Titre : Chutes
Taille : 13,135
Base : Star Wars : La Revanche des Siths, La Guerre des Étoiles, L'Empire Contre-Attaque, Le Retour du Jedi.
Genre : Angst, Romance, Hurt/Comfort
Crédits : George Lucas, Lucasfilm Inc.
Auteur : Kandai
Rating : M
Couples : Majoritairement Anakin/fem!Obi-Wan.
Avertissements : Semi-Univers Alternatif. Genderswap. Multiples pairings abordés et relations homosexuelles féminines assumées (femslash). Violence générale. Major Character Death.

Résumé : Mais ce que les légendes oublient, c'est qu'avant d'être Jedi, elle avait aussi été une femme qui pouvait rire, pleurer et même tomber amoureuse. On dit juste qu'avant, elle s'appelait Obi-Wan Kenobi.

Note : Voilà. C'est la fin de ce long Three-shot. Je viens de faire un marathon pour le terminer parce que je m'en vais dans quatre heures jusqu'à la fin de juillet et du coup, je ne voulais pas partir sans avoir posté quelque chose. FINI quelque chose. Iron Maid est ENFIN fini, Dieu, j'ai cru que je n'en verrais jamais le bout. J'ai un complément à ce Three-Shot en préparation mais j'ignore s'il verra le jour. Considérez-le donc terminé. Cette partie a été difficile, encore plus que la deuxième, aussi.. j'espère qu'elle sera à la hauteur de vos attentes. En attendant, que la Force soit toujours avec vous :)

En espérant toujours,


Iron Maid


— Troisième partie —

Chutes


1.

La chute est brève et dure des années.

Obi-Wan voit toute sa vie défiler pendant ces quelques secondes qui la font plonger vers le sol : elle revoit les moqueries de Bruck Chun, l'ombre de Xanatos, le sourire de son Maître, les lèvres de Siri, les fossettes de Padmé, la voix de Cody et les yeux d'Anakin – Anakin prend tant de place dans sa vie, c'est incroyable, mais elle n'arrive qu'à se remémorer ses yeux avant de toucher l'eau tiède qui gît au fond des crevasses d'Utapau.

Anakin. Anakin, je t' –

L'impact lui fait perdre le reste de sa pensée.

2.

Le monde n'a plus aucun sens.

Que ses Clones – Cody, bordel c'est Cody qui a donné l'ordre de tirer – se soient rebellés contre elle est déjà un fait assez choquant mais que la rébellion soit si massive, qu'ils aient perdu autant d'hommes en si peu de temps, ça la rend presque malade. Vacillante, elle écoute Yoda et Bail discuter de stratégie, de repli sans pouvoir totalement s'impliquer dans leur discussion. Son esprit est étrangement blanc, vide, anesthésié sous le coup de la trahison – elle pensait à ces Clones comme à des frères d'arme, elle se serait tuée pour l'un d'entre eux, Force Toute-puissante, pourquoi se sent-elle si blessée ?

Trahie par la foi qu'elle a mise en Cody, en les Clones, en la République – tout ce en quoi elle croyait, tout ce qu'elle était censé protéger.

L'ironie de la situation lui laisse un goût âcre dans l'arrière-bouche.

Il lui faut un moment pour se rendre compte que ce goût est dû au fait qu'elle s'est mordue l'intérieur des joues jusqu'au sang.

3.

Le temple est en flammes et en ruines.

Tous les Jedi qu'il abritait ont été impitoyablement massacrés, même les plus jeunes Initiés, des bébés à peine sortis de la Crèche. Obi-Wan tremble en voyant les corps et elle laisse ses larmes couler librement quand elle les reconnaît. Le spectacle est d'une horreur morbide et elle a juste envie de hurler, de s'écrouler dans un coin et de souhaiter très fort que ce soit un horrible rêve. Mais elle l'a senti lorsque les tirs de ses Clones – les tirs de Cody ! – l'ont précipité dans le cratère sur Utapau : c'est là sa triste réalité et la Force hurle sous la douleur qui lui a été infligée. Le Côté Obscur est partout et elle sent ses propres forces faiblir sous le choc, sous la souffrance qu'elle ressent en son âme même.

Elle cherche avec une frénésie grandissante le corps de son apprenti à travers les cadavres. Son cœur se serre, attendant à tout instant de voir une tête blond foncé et une cicatrice familière se détacher de la masse grouillante de corps qui jonche le sol du Temple. Nulle part, elle ne voit Anakin – elle croise d'autres visages qui lui brisent le cœur : Bant, Reeft, Luminara, l'un ou l'autre Maître avec qui elle a fait ses classes – oh, Anakin, où es-tu ?

Les jeunes faces sans vie des Initiés sont une vision qui achève de tuer le peu d'espoir qui lui reste.

— Les novices aussi ont tous été massacrés, constate-t-elle avec un remord grandissant. Elle ne veut même pas songer à l'état dans lequel est la Crèche – qui est assez horrible que pour tuer des nourrissons dans leurs berceaux ?

— Et pas par des Clones. Ce jeune… Padawan avec un sabre laser a été tué, répond Yoda, tout aussi écrasé qu'elle par l'ombre du désespoir.

L'étau se resserre autour du Maître, lui coupant le souffle. Soudain, chaque corps de Jedi hurle à la trahison, à l'accusation : c'est un des leurs qui a amené cette ruine, l'un d'entre eux qui a eu assez de lâcheté que pour tuer de sang-froid des enfants. Les Jedi ne se seraient pas laissé faire s'ils n'avaient pas reconnu le visage de leur meurtrier – Anakin, OÙ ES-TU ?

— Qui ? murmure-t-elle, choquée. Qui a bien pu faire une chose pareille ?

Peut-être qu'au fond, elle connaît la réponse.

4.

Anakin.

Anakin. ANAKIN.

Anakin. Son Padawan. L'homme qui a accompagné presque toutes ses missions, qui a plaisanté avec elle, qui l'a embêtée à propos de sa virginité, qui s'est disputé avec elle, qui l'a embrassée, qui l'a…

Son Anakin.

— Non… Non… c'est impossible…

Obi-Wan s'effondre, à moitié évanouie sous le choc, incapable de croire l'hologramme qui joue devant elle la même scène : son ancien Padawan tuant sans pitié des jeunes enfants avant de s'incliner devant Palpatine – Sidious, le traître qui était derrière tout – et la bouche du Chancelier – de l'Empereur – appeler ce même jeune homme qu'elle a vu grandir et entrer dans l'âge adulte avec fierté d'un nom qui lui donne envie de vomir : Darth Vader.

Vader. Pas Anakin.

Jamais Anakin.

Le pire est d'entendre son ancien apprenti appeler l'ignoble créature Maître, insultant en même temps le titre qu'il lui a donné des années durant, insultant sa personne même. Incapable d'en supporter davantage, elle éteint l'holo-projecteur et enfouit sa tête entre ses mains pour laisser libre cours aux sanglots qu'elle ne peut plus contenir. Le regard rempli de compassion de Yoda est plus qu'elle ne peut supporter et sa main réconfortante sur son genou lui donne envie de vomir.

Tout était censé rentrer dans l'ordre après qu'elle ait mis fin aux agissements de Grevious, bon sang ! Il voulait lui dire quelque chose d'important – son mariage, elle avait supposé – mais pourquoi ne l'avait-il pas attendue ? Elle aurait fait en sorte d'arranger les choses, elle l'aurait rassuré, elle l'aurait empêché de se perdre dans sa peur de voir Padmé mourir – elle aurait fait n'importe quoi.

Pourquoi l'avait-elle laissé partir ?

Oh, pourquoi ?

5.

— Demandez-moi d'aller tuer l'Empereur, Maître, et je le ferais. Mais je ne pourrais pas tuer Anakin.

Elle se connaît. Elle connaît ses faiblesses et Anakin est son talon d'Achille. Certainement, Maître Yoda doit être conscient qu'elle échouera dans sa mission. Le regard profond que lui lance l'honorable Jedi la perfore de part en part et une paix triste vient apaiser le visage troublé de son Grand Maître.

— Trop puissant dans le Côté Obscur, Sidious est. Seule le vaincre, tu ne pourras pas.

C'est un acte de merci. Il n'y a guère que Yoda pour être capable de freiner le Seigneur Sith elle ne tiendrait pas cinq minutes face à Sidious. Et elle connaît Anakin, la façon dont il pense et comment il combat, elle sera mieux préparée à l'affronter – c'est simplement le courage qui lui manque.

— Anakin est comme mon –

Obi-Wan s'arrête net, consciente qu'elle est incapable de finir cette phrase. Elle n'a jamais été la sœur d'Anakin, ni sa mère, ni sa maîtresse. Elle a autrefois été son Maître mais ce n'est plus le cas désormais. Il lui a autrefois dit qu'il l'aimait, sous le masque de Reï Hardeen, mais ce n'est plus le cas non plus. Ils ont couché ensemble, une fois, mais cela n'avait aucun… sens. Malgré ça, elle se sent proche de lui, trop proche même. Il n'y a pas de mots pour décrire ce qu'il est pour elle. L'Univers n'a pas cherché à en inventer.

— Un fort attachement pour lui, tu as développé, soupire Yoda. Unique, il est et depuis longtemps, il dure. Objet de débats houleux au sein du Conseil, cette relation entre toi et ton ancien Padawan a fait.

— Maître ? demande-t-elle, sous le choc. Il n'y a pas moyen – quand est-ce que – comment le Conseil a-t-il – pourquoi ne jamais l'avoir confrontée à ce sujet ? Le vieux Maître fronce les sourcils, sa pose redevenue le masque sévère que tous les Jedi lui connaissent.

— Inaperçu, ce lien n'est pas passé. Vous exclure, le désir de certains membres du Conseil était. Tous deux sous surveillance, toi et Skywalker avez été mis. Un manquement grave au Code, ensemble, vous avez commis.

Avec amertume, elle se souvient du baiser qu'un Anakin à moitié ivre lui a donné et auquel elle a répondu, sans honte ni excuse. Elle se souvient du second, survenu après sa mort maquillée, des évènements qui ont suivi et leur séparation abrupte, leur éloignement. Évidemment que le Conseil l'a vu. Prenant une grande inspiration, elle pose la question qui lui brûle les lèvres :

— Pourquoi le Conseil ne m'a-t-il jamais confronté à ce propos ? J'aurais reconnu ma faute, Maître Yoda. Je m'en serais remise à votre jugement sans combattre ni protester.

