Petits princes

Prologue

La douleur de son œil arraché avait anesthésié Odin pendant un instant.

Immobile, il pointait Gungnir sur la gorge de Laufey.

Le roi Jotun leva lentement les mains.

Il avait perdu. Son royaume n'avait plus qu'à mourir.

Le roi des glaces ne se faisait aucune illusion sur la pitié qu'Odin pourrait montrer envers son peuple.

Deux soldats s'approchèrent pour restreindre le roi jotun.

Odin laissa enfin reposer sa lance.

"- Fallait-il vraiment en venir là ?"

Laufey renifla.

Qu'aurait-il dû faire ? Venir pleurer auprès d'Asgard pour obtenir leur aide ?

Les deux Royaumes n'avaient jamais été ni alliés, ni encore moins ami.

Odin les aurait-il aidés ? La famine décimait leurs enfants depuis des années. Midgar avait été leur seule chance de survie. A présent…
A présent, plus rien n'avait d'importance. Ils étaient si peu nombreux que la famine ne serait plus à craindre avant bien des siècles.

Il jeta un regard haineux vers Odin.

"- Nous discuterons plus tard." Soupira l'Ase, épuisé.

Il abandonna le roi à la surveillance de ses soldats pendant qu'il accompagnait une phalange de ses meilleurs gradés dans les restes de la capitale des glaces.

Elle avait été si belle avec ses dentelles de glace…Et maintenant….

Un garde se précipita vers le roi, peinant sous le poids de la Cassette de l'hiver.

"- Ramenez ça à notre camp."

"- Oui Majesté."

Odin entra dans un premier temple. Un feu bleu y brulait encore.
Quelques cadavres souillaient encore les autels.

Une vague de regret traversa le roi. Il n'aimait pas ce qu'il voyait.

Ses soldats sortirent les corps pour libérer le temple.

Ils étaient là pour abattre le danger que représentaient les jotun. Pas pour les détruire.

Le roi entra dans un second puis un troisième temple.

Il se rappelait les avoir visité à l'occasion quand il était jeune. Il avait été fasciné par la beauté des lieux.
A présent….

Il sentait juste cette odeur de mort, de désespoir….

Il suivit Tyr dans le dernier temple.
Et se figea.

Des pleurs de bébé ?

Il remonta le son jusqu'à l'autel principal.

Un bébé… si petit pour un bébé jotun…

Le petit hurlait de toute la force de ses poumons.

Que faisait-il là, seul, abandonné…laissé à mourir ?

Une vague de colère parcourut le roi d'Asgard.

Il prit le bébé dans ses bras.

Immédiatement, l'enfant changea. Sa peau bleu devint rose, ses yeux rouges devinrent verts.

"- La…Laissez mon frère !" La voix était jeune. Et effrayée. Terrorisée même.

Odin serra le bébé contre sa poitrine.

A quelques mètres, un petit jotun le menaçait avec une épée de glace sur son poing qui ne cessait de fondre. Lui aussi était petit…un enfant ?

Il devait faire sa taille.

"- Lâchez mon frère !" Insista l'enfant jotun, au bord des larmes.

Un petit sanglot étouffé força le roi à tourner la tête.

Des enfants…D'autres enfants….Des dizaines de tous les âges qui se pelotonnaient les uns contre les autres.

Les jotuns avaient mis leurs enfants à l'abri dans le temple.

Odin reconnu enfin le marquage sur le front du petit guerrier qui le menaçait malgré sa terreur. Un fils de Laufey…Et le petit dans ses bras portait les même.

"- Je ne vais pas te faire de mal, fils de Laufey."

Le petit Jotun parut surprit. Déstabilisé, son épée de glace fondit totalement avant qu'il ne la récré avec difficulté. Odin l'observa encore un moment. Quel âge pouvait avoir ce petit ? En équivalent mortel, huit ? Neuf ans ? Pas plus de dix en tout cas. Il avait encore une épaisse chevelure noire. Il était trop jeune pour que la maturité les ai fait tomber. Ses cornes n'étaient encore que de petits bourgeons arrondis qui pointaient à peine au travers des cheveux.

Derrière lui, les autres petits se serrèrent plus étroitement les uns contre les autres.

Tyr posa la main sur son épée.

"- On finit le ménage ?"

Odin lui balança un coup de poing en pleine face.

"- Es-tu fou ? Ce sont des enfants !"

"- Et il faut se débarrasser des larves si on ne veut pas que les parasites reviennent."

