupide de m'entêter. Aurore avait raison, c'était égoïste de ma part. J'aurais dû la pousser à quitter Paul pour toi. Vous auriez su vous rendre heureux.

Elle s'approcha doucement, constatant avec surprise qu'il était un peu plus grand qu'elle.

— Pardonne mon égoïsme. J'aurais dû savoir que ton amour pour Aurore ne pourrait pas simplement te passer…

— Tout comme ton amour pour Sacha…

Elle rit légèrement, s'assit sur son lit pour contempler l'endroit.

— Il a suffi qu'il se montre une fois… J'arrivais pas à l'oublier, mais j'avais réussi à isoler le sentiment. Et là, il revient et il est… magnifique… Je savais que je ne pourrais pas faire autrement que tomber de nouveau sous son charme. Et, devine quoi ? Je me sens mieux que jamais. Je sais qu'il y a des trucs à régler et que lui est probablement passé à autre chose, mais…

— T'as besoin de le suivre, pour être sûre de toi. Rien qu'une fois.

— Voilà.

— Tu reviendras ? redemanda-t-il avec un sourire.

Elle détourna le regard. Bien entendu, si ça n'avait tenu qu'à elle, elle aurait réfuté cette idée. Elle aurait expliqué à Régis un plan en trois phases pour expulser Anabel de la place de bassiste et se l'octroyer, faire partie intégrante de Pocket Monsters. Mais les plans fomentés dans ce groupe d'amis n'étaient jamais une franche réussite, alors elle haussa les épaules.

— Je ne peux pas laisser Lily toute seule. Elle serait trop mal et je ne peux absolument pas lui faire ça. C'est une enfant extraordinaire et même si Daisy commence à prendre son rôle au sérieux, je ne peux pas l'abandonner.

— Je comprends. Compte sur moi. Je te couvre.

— Tu es un bon ami, Régis. Et c'était pas ta faute si j'ai mal vécu ce qu'il s'est passé. Et je m'en veux beaucoup plus que je ne vous en veux à tous les deux… Sauve-la, s'il te plaît. Je te laisse un an pour la tirer de cette merde. Utilise autant de ressources que nécessaire. Elle a été ma meilleure amie si longtemps que je ne veux pas qu'elle souffre, même si nos chemins doivent se séparer. Je veux qu'elle soit heureuse. Alors, rends-la heureuse.

— Prends pas la place d'Anabel. Tu veux que je te dise ? Tous les morceaux de Pocket Monsters sont adaptés à deux guitaristes…

Un bruit de klaxon interrompit leur conversation et elle regarda vers la porte, la main sur la poignée de son étui à basse.

— Il est temps pour moi de partir. Prends soin de toi, Régis. Et prends soin de ma Lily. Je te ferai parvenir mon nouveau numéro de téléphone, pour éviter qu'elle ne me géolocalise.

Il n'était même pas nécessaire de préciser qui était cette « elle ».

— Un an, Misty. J'attendrai ton retour.

Sur la pointe de pieds, elle déposa un baiser sur sa joue, puis sur ses lèvres, le sentant sourire tout contre.

— Je t'aime, mon ami, murmura-t-elle.

Elle se détourna finalement et dévala les marches à toute vitesse. Il était temps de partir. Il était temps de retrouver la musique et la suite des aventures qu'elle avait si souvent imaginées dans sa tête. Elle ne prit qu'à peine le temps de se serrer contre Lucario, d'adresser un clin d'œil au major, et elle se jeta dans le van, envoyant un baiser rapide à Drew qui secouait la tête d'un air dépité. Elle devinait déjà quelles galères il était en train d'imaginer quand il devrait signaler sa disparition, mais elle n'en avait cure.

Dans le van, Pierre et Anabel se disputaient déjà pour savoir lequel choisirait la musique et Sacha expliquait à Flora que Lucy les rejoindrait dès qu'elle aurait mis un peu d'ordre dans ses affaires. Il n'y avait pas plus exaltant que partir sans vraiment savoir dans quelle voie on s'engageait. Elle avait le cœur qui battait à cent à l'heure, ses mains tremblaient légèrement, tout comme ses lèvres. Et ça avait sûrement tout à voir avec ce garçon si beau qui chantait à tue-tête un refrain de Beyoncé, repris avec amusement par Flora, puis par les autres membres du groupe qui effectuaient une chorégraphie visiblement rodée.

Quand Anabel la saisit par les épaules pour l'entraîner dans le mouvement, Ondine sut qu'elle avait fait le bon choix. Tant pis si ça devait être compliqué, tant pis si cet instant n'était pas éternel. Dans l'immédiat, elle allait en savourer chaque seconde comme si la suivante n'existait pas, elle chanterait avec Flora, écouterait la basse d'Anabel et papoterait théorie musicale avec Pierre. Et bien entendu, elle se délecterait de chacun des instants passés dans le sillage de cet homme magnétique qui l'avait fait le suivre sur un coup de tête dans une vie qui n'était pas la sienne.

Et putain, que c'était bon d'être comme les autres.


