So, for once in my life
Let me get what I want
Lord knows, it would be the first time

X

Alors pour une fois dans ma vie

Laissez-moi avoir ce que je veux

Dieu sait que ce sera la première fois


Laisser le temps couler alors que les marques des années brûlées s'incrustent sur mon corps. Le ciel s'assombrit, suite inéluctable, excentricité cyclique et stricte. Le vent s'essouffle, meurt, un calme plat règne, la lumière froide de la lune baigne l'asphalte crevassé longeant Baker Street. Le verre sale de la fenêtre laisse entrevoir mon regard indifférent, insolent. Les bras le long du corps, je fais office de meuble. Sans but précis, sans attentes primaires. Le silence siffle à mes oreilles, mélodie affreuse, opprimante. Au cours de mon voyage, j'ai appris à jouer du violon. Plus par défaut qu'autre chose. Le silence ne m'était plus supportable. Ne sachant chanter, j'ai été dans l'obligation d'apprendre à magner un instrument. Le choix de celui-ci s'est fait de lui-même. Le piano s'est exclu par son prix conséquent et sa proéminence ridicule, la guitare, elle, ne me sied absolument pas. Une connotation sauvage, pauvre enrobant tout entier l'acte de tenir cette carcasse de bois, grattant convulsivement sur les cordes tout en se donnant un air misérable et ténébreux m'apparaissant comme la première des sottises. C'est donc ainsi que mon choix s'est tout naturellement porté sur le violon. Oui, il y a une multitude d'autres instruments. Cependant, celui-ci est à mes yeux, bien plus méritant que ses confrères. Bien évidemment, l'apprentissage a été d'une difficulté obséquente. Il a également provoqué une multitude de grimaces variées et originales chez mon compagnon de voyage. Toutefois, c'est avec une froide détermination que j'ai persisté à faire glisser mon archet sur les cordes, accueillant quelques conseils techniques de la part des joueurs des rues avec l'attention érudite et respectueuse d'un élève acharné.

Une moue enfantine apparaît sur mes traits alors que je me penche sur mon étui. Apprenant mon nouveau loisir par ses ruses et son aptitude malsaine à espionner l'existence d'autrui, Mycroft n'a pas tardé à me faire parvenir un instrument de la plus grande finesse. Si ce violon n'avait pas été un Stradivarius, c'est avec un plaisir non négligeable que je l'aurais fracassé contre un mur. Je caresse le cuir abîmé du réceptacle avec délicatesse avant de déverrouiller la fermeture et de m'emparer du violon ainsi que de mon archet. Douze ans de pratique m'ont permis de devenir relativement bon… Inutile de faire le modeste, je suis devenu incroyablement bon. C'est avec bonheur que je laisse s'envoler les premières notes. Elles se réunissent en une mélodie langoureuse, caressante : le concerto pour violon de Tchaïkovski. Le rythme s'accélère, de longs enchaînements d'une complexité redoublant à chaque temps s'installent et je regrette de ne pouvoir être accompagné d'un orchestre.

Bientôt, des voisins se plaignent, leurs cris étouffés raisonnant en échos avec les notes actives, fraîches qui tournoient dans la nuit. C'est un tapage nocturne des plus ravissants. Un sourire de satyre accroché aux lèvres, je me laisse emporter par le rythme, la joie perverse d'importuner le monde tremblant dans mes membres.


XXX


_Vous avez encore recommencé hier, Sherlock, déplore Mrs Hudson, servant le thé.

Une mimique taquine se peint sur mes traits et je m'empresse de la cacher derrière les dernières nouvelles du Times.

_Vous êtes un enfant, sourit la propriétaire alors qu'elle lève les yeux au ciel.

_Je ne vois pas de quoi vous parlez, je rejette, délaissant mon journal pour goûter une tartine du bout des lèvres.

Hudson allait protester lorsque trois coups sont frappés à la porte. Pas assez hésitants pour être ceux d'un client. Et si le premier coup était vif, les autres au contraire étaient d'une faiblesse dénonçant un certain malaise. Mes yeux suivent la vieille propriétaire dès l'instant où elle se décide à aller ouvrir.

_Oh bonjour ! Se réjouit-elle à la vue de John Watson. Entrez mon garçon !

Le blond lui offre un sourire tendu, forcé et entre d'un pas si mal assuré que je reste étonné du fait qu'il ne se soit pas encore encoublé dans ses propres jambes. Il s'immobilise à l'entrée, inspire fortement et avance à mon encontre. Je le consulte légèrement du regard puis m'en retourne à mon journal.

_Salut, lance-t-il tout en s'asseyant en face de moi.