— Cela, je le sais. Un exemple de droiture, tu as toujours été. Mais un membre trop précieux pour l'Ordre, tu étais. Nous permettre de vous perdre nous ne pouvions pas à l'époque – sa voix se fait étrangement douce tout à coup, une douceur qu'il ne prenait qu'en présence des Initiés – et de te perdre maintenant, je ne pourrais non plus supporter, ma Padawan.

Obi-Wan sent une terrible chape de solitude et de fierté s'abattre sur ses épaules. Elle est une directe descendante de l'héritage de Yoda, le Maître du Maître de son Maître, et elle a toujours maintenu ses standards plus haut que la moyenne acceptée pour se montrer digne de cet héritage – que Yoda l'appelle sa Padawan lui fait réaliser qu'elle est tout ce qu'il lui reste de ces années d'enseignement dispensé. Dispensant un hochement de tête, elle laisse le Maître retrouver son masque de sérénité froide. Après s'être frotté le front quelques instants, il finit par reprendre :

— Puissant, votre lien est. Un espoir pour Skywalker de revenir du Côté Obscur, il y a peut-être.

— Vous pensez que c'est possible ? – Elle n'ose pas espérer.

— Le trouver et le raisonner, tu dois. Mais consciente du danger, il faut que tu sois. Si trop profondément consumé par le Côté Obscur Skywalker est, à tout prix le stopper tu devras.

— Comment puis-je le trouver ? Je ne sais même pas où il est !

— A tes instincts, tu devrais te fier. Mieux que personne ton ancien Padawan, tu connais. A sa place te mettre, tu dois.

Que ferait Anakin, en effet, après une attaque aussi sauvage et sa propre chute dans les ténèbres ? Vers qui se tournerait-il, s'il ne lui fait pas confiance, à elle ? La réponse est presque trop facile.

Padmé.

6.

Elle s'est précipitée chez Padmé pour s'assurer que la Sénatrice allait bien, qu'Anakin n'avait pas osé lui faire de mal. Cette dernière l'accueille avec tendresse et inquiétude, trop troublée pour pouvoir réfléchir correctement. Obi-Wan s'en veut d'être annonciatrice de si mauvaises nouvelles mais elle se sent prête de fondre en larmes quand Padmé la fixe soudain d'un air accusateur – qu'elle a dû hériter d'Anakin – et déclare d'un ton qui n'y croit pas :

— Vous le cherchez pour le tuer.

La Jedi déchue ne prend même pas la peine de nier, les yeux baissés. La révélation semble choquer sa vieille amie qui s'éloigne soudainement d'elle, une nouvelle colère dans le cœur et une tristesse inconnue dans les yeux.

— Comment peux-tu seulement envisager une telle chose ? – Elle ne l'avait jamais tutoyée auparavant mais le fait lui fait hausser les sourcils de surprise – Après tout ce qu'il y a eu entre vous, après… tu serais prête à le tuer aussi simplement ?

La question la choque plus encore et la révulse. Comment peut-elle penser que tuer Anakin est une solution si simple à prendre – une solution tout court ? Elle avance d'un pas, soudain plus en colère que jamais et répond :

— Comment pouvez-vous croire un instant que je combattrais Anakin s'il y avait un autre moyen de le ramener à la raison ? Comment pouvez-vous insinuer que je ne tiens pas à lui, moi aussi ?

Le silence entre les deux femmes se fait de plomb alors que Padmé s'assoit sur son canapé, une main protectrice agrippée sur son ventre et la vie qu'il abrite. Ses grands yeux marron se voilent de compréhension et de tristesse alors que le sens des dernières phrases se précise lentement dans sa tête.

— Depuis combien de temps ? finit par demander la Sénatrice d'une voix chancelante.

— Géonosis, avoue à son tour la Jedi, incapable de comprendre comment elle a pu garder ce secret si longtemps.

Le silence revient, plus persistant que jamais, les yeux de la cadette désormais alourdis par la surprise et la honte. Aucune ne se décide à parler, à briser ce lien si fragile qui les lie encore, qui les lie à Anakin.

— Je suis désolée, souffle la Sénatrice, des larmes sur les joues – et elle brise l'illusion.

— Je sais, répond Obi-Wan, amère et tendre à la fois. C'est lui le père, n'est-ce pas ?

Padmé baisse les yeux, coupable pourtant innocente. La Jedi aimerait répliquer mais le poison de la tristesse empêche les mots de prendre vie. Dans un dernier souffle, Obi-Wan exhale :

— Si cela compte encore, je suis désolée aussi.

Qu'à cela ne tienne puisqu'elle a désormais si peu à perdre.

7.

Elle quitte l'appartement sans se retourner, droite, fière et plus meurtrie que jamais. Son plan est déjà prêt dans sa tête : nul doute qu'Amidala va se précipiter auprès de son cher et tendre pour se rassurer sur son sort – elle n'aura qu'à embarquer clandestinement et la laisser la mener droit à Anakin. Il lui faut le confronter. Elle n'a pas d'autre alternative.

— Il t'aime toujours !

Son esprit devient noir. Puis blanc. Avec lenteur, la Jedi se retourne vers la femme enceinte et désespérée qui a crié depuis son balcon « qu'il l'aimait toujours ». Quelque chose de chaud coule dans ses veines, un espoir qu'elle n'est pas supposée avoir, un espoir qui trahit son serment, ses paroles et tout ce en quoi elle croit. Un espoir auquel elle se raccroche.

Avec la force du désespoir.

— Anakin ! hurle Padmé, le cœur visiblement en miettes. Il t'aime toujours !

Et son propre cœur de métal se craquelle sous le choc.

Parce que, malgré ses efforts pour se détourner de lui, elle l'aime encore, elle aussi.

8.

Que fait-elle maintenant qu'Anakin est devant elle, Padmé étendue sur le sol évanouie et qu'il la regarde d'un air halluciné, avec cette faim qui l'a toujours fait frissonner, de terreur et de plaisir ? Comment n'a-t-elle pas pu voir, sous les regards en coin et les sourires remplis de colère, que malgré son refus, Anakin n'avait pas cessé de l'aimer pour autant ? Padmé est toujours allongée sur la plate-forme mais elle est vivante – elle n'est plus en danger – et cela leur suffit à tous les deux : ils se contentent de se regarder, sans bouger, comme s'il fallait se repaître de l'image de l'autre avant qu'ils ne disparaissent tous dans l'abîme de ténèbres qu'Anakin a ouvert sous leurs pieds.

Que fait-elle ? Rien. Elle n'est capable de rien faire.

— Tu es venue pour me tuer. – Ce n'est pas une question mais que tout le monde la croie capable de commettre un tel acte sans sourciller l'irrite.

— Je viens te raisonner, corrige-t-elle avec tristesse.

— Me raisonner ? répète-il, incrédule.

Ses traits fascinés se tordent de douleur et de rage en même temps qu'il fait un pas vers elle, presque menaçant. Elle réplique effrontément en avançant d'un pas et il éclate d'un rire sans joie, digne des rires les plus sinistres de Dooku. Furieuse, elle crache :

— Cesse de te moquer ainsi ! – Un pas vers lui.

— Pour qui te prends-tu ? – et il est grave soudain, délibérément sérieux et mauvais. Il est loin le temps où tu pouvais me sermonner parce que je n'étais pas un bon petit Padawan. Je peux comprendre que Padmé ait essayé mais toi… c'est risible de te voir réduite à un acte aussi stupide ! Crois-tu qu'on puisse revenir ainsi du Côté Obscur ? La Force ne fonctionne pas comme ça ! Tu l'as combattu tellement de fois à mes côtés, tu devrais le savoir, non ? – Un pas vers elle, cette fois.

— Je ne veux pas me battre contre toi, Anakin. – Encore un pas vers lui.

— Penses-tu que je le veuille ? Te faire du mal ? C'est mal juger l'importance que je t'accorde. Ne peux-tu donc pas comprendre ? Ce que tu appelles cette folie, je l'ai faite pour vous deux, pour vous protéger, pour vous garder à mes côtés. C'était le seul moyen pour que nous puissions être ensemble, Obi-Wan. – Un nouveau pas vers elle.

— Ne… ne salis pas mon nom avec tes actions égocentriques ! – Un autre pas vers lui, encore. – Je refuse de croire que tu as agi dans mon intérêt ! Tuer tous les Jedi du Temple, même les Initiés ? Devenir l'apprenti de Sidious ? Renier tout ce pour quoi tu as combattu, tout ce en quoi nous croyons ? Tu crois que j'aurais voulu que tu fasses une chose pareille, Anakin, que tu te perdes dans les méandres du Côté Obscur ?

— Les Jedi étaient une menace ! hurle le jeune homme, toute retenue oubliée. Ils avaient découvert nos attachements respectifs, ils comptaient nous jeter hors de leur Ordre comme des traîtres ! Je l'ai vu, je l'ai vu dans mes rêves – tu n'aurais pas survécu à une pareille déchéance et Padmé… comment aurais-je pu supporter la seule idée de vous perdre ! Jamais, Obi-Wan ! Je ne permettrai jamais que l'on vous enlève à moi !

Les derniers mètres qui les séparent encore sont franchis à la hâte et avec violence et passion, Anakin prend possession de sa bouche.

9.

Ce n'est pas la première fois qu'Anakin l'embrasse mais c'est la première fois que leur échange véhicule autant d'émotions – comme s'il lui faisait l'amour une seconde fois.

Les dents de son partenaire lui mordent agressivement les lèvres, les forçant à s'ouvrir et une langue râpeuse cherche la sienne avec vigueur. Une des mains de son ancien Padawan lui a agrippé la taille et l'autre lui empoigne les cheveux sans douceur, faisant naître des gémissements de douleur au fond de sa gorge. Il lui faut quelques instants pour comprendre qu'elle a passé les bras autour de son cou et qu'elle répond avec une ardeur jamais ressentie au baiser agressif. Jamais dans sa vie elle n'a ressenti pareille étreinte de cette façon. Peut-être est-ce différent parce qu'elle est au bord du désespoir, peut-être parce que le monde est en train de s'écrouler, peut-être parce que c'est juste Anakin qui brûle de désir dans ses bras… autant de « peut-être » qui lui parasitent l'esprit.

Lorsqu'elle se décide à rompre le baiser, le jeune homme semble plus confus que jamais et ses veines brûlent d'un espoir pur et entier. Elle peut le sauver – elle doit le sauver sinon ils sont tous perdus. Saisissant ses boucles blondes dans ses mains, elle les caresse en douceur avant d'enserrer son visage entre ses doigts moites.