L'amas de jambes et de bras qu'ils formaient à l'arrière du van était sacrément inconfortable. Ils étaient partis depuis quatorze heures et allaient atteindre Chicago quand Ondine se redressa pour tenter de s'étirer et de désamorcer la pointe de douleur qu'elle sentait dans son dos. Pierre avait remplacé Anabel à l'avant du van, mais Sacha conduisait toujours. Il avait refusé par trois fois qu'elle prenne le volant, argüant qu'il y avait un risque non négligeable qu'elle les envoie dans le décor. C'était à peu près à ce moment que Pierre avait commencé à se détendre avec elle et à cesser de l'appeler « madame Waters ».

Ils avaient troqué la radio contre un CD gravé par Pierre et les enceintes du van diffusaient du Linkin Park. Bâillant, elle tapota sur l'épaule du guitariste qui se retourna vers elle.

— Je t'avais vu en concert à Boston, quand t'étais passé. Pocket Monsters a de la chance d'avoir recruté un guitariste comme toi.

Pierre eut un sourire embarrassé et il se retint de jeter un œil sur Sacha, le voyant se tendre légèrement. Il savait que son ami et leader était également venu le voir à ce récital et il ne croyait pas beaucoup aux coïncidences. Il se garda bien de faire la moindre réflexion, de peur de les mettre mal à l'aise et Flora l'avait mis en garde contre les disputes d'anthologie qu'ils pouvaient déclencher sur une simple respiration de travers.

— Peut-être est-ce moi qui ai eu de la chance, lança-t-il. Pocket Monsters est exactement ce que je recherchais. Et toi ? Tu joues, un peu ?

— Un peu, oui, esquiva-t-elle.

— Elle est bassiste, précisa Sacha. Enfin, sauf si elle a eu l'idée stupide d'arrêter.

Ça ressemblait un peu à un compliment et Ondine retint un sourire avant de hocher la tête en direction de Pierre.

— Je joue aussi un peu de guitare. Pas à ton niveau, bien entendu.

— Mais mon niveau est difficilement égalable. Je sais que ça fait un peu prétentieux, mais j'ai conscience que je suis un excellent musicien, le nier ne servirait qu'à humilier ceux qui ont un moins bon niveau que le mien, précisa-t-il en sentant sur lui un regard surpris.

— Effectivement, nier les avantages que nous avons serait stupide, approuva Ondine. J'ai longtemps essayé, mais c'est toujours très mal pris.

— Et c'est logique, intervint Sacha. Ta vie paraît tellement parfaite, vue de l'extérieur… J'dis pas qu'elle l'est, bon sang, Violette est ta sœur aînée et rien que ça montre à quel point ta vie est merdique, en fait. Mais le monde entier ne sait pas que c'est une pétasse autoritaire. Il suffit de voir comment s'est passé le dernier congrès économique de New York, pour s'en rendre compte.

Ondine battit des cils et jeta un regard perplexe à la nuque de Sacha. Elle vit ses oreilles s'empourprer légèrement, Pierre détourna les yeux vers la vitre pour ne pas éclater de rire. Ondine hésita quelques secondes à lui demander comment il pouvait être au courant. L'éclat de voix de Violette n'était sorti que dans la presse économique, les journaux à scandale se désintéressant bienheureusement de tout ce qu'il se passait dans ce genre d'événements barbants. Ce fut la voix d'Anabel qui répondit à cette question, tellement moqueuse qu'Ondine n'osait plus faire un geste :

— Et voici le retour de Sacha Ketchum, spécialiste de la Waters Corp. Heureusement que Richie ne peut pas t'entendre, il aurait probablement sauté en marche.

La bassiste de Pocket Monsters tapota l'épaule d'Ondine pour attirer son regard et la frimousse polissonne qu'elle lui tendit acheva de mettre mal à l'aise le conducteur :

— Si tu avais entendu le sketch qu'il nous a fait à la sortie du bilan annuel de la Waters, avec ses analyses simplistes de comment il aurait fallu gérer les profits… Il a même suggéré que dix pour cent devraient être reversés à diverses associations de sauvegarde de l'environnement, il était à fond.

— Je… À vrai dire, c'est une idée intéressante, nota Ondine en fronçant les sourcils. Je pensais me rapprocher de Space X, parce que l'idée de conquête de Mars est très inspirante, mais Elon Musk est relativement inaccessible, comme mec, il a très peu de temps à accorder aux autres. Cependant, rien ne m'empêche de faire les deux.

Elle attrapa son téléphone et se dépêcha d'inscrire cette idée dans un bloc-notes. Évidemment, il faudrait réfléchir plus en détail au pourcentage, parce que dix pour cent, c'était beaucoup, mais l'idée était tout à fait acceptable, à la fois en termes d'environnement et en termes d'image publique.

Anabel lui jeta un regard perplexe et les épaules de Sacha étaient déjà moins tendues. Il était ravi que la conversation s'éloigne de son intérêt pour la Waters.

C'était la seule façon qu'il avait trouvée de pouvoir prononcer son nom sans que cela paraisse suspect, même si ça n'avait finalement trompé personne. Bien évidemment, Anabel connaissait toute l'histoire qu'il y avait eu entre eux et il faudrait vraiment qu'il lui dise d'arrêter d'essayer de les pousser l'un vers l'autre avec ce genre de petites phrases, parce qu'il n'était pas assez stupide pour penser que ça pourrait marcher.

