Disclaimer : Tout ce que vous pouvez reconnaître appartient à JKR. Les quelques 300 premiers mots sont directement tirés des chapitres 34 (Retour dans la forêt) et 35 (King's Cross) du tome 7, « Harry Potter et les Reliques de la Mort ».

Bonne lecture.


Loophole

Harry soutenait le regard des yeux rouges. Il voulait que tout se passe vite, pendant qu'il pouvait encore tenir debout, avant qu'il ne perde le contrôle de lui-même, avant qu'il ne trahisse sa peur…

Il vit alors la bouche remuer,

« … ? »

puis il y eut un éclat de lumière verte et tout disparut.


Il était étendu face contre terre, écoutant le silence, totalement seul. Personne ne le regardait. Personne d'autre n'était présent. Il n'était même pas certain d'être présent lui-même.

Longtemps après, ou peut-être tout de suite après, l'idée lui vint qu'il devait toujours exister, qu'il n'était pas une simple pensée désincarnée. Il était en effet allongé, véritablement allongé, sur une surface dure. Il avait donc conservé le sens du toucher et la matière sur laquelle il était étendu existait également.

Au moment où il parvenait à cette conclusion, Harry prit conscience qu'il était nu. Convaincu d'être seul, il n'en éprouvait aucune gêne, mais il était légèrement intrigué. Puisqu'il pouvait toucher, il se demanda s'il était aussi capable de voir. Il lui suffit de les ouvrir pour se rendre compte qu'il avait toujours des yeux.

Il était couché dans une brume claire, brillante, une brume telle qu'il n'en avait jamais connue. Ce n'était pas comme un nuage vaporeux qui aurait masqué les alentours, c'était plutôt que les alentours ne s'étaient pas encore formés au sein de ce nuage. Le sol sur lequel il était allongé paraissait blanc, ni chaud ni froid. Il était, tout simplement, plat, sans aucun trait caractéristique, rien de plus qu'un support.

Il se redressa en position assise. Son corps ne semblait porter aucune blessure. Il passa ses doigts sur son visage. Ses lunettes avaient disparu.

Un bruit lui parvint alors à travers le néant informe qui l'entourait. Le claquement sonore de talons durs contre le sol s'approchait de lui et, brusquement, il se remémora son récent face à face avec Voldemort. Une angoisse sous-jacente lui fit réaliser que sa nudité, devant ses ennemis, pouvait être une faiblesse; où étaient passés ses vêtements ?

L'ombre d'une silhouette humaine apparut derrière le chatoiement étrange de la brume, comme à contre-jour. Harry plissa les yeux, tenta d'identifier la forme, mais toute recognition lui échappait tant et si bien qu'il tâtonna frénétiquement autour de lui pour trouver sa robe, sa baguette, n'importe quoi.

Un sourire tortueux se découpa sur l'ombre; un sourire qui, l'espace d'une seconde, lui parut fait de circonvolutions sinistres et de déformations malsaines, comme celui d'un étrange Chat du Cheshire humain. Puis ce furent les yeux qui luirent d'un éclat rougeâtre, juste avant que les traits du visage de la silhouette se révèlent en pleine lumière.

« Bonjour, Harry. »

Par un pur effort de volonté, Harry se força à refouler la vague de panique qui menaçait de l'emporter. Il ramena ses mains près de lui, regard strictement neutre, et se releva. Ses muscles étaient crispés d'angoisse, de haine et de confusion, mais il refusa de couvrir son intimité de ses mains et releva fièrement le menton; l'embarras qu'il ressentait à se trouver nu devant son ennemi ne serait pas une arme supplémentaire que l'on pourrait retourner contre lui.

« Tom. »

L'homme devant lui n'était pas le Voldemort qu'il venait d'affronter dans la forêt. Les traits racés, séduisants de son visage rappelaient plutôt ceux du jeune homme d'une vingtaine d'années qu'il avait aperçu dans les souvenirs que Dumbledore lui avait montrés un an plus tôt; pommettes hautes, joues légèrement creusées, posture élégante. Il était grand, mais pas si grand qu'il dominait Harry comme lors de leur précédente rencontre, dans la Chambre des Secrets. Ses cheveux bien coiffés effleuraient ses épaules, ses mains aux doigts anormalement longs effleuraient ses cuisses. Ses yeux étaient noirs, mais on y percevait distinctement un reflet rouge caractéristique.

Et, comme Harry, il était nu; mais contrairement à Harry, il n'en semblait pas du tout embarrassé.