— Repartons, Anakin. Si c'est vraiment ce que tu souhaites, nous pouvons fonder une famille tous les trois. Tu es quelqu'un de bien, nous pouvons tout encore arranger – ensemble. Anakin, je t'en prie…

— Tu ne comprends pas, n'est-ce pas ? coupe son ancien Padawan avec un sourire de dément. Je ne veux pas partir. J'ai œuvré pour que nous n'ayons pas à nous enfuir, que nous puissions vivre aux yeux de tous. Le Chancelier est vieux et faible – avec mes nouveaux pouvoirs et ta puissance, nous le vaincrons aisément. Ensuite, je prendrais sa place à la tête de la galaxie et vous deux, vous serez mes aides. Nous ferons tout ce que nous voudrons, Obi-Wan ! Nous trois – et le bébé – ensemble ! Imagine, mon amour… Imagine la galaxie tout entière, à nos pieds, attendant à être modelée comme nous le souhaitons.

Elle imagine, oui. Elle se voit aux côtés de l'Empereur et de l'Impératrice – Padmé, plus belle et plus froide que jamais et Anakin dont elle ne reconnaît pas le profil. Elle imagine les moindres traces de rébellion balayées sans pitié, les peuples opprimés souffrant de la faim et du régime despotique elle voit l'Empereur Skywalker, son épouse et deux enfants à leurs pieds – leurs yeux sont froids et morts et leurs visages figés sous des traits crayeux de tristesse et de haine. Elle se voit, la concubine aux yeux tristes et à l'espoir éteint, qui ne reste auprès d'eux par faiblesse. Ce macabre tableau de famille la dégoûte, l'horripile. Ce futur n'arrivera pas. Pas tant qu'elle peut décider qu'il n'arrivera pas.

Il tente de l'embrasser à nouveau mais elle le repousse et s'éloigne de lui. La colère succède vite à la surprise et l'homme en face d'elle ne devient rien de plus qu'une manifestation du danger qui avait toujours vécu en Anakin – Vader. Le Sith. Les Ténèbres dans la tourmente.

Cette réalité a désormais un nom, ainsi que la chaleur et le feu. Sa prédiction réalise, son cauchemar prend corps – le corps d'Anakin, qui l'embrassait encore il y a une minute – et avec ce qui lui reste de force, elle chuchote, paralysée :

— Je m'y refuse, Anakin. Notre allégeance a toujours été envers la République et la paix. Le futur que tu projettes a détruit tout cela, tout ce que j'estime cher et tout ce en quoi je crois ! Je ne pourrais pas le supporter. Ni moi ni Padmé… tu prends un chemin sur lequel nous ne pouvons pas marcher…

— Ces serments ne sont rien d'autre que les pathétiques convictions d'une bande de faibles que j'ai tué de mes mains ! réplique le jeune homme, les traits déformés par la haine. Es-tu aussi sotte et faible qu'eux ? Les Jedi sont désormais mes ennemis, je ne leur appartiens plus ! Je me suis libéré de ce carcan qu'ils m'avaient imposé, qui m'empêchait de comprendre ! Pourquoi continues-tu de croire aveuglément leur enseignement obsolète et mensonger ? Pourquoi refuses-tu de comprendre, toi aussi ?

—Je ne suis pas ton ennemie, Anakin, et tu le sais ! – Une larme égarée coule sur sa joue tachée de cendres.

— Alors renonce à l'Ordre Jedi, déclare plus calmement l'Apprenti Sith en lui tendant une main, certain désormais de sa victoire. Abandonne les principes idiots qui ont régit ta vie et joins-toi à moi, Obi-Wan. Tu m'aimes, n'est-ce pas ? Je peux t'offrir mon amour, tout ce dont tu as rêvé… Joins-toi à moi, Obi.

Le surnom lui arrache un sanglot. Elle a le choix, réalise-t-elle.

Elle pourrait être avec lui, sombrer avec lui dans les ténèbres et la tourmente. Elle pourrait être contre lui, prendre les armes et mener la Rébellion contre l'Empire, fonder un nouvel Ordre qui se battra face au Sith. Elle pourrait, oui… Mais elle ne veut être ni l'un ni l'autre. Jetée au milieu des cendres encore brûlantes de l'Ordre qui la maintient debout, elle ne peut s'appeler ni Sith ni Jedi. Elle peut abandonner le Code et ne pas se trahir elle-même. Elle peut renoncer au Côté Obscur – à Anakin – et garder sans les salir les sentiments qu'elle lui porte.

Ni ombre, ni lumière – son nom est Obi-Wan Kenobi et elle est Fille de la Force. Entière et vide à la fois, assez forte pour ne pas sombrer dans les Ténèbres et trop faible que pour briller complètement dans la lumière.

L'équilibre. Pendant une seconde, elle trouve l'équilibre absolu et cette paix nouvelle lui offre la force de répondre :

— Je ne ferais ni l'un ni l'autre. Je t'aime, Anakin, mais je renonce à toi.

10.

Le temps s'arrête.

Pendant un instant, elle pense que sa déclaration a pu changer le cours des choses. La confusion et le conflit sont évidents sur le visage de son vis-à-vis : un tel manquement au Code est quelque chose qu'il n'a jamais vu et s'il lui faut une preuve, c'est bien la seule qu'elle peut lui donner. Mais très vite, ses yeux flamboient d'une haine pure qui lui envoie des frissons de terreur le long de ses membres.

— Tu essaies juste de gagner du temps, avoue-le ! C'est encore l'un de tes tours de Jedi pour que je t'accorde ma confiance, n'est-ce pas ? Tu n'as jamais voulu que je revienne, tu espères juste que je baisse ma garde !

— Anakin –

— Mon Maître avait raison, crache-t-il avec dureté. Si tu m'aimais vraiment, tu nous aurais rejoints. Tu aurais fait le bon choix. Mais si tu n'es pas avec moi… alors tu es contre moi.

Ses épaules retombent sous le coup de la défaite alors qu'elle laisse sa cape glisser de ses épaules et ses mains empoigner son sabre-laser. Elle a échoué. Maintenant, il n'y a plus d'issue possible. Elle n'est peut-être plus vraiment une Jedi mais elle est trop attachée à ses principes pour faire passer ses propres désirs avant la vie de milliards d'innocents.

— Seuls les Sith sont aussi absolus. Je ferais ce que j'ai à faire.

Le visage d'Anakin se durcit et la colère vient l'enlaidir alors qu'il brandit son arme vers elle. Plus que jamais, il est méconnaissable. Plus que jamais, elle voit le Sith qui le dévore – Vader.

T'ai-je réellement perdu ?

— Tu essaieras.

Il n'y a pas d'essai, réplique-t-elle dans sa tête.

11.

Elle avoue ne pas mettre beaucoup de conviction dans ce combat et que seule l'énergie du désespoir la prévient de ne pas chanceler et tomber dans le magma brûlant qui bout sous ses pieds. La chaleur est horriblement intense et la fait suffoquer, la fumée lui pique les yeux et le soufre qui parfume l'air lui donne envie de vomir. Obi-Wan n'a pas envie d'être ici. Elle aimerait être de retour chez elle, au temple, revoir Bant, Garen, Reeft, peut-être Siri et Qui-Gon et Satine et Sabé… elle aimerait revoir son ancien Padawan, celui qui ne l'a pas embrassée tout à l'heure, celui qui la regarde avec admiration et ennui, celui qui ne se dit pas amoureux d'elle.

Mais ses propres regrets ne sont rien à côté du nouvel Anakin, de ses yeux jaunâtres brillant de haine et de la lame de son sabre qui la frôle, toujours avec l'intention de tuer. Qu'a-t-elle fait à la Force pour que l'homme qu'elle aime plus que tout au monde ait à ce point envie de la voir mourir ? Peut-être… peut-être que sa mort arrangerait quelque chose, tout compte fait, qu'elle donnerait une leçon à son ancien Apprenti devenu Sith ?

A peine pense-t-elle cela qu'une vision s'impose à son esprit en un éclair, une vision d'un Anakin en pleurs sur son corps sans vie, de violences faites dans la vengeance et d'immenses bains de sang. Elle aperçoit les conséquences de sa mort – et elle sait que la Force ne veut pas cela, pas maintenant, qu'elle refuse de la perdre elle aussi aux mains d'Anakin. Déterminée à ne plus enfreindre le Code – le suicide n'est pas un choix Jedi – elle redouble de vigueur mais pas de cœur.

Elle n'a plus de cœur, Anakin s'en est assuré.

— Je t'ai perdu, constate-t-elle avec regret alors qu'ils reprennent leur souffle et se regardent une nouvelle fois – la dernière, peut-être. Je t'ai perdu, Anakin.

— C'est de ta faute, pauvre folle ! crache-t-il, noyé dans une colère qui semble sans fin. Nous aurions pu avoir ce que nous voulions ! Nous aurions pu être heureux ! Pourquoi a-t-il fallu que tu gâches tout ? Pourquoi ne peux-tu pas ouvrir les yeux ? Je l'ai fait pour toi !

— Regarde-toi ! suffoque la Jedi. Regarde-toi seulement, Anakin ! Je ne te connais plus ! Tu es devenu tout ce que tu avais juré de combattre ! Tout ce que j'ai juré de combattre !

— Tu as toujours plus accordé d'importance à ce stupide Code qu'à moi ! J'aurais dû savoir que tu resterais fidèle aux Jedi, que tu ne valais pas mieux qu'eux ! J'aurais dû comprendre que vous essaieriez de renverser le Chancelier !

— Le Chancelier, c'est le mal absolu et TU LE SAIS !

— Le mal absolu, c'est TOI ! gronde son ancien apprenti.

Obi-Wan abandonne la parole et lève son sabre, à nouveau, contre l'homme qu'elle aime. Un instant, elle peut jurer qu'ils se battent sur les restes de son cœur.

12.

— Tout est fini pour vous, Maître.

C'est toi-même que tu trahis, ne peux-tu pas le comprendre ?

— C'est terminé ! Il n'y a rien à faire, je te domine !

Je ne veux pas te tuer !

— C'est mal connaître mes nouveaux pouvoirs.

Abandonne. Je t'en supplie, abandonne !

— Non ! Ne prends pas ce risque !

M'as-tu jamais vraiment…

Anakin saute.

ANAKI –

Et la Force frappe.

13.