— Et Richie exagère, enchaîna Ondine. La Waters Corp. est une entreprise parmi les mieux notées en termes de protection des salariés, de redistribution des profits et de justice sociale. On se targue d'être la première entreprise à choisir nos salariés sur leurs compétences, sans tenir compte du sexe, de l'origine sociale, de la couleur de la peau, de l'âge ou de l'orientation sexuelle, et pour cause, nous avons un service dédié à l'anonymisation des CV que nous recevons, donc tous nos salariés sont là parce qu'ils ont les compétences nécessaires, indépendamment du reste. On est présents dans les luttes contre l'esclavagisme moderne, les discriminations et le travail des enfants et–

— Et vous vous en mettez plein les poches, continua Sacha sur le ton agressif qu'utilisait traditionnellement Richie, sur le dos des salariés qui, eux, n'ont pas le fruit de leur travail. Vous, les patrons, vous volez la plus-value des gens qui galèrent et tous ces efforts sont de la poudre aux yeux de capitalistes pour tenter d'étouffer la prise de conscience des prolétaires. Mais quand ils auront enfin conscience qu'ils sont dans la même galère, vous pourrez rien faire contre la révolution qui vous tombera sur le coin du museau.

Ondine se permit un ricanement et dégagea une mèche qui tombait devant ses yeux. Elle n'aurait jamais imaginé qu'un jour, elle écouterait Sacha lui refaire les théories de Marx dans une version hyper simplifiée.

— Calme-toi, Karl, on fera la révolution après le déjeuner.

— C'est toi qui offres ? intervint Flora dans un bâillement.

Ondine eut un sourire.

— Si ça peut te faire plaisir. Et pendant qu'on mange, vous pourrez nous expliquer le programme quand on sera arrivés à Los Angeles, parce que j'avoue que je suis un peu paumée.

— En fait, on l'a expliqué à ceux qui étaient censés être présents, ironisa Sacha, pas à celle qui s'est tapé l'incruste.

— Tu pouvais dire non, si je te dérangeais.

— J'ai pas eu l'impression que tu me demandais mon avis, rétorqua Sacha en serrant le frein à main.

Finalement, il déboucla sa ceinture et ouvrit la portière avec un sourire.

— Et je te préviens, j'ai l'intention de manger comme huit.

— Piètre tentative pour me ruiner, tu ne penses pas ?

Il lui tira la langue en sortant du mini-van, faisant mine de ne pas voir l'air absolument ravi de Flora qui semblait étinceler de joie.

L'ensemble du groupe réussit finalement à s'entasser à une table un peu à l'écart. Ondine avait défait ses cheveux, les ramenant d'un côté de son visage et face à elle se trouvait Sacha qui examinait la carte, donnant un coup de coude à Flora pour lui désigner une ligne sur la carte. Il lui dit quelque chose qui la fit rire et Ondine détourna le regard vers la fenêtre, pour ne pas laisser la tendresse qu'elle ressentait se diffuser dans son regard, la trahissant quant à ses sentiments.

Ses yeux s'attardèrent sur le parking et elle pensa un instant à Violette, qui serait prochainement alertée qu'elle avait quitté l'hôtel particulier. Il n'y avait aucune chance pour que son aînée se mette à paniquer immédiatement. D'un geste de la main, elle convoquerait Drew, Régis et le Major Bob, exigeant qu'ils la trouvent, le plus discrètement possible.

Aucun de ces trois-là ne la trahirait, elle en était certaine.

— Bon.

La voix de Sacha la ramena vers le reste de la tablée.

— Ta présence est un problème, lança-t-il sans prendre de pincettes.

Flora s'insurgea, lui tapant le bras, alors qu'elle hochait la tête en guise d'assentiment.

— Mais c'est vrai, protesta Sacha, elle pose problème ! On peut pas se balader avec Ondine Waters, PDG de la Waters Corp. à je ne sais combien de milliards en guise de groupie des Pocket Monsters.

— Surtout que franchement, t'es pas non plus génial comme batteur, ce serait pas crédible, précisa Ondine avec un peu dédain feint. Mais c'est évident que c'est plus que problématique.

Flora mordilla sa lèvre, la suppliant du regard de ne pas partir.

— L'avantage, enchaîna Sacha, c'est qu'elle est relativement quelconque, l'héritière, quand elle est pas habillée par des créateurs. Comme y a peu de gens qui savent qu'en privé, elle est mal fringuée et mal coiffée, on va pouvoir faire passer Misty pour un vague sosie.

Il se garda bien de dire qu'elle lui plaisait davantage encore quand elle était au naturel et il l'interrogea du regard.

— Je t'emmerde, concéda Ondine. C'est ça ta proposition ? Me faire passer pour quelqu'un d'autre ?

— T'as une meilleure idée ? C'est encore ce qui est le plus sensé, vu ton idée stupide de nous suivre alors que tu as des responsabilités d'adulte maintenant.

— Je la sentais pas, cette année, pour adulter correctement, je ferai ça l'année prochaine, la Waters s'effondrera pas… J'ai Régis et Drew qui assurent l'intermittence.

— Oui, mais il faudra que tu travailles, aussi. On travaille tous en plus de la musique. Pierre donne des cours de guitare, Anabel est barmaid au Rock's, je travaille comme charpentier. Je veux bien payer à la place de Flora, mais je veux pas payer pour toi.

Ondine haussa les épaules, détournant le regard pour contempler de nouveau par la fenêtre.

— Je travaillerai. J'ai quelques compétences tout de même.