Odin jeta un regard furieux à son général pour le faire taire puis tendit le bébé au jeune jotun.

"- Comment t'appelles-tu, fils de Laufey ?"

"- By…Bylest."

"- Et ton petit frère ?"

"- Loki."

Bylest arracha son petit frère des bras du roi avant de reculer de quatre pas, le bambin étroitement serré contre sa maigre poitrine. Immédiatement, le bleu reprit ses droits sur la peau du petit prince.

Le bébé avait une magie si forte malgré son âge…

Bylest tendit l'enfant à un autre jotun, plus petit que lui, mais avec le même marquage.

Encore un rejeton de Laufey.

Odin remarqua alors pour la première fois. Ils étaient tous maigres à faire peur. Plusieurs avaient même le ventre gonflé de famine, le regard vide et absent des enfants qui s'éteignent. Même les deux petits princes étaient à peine en meilleur état que les autres.

Odin avala péniblement sa salive.
Etait-ce la cause ?
Jotunheim était-elle à ce point incapable de nourrir ses enfants ?

"- Et toi, petit, comment t'appelles-tu ?"

"- Heldlindi." Bafouilla le petit.

Odin ne put s'empêcher de sourire.

Il manquait une incisive au petit enfant.

Son cœur de père se serra.

Il avait perdu un fils et le second commençait tout juste à marcher.

Comment aurait-il pu faire du mal à ces enfants ?

Il sentait le dégout de ses soldats derrière lui.

Avec colère, il leur jeta un regard noir.

"- La situation serait-elle inversée, aimeriez-vous que Laufey tue Thor ? Qu'il massacre vos enfants ? Nous nous devons d'avoir pitié de ces infortunées créatures."

Les soldats sursautèrent avant de baisser les yeux, penaud.

Tyr seul osa affronter son regard.

Il estimait qu'Odin faisait une erreur. Pourtant, il ne dit rien.

"- Prince Byleist, Prince Heldlindi, rassemblez les autres enfants. Vous allez être rendus à vos parents."

Une idée se faisait lentement jour dans l'esprit du roi. Heldlindi serrait son minuscule petit frère avec douceur contre lui malgré sa peur et son jeune age.

Les deux petits princes firent se lever tous les enfants.

Ils avaient une autorité de fait sur le groupe de petits.

Ils étaient une petite centaine. Le plus jeune était le petit Loki. Byleist était le plus vieux, ou tout au moins, le plus grand.

Le groupe d'enfants, encadrés par les soldats Asgardiens fut conduit jusqu'au palais.

"- NON !"

Un soldat Ase frappa le jotun qui venait de hurler en se levant.

"- MAMAN !"

Odin interdit du geste aux soldats qui encadraient les enfants de frapper le petit qui se débattait contre la poigne de Byleist, livide.

Laufey s'était redressé. Sa peau bleue avait pris une couleur grise crayeuse.

Odin allait-il assassiner leurs enfants sous leurs yeux ?

Le roi d'Asgard ordonna à ses soldats de s'éloigner des petits.

Les enfants hésitèrent une seconde avant de se ruer dans les bras de leurs parents.

Laufey accueillit les siens contre lui avec autant de surprise que de reconnaissance.

"- Pourquoi ?" La voix de Laufey était rauque d'angoisse.

"- Je ne suis pas un tueur d'enfant."

Les deux rois s'affrontèrent du regard un long moment;

"- Vous les condamnez quand même à mort en nous prenant la cassette."

"- Je vous la rendrait…Dans quelques temps…"

Laufey serra les dents.

Le temps de la négociation était venu.
Ha ! Comme s'ils avaient quelque chose à négocier ? Ils étaient exsangues…

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Odin fixait Laufey avec un mélange de stupeur et d'étonnement.

Personne ne savait grand-chose des Jotuns. Personne ne s'en souciait non plus. Leur monde était trop froid pour que les autres races s'y intéresse. Comme le royaume de Surtur était trop chaud pour la très grande majorité des autres royaumes.

Lorsque le roi des glaces avait renvoyé ses fils ainés dans leurs appartements avec leurs cousins et oncles encore en vie, il avait gardé le nouveau-né avec lui.

Odin avait été surprit.

Pourquoi garder la minuscule petite chose avec lui ? Mais ça l'arrangeait quelque part.
Ce qu'il n'avait pas anticipé, c'était que dès que Laufey avait été seul avec le roi d'Asgard, il avait approché le bébé de sa poitrine pour le faire téter.

Le bébé s'était mis à dévorer avec la dernière énergie.