C'est son rêve encore une fois mais bien réel pourtant, la concrétisation même de ses plus grandes peurs. Les yeux jaunes qui la fixent sont bien loin de l'impuissance qu'elle leur a donné et brûlent de l'envie de la dévorer, de la détruire toute entière. Imaginer que ces yeux qu'elle a tant craint sont ceux d'Anakin, les mêmes qui l'ont suivie depuis si longtemps – non, ce n'est plus Anakin.

Poussée par le chagrin qui explose dans sa poitrine, elle se met à hurler au ciel couleur de sang toutes les horreurs qui lui brûlent la bouche – à moins que ce ne soit à cause feu de Mustafar ou de la brûlure de ses larmes :

— Tu étais l'Élu, c'était toi ! La prophétie voulait que tu détruises les Sith, pas que tu deviennes comme eux ! Tu étais censé ramener l'équilibre dans la Force, pas la condamner à la nuit !

Les iris jaunâtres brûlent de rage et l'homme à ses pieds crie à son tour, sa haine mutilant les années-lumière – les mètres – qui les séparent.

Obi-Wan détourne les yeux, incapable d'en supporter davantage.

14.

Le temps semble se ralentir, créant une scène presque irréelle. Elle, au-dessus de cette pente de cendres et lui, au-dessous, si près du feu qui gronde sous ses pieds sectionnés. Ses membres ne sont plus que des moignons tranchés et seule sa main de métal gratte encore la terre, avec la volonté désespérée d'avancer, d'échapper au brasier qui s'ouvre sous lui. Une main qu'il tend vers elle, comme s'il gardait encore l'espoir qu'elle la saisira, qu'elle peut trouver le courage de répondre à cet appel qu'il lui lance en tendant sa propre main.

Mais Anakin est tombé – c'est Vader qui l'appelle, le Sith aux yeux jaunes de ses cauchemars, et dans cette promesse qu'il lui lance en silence, elle voit sa propre chute.

Tout ce qu'elle a fait dans sa vie l'a mené vers cet ultime choix, elle en prend conscience désormais.

Lèvres serrées, Obi-Wan se retourne avec lenteur pour ramasser le sabre-laser que son ancien Apprenti a abandonné dans la cendre. Le geste est clair et sa dernière tentation s'effondre.

Le cri que Vader pousse quand le feu le gagne déchire l'univers.

15.

— Je te hais, JE TE HAIS !

— Je t'aimais, Anakin !

C'est terminé. Le rideau tombe.

16.

Ce n'est que lorsqu'elle est loin de Mustafar, en route pour conduire Padmé dans un endroit sûr et qu'elle a branché le pilotage automatique que la réalité la frappe de plein fouet, avec toute la cruauté et la violence dont elle est capable, laissant le tragique fait rouler encore et encore dans son esprit.

Anakin est mort. Anakin est mort et je n'ai rien pu faire.

Ses yeux rivés sur les étoiles lointaines qui illuminent timidement le ciel obscur, Obi-Wan s'autorise enfin à éclater en sanglots.

17.

La République est tombée.

Obi-Wan Kenobi, anciennement Maître Jedi réputée et aujourd'hui déclarée « traître » à la démocratie, regarde une énième fois le discours du nouvellement proclamé Empereur Palpatine, alias Darth Sidious, qui dissout devant une foule de Sénateurs en délire la démocratie qui lui était si chère pour la transformer en cette monstrueuse dictature qui a prit place en une nuit. Appuyé par les Clones, désormais rebaptisés Stormtroopers, l'Empereur mène sa répression de l'Ordre Jedi, une purge baignée dans le sang et les cendres de l'échec. La Force pleure les pertes qui s'accumulent, sous le voile de ténèbres qui est tombé sur la galaxie.

La République est tombée. Les Jedi ont failli à leur mission.

Elle a failli à sa mission.

Et c'est la Galaxie entière qui paie pour ses erreurs.

Longue vie à l'Empereur, pense-t-elle avec amertume.

18.

Padmé délire dans sa demi-inconscience. A en juger par ses halètements et ses cris de douleur étouffés, ce n'est définitivement bon signe, ni pour elle, ni pour l'enfant qu'elle porte. Obi-Wan aimerait pouvoir lui venir en aide mais elle ignore jusqu'où vont les dégâts qu'Ana – Vader a causé sur la plate-forme de Mustafar. Tout ce qu'elle peut faire est de rester aux côtés de la jeune Sénatrice et la rassurer du mieux qu'elle peut lorsque celle-ci reprend connaissance quelques instants.

Ce n'est que lorsque son vaisseau arrive enfin sur Polis Massa, le champ d'astéroïdes où le Sénateur Organa et Yoda l'attendent en secret, qu'elle se rend compte qu'elle a serré le sabre-laser d'Anakin dans sa main durant tout le trajet.

Cette arme est ta vie, avait-elle jadis enseigné à son jeune Padawan.

Une vie qu'elle a définitivement emmenée avec elle, au moment d'abandonner le Sith aux mains de la Force. Que Vader ait survécu ou non ne change désormais plus rien à ce fait : Anakin Skywalker est mort. Ses yeux s'embuent à cette idée.

Anakin l'a abandonnée pour le Côté Obscur. A son tour, elle a renoncé à Anakin, croyant qu'il s'agissait du meilleur choix à faire, persuadée que son ancien Padawan méritait une seconde chance. Et sur Mustafar, alors que la lave l'avalait lentement, elle a abandonné Anakin et tout espoir de pouvoir aimer à nouveau.

Mais cela ne rend pas ses blessures moins douloureuses.

19.

— J'ai échoué, Maître, murmure-t-elle, soudain très lasse, à Maître Yoda.

Ce dernier ne semble pas en meilleur état qu'elle. Son combat contre Sidious l'a laissé épuisé, plus vieux qu'il n'a jamais été durant toutes ces années. A moins que la chute de l'Ordre ne soit la réelle cause du voile qui est tombé sur son visage ridé. Elle ne demandera pas – elle ne peut que supposer.

— Seule porter cet échec, tu ne dois pas, Maître Kenobi, finit par répondre le Grand Maître. Par un mensonge, nous avons été trompés. Au Conseil de ne pas avoir vu le Sith derrière le Chancelier, la faute incombe. Sourds et aveugles, nous avons été laisser le Code nous régir au lieu de nous guider, nous avons voulu. Attiré par le Côté Obscur, Skywalker s'est retrouvé quand trahi par nos comportements, il a été.

Mais A – Vader n'est pas tombé uniquement à cause de la méfiance de l'Ordre à son égard. Il y a eu autre chose dans sa quête de pouvoir, une motivation beaucoup plus égoïste qui l'a conduit vers le Chancelier et ses sombres enseignements.

— Il voulait que je sois à ses côtés, avoue-t-elle. Il était persuadé d'avoir fait ça pour me protéger… je crois qu'il m'aimait, Maître.

— Cruel, l'amour est, quand égoïstement, il est pensé, déclare Yoda avec gravité et sagesse. Un attachement très fort, Skywalker et toi avez partagé mais inéquitable, il était. Autant de toi, il n'aurait pas dû demander. Triste, je suis qu'à ce point il t'ait blessée, ma Padawan.

— C'est fini, Maître, lui rappelle-t-elle. Anakin est mort – elle baisse les yeux sur le sabre qu'elle tient toujours dans ses mains.

— Alors, nous concentrer sur ceux qui vivent encore, nous devons, conclut Yoda.

20.

Padmé est mourante.

Les dommages qu'elle a subis aux mains de Vader ne sont pas permanents mais s'en est suivi une vague de désespoir qui roule dans son corps et qui aspire à chaque seconde qui passe le souffle vital de l'ancienne Sénatrice. Plus que jamais, il devient urgent de la faire accoucher – avant de perdre et la mère et les enfants.

Des jumeaux. Les enfants d'Anakin.

Padmé, toujours dans un état de faiblesse extrême, a tenu à ce qu'elle l'assiste pour l'accouchement. Obi-Wan n'a pas pu refuser. Elle voit là un dernier geste de la part de sa vieille amie pour se racheter de son manque de confiance et en même temps, une demande de réconfort à laquelle elle ne peut refuser. Si elle a beaucoup aimé Anakin, il n'y a jamais rien eu entre eux que quelques baisers et des semi-déclarations perdues – Padmé a perdu à la fois l'homme qu'elle aimait, son époux et le père de ses enfants. Mais être à la place d'Anakin, alors que sa femme hurle sous les douleurs de l'enfantement et que les premiers cris des nouveau-nés remplissent la pièce immaculée, lui paraît soudain être la pire épreuve que la vie ait jamais demandée d'elle, pire encore que de voir son Padawan consumé par les flammes impitoyables de Mustafar.

Le droïde lui remet un enfant encore trempé et vagissant dans les bras, le ventre encore saignant de la section du cordon ombilical. Obi-Wan le prend contre elle comme si c'était le plus grand trésor de l'univers.

— C'est un garçon, déclare-t-elle avec émotion à la mère.

— Luke. Luke Skywalker, souffle Padmé, en levant une main pour caresser la tête de son fils.

Agité, Luke lève une paire d'yeux curieux vers elle – les yeux d'Anakin – et quelques larmes perlent aux coins de ceux de sa mère. Avec douceur, elle laisse son doigt retracer le contour de la petite tête avant de retomber mollement sur le lit. Quelques instants plus tard, elle crie de nouveau sous la douleur et d'autres cris enfantins comblent le silence. Le robot statue sur le sexe de l'enfant – mais Padmé s'éteint vite.

— C'est une fille, reprend Obi-Wan, une main douce passant dans les cheveux sombres de Padmé comme pour lui donner de la force.

— Leia.

Luke et Leia. Anakin a de beaux enfants. Il peut être fier.

Mais Anakin est mort et aussi désireuse qu'elle soit, elle ne peut pas être fière à sa place.

21.

Padmé meurt.

Rien qu'elle ne dira ne peut la retenir – la perte dont elle souffre est trop grande, le trou dans son cœur trop profond. Tout ce qu'elle peut faire pour son amie est de réduire la douleur, d'apaiser son passage de cette vie à la Force. L'ancienne Reine de Naboo la regarde, les yeux voilés et pleins de larmes, et finit par articuler avec difficulté.

— Te demande… pardon… Obi-Wan…

— Je te pardonne, Padmé, répond-elle avec un calme triste, tout en caressant les beaux cheveux sombres de la jeune mourante. Cette dernière s'apaise en douceur, prête à rejoindre la Force, quand des mots sortent à nouveau de ses lèvres blanchâtres, des mots qui portent un espoir si fragile et pourtant si brillant :

— Il y a… encore… du bon… en lui. Je le sais… il y a… toujours… du bon…

Sa phrase s'éteint sur un murmure et sa tête roule pour ne plus bouger. Ses ultimes mots sont allés à l'âme d'Anakin Skywalker. A l'aube de cette ère sombre, la vie de Padmé Amidala Naberrie Skywalker a touché à sa fin. Obi-Wan laisse ses larmes couler, Luke toujours installé au creux de ses bras.