— Mais tu ne peux pas mettre en avant ton diplôme, parce que personne ne te croira si tu dis venir d'Harvard.

— Je pensais plutôt à mes compétences en mécanique automobile, s'agaça-t-elle en reportant son regard sur lui. Tu te rappelles, quand même, que mon hobby après la basse, c'est démonter des bagnoles dans mon sous-sol ?

Il eut la bonne grâce de baisser les yeux et Pierre se décida à intervenir.

— Très bien, je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi tu ne prends pas simplement un congé sabbatique – Sacha murmura « problématique de famille » – mais disons ça. Misty comment ?

Ondine haussa les épaules. Il n'y avait aucun nom qu'elle aurait voulu porter plus qu'un autre. Les lèvres d'Anabel frémirent d'un semblant de rire et Ondine se pencha sur la table pour pouvoir la dévisager quand elle remarqua que tout le monde fixait l'autre bassiste.

— Mason, suggéra-t-elle. Misty Mason.

Elles échangèrent un regard plein de sympathie puis l'héritière hocha la tête d'un air convaincu.

— Carrément. La vanne est bonne, je le garde. Misty Mason. Ça va me faire bizarre, mais je pense que je pourrai m'y habituer, contrairement à certains qui aiment beaucoup trop mon nom.

Elle tira la langue en direction de Sacha, il répondit par un « gnagnagna » plein de maturité, aucune répartie ne lui venant. Il était vrai que la plupart des surnoms qu'il lui donnait se référaient à sa condition de richissime héritière. Il allait devoir innover et perdre ses habitudes.

Le restaurant dans lequel ils s'étaient installés passait du RnB et Sacha trouvait ça agréable. Il n'avait pas vraiment l'occasion d'en écouter quand il était à Los Angeles, ses cercles musicaux ne s'étendant pas si loin dans le spectre musical. Sans même faire attention, il commença à chantonner les paroles du tube qui passait, s'attirant le regard surpris de Flora, qui papillonna des cils, ses prunelles pétillant de plaisir. Elle joignit sa voix à celle de Sacha et ils se donnèrent la réplique pendant quelques minutes, le temps d'un morceau.

Quand leurs voix s'éteignirent, le batteur laissa un air ravi s'emparer de sa figure, la tendant aux deux autres membres du groupe :

— Alors, je vous l'avais dit, hein, je vous l'avais dit ?

— C'est vrai que tu chantes bien, Flora.

Autrefois, elle aurait rougi et maugréé que oui, mais pas tant que ça. Cependant, une confiance toute nouvelle pour Sacha s'imprégna sur ses traits quand elle prononça :

— Je suis chanteuse, c'est le minimum, je pense.

Elle ponctua sa réplique d'un clin d'œil vers Pierre qui, ne résistant pas, tendit sa main pour lui ébouriffer les cheveux. Elle se récria un peu, pour la forme avant de dire à Sacha :

— Mais dis donc, depuis quand tu chantes en public, toi ?

Sa réponse fut différée par l'arrivée de la serveuse qui déposa devant chacun les assiettes contenant leurs commandes, ce qui lui laissa le temps de réfléchir à ce qu'il allait répondre. Il ne regardait pas vers Ondine et ça tenait presque de l'exploit que leurs regards se croisent si peu alors qu'ils se trouvaient face à face.

— On m'a forcé, lança-t-il en guise de résumé.

— Qui ?

Outrée, Flora n'avait pas pu retenir son exclamation scandalisée. Elle darda sur Anabel un regard accusateur, promettant mille et une morts à Pierre sans même lui accorder d'attention. Elle n'avait jamais réussi à le convaincre de chanter devant d'autres personnes qu'elle. Elle savait qu'il avait une jolie voix, mais il la détestait et préférait donc éviter de s'en servir pour chanter.

Il secoua la tête, posant une main délicate sur celle de son amie, comme pour la calmer.

— Steve Jobbs.

— Oh.

Sacha avait un air indéchiffrable et Ondine ne savait pas trop quoi penser. Elle se souvenait de Reggie, défait, lui disant qu'il avait de la chance d'avoir ses coéquipiers pour le Tremplin Indigo. Ils se chargeaient de tout, ils avaient réorganisé le groupe rien que pour qu'il puisse faire son deuil sans crainte. Elle pinça les lèvres pour tenter d'éloigner le comportement particulièrement odieux qu'elle avait eu envers son ami de toujours. Elle se promit de lui fournir des excuses touffues et sincères quand elle le verrait.

— Il a fallu changer les différentes tâches quand le père de Reggie est mort.

Ni Anabel ni Pierre ne semblèrent étonnés de cette révélation. Ondine et Flora en conclurent qu'ils savaient qui était Reggie. Sacha continua en tendant son regard vers le plafond, comme s'il évoquait des souvenirs douloureux.

— C'était très compliqué à vivre, cette période. Quand j'ai perdu papa, j'étais mal, mais je pense que Reggie était pire que moi. C'était une vraie boule de regrets, il ne pouvait quasiment plus manger, puis les reproches de sa mère après la mise en terre, c'était… Vraiment, c'était une période terrible. Mais on avait besoin d'un chanteur, vu qu'on ne l'avait plus. Alors je me suis dévoué. Ça a plutôt bien fonctionné et je me suis dit que finalement, tu avais peut-être raison : je ne suis pas un canard enrhumé.