_Bonjour, je réponds d'une voix neutre.

Mrs Hudson sert aimablement une tasse de thé au docteur qui la remercie chaudement. Le temps s'écoule doucement. Je finis par déposer mon journal, recentrant mon attention sur mon café. Nous petit déjeunons dans un silence tranquille. Les rayons du soleil embrasent la pièce, de petits grains de poussière apparaissent sous chaque trait lumineux. La force de l'instant réside dans sa douceur et son calme presque irréel. Je ne saurais l'expliquer clairement car rien ne l'est si ce n'est ce sentiment alourdissant, cette humeur que l'on ne ressent qu'en se rappelant un souvenir futile mais ô combien agréable. Le blond passe une main lente sur sa nuque avant de déclarer, brisant par ce seul geste cet univers à qui l'on n'avait rien à reprocher si ce n'est son néant engourdissant :

_J'ai rencontré Mycroft hier.

_Il a maigri, n'est-ce pas ? Je m'enquiers mollement, enclin à une certaine digression.

_Oui. Oui, c'est vrai, approuve le docteur prestement, ne voulant apparemment pas s'étendre sur le sujet. Il m'a dit certaines choses.

Je garde le silence. Il n'y a strictement rien à dire. Cet obèse vilain et malveillant ne cessera jamais de ruiner mon existence.

_J'aimerais qu'on clarifie la situation. Je veux dire, tu es le pire connard d'Angleterre. Cependant je te l'ai déjà dit et radoter ne servirait à rien. Je sais pour tout. La… drogue et tout ça. Franchement, Sherlock…

Il passe une main lasse sur son visage et je me demande très sincèrement s'il n'envisage pas de me frapper à un moment ou un autre de la conversation. Il est vrai que je devrais être plus horrifié à l'annonce d'une pareille énormité. D'ailleurs, je le serais surement si cela ne me passait pas mille lieux au-dessus de la tête.

_Tu m'énerves tellement que j'en oublie mes mots. Mycroft a tort de croire en toi avec autant de ferveur.

_Je ne lui ai jamais rien demandé de tel, je me défends.

_Justement ! C'est ce qui le rend bien meilleur que toi. Il mérite tant de choses qu'il n'a pas !

_Il a déjà le gouvernement anglais, de quoi d'autre aurait-il besoin ? Fais-je négligemment.

_De son frère, répond durement le blond. Tu es si bien enfermé dans ton monde qu'il est difficile d'envisager un moment où tu ne penses pas à ta personne.

J'allais répliquer mais me ravise vivement. Peu importe.

_Tu vois ? S'exclame le docteur. Tu le fait encore ! Tu te renfermes !

_Mais qu'est-ce que tu attends de moi ! J'éclate, perdant ma retenue, mon sang-froid.

Watson sourit avant de se pencher en avant, le bas de sa chemise caressant la table entre nos deux corps.
_Ça, répond-il, sa voix délestée de toutes traces de colère. C'est tout ce que je te demande. Un peu de vie. Pas seulement pour moi. Mais pour toutes les personnes qui comptent et à qui un minimum d'attention revient de droit.

_Je ne peux pas, je refuse.

_Alors je t'apprendrai, persiste le docteur, son visage à présent si proche du mien que son souffle atterrit sur mes lèvres entrouvertes.

_Ce n'est pas aussi simple, je souffle, mes iris ancrées dans les siennes.

_Rien n'est jamais simple, déclare le blond comme il fond sur mes lèvres avec une rapidité lente, un oxymore littéral mais délicieux.

Ce baiser me rappelle qu'il est le seul à savoir, à comprendre ce que le monde ne comprendra jamais. Il est l'unique, le seul être capable d'entrapercevoir d'une façon infinitésimal (et c'est colossal) le tourment qui sévit dans mon crâne. Jeune, j'étais convaincu que tout me serait éternellement refusé. J'étais certain que mon existence n'aboutirait qu'à une mort solitaire, dénuée de sens et emprunte d'une folie dévastatrice. J'aime à croire que j'ai eu tort, je voudrais m'accrocher le plus longuement possible à cette perspective qui me promet une once de lumière, un rayon incandescent perdu au sein des ténèbres. Je veux goûter à cette lumière, chaude, juste le temps d'un instant. Je veux être éclairé.

Just shine a light on me.

-Fin-


Et voilà, on y est. Je sais c'est très simple comme fin. Mais c'est ce que je voulais. Merci à tous pour vos reviews, vos favoris et votre attention, c'était génial ! Une énorme aventure, vraiment. Merci.
Peneloo, tu es merveilleuse et j'espère travailler encore avec toi. x3 Merci à tous !

Bisous

A.