— Pars tranquille, mon amie. Puisses-tu trouver le repos et la paix dans la Force.

22.

La décision de séparer les enfants d'Anakin est l'une des plus dures qu'elle soit obligée de prendre – après celle d'abandonner son ancien apprenti sur Mustafar. Mais les garder ensemble ne fait qu'augmenter leur péril ainsi que les chances que l'Empire ne les trouve : ils sont puissants dans la Force et cette puissance ne fera qu'augmenter au fil des années. Pour leur propre bien et celui d'une galaxie tout entière, Luke et Leia Skywalker ne peuvent grandir ensemble.

Anakin la détesterait pour ça. Elle se déteste déjà assez de ne pas pouvoir garantir une enfance complètement sécuritaire et heureuse à ces deux nouveau-nés. Toutefois, elle n'a aucune raison de douter de Bail Organa, ni de son épouse : elle sait au regard d'adoration que l'ancien Sénateur porte sur la petite fille qu'ils feront de bons parents pour Leia.

— Et que ferons-nous du petit garçon ?

— Dans sa famille, sur Tatooine, il doit grandir.

Tatooine. La planète où Vader a juré de ne jamais remettre les pieds, quand il était encore Anakin. Luke sera certainement en sécurité là-bas – sa vie ne sera sans doute pas aussi dorée que celle de Leia, mais au moins, elle peut lui offrir une famille et un soutien silencieux, un lien muet avec ce père qu'il ne connaîtra jamais.

Les yeux bleus de Luke – les yeux d'Anakin, par la Force – s'impriment dans sa mémoire et Obi-Wan sent la Force la pousser légèrement, lui offrir un réconfort auquel elle a tant besoin de s'accrocher.

— Alors, je l'emmènerais là-bas et je veillerais sur lui, déclare-t-elle, sa décision prise.

Parce que Luke aura besoin d'elle un jour, elle le sait.

23.

— Des exercices, j'aimerais te voir pratiquer.

Ses sourcils d'un blond-roux riche se haussent dans une question muette face à la déclaration calme de son Grand-Maître. Qu'est-ce que Yoda attend d'elle ? Le vieux Jedi n'est pas en état de reconstruire l'Ordre Jedi mais elle non plus. Sur un monde aussi isolé, aussi aride que Tatooine, enseigner les voies de la Force sera un art délicat que ni son âme, ni son mental ne pourraient supporter. Pourtant, la révélation que le vieux Maître lui fait la cloue sur place et un nouvel espoir enflamme son cœur.

Il y aurait moyen d'accéder à l'immortalité – Force, même les plus grands Jedi n'en rêvent pas – un moyen de revenir de la Force et tout à coup, elle repense à Mortis, au Père et à ses Enfants.

— Qui-Gon ? chuchote-elle, des larmes de joie dans les yeux.

Yoda hoche simplement la tête, secrètement heureux de voir un semblant de vie animer le visage de craie de sa petite-Padawan. Les marques laissées par Vader sont omniprésentes, tachent tout le corps et l'âme d'Obi-Wan mais ce renouveau soudain tempère la peine dévastatrice qui la ronge.

Quoiqu'Anakin ait pu faire, les dommages qu'il a causés ne sont pas indélébiles.

24.

Tatooine est un monde aride. Sec et ravagé par les vents et le sable. Vide de vie et de sens. Sans espoir.

Plus que jamais, elle comprend la haine d'Anakin à l'égard de ce monde affamé et qui pourtant ne semble jamais rassasié, qui se fait un devoir de brûler sans pitié aucune toute forme de vie comme pour leur infliger un quelconque châtiment. A perte de vue, ce n'est que sables et chaleur, la soif qui déchire gorge et ventre et la loi impitoyable des Hutt et du désert.

La vie ici ne sera définitivement pas tendre.

Ses pieds s'enfoncent à chaque pas qu'elle fait dans les sables brûlants. Elle progresse avec lenteur sous le regard cruel des soleils jumeaux, Luke endormi confortablement contre son cœur.

Tatooine est une prison. Un enfer où les soleils et sa culpabilité règnent en Maître. Elle s'y enferme sans hésiter.

Son carcan s'appelle An.

25.

Ses mains calleuses tendent Luke à la jeune femme qui lui sourit faiblement. Beru porte un regard éperdu sur le précieux fardeau et à voir les yeux s'embuer de bonheur, la Jedi déchue sent qu'ils ont pris la bonne décision en confiant le garçon au demi-frère d'Anakin. Lars lui jette à peine un coup d'œil, lourd de suspicion et de reproche, qui s'éclaire en contemplant la figure endormie que son épouse lui présente. Le couple s'enlace, deux paires d'yeux rivés sur le bébé et il lui semble que pour la première fois depuis des siècles, l'univers tourne à l'endroit.

An se détourne, mal à l'aise devant ce tableau idyllique dans lequel elle n'a clairement pas sa place. Luke a trouvé une famille et il n'aura pas besoin d'elle immédiatement – elle n'a aucune raison de rester en ce moment. Sa présence est plus que malvenue.

Le désert derrière elle lui ouvre ses bras, avide de récolter ses dernières larmes et les débris de son cœur.

26.

— Nous n'avons pas besoin de votre aide, sorcière.

Les mots d'Owen ne sont pas exactement inattendus mais ils blessent tout de même. Gardant les traits impassibles même sous l'insulte, la Jedi déchue contemple silencieusement le couple. Lars est un homme bourru, aigri par le sort qui est tombé sur son demi-frère. Beru bat des cils, réservée mais les pieds solidement ancrés au côté de son mari. An voit la compassion que la jeune femme peut avoir pour elle mais également la fermeté, la volonté maternelle de protéger la famille. L'aînée soupire, consciente que le choix ne lui appartient pas et ne peut s'empêcher de mettre le couple en garde :

— Je peux m'éloigner et je le ferais si telle est votre volonté mais comprenez bien une chose. Luke est le fils d'Anakin. La Force est puissante en lui. Si elle le juge nécessaire, elle le guidera un jour vers moi. Vous ne faites que repousser l'échéance.

Devant le manque de réaction, An prend congé – mais avant qu'elle ne soit trop loin, elle entend le cri de haine d'Owen Lars qui résonne dans son dos.

— Au diable la Force ! Je ne te laisserais jamais détruire Luke comme tu as détruit son père, Obi-Wan Kenobi ! Tu m'entends ? JAMAIS !

Anakin s'est détruit tout seul. Je n'étais qu'un instrument, rétorque-t-elle mentalement, amère.

Et elle a raison, bien sûr, mais la rage blessée de Lars lui fait quand même mal.

27.

Les premiers temps de son exil sont atroces.

La chaleur est constante et la presse de tous côtés comme avec cet horrible besoin de la vider de toute substance, d'assécher en elle tout ce qui peut l'être encore. Ce que le désert ne peut pas prendre, les cauchemars se chargent de détruire et écraser. Il suffit qu'elle ferme les yeux et là voilà de retour sur Mustafar en train de regarder Anakin tomber ou sur Polis Massa, témoin de la mort lente de Padmé. Parfois, d'autres cauchemars reviennent se greffer à cette horrible gangrène qui s'applique à la ronger mais les visages sont toujours les mêmes, de vieux fantômes qui marchent en silence sur les sables et ricanent de son échec et des cris de silence qu'elle pousse.

La méditation l'aide. Les exercices de Yoda aussi. Elle s'immerge de plus en plus dans la Force, son âme s'imprégnant de cette minuscule lueur qui n'a pas été étouffée par le Côté Obscur et qui la guide silencieusement vers la sagesse.

Jour après jour, mois après mois, elle recouvre sa paix intérieure. Les cauchemars, s'ils sont toujours là, sont moins vivaces, moins douloureux et certains de ses démons finissent par se rendormir, épuisés de mener ce combat sans fin. Avec les mois, les années, elle devient plus forte. Plus faible. Peu importe.

Seules les cicatrices comptent, sous les yeux des soleils.

28.

Elle entend parler de Darth Vader, un jour.

Impossible – elle a dû mal entendre, pense-t-elle au départ. Vader est mort, elle l'a tué sur Mustafar, elle a regardé les flammes consumer son corps et ses horribles yeux jaunes. Restait-il un homme après qu'elle ait abandonné les cendres d'Anakin au bord de ce sentier de lave en fusion ? Elle avait juré que non. Elle n'a pas vraiment eu tort, au final.

An cherche, se renseigne. Voit sur une image de cauchemar le masque aux yeux caves, entend sur un enregistrement la respiration sifflante qui n'a rien d'humain et cette voix rauque qui s'élève de l'effroyable machine. Un instant, elle imagine qu'à la place de ce monstre de métal et de haine, il y avait un homme, un héros qu'elle a vu grandir, briller et mourir. Il y avait. Anakin est mort et Vader est son fantôme désormais, le monstrueux héritage qu'a laissé son Ordre en déclin.

Que dirait la galaxie si elle connaissait l'identité du fléau qui a fait de la vie de tous les êtres libres un Enfer ? Qu'auraient pensé les Jedi morts, s'ils avaient su que leur précieux Élu allait devenir la main qui les condamnerait à la nuit éternelle ?

Que pense-t-elle, le Maître déchu, l'amante trahie, l'amie déçue ? Une seule chose, en réalité.

Je donnerais n'importe quoi pour te ramener.

An éclate en sanglots hystériques sur le projecteur.

29.

Il lui faut plus d'un an pour pouvoir atteindre l'état de conscience dont Yoda lui a parlé. Quand elle entend Qui-Gon pour la première fois depuis si longtemps – Mortis ne compte pas, Mortis a fait plus de mal qu'autre chose, c'est là que les graines du Mal ont commencé à germer en son Padawan et elle ne veut plus jamais, JAMAIS repenser au ricanement sombre du Fils – elle ne peut empêcher un sourire triste. Son Maître lui manque tellement.

Elle est prête à suivre à nouveau son enseignement – elle le croit du moins – mais sa voix profonde, une voix qui n'a pas changé en presque quinze ans, déclare que ce n'est pas le cas et qu'elle doit réaliser pourquoi par elle-même pour espérer avancer.