Ondine se prit un coup de pied sous la table alors qu'elle ouvrait la bouche. Elle ravala sa phrase et s'écria :

— Hey, j'allais rien dire, là !

— Je préfère prévenir que guérir, riposta Flora. On est jamais trop prudent avec toi.

Ondine tira la langue et essaya finalement de récupérer un contact visuel avec Sacha.

— Et Reggie ? Comment va-t-il ? Est-ce qu'il… Va-t-il mieux ?

— Oui, je crois, répondit Sacha. Il n'est pas très causant, il évite le sujet de son père, c'est trop dur pour lui. Il n'a pas fait le deuil de ses regrets et de tous ces mots qui ne trouveront plus jamais la bonne oreille, mais… Eh bien, il n'est pas très content de rejoindre la team orphelin de père.

Ondine grinça.

— Ouais, j'aime pas trop cette team, j'aurais préféré rester dans la case fille à papa, si tu veux mon point de vue.

Cette fois, ce fut Sacha qui sursauta et jeta un regard assassin à Flora.

— Mais ça va bien, les coups de pied ? J'allais rien dire, on parle d'un truc grave, là, quand même !

— Même explication que pour Misty. On est jamais trop prudent avec toi.

Ondine et Sacha levèrent les yeux au ciel d'un même mouvement.

— Donc, reprit Ondine pour revenir vers un sujet plus plaisant, quelle est la suite du programme ?

— Beaucoup de route où tu ne conduiras pas, rétorqua Sacha du tac au tac. Puis Los Angeles. Et c'est là que les choses sérieuses vont commencer. Lucy nous rejoindra d'ici quinze jours, elle avait deux ou trois trucs à faire et après on commencera les répétitions. Pour l'instant avec Pierre et Anabel, on habite dans une petite maison un peu cassée. Vous allez voir, c'est super sympa. Quand vous vous serez installées, je ne sais pas trop comment, je te caserai dans un garage où j'ai mes entrées puis nous, on jouera pour être prêts pour la première épreuve.

— Tu savais que la Team Rocket participe, cette année encore ?

Anabel avait pris toutes les précautions du monde pour énoncer cette phrase et Sacha se sentit blanchir d'un coup. C'était une très mauvaise nouvelle, ça. Son ex n'hésiterait pas une seule seconde à révéler la présence d'Ondine à leurs côtés et en plus, c'était pas non plus la plus folle ambiance entre Pocket Monsters et la Team Rocket.

— Leur humiliation de l'année dernière ne les a pas convaincus de renoncer, alors, grogna-t-il. Ça va être problématique.

— Pourquoi ? interrogea Flora.

Ce fut Ondine qui répondit :

— La Team Rocket est un groupe de merde composé de Jessica Wesson, notamment. Ça me fait particulière mal au cul que cette connasse soit en train de réaliser mon rêve.

Anabel éclata de rire.

— Ton rêve, c'était réellement de faire partie de la Team Rocket ?

Ondine baissa les yeux.

— Non, je voulais…

— BREF ! lança Sacha en voyant que les yeux de l'héritière commençaient à se remplir de larmes, la vraie question est : que faisons-nous maintenant ? Misty et Jessie se connaissent et ne peuvent pas vraiment se blairer.

— Ah, qui sait, maintenant qu'on a un ex en commun, on va peut-être pouvoir aller en dire du mal en buvant un thé…

Sacha lui tira une nouvelle fois la langue, le cœur serré. La facilité avec laquelle elle avait énoncé la fin de leur histoire lui laissait peu d'espoir pour la suite. Reconquête, qu'elle avait dit Shaymin, ça semblait totalement pourri, comme projet, à présent.

— Ah le problème, intervint Flora, c'est que même avec tout ton anonymat, tu restes une infinité de fois plus intelligente, intéressante, riche, talentueuse et jolie qu'elle. Donc il y a de grandes chances qu'elle te déteste toujours profondément, d'autant plus qu'effectivement, vous avez un ex en commun, donc qu'il y a moyen qu'elle se mette encore plus en compétition avec toi pour savoir laquelle de vous deux était la meilleure copine.

— Un commentaire de l'intéressé ? demanda Anabel avec une lueur polissonne dans les yeux.

Ma main droite, grogna-t-il. Elle se ligue pas avec ma meilleure amie et mon ex pour me faire chier, elle, au moins.

Ondine hoqueta et regarda Anabel pendant que Sacha jurait, se rappelant soudainement que la première parlait le français. Flora écarta tout ça d'un geste de la main :

— De toute façon, la réponse est évidente et s'il n'est pas d'accord avec moi, il y a de grandes chances pour que je le frappe. Bon, on fait quoi, pour cette stupide erreur de la nature ?

— De toute façon, philosopha Pierre, il y a forcément un moment où la famille d'Ondine apprendra qu'elle a disparu. Pardon, de Misty, se corrigea-t-il, si je fais ce genre d'erreur, ça arrivera plus vite que prévu, je suis vraiment désolé.

— Pas de souci, sourit Ondine. Tu as raison. Je propose qu'on fasse comme si c'était normal que je sois ici. Il y a une possibilité que ma sœur mette du temps à laisser l'info sortir, donc que Wesson ne soit pas surprise de me trouver là. Après tout, ça paraît logique que j'accompagne Flora. Le temps que l'information revienne à ses oreilles et qu'elle vende la mèche, peut-être que le Tremplin sera passé, surtout que je vais faire profil bas.