« Quel plaisir de te rencontrer enfin. N'est-ce pas une agréable coïncidence que de se retrouver ici, tous les deux, face à face pour la première fois ? »

Sa voix grave fit frissonner Harry. La menace latente sous le ton aimable, charmeur, n'en était que plus présente. Il serra les poings et refusa de répondre. Le sourire de Tom s'élargit; il s'avança vers lui puis, lorsqu'ils ne furent plus séparés que par un mètre de distance, il se détourna vers la gauche, forçant Harry à tourner sur lui-même pour éviter de lui présenter son dos.

« Bien entendu, toi et moi sommes de vieux amis, Harry… Je connais tout de toi, tes moindres secrets, tes moindres pensées… Comment pourrait-il en être autrement, puisque nous partageons tout depuis maintenant 16 ans ? C'est presque comme si je t'avais fait… »

Harry sentit ses poings se crisper. Il eut beau s'exhorter au calme, la colère si familière commençait à brûler en lui, exacerbée par la confusion qu'il ressentait toujours. Où se trouvait-il ? Que s'était-il passé ? Tom se mit à rire.

« Le chat de ta sang-de-bourbe t'a-t-il mangé la langue ?

- Ne parle pas d'Hermione comme ça ! » gronda Harry, sans pouvoir s'en empêcher. « Tu n'as aucun droit de la traiter de… ça ! »

Le sourire de Tom ne s'effaça pas; en revanche, il vit distinctement ses yeux s'étrécir.

« Aucun droit ? J'ai tous les droits, au contraire. Cette fille est née de parents moldus… ce qui fait d'elle une sang-de-bourbe, bien sûr. Crois-tu pouvoir m'empêcher d'exprimer la vérité ?

- La ferme ! » Harry lança brusquement son poing en avant. Il n'espérait pas réellement toucher son ennemi; en l'absence de sa baguette, il ne lui restait plus que ses membres pour se défendre et il savait déjà que ses jambes, pour la fuite, ne lui serviraient à rien.

Il ne s'attendait pas à ce que Tom se volatilise sous ses yeux; déséquilibré, il battit des bras, évita la chute de justesse. Un doigt froid caressa lentement sa nuque.

« Tu es d'une telle impulsivité, Harry… »

Il se retourna, incapable d'empêcher ses yeux de s'écarquiller. Le rire de Tom lui résonna aux oreilles; un rire chaud, franc, très différent du caquètement aigu qu'il avait toujours associé à Voldemort. Le jeune homme se trouvait derrière lui, nonchalant, comme s'il n'avait pas bronché. Sur son visage était clairement étalée toute la portée de la satisfaction qu'il éprouvait à jouer de son malaise.

Harry sentit une sueur froide naître là où le doigt de Tom l'avait effleuré.

« Que croyais-tu faire avec tes poings ? Tu ne peux pas m'atteindre de cette façon. » déclara-t-il avec suffisance. « Tellement Gryffondor… Sans baguette… sans vêtements… »

Le sourire narquois, presque sensuel que Tom lui adressa le fit rougir malgré lui.

« Tu es aussi impuissant que l'enfant que tu étais quand nous nous sommes… associés. »

Harry sut soudain, sans l'ombre d'une incertitude, qui exactement se trouvait devant lui. Il redressa ses épaules et chassa la peur que lui inspirait son ennemi. Involontairement, sa main monta à la rencontre de la cicatrice sur son front.

« Attends. Tu n'es pas Tom Jedusor. Tu es son Horcrux. Celui qui est né quand Voldemort a tué mes parents.

- Quel garçon intelligent… Cependant, il y a des façons plus élégantes d'exposer les faits, Harry. »

L'index de Tom caressa le tracé sinueux de sa cicatrice. Harry, l'espace d'une seconde, fut surpris de ne ressentir aucune douleur; il recula d'un pas, presque instinctivement. Il n'aimait pas du tout l'attitude sensuelle, presque… charmeuse… qu'adoptait son ennemi envers lui.

« Où sommes-nous ? » demanda-t-il, pour détourner l'attention davantage que pour réellement connaître la réponse.

« Ah, où sommes-nous, en effet ? »

Les yeux de Tom s'éclairèrent à nouveau de cette lueur rouge. Il leva le bras à la hauteur de sa poitrine; lorsqu'il l'écarta de son corps, la brume lumineuse s'obscurcit, se solidifia. Des murs émergèrent du néant, comme s'ils avaient toujours été là; les pieds nus d'Harry trempèrent soudain dans l'eau froide, croupie, qui recouvrait le sol. D'immenses statues reptiliennes s'élevèrent autour d'eux, l'air stagnant le glaça jusqu'à la moelle; ses bras remontèrent d'eux-mêmes et s'enroulèrent autour de sa poitrine frissonnante. Au loin, un écho étrange lui rappela le son d'un énorme robinet fuyant.