Rester cachée sur Tatooine n'arrangera rien à cette situation – elle s'envole dès qu'elle entend des nouvelles de l'ancien Padawan de Siri, Ferus Olin. L'ancienne Jedi retrouve des visages d'avant, des amis qu'elle a cru perdu mais sa joie est fausse, moribonde, et la chaleur de la compagnie s'estompe devant la honte brûlante et le besoin écrasant de solitude, cette envie presque malsaine de se punir de fautes qu'elle ignorait avoir commises à l'époque.

Elle comprend soudain, et quand elle est de retour sur Tatooine, An souffle doucement :

— La culpabilité est mon entrave.

La voix de Qui-Gon lui répond :

— Tu seras prête quand tu la laisseras partir.

30.

Une fois – ou peut-être deux, ou trois – elle est tentée d'ouvrir la Boîte.

An n'a jamais touché à la Boîte depuis son arrivée sur Tatooine. Le volume repose nonchalamment dans un coin de la petite hutte qu'elle habite, le sable s'égrainant sur le couvercle, poussière que l'ancienne Jedi balaie continuellement. Elle est tentée, oui, d'ouvrir et de contempler l'objet qui y réside : l'arme à jamais perdue d'Anakin Skywalker, la lame bleutée qui a fendu l'air tant de fois et a amené à genoux maints ennemis de la République… elle est heureuse que Vader n'ait pas ce sabre en sa possession, il n'est pas digne de l'empoigner ou même de le détruire. Elle s'est promise de la rendre aux mains qui la méritent, celles de Luke quand il viendra à elle – parce qu'il viendra à elle, c'est certain. Tout n'est qu'une question de temps.

Elle hésite, caresse le couvercle timidement, frôle le verrou de ses ongles. Renonce, à chaque fois.

La Boîte reste close.

31.

An surveille toujours les Lars de loin mais Luke a six ans quand Beru vient frapper à sa porte, son fils d'adoption derrière elle, pris par une vicieuse tempête de sable alors qu'ils retournaient à la ferme. L'ermite leur ouvre la porte avec courtoisie et baisse la tête aux remerciements de la femme Lars – les années l'ont rendue plus douce, elle se souvient encore des regards glacials du début – et invite les deux voyageurs à trouver un abri.

Elle ne fait aucun geste vers l'enfant de six ans qui lève sa tête blonde vers l'étrangère.

C'est Luke vient vers elle, curieux, fasciné, attiré par elle. La Force chante doucement autour de lui, ses talents de pilote sont incroyables et il y a ce goût du risque dans ces yeux de cristal qui appartiennent à son père et qui lui donne des frissons. Ce garçon ressemble à son père, à un point que c'en est douloureux.

Il lui pose des questions auxquelles elle répond d'une voix égale, sous le regard attentif de Beru, des innocentes questions qui vont de pourquoi le ciel est bleu à si elle a déjà assisté à des courses de speeder. Chaque réponse se mélange au ton calme et posée du professeur en elle et chaque lumière de compréhension qui brille dans les yeux ciel de Luke sont autant de petits trésors. An sourit et l'enfant s'esclaffe. Ces heures hors du temps sont une bénédiction qu'elle ne pensait plus pouvoir mériter.

Beru et son neveu partent trop vite, dès que les vents tombent, mais la main ferme de sa tante n'est pas suffisante que pour empêcher le petit garçon de crier « A bientôt ! » alors que leurs silhouettes s'avancent dans le désert.

An répond d'un petit geste de la main, un sourire et des larmes dans les yeux.

Bientôt.

32.

Quand elle revoit Luke Skywalker, des années plus tard, le garçon curieux a fait place à un adolescent aux cheveux en bataille, à la moue facile et au sourire plus facile encore. Elle caresse la Boîte, hésite, renonce à nouveau, presque à regret et laisse le fils de l'homme qu'elle aime vivre l'enfance qu'il lui reste, profiter de ces moments qu'Anakin n'a jamais pu avoir.

Un rire jeune résonne dans le désert et An sait qu'elle a fait le bon choix en repoussant l'échéance finale de quelques années. Il la remerciera peut-être de sa bonté apparente mais elle en doute fortement.

A ses yeux, Luke sera toujours trop jeune pour devoir détruire son père et arrêter l'Empereur.

33.

An se croise dans un miroir, un soir. Elle fronce les sourcils. Quand exactement le blanc a-t-il remplacé le roux dans ses cheveux ? L'ancienne Jedi se palpe la peau du visage – une peau mate désormais, tannée par les impitoyables soleils de la planète déserte, des rides qui creusent ses yeux et ses joues – et se demande quand est-elle devenue cette vieille femme au regard éteint et aux traits fatigués ? Elle n'a pas encore soixante ans standards et pourtant, elle fait tellement plus vieille, comme un fruit trop sec dont on aurait extrait toute la pulpe.

Seule la couleur de ses yeux est restée inchangé. Ainsi que le voile qui est tombé dessus depuis qu'Anakin est mort.

34.

Quand Luke revient vers elle, guère plus âgé que dix-huit ans, elle pressent les changements dans la Force, le tressaillement des grandes choses à venir. Il est plus que temps et des vies sont en jeu – elle a été égoïste de ne pas avoir formé Luke plus tôt, d'avoir privilégié le bonheur d'un seul enfant contre le sort d'une galaxie entière. Qu'à cela ne tienne, An est prête à subir le courroux de la Force.

Et Luke est prêt à embrasser son destin, aussi prêt que cela se peut. Le bonheur et l'amour qu'il a vécu sur ce monde pourri jusqu'au noyau seront des piliers importants dans ses épreuves à venir. Il en aura besoin, Force sait que l'amour de Luke sera sa victoire comme il fut la perte d'Anakin.

Elle ouvre la Boîte et contemple l'arme un instant, avant de la tendre vers l'enfant qui lève ses yeux brûlant d'espoir vers elle.

— Qu'est-ce que c'est ? demande le jeune homme, avec sa curiosité mêlée d'une révérence étrange, déplacée presque.

— Le sabre-laser de ton père, dit-elle, presque à regret.

35.

— Comment mon père est-il mort ?

An ferme les yeux, lèvres serrées. La question qu'elle a tant redoutée est enfin sur le tapis. Le mensonge de sa vie va pouvoir prendre chair. Un mensonge pour protéger – parce que Luke ne supporterait pas la vérité trop tôt. L'Enfer est pavé des meilleures intentions. Anakin aussi ne voulait que le bien de Padmé.

— Un jeune Jedi nommé Darth Vader a trahi notre Ordre. Il a traqué et tué un grand nombre de Jedi – ton père aussi a été massacré de sa main.

Elle refuse de croiser le regard peiné et fier de Luke. Anakin était un héros et il est mort mais Vader est vivant, encore. Ce mensonge est nécessaire – ça ne la fait pas se sentir meilleure.

Force, si tu devais me pardonner un péché, un seul, fasse que ce soit celui-là.

36.

Après Mustafar, elle s'était crue prête à encaisser n'importe quel autre désastre. Elle a préjugé de ses forces et quand Alderaan explose, créant un trou plus profond et plus noir que le puits de désespoir dans lequel elle s'était plongée après la mort d'Anakin.

An tremble et au loin, il lui semble que Luke hurle, presse ses mains d'enfant contre son visage, palpe son front et ses poignets – mais même la présence tangible de Luke n'est pas assez que pour combattre cette oppression, ce sentiment affreux que tout va mal, mal, mal.

An reprend son souffle, incroyablement secouée et des sanglots d'effroi la traversent. Quelle que soit cette nouvelle malédiction que l'Empire a inventée, elle est plus terrible que tout ce qu'ils ont jamais affronté par le passé – qu'est-ce qui peut anéantir une planète comme si elle n'était qu'un vulgaire pion sur un plateau d'échec ? L'idée même menace de la rendre malade à nouveau.

Force, que vous ai-je fait pour que vous me punissiez ainsi ?

La Force vibre mais se tait. Encore.

37.

En cachette de Luke, An rejoue le message de détresse de Leia.

La jeune femme est belle, des boucles brunes qui rappellent celles de Padmé, des yeux bruns à l'identique, un visage rond de porcelaine. Mais il y a quelque chose en elle qui tient d'Anakin : peut-être est-ce la façon dont elle prononce ses voyelles ou encore ses épaules qu'elle carre dans l'attente d'ennemis ou est-ce l'imperceptible froncement de sourcil qui témoigne de sa colère. Elle ne serait dire mais la vue lui réchauffe décidemment le cœur. Padmé serait fière de sa fille. Elle peut – Leia est remarquable, tout comme son frère.

Son frère.

Elle emmène Luke vers Leia. Après dix-huit ans de séparation, les jumeaux seront enfin réunis et l'espoir pourra commencer à se répandre. C'est une merveilleuse perspective.

La Force autour d'elle en frémit d'avance.

38.

— An… Êtes-vous ma mère ?

An ferme les yeux, accusant le choc. Elle a redouté les questions que Luke lui poserait un jour à propos de sa famille mais cette question là est… inattendue. Malvenue, même. Cela lui rappelle de mauvais souvenirs. Un amour qu'elle n'a pas vécu, des décisions qu'elle n'a pas prises et Anakin – surtout, surtout Anakin et la passion dont ses baisers, la façon dont il la regardait, le ton sarcastique qu'il prenait pour répondre à ses plaisanteries.

Se rappeler Anakin alors que Luke la regarde, assis sur la banquette du Millenium Falcon, avec les mêmes yeux que ceux de son père est une chose radicalement déplaisante.

— Non, Luke. J'aurais pu l'être mais…

— Vous n'étiez pas amoureuse de lui ?

Amoureuse ? Peut-être. Elle a beaucoup aimé Anakin, assez pour vouloir lui éviter de chuter et pas assez pour tomber avec lui. Amoureuse ? Peut-elle dire cela sans frémir, sans couvrir de honte la femme qui est morte en donnant naissance aux enfants d'Anakin – à Luke, ce jeune homme qui ressemble si fortement à son père tout en étant si différent ? Elle n'en est pas sûre.

— J'aimais beaucoup ton père, Luke. C'était un homme remarquable, un excellent pilote… et un ami très cher à mon cœur. Sa… sa mort m'a beaucoup affectée.

L'adolescent en face d'elle fronce les sourcils, désireux d'en savoir plus, chérissant chaque information qu'il peut glaner sur ce père qui lui manque tant. La voyant repartie dans son mutisme pensif, le jeune homme la presse d'en révéler davantage.

— Mais ?

Elle a un sourire indulgent devant l'impatience adolescente de Luke – la même que celle d'Anakin.