— Et ça passera ? Si facilement ?

Anabel se souvenait d'un jour où elle était arrivée chez elle avec trente minutes de retard. Ses parents avaient déjà alerté toute la famille et ses frères avaient commencé à retourner le quartier à sa recherche. La réaction aurait été la même pour n'importe quel membre de la famille et ça la dépassait de voir des familles aussi désunies.

Il n'y avait rien qu'elle aimait plus que les grandes tablées qu'elle avait vécues en Argentine et ça lui manquait terriblement. Elle s'était réjouie de voir qu'Ondine venait avec eux, pour avoir une personne de plus à table, rien qu'une, pour ce plaisir d'être une dizaine autour d'un même centre d'intérêt, d'échanger, de se voir grandir et évoluer.

— Certaines familles sont compliquées.

Pierre s'évertuait à rester neutre, cependant, lui-même issu d'une grande famille, il ne comprenait pas. Pire encore, il venait de Boston : il connaissait donc la famille Waters et l'image qu'elle renvoyait au public était bien loin de ce que la plus jeune sœur disait. Il était resté coi quand il avait appris qu'elles n'étaient pas trois, mais quatre, que la quatrième était cachée par sa famille parce qu'atteinte d'un retard mental.

Son monde avait basculé. Sa petite sœur avait toujours rêvé d'un jour aller habiter dans cette grande maison qui régnait sur Boston et à présent, Pierre n'avait plus envie d'encourager ce rêve.

Anabel secoua doucement la tête, ses yeux compatissants fixés sur Ondine.

— Bienvenue dans notre famille, Misty, lança-t-elle. On est un peu bizarre, mais pour l'instant, y a que Luxray qui a mordu quelqu'un.

— Et il a aimé ça, précisa Sacha, donc ça compte pas.

Ondine ne comprenait pas vraiment pourquoi cette fille semblait si impatiente de la faire entrer dans leur famille, mais finalement, elle n'était pas mécontente d'y trouver sa place.


— Qui a laissé l'héri– Misty se mettre au volant ? grogna Sacha en ouvrant la porte passager. On va tous mourir, vous vous rendez compte ?

Elle lui tira la langue en tournant la clé, le moteur vrombit et les autres firent semblant de ne pas entendre sa réflexion. Il leva les yeux.

— Non, sérieusement, ça vous dérange pas ?

Anabel bailla longuement, lui faisant signe de se mettre dans le véhicule.

— Y a que toi que ça dérange. On parle d'une nana qui a décroché une bonne place dans un rallye, quand même.

— Être pilote et être conducteur sont deux choses parfaitement différentes, grommela Sacha en s'installant à contrecœur, la vision de la route est différente et le code de la route ne s'applique pas vraiment dans un rallye. Si on meurt tous, ce sera votre faute.

— Ta confiance en moi t'honore, railla Ondine, ça me fait chaud au cœur.

Pour toute réponse, Sacha attrapa son téléphone, farfouillant dans ses photos avant de le tendre à Ondine :

— La dernière fois que t'as tenu un volant, t'as fini comme ça.

L'image la montrait alitée, blessée, couvertes de bleus et de pansement, profondément endormie. Elle commença à bégayer légèrement et Flora se glissa entre eux, un sourire triomphant sur les lèvres :

— Alors comme ça, t'as pris la peine de remettre les photos de Misty dans ton téléphone après avoir noyé le précédent ?

Sacha fronça les sourcils, secouant la tête :

— C'était une sauvegarde automatique, j'ai rien choisi du tout. Ça a même récupéré tous mes contacts, j'ai dû tout… Peu importe.

Flora pinça les lèvres et se réinstalla, le visage fermé. Finalement, Ondine mit le contact, notant que les joues de Sacha avaient rosi. Aurait-il menti ?


Sacha baissa le volume de la musique après avoir changé de vitesse, le regard toujours braqué sur la route. Il avait opté pour un album de musique qu'Ondine connaissait pour l'avoir souvent entendu, quand il avait vécu chez elle quelque temps. À l'arrière, tout le monde dormait, aussi inconfortablement que possible et Ondine bougea légèrement, se tirant de son sommeil et s'étirant comme elle le pouvait.

Par la fenêtre, les roues semblaient avaler le bitume à une vitesse folle et il aurait été facile de se laisser emporter par cette vision hypnotique. Cependant, la musique l'emplissait d'une nostalgie et les œillades furtives qu'elle lançait vers le conducteur finirent par être perçues. Il lui jeta un regard interrogateur et elle haussa les épaules, se déplaçant légèrement, étendant ses jambes le plus loin possible devant elle.

Tant de trajet en voiture la courbaturait. Elle n'avait pas l'habitude de rester autant de temps dans une si mauvaise position. Même lors de ses longs voyages en avion, elle était incapable de rester assise bien longtemps – et Dieu savait que son jet privé était mille fois plus confortable que ce van.

Sacha ouvrit la bouche et elle se tendit. Quand aucun son ne franchit ses lèvres, elle sembla se détendre et il secoua la tête.

— Va-t-on en parler ?

— Non.