« Où sommes-nous ? »

La Chambre des Secrets, allait répondre Harry, lorsque le décor changea à nouveau. Les murs suintants disparurent, remplacés par l'or et vert d'un feuillage d'automne. De grands arbres s'élevèrent jusqu'au ciel et sous ses pieds, le sol se couvrit de terre souple. Le cri strident d'un oiseau surpris fut suivi de battements d'ailes frénétiques. Un coup de vent frais ébouriffa ses cheveux, mais l'impression de froid glacial s'était estompée; à l'extérieur, du moins, car une chape de plomb pesait toujours sur ses épaules. Derrière Tom, une tente de toile verte était installée derrière des buissons, une tente qu'il lui était impossible de ne pas reconnaître.

« … la forêt de Dean…

- Est-ce ta dernière réponse ? »

Les arbres laissèrent place à nouveau aux murs de Poudlard; ceux, clairs et ensoleillés, du grand hall, cette fois. Harry l'avait vu avant de rejoindre Voldemort dans la forêt, mais la bataille qui y faisait rage semblait n'avoir jamais eu lieu. Les grands vitraux étaient intacts, aucun monceau de pierres ne s'accumulait contre le portail et la lumière coulait à flot, comme si c'était le milieu d'un bel après-midi de printemps. Personne n'était en vue; personne sauf Tom bien sûr, qui s'était nonchalamment appuyé contre la porte du placard dans lequel Hermione et lui s'étaient cachés lors de leur aventure avec le retourneur de temps. Tom qui portait désormais l'uniforme noir de l'école, avec sur sa poitrine épinglé l'insigne de la maison de Serpentard. Son sourire aux dents perlées, malicieux et sensuel à la fois, semblait avoir été créé précisément pour le perturber.

Sa confusion fit momentanément place à du soulagement lorsque Harry constata qu'il portait lui aussi son uniforme scolaire; les couleurs de Gryffondor étaient absentes, mais tout valait mieux que d'être incapable de réfléchir à force d'embarras.

« Non. » répondit-il, croisant les bras devant lui. « Je crois… Je crois que nous sommes dans mes souvenirs. »

Tom ne répondit pas, mais son sourire s'effaça lentement. Un sentiment de danger diffus émanait de lui, mais cette fois Harry refusait de se laisser intimider. Il avait déjà vaincu plus que sa part de Horcruxes; s'il ne prenait pas confiance en ses capacités en ce duel, il perdrait et Harry refusait de laisser son ennemi le vaincre. Reprendre l'avantage était une nécessité.

« Attends. Non. Ce ne sont pas mes souvenirs. Je crois que nous sommes dans ma tête. Dans mon imagination.

- Et pourtant je suis bien réel, Harry. Vérifie par toi-même… »

Tom s'approcha de lui, tendit la main. Malgré lui, Harry tendit la sienne, sentit sous ses doigts la paume sèche du jeune homme, sentit sa main se refermer sur la sienne et l'attirer à lui.

« Arrête ! » Harry se débattait maintenant pour se libérer de la main arachnoïde qui s'était emparé de son avant-bras. « Lâche-moi maintenant !

- Harry, Harry, pourquoi toute cette violence ? Que t'ai-je fait pour mériter tant de haine ? »

Il eut soudain l'impression d'être plongé en plein cauchemar; du reste, c'était peut-être le cas. Tom arborait une expression indéchiffrable, dans laquelle il tentait vainement de percevoir un écho de malice; peine perdue, car même l'éclat rougeâtre de ses yeux s'était estompé, avait laissé place à deux prunelles noires insondables à la surface desquelles serpentait une lueur désabusée, presque meurtrie.

« Nul ne peut vivre tant que l'autre survit. » répondit-il platement.

L'un dans l'autre, ça sonne certainement mieux que « je suis Harry Potter, tu as tué mes parents, prépare-toi à mourir »… songea-t-il. Il eut brusquement envie d'éclater de rire; la situation était certainement assez surréaliste pour lui permettre une pointe de folie inusitée, mais l'expression de rage contenue sur les traits raffinés de Tom lui retira toute envie de s'amuser.

« Tu es un tel enfant, Harry… ne t'est-il seulement pas venu à l'esprit que tu étais peut-être déjà mort ? »


À suivre...