— Mais ton père aimait ta mère, Luke. Et je ne leur souhaitais rien d'autre que du bonheur.

An cligne des yeux, refoulant les vieilles larmes qui lui montent encore aux yeux. Luke baisse la tête, visiblement attristé par l'histoire qu'elle lui raconte. C'est probablement plus qu'il n'en a jamais entendu sur sa famille et – est-ce du regret qu'elle voit briller dans ces yeux bleus, si semblables à ceux de son père ? L'ermite lui jette un regard mi-interrogateur mi-compréhensif.

— Je… c'est juste que…

Attendrie, elle se penche vers le garçon d'Anakin et passe une main sur sa joue encore ronde.

— J'ai aimé ton père de tout mon cœur, Luke. Je t'ai vu naître, grandir et devenir le jeune homme qui se tient devant moi. Je n'ai aucun droit de me prétendre ta mère mais sache que je t'ai toujours considéré comme mon propre fils.

Ému, Luke agrippe sa main et la serre un instant. Quand il trouve enfin les mots qui se bousculent dans sa tête, ses yeux bleus sont humides et son propre cœur éclate.

— Je suis honoré que vous m'appeliez fils, An. J'aurais aimé pouvoir vous appeler mère.

Oh, Luke.

Cette fois, An ne prend plus la peine de retenir ses larmes et serre sans plus de honte son fils de cœur contre elle.

39.

Quand elle pose le pied sur l'Étoile Noire, sur cette lune de destruction et d'abomination créée par l'Empire, An sait d'avance qu'elle n'en sortira pas vivante. Sa main se presse contre l'épaule de Luke et il lui jette un regard interrogateur, presque inquiet. Elle sourit en retour : même morte, elle veillera sur lui.

Que la Force suive son cours – son rôle ne s'arrêtera pas là.

40.

— Que la Force soit avec toi, Luke. A jamais.

An ne se retourne pas.

41.

Il est là.

Devant elle se tient Darth Vader, Seigneur noir des Sith, bras droit de l'Empereur et anciennement son apprenti. Son sabre-laser est activé et brandi comme une menace silencieuse, les globes oculaires de métal sombre sont rivés sur elle. An peut à peine imaginer ce qui se cache derrière l'horrible masque : la peau blafarde de ne jamais avoir vu le soleil, les cicatrices laissées par le combat sur Mustafar, les yeux jaunâtres. Son cœur vacille mais elle tient bon et active à regret son propre sabre. La Force se tend autour d'elle, impatiente de les voir s'affronter.

An ne se fait pas d'illusions. Les deux dernières décades l'ont considérablement marquée, affaiblie même. Elle ne pourra pas tenir longtemps face à Vader. Elle peut juste espérer faire diversion, permettant ainsi à Luke et à Leia de s'enfuir vers le futur. Aucune peur ne la traverse à l'idée de sa mort prochaine – à peine un léger frisson à l'idée de rejoindre les êtres qui l'attendent en la Force. Son destin s'avance, figure sinistre à la respiration sifflante et un instant, elle ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il ressent en la voyant ainsi : âgée, affaiblie, à peine l'ombre d'elle-même ? Mais Vader ne ressent rien pour elle – à part une haine sans limites.

— Enfin nous nous retrouvons, Obi-Wan, siffle la voix mécanique, inhumaine.

Et c'est à peine si elle l'aperçoit mais il y a une étincelle dans les ténèbres, un regret dans sa voix, une humanité dans la machine à laquelle elle ne s'attendait pas.

Oh, Anakin.

Elle lève son sabre, Mustafar en tête et des regrets en bouche.

42.

An laisse un sourire gagner ses traits usés et ouvre les bras, dans une parodie de reddition – mais c'est Vader qui perd ce combat, elle fera en sorte qu'il le sache. Au loin, à l'autre bout du hangar, un jeune homme aux yeux d'espoir crie :

— AN, NON !

Et An meurt, le sourire aux lèvres.

43.

Mourir est une sensation étrange.

C'est comme si son essence même avait été détachée des réalités terrestres pour se fondre dans l'air mouvant, dans la Force – c'est une sensation merveilleuse et jamais ses sens n'ont été aussi aiguisés, jamais sa vision n'a été aussi claire. Elle entend des échos d'autres voix, d'autre temps qui se précipitent sur elle, avides de l'accueillir, mais An les repousse, persuadée d'avoir autre chose à faire avant de rejoindre ceux qui l'appellent.

En effet, Luke est toujours sur l'Étoile Noire, tirant à l'aveuglette sur les soldats impériaux qui se précipitent. Il est visiblement en détresse, ses yeux brillent d'une rage et d'un désespoir contenu et elle ne peut s'empêcher de sentir son cœur se serrer – si on peut admettre qu'elle en a toujours un. Ils n'ont jamais été aussi proches lui et elle que durant ces derniers jours et elle n'aurait jamais cru qu'il s'attacherait si fort à elle.

Mais il ne peut rester. Si Vader le découvrait maintenant… C'est trop tôt. Guidée par ses instincts, elle lui intime :

— Cours, fils. Cours !

Contre toute attente, Luke hésite et lui obéit, s'éloigne de Vader, s'enfuit avec sa sœur et tout est pour le mieux, en attendant les jours sombres.

Obi-Wan se fond dans la Force.

44.

Étrangement, c'est Siri la première qui vient à sa rencontre.

Revoir le jeune visage de son amie lui apporte à la fois joie et tristesse, une tristesse qui s'évapore bien vite quand Siri lui fait parvenir les mêmes sentiments à travers le paisible flot de la Force. Des doigts immatériels et immenses frôlent sa joue dans une parodie de caresse et la Jedi morte dans la Guerre des Clones se met à parler d'une voix mélodieuse qui résonne :

— Tu nous as manqué, ma douce. Nous avons suivi chacun de tes pas.

Si la Force pouvait pleurer, Obi-Wan est sûre que le moment serait le bon pour ce faire. Jamais elle ne s'est sentie aussi petite, aussi indigne d'intérêt devant la pureté des sentiments que son ancienne compagne dépose à ses pieds. Elle n'a plus de pieds, d'ailleurs. Rien que l'illusion d'en avoir eu.

— J'ai tant failli, ma Siri. J'ai tellement honte…

Un doigt fin vient s'égarer en travers de ses lèvres sans consistance, scellant ainsi à l'intérieur de sa gorge toute parole qui voudrait en sortir. De la tristesse vient brouiller les émotions de Siri mais elle ne les rend que plus belles encore.

— La Force t'a chargée de fardeaux très trop lourds, Obi. Jusqu'au bout, tu as accepté de les porter pour protéger des innocents de la terrible vérité du Côté Obscur. Mais même lui possède sa propre justice. Tu es libre désormais, ma chérie.

Libre. N'est-ce pas là, le rêve de tous ? Obi-Wan ferme les yeux et laisse la présence de Siri s'estomper sans disparaître.

45.

Siri a à peine disparu que des bras puissants l'entourent et elle reconnaît l'écho de la présence qui s'est manifestée. Laissant échapper un gloussement de joie, Obi-Wan se laisse aller dans l'étreinte réconfortante de son Maître bien-aimé. Elle ressent sa joie immense qu'il éprouve à l'idée de sa réunion dans la Force et la fierté, une fierté démesurée qui l'emplit d'une chaleur douce.

Force, Qui-Gon Jinn lui a tellement manqué.

— Je suis tellement fier de toi, ma Padawan.

Plus encore que les paroles de réconfort de Siri, ce sont ces mots tant attendus, toujours espérés, qui lui amène des larmes sans matière ni consistance aux yeux. La Force se serre autour des deux présences avec une tendresse familière et elle se sent paradoxalement vivante sous le contact immatériel de son ancien Maître.

— Comment le pouvez-vous ? J'ai failli à ma tâche, Maître.

— Jamais, mon Obi-Wan, répond la voix de baryton de Qui-Gon Jinn. C'est moi qui ait manqué de voir les signes et la Force m'a bien puni pour mon ignorance. Si tu savais à quel point j'ai voulu te dire ces mots… si j'avais su à quel point ce silence te faisait du mal… Pardonne-moi, ma fille, pardonne-moi.

Obi-Wan ferme les yeux et se blottit contre la large poitrine. Elle ne se sent guère plus d'une enfant et c'est si bon, tout est tellement merveilleux quand son Maître embrasse doucement ses cheveux roux, qu'elle ne peut s'empêcher de demander :

— Redites-le moi, Maître. Juste une fois.

Qui-Gon la serre plus fort encore, conscient que ce besoin n'aurait pas existé s'il avait été meilleur. Et conscient qu'elle lui pardonne, malgré tout.

— Je suis fier de toi, Obi-Wan.

Son ton est étrangement coupable.

46.

Hanter Darth Vader n'a pas été une décision difficile à prendre. Après tout, c'est sa présence dans la Force qui l'a attirée vers lui, sa souffrance qui a fait écho au mal qu'elle éprouve encore. Même la Force ne peut effacer complètement un sentiment avec lequel on a vécu pendant presque la moitié de sa vie.

Elle aurait voulu le préserver de toute souffrance inutile – mais que peut-être faire contre ce qu'il s'inflige en toute connaissance de cause.

Les quartiers du Seigneur Noir sont spacieux mais dépourvus du faste qu'elle imaginait y trouver. Ils crient la solitude de l'être qui les habite et qui est agenouillé en position de méditation, essayant sans nul doute de trouver une paix qui lui manque au milieu des émotions qui l'animent. Le casque est toujours là et la respiration sifflante. La situation lui arrache un sourire doux-amer, cependant.

— J'aurais donné n'importe quoi pour te voir si concentré, il y a vingt ans.

Le bruit s'interrompt, un bref instant, avant de reprendre sur un rythme plus rapide. Le Sith est visiblement courroucé par son immatérielle présence – excellent.

— Tu es morte, répond finalement la voix d'acier.

— Tu ne me diras pas que je ne t'avais pas prévenu, réplique le fantôme d'une voix cinglante.

A nouveau, une pause. Puis un soupir, presque comme un ricanement et elle le déteste soudainement pour avoir le droit de se jouer d'elle, même dans la mort.

— Quelle importance que ton nouveau tour, Vierge de fer – de quel droit ose-t-il l'appeler ainsi ? s'insurge la morte – alors que tu sais pertinemment que tu as échoué à protéger ce garçon ? Il est si prometteur. Il viendra à nous.

— Je l'ai soustrait à ta connaissance pendant vingt ans. Je n'appelle pas cela un échec, contre-t-elle.