Un sourire triste inclina son visage et un voile sombre passa sur ses yeux. Elle ne savait pas exactement ce dont il voulait parler, mais elle pouvait le deviner. Il voulait parler d'eux, de leur histoire à durée limitée. Elle ne souhaitait pas entendre un rejet immédiat : le rêve était trop beau pour tourner court immédiatement.

Il ne prononça pas un mot supplémentaire sur ce sujet, se contentant de la laisser retourner à ses rêveries, les vibrations du van s'accordant à merveille avec les ronflements en provenance de l'arrière du minivan.


Un bâillement contagieux s'étendit dans l'habitacle du mini-van et Sacha battit de paupières pour chasser la fatigue de ses yeux. Ils avaient choisi de laisser Ondine conduire et, sous les vannes d'Anabel qui riait des excès de Sacha, ils étaient finalement parvenus jusqu'à Las Vegas. Le frein à main avait été serré, le véhicule était à l'arrêt sur le parking d'un motel qui faisait face à un casino clignotant.

C'était une ville lumière bien différente de ce qu'était Paris dans leurs imaginaires et les rues semblaient sentir l'argent pur, le jeu et la débauche. Flora avait quitté le mini-van avec Pierre pour aller récupérer les clés des chambres et Sacha se retrouvait coincé dans la voiture avec les deux autres.

Il trouvait le silence pesant, il avait envie de dire quelque chose mais ne savait pas quels mots choisir. Ils seraient à la maison dès le lendemain et sa vie pourrait reprendre son cours normal : le boulot, la musique, l'Indigo.

Anabel bâilla une nouvelle fois, s'étirant comme elle le pouvait puis elle claqua sa main sur l'épaule de Sacha.

— Et Iris, elle passe quand à la maison ?

— Le plus tard possible, grommela Sacha.

Ondine les interrogea du regard et Anabel frissonna.

— Iris c'est une djembéfola qui est tombée sous le charme de Sacha et qui le considère comme un rival en même temps. Elle passe souvent à la maison pour lui réclamer des battles.

— Iris N'Diallo ? hoqueta Ondine. Iris N'Diallo te considère comme un rival ? Mais depuis quand tu pèses autant ?

Sacha haussa les épaules, débouclant sa ceinture, son regard braqué sur le rétroviseur.

— Ça date de mon arrivée, à peu près, c'était avant que je rencontre Anabel. Je sais pas, Iris a décidé que je méritais son attention, mais si tu veux la vérité, son attention est une épine dans le pied.

— Le problème, confirma Anabel, c'est qu'elle vient parfois en pleine nuit pour le défier.

— Beaucoup de ses victoires sont dues à un abandon de ma part parce que je voulais dormir, sourit Sacha.

— Pas que, mais effectivement. Elle avait prévu de passer nous voir pendant notre séjour à Boston. Elle était particulièrement déçue de ne pas pouvoir humilier Sacha une fois encore.

Sacha roula des yeux.

— Elle ne m'a pas humilié, contra-t-il, c'était un peu plus serré que ça. Normalement, elle passera dans trois jours, mais je dois présenter Misty à Clay.

Anabel humecta ses lèvres.

— Ça va poser problème. Tu sais que ça va poser problème.

À travers le rétroviseur, Ondine chercha les prunelles d'Anabel.

— Pourquoi ?

Sacha soupira.

— Clay… Clarence Borgman.

— Mon garagiste à LA, traduisit Ondine.

Elle parut réfléchir un instant.

— Je ne vois pas pourquoi ça poserait problème. Il y a peu de chance qu'il dise à Violette que je suis à Los Angeles.

— Il risque de refuser de te laisser travailler avec lui et c'est chez lui que j'aimerais te caser. Il travaille sur… Non, Sacha, espèce de créature stupide, s'insulta-t-il, ne fais pas ça, évidemment qu'elle sait sur quoi travaille Clay, elle est cliente chez lui, réfléchis avant de faire quelque chose que Shaymin désapprouverait douloureusement.

Ondine tiqua et interrogea Anabel du regard. Cette dernière éclata de rire.

— Laisse tomber, ça arrive souvent. Il fréquente une féministe radicale, ça donne ce genre de choses.

— Elle aussi c'est une épine dans mon pied, commenta Sacha. Je suis bien content qu'elle soit restée à Boston, cette furie. Genre, la nana capable de péter un câble parce qu'une fois, Clay a pris une bagnole de clients pour aller draguer.

Anabel se frotta douloureusement les yeux, alors qu'Ondine ne semblait pas comprendre.

— Quel est le problème ? Je ne comprends pas…

— Il est à plusieurs niveaux, affirma Sacha en prenant une voix de tête. Tout d'abord c'est très mal d'emprunter sans permission quelque chose qui ne t'appartient pas. Ensuite, penser qu'une plus jolie voiture permettrait de se faire mieux voir des femmes est une insulte pour les femmes. Et pour finir, on ne drague pas en klaxonnant des femmes dans la rue et en repassant plusieurs fois devant elles, c'est seulement un comportement malsain et flippant.

Ondine ouvrit la bouche, Anabel pouffa.

— C'est pas faux, en fait, commenta Ondine. Je ne l'avais jamais vu comme ça, mais effectivement, elle a raison.