Comme elle s'y attendait, la colère de Vader monte d'un cran sous la provocation.

— Une regrettable perte de temps mais qui deviendra bien vite quantité négligeable si Skywalker devient l'un des nôtres –

— J'ai foi en mon fils, coupe l'ancien Maître avec calme, consciente que cette attaque-là va toucher sa cible.

— Ce n'est pas ton fils ! s'exclame le Seigneur Noir, relevé de toute sa taille et tellement empli de haine envers elle que cela lui fait mal et oh, qu'elle aimerait replonger dans la Force, se laisser bercer par les doigts protecteurs de sa Mère, ne pas devoir subir Vader en sachant qu'il a un jour été Anakin.

— Il aurait pu l'être, murmure le fantôme. J'aurais aimé qu'il le soit.

Et à nouveau, au milieu du tourbillon noir qu'est Vader, cette imperceptible flamme, cette minuscule étincelle de regret, étouffée sous la rage froide du Sith mais présente, réelle, un reste d'Anakin. Une émotion qu'Anakin aurait ressentie – pas Vader. Vader la déteste, a mis tout en œuvre pour la voir morte et enrage de voir que son travail reste inachevé. Anakin… il serait heureux de savoir qu'ils peuvent encore communiquer, même à travers le voile de la mort. Peut-être même qu'il plaisanterait, un de ces blagues qui ne fait rire personne à part lui.

Peut-être.

— Il ressemble à son père, Obi-Wan. Il viendra, répète Vader, confiant et la flamme a disparu.

Le fantôme hoche la tête et disparait dans la Force, laissant derrière elle un Sith dans lequel sont plantées les premières graines de l'espoir, les indices de la rédemption. Les heures à venir seront sombres mais cette minuscule victoire a fait frémir la Force, a fait pencher la balance de manière infime.

Obi-Wan soupire et contemple le tourbillon sombre qu'est la signature dans la Force de Vader.

Il te ressemble, c'est vrai. Tu serais surpris de voir à quel point.

47.

Elle ne quitte plus Luke, reste dans l'ombre du jeune homme et le contemple, dans ses joies comme dans ses épreuves. Il est le seul qui importe, désormais. L'espoir de la galaxie. Le dernier.

— Fais confiance à ton instinct.

Elle guide sa main et ses pas, lui apprend à s'ouvrir à la Force et à devenir un meilleur Jedi. Le dernier de l'Ancien Ordre. Le fondateur de celui à venir.

— Tu vas aller dans le système Dagobah.

Elle chasse les cauchemars qui le terrassent, éloigne les mauvais souvenirs qui abattent son humeur. Elle travaille, patiemment, ombre dansante dans les pas du jeune pilote qui n'est jamais loin de sa sœur. A eux deux, ils font des miracles.

— Il apprendra la patience.

Elle n'est qu'un fantôme, cependant, et elle ne peut pas toujours lui répondre.

— An… Pourquoi ne me l'as-tu pas dit ? gémit un Luke blessé, à moitié accroupi sur une couchette du Falcon Millenium. Elle aurait voulu pouvoir lui expliquer mais c'est trop tôt, il faut qu'il accepte le fait, qu'il se fasse à l'idée.

Obi-Wan ne dit rien, éternelle observatrice. Plus tard viendront les réponses.

48.

— Yoda sera toujours avec toi.

Luke tourne ses yeux écarquillés vers elle, murmure son nom comme s'il ne croyait pas à son apparition. Esquissant un sourire spectral à la vue de son fils de cœur, le fantôme d'Obi-Wan Kenobi glisse sur le sol bourbeux de Dagobah, prête à répondre aux questions que le jeune homme est en droit de se poser.

Elles ne tardent d'ailleurs pas.

— Pourquoi m'avoir menti ? Tu as dit que Darth Vader avait trahi et tué mon père ! – L'accusation est visiblement douloureuse à vocaliser, ça se voit dans la façon dont il force les mots à sortir de sa bouche. Cela la peine. Elle n'a jamais imaginé que la déformation qu'elle a faite de la vérité le blesserait si profondément. Mais en même temps, elle n'aurait jamais pensé qu'après dix-huit ans immergé dans le Côté Obscur, Anakin se redresserait soudainement pour réclamer ce fils sorti du néant. D'un côté comme de l'autre, ils ont été pris au dépourvu.

— Ton père… commence-t-elle, consciente qu'elle doit une explication solide pour sa manigance. Ton père s'est laissé séduire par le Côté Obscur de la Force. Il a cessé d'être Anakin Skywalker pour devenir Darth Vader. Lorsque c'est arrivé, l'homme de bien qu'était ton père est mort.

Son immolation par le feu sur Mustafar en a été la concrétisation même. Il n'y avait plus rien d'Anakin à ce moment-là, quand Sidious l'a sorti des cendres pour l'enfermer dans ce cercueil de métal noir, rien que Vader et sa haine nouvelle. Du moins, c'est ce qu'elle avait cru, à l'époque.

— Donc, ce que je t'ai dit était vrai… d'un certain point de vue, en tous cas.

— Un certain point de vue ? répète Luke, choqué par son arrogance placide.

Elle sourit, indulgente, et prend place sur le rocher, invitant son fils de cœur à la rejoindre.

— Luke, tu découvriras que beaucoup de vérités auxquelles nous tenons dépendent avant tout de notre propre point de vue.

Il semble accepter avec réticence le sermon et elle lui laisse le temps de se reprendre, de formuler la deuxième question qui l'obsède depuis que Vader lui a révélé leur parentage.

— Comment as-tu pu aimer ce monstre ? demande le jeune homme, ahuri par le passé qui se dévoile enfin à lui sans ombres ni secrets, l'histoire tragiquement belle de sa propre famille.

— Il n'a pas toujours été ainsi, juge-t-elle bon de lui rappeler. Quand j'ai rencontré ton père, ce n'était qu'un petit garçon qui s'était retrouvé seul et loin de chez lui suite à des circonstances malheureuses. J'ai fait la promesse d'en faire un Jedi et je l'ai vu grandir pour devenir un homme formidable. Avant de devenir Darth Vader, Anakin était un Jedi tout à fait remarquable… et un ami. Un très bon ami. Le meilleur qui soit.

— Qu'est-ce qui a changé ? interroge Luke, toujours plus indiscret.

L'histoire est trop complexe que pour s'y perdre et le temps du plus jeune Jedi est compté.

— Il a fait des erreurs… et j'en ai fait également.

Son erreur avait été de croire qu'Anakin pouvait être sauvé, que son amour aurait été suffisant pour le ramener. Elle ne laissera pas Luke espérer la même chose.

— Je suis désolée, Luke.

Un court silence s'installe, avant que le jeune homme ne réponde, rempli d'une amertume qui est celle d'Anakin :

— Pas autant que moi, Obi-Wan.

49.

La Force passe les prochains jours dans le chaos le plus total. Un instant, elle craint que le plan ne marche pas, de perdre Luke et sa sœur aux mains du mal comme elle a perdu leur père et toutes ses âmes pairs s'agitent devant la détresse de leur Mère. Mais seuls les vivants ont du pouvoir sur l'ici et maintenant – elle n'est qu'une présence, un éventuel guide et elle ne peut pas retenir la main de Luke ni les éclairs de l'Empereur.

(Elle est pourtant persuadée que Vader peut la voir se tenir au milieu de cette salle, le regard triste et le cœur lourd d'anticipation.)

Et soudain, l'équilibre revient. Le Côté Obscur se dissout, régurgité dans les abysses d'où il provient, et la Lumière refait surface, vibrante et chantante et tout est absolument parfait, le concert de cris silencieux de joie rend le tout encore plus beau. Plus parfait encore.

Là où se tenait Vader, Anakin est désormais – faible, mourant mais si plein de lumière et d'amour qu'elle ne peut s'empêcher d'être fière devant les accomplissements de son ancien Padawan, devant le miracle qu'il vient de lui offrir.

Pour la première fois depuis très longtemps, Obi-Wan est en paix.

50.

Il est devant elle tel qu'il était avant Mustafar. Avant la Chute. Avant que les Ténèbres ne hantent la Force et que la Nuit tombe.

Mais les Ténèbres sont parties, enfin. La Nuit est finie et l'aube se lève sur un nouveau cycle. Un nouvel Ordre, que Luke est destiné à mener. Les enfants d'Anakin sont destinés à cette nouvelle lumière. L'univers ne comprendra jamais véritablement l'histoire du Héros Sans Peur mais peu lui importe tant qu'elle sait.

Et il est devant elle, sous cette forme spectrale et juvénile, les yeux bleus et contrits, des milliers de mots d'excuses dans la tête et rien sur les lèvres, des larmes contenues dans la gorge. Il est devant elle et l'autre – l'Ombre – est mort.

Sans un mot, ce qui fut jadis Obi-Wan Kenobi ouvre en grand des bras immatériels, dans une invitation muette, un pardon silencieux. Elle ne l'incite pas à approcher davantage cependant – il faut que le choix soit sien. Le choix a toujours été sien.

Elle peut voir son conflit intérieur et ne peut qu'espérer qu'il prenne la bonne décision.

Avec des millions d'émotions dans le cœur, ce qui reste d'Anakin Skywalker finit par se jeter dans l'ouverture, ses longs membres sans substance s'enroulant autour de l'illusion d'Obi-Wan. Presque religieusement, il lui demande pardon. Elle lui pardonne. Presque joyeusement, il pleure. Elle sourit et presse leurs corps sans matière, consciente d'avoir finalement atteint l'équilibre. L'harmonie complète, entre ses bras à lui.

— Ne me perds plus, murmure-t-il, la voix hachée de sanglots qui coulent sans larmes.

— Jamais, répond Obi-Wan – elle ne sait pas si elle pleure mais ici, cela n'a plus d'importance.

Le silence perdure encore jusqu'à ce qu'elle le repousse, avec tendresse. L'univers frémit de joie et d'anticipation. Il est temps pour eux de rejoindre leurs pairs et de ne plus faire qu'un, dans la Force qui danse autour d'eux. Il est temps pour eux de retrouver ceux qui les ont attendus. Elle continue de sourire. Il laisse échapper une autre larme mais celle-ci est purement de bonheur. Ils ont attendu ce moment toute leur vie.

Avec la tendresse d'une mère qui voit ses enfants chéris réunis à jamais, la Force se referme sur ce qui fut un jour Anakin Skywalker et Obi-Wan Kenobi, le Héros Sans Peur et sa Vierge de fer.

Leurs mains sont toujours jointes.


Fin.