— Bien sûr qu'elle a raison, soupira Sacha. Le problème, c'est qu'elle le dit avec tellement peu de tact qu'à chaque fois qu'elle explique que je fais quelque chose de mal, je le prends comme une insulte. Et c'est super chiant de la voir passer au peigne fin tous mes agissements… Y a certains trucs, je comprends toujours pas pourquoi j'ai pas le droit de le faire, je ne le fais plus juste parce qu'elle me pète les couilles.

— Donc c'est à elle que revient la tâche de ménager ton ego ?

— Oui. Parce qu'en fait, si je me sens insulté à chaque fois qu'elle me parle, j'aurais pas envie de me pencher sur sa cause. Pourquoi tu poses toutes ces questions ?

— Parce que je suis cheffe d'entreprise. Dans ma vie, je délègue quasiment tout et j'ai aussi délégué le féminisme. Ce sont mes chargés de com' qui font le nécessaire pour qu'on passe pour une boîte ouverte, mais personnellement, je m'intéresse très peu à ces histoires. Je ne me sens pas concernée, en fait, avoua-t-elle avec réluctance.

Anabel pressa ses doigts sur son omoplate, lui tendant un sourire amical.

— On en est toutes passées par cette phase, rassure-toi. Et Sacha n'est clairement pas la bonne personne pour t'initier au féminisme.

Sacha approuva.

— Pour en revenir à Clay, le souci est qu'il risque de ne pas vouloir qu'une de ses clientes mette la main dans les moteurs. Il pense sincèrement que c'est son rôle à lui et rien qu'à lui.

— Il y a une chance de me faire passer pour un sosie ?

— Absolument aucune.

Il sursauta quand la portière côté conducteur s'ouvrit, laissant apparaître Flora.

— On a les clés, on peut y aller ! Donc, Sacha et Pierre, vous êtes à la 56, au rez-de-chaussée, et nous, on va se partager la 143, à l'étage. Pierre est déjà en train d'ouvrir votre chambre.

D'un même mouvement, tous sortirent du mini-van, se dirigeant vers leurs chambres. Sacha leur donna rendez-vous une heure plus tard et Flora se glissa entre Anabel et Ondine, dégainant son smartphone pour prendre une photo.

— Selfie LA ! Je suis tellement surexcitée d'être ici ! Je pensais pas qu'un jour, je verrais ça. Je suis obligée de vous dire que ce soir, on fait péter les robes de soirée et on se fait la nuit de toutes les débauches, comme toute personne à Las Vegas se doit de le faire !

— C'est Drew qui va être content, sourit Ondine à l'objectif.

Flora rangea son portable et tira sur les mains de ses amies, les entraînant vers leur chambre.

— J'ai parlé de débauche pas de traîtrise et de tromperie. Je compte beaucoup boire, beaucoup fumer et beaucoup danser. Et je compte bien tester Anabel sur ses capacités de soirée !

— Alors soit, s'exclama Anabel, si la numéro deux de mon groupe veut me voir danser et picoler, qui suis-je pour l'en empêcher ?

Ondine n'eut pas le cœur de rappeler immédiatement à Flora qu'elle avait arrêté de boire et qu'elle s'y tenait avec une stricte sévérité. La seule exception avait été cette coupe de champagne lors de sa soirée de prise de pouvoir. Elle n'y touchait plus, simplement, elle ne voulait plus jamais retomber dans ce piège.

Quand Flora ouvrit la porte de leur chambre, elle actionna la lumière avec un « tadaaaa » qui finit sur un rire. La pièce était digne de tous les clichés, c'était défraîchi, dépouillé et sacrément moche. Les lits étaient disposés côte à côte et la tapisserie fleurie leur agressait les yeux. Bien loin de refroidir Flora, elle se jeta sur l'un d'eux avec un rire.

— C'est la première fois que je dors dans un hôtel sans Drew, expliqua-t-elle.

Anabel et Ondine partagèrent une œillade et d'un même mouvement, elles se jetèrent à leur tour sur le lit de Flora, ravies d'être présentes également.

L'année s'annonçait merveilleuse, oh que oui.

— Donc on résume, lança Flora. Moi, j'ai Drew. Ondine a Sacha. Et toi, Anabel, qui as-tu ?

Ondine s'empourpra et tenta de nier, sans grand succès. L'autre bassiste laissa un petit sourire naître sur ses lèvres.

— J'ai eu un crush rapide sur Sacha, il y a deux ans, mais sinon, depuis, plus rien. Enfin, y a bien…

Elle hésita et baissa les yeux.

— Enfin, je… Pierre me plaît beaucoup, chuchota-t-elle, mais ça n'a pas l'air réciproque, alors… Eh bien, tant pis. De toute façon, l'amour n'est absolument pas ma priorité. Je pense avant tout à ma musique. Notre musique, compléta-t-elle à l'adresse de Flora.

— Comment Pocket Monsters fonctionne ? demanda Ondine, curieuse.

Anabel se redressa, s'asseyant en tailleur sur le lit.

— Sacha, c'est notre leader. C'est rare pour un batteur, mais bon, c'était encore le choix le plus sensé. Il est parolier, aussi. Pierre compose et arrange, moi je suis bassiste, mais un ou deux morceaux étaient des idées venant de moi. Puis après y a Lucy et Flora. Je ne sais pas du tout comment vous êtes, mais voilà, pour l'instant, chacun peut apporter sa patte à l'œuvre de Pocket Monsters comme il le sent.

— Je sens que ça va me plaire, enchaîna Flora.


À la prochaine !