"- …Alors c'est ainsi. Il n'y a pas de femelle jotun… Vous êtes hermaphrodites."

Laufey renifla.
C'était relativement connu…..Quand on ouvrait un peu les yeux et les oreilles.

"- Et le trône se transmet de "mère" à enfant."

Le roi des glaces ne dit rien. Il baissa les yeux sur son petit, tout petit bébé. Loki peinait un peu à prendre dans sa toute petite bouche le mamelon de sa "mère", trop gros pour lui. Il fallait que Laufey l'aide pour qu'il parvienne à manger.

Il avait l'air si fragile son bébé…Si fragile mais finalement si fort malgré sa taille… il avait survécut à la naissance. Il avait survécut à la première nuit, là ou presque tous les autres bébés de petite taille mourraient. Il avait survécut jusqu'à maintenant… Et maintenant il se gorgeait du lait épais, chaud et incroyablement riche de sa "mère".

"- Je doute que vous soyez là pour discuter biologie comparée."

"- En effet….Jotunheim va mourir sans la cassette n'est-ce pas ?"

"- En effet."

"- Je vous la rendrais."

"- Que voulez-vous en échange."

"- …. Un otage."

Laufey se crispa.

Il avait compris.

Il serra son bébé contre lui.

"- NON !"

"- Je n'arracherai pas un bébé à sa mère, Laufey."

Le roi des glaces ne se détendit pas.

"- Thor, mon fils, est à peine plus vieux que Loki."

"- …. Une reine…."

"- Oui. Thor épousera Loki dès qu'ils seront en âge. Loki sera la prochaine reine d'Asgard. Leurs enfants régneront sur Asgard. Et avec un peu de chance, nos deux royaumes arrêteront de se faire la guerre."

Celle qui s'achevait n'était pas la première. Avec un peu de chance, elle serait la dernière.

Laufey serra son enfant contre lui.
Loki venait de finir son repas.

Il hoqueta un peu puis s'endormit contre lui.

Tout son amour de mère pour son enfant se cabrait à l'idée d'enchainer Loki à un destin qui pourrait être sa perte.
Pourtant… le roi ne pouvait qu'accepter que ce fût une bonne idée pour Jotunheim.

C'était une méthode…sage…de faire un pont entre leurs deux mondes.
Et…si Loki restait sur jotunheim… Comment pourrait-il avoir une vie heureuse du haut de sa petite taille dans un monde où chacun frôlait le ciel ?

"- Quand ? Quand voulez-vous qu'il aille à Asgard ?"

Odin voyait la douleur évidente du roi des glaces à l'idée de perdre son bébé. Il comprenait. Le petit était si petit…si fragile….
Même si une mère s'en défendrait toujours, il y aurait toujours une préférence particulière pour le faible de la portée.

Loki était en plus le dernier né…

"- Sa première visite, quand il aura l'équivalent mortel de 5 ans."

"- Visite ?"

"- Il sera le pont entre nos mondes, Laufey. J'ai besoin qu'il soit un vrai Jotun. Pas d'un ersatz d'Asgardien grandit dans les ors de mon palais. Il viendra à Asgard chaque hiver pendant trois mois dès son cinq centième anniversaire."

"- un mois…"

"- Laufey."

"- Un mois pour les premières années, puis davantage ensuite. Il ne sera qu'un bébé. Les jotun murissent plus lentement que les Asgardiens."

Odin accepta.
Ce n'était pas beaucoup demandé.

"- Thor et Loki seront mariés dès que Loki sera adulte."

Laufey soupira de soulagement.
Ce leur laisserait du temps.

"- Quel âge, Laufey ?"

"- Notre race murit lentement." Repeta le roi. "Un petit jotun encore plus."

"- Quel âge ?"

"- Pas avant 2000 ans au moins."

"- Si tard ?!"

"- Ses premières chaleurs mettront du temps."

Odin battit stupidement des paupières un instant.
Des chaleurs ?

Leurs races étaient vraiment différentes.

"- Pourra-t-il donner un enfant à Thor ?"

"- Sans magie, il ne l'aurait pu. Avec la magie qu'il à ? Il remplira probablement la nurserie d'Asgard plus vite que vous n'arriverez à refaire la décoration." Railla Laufey.

C'était bien le drame des rares petits jotuns qui survivaient. Leur race était normalement peu fertile. Les petits l'étaient pour dix.

Seulement, à part d'autres petits, tout aussi rares, ils ne trouvaient jamais de partenaires…Alors ils s'exilaient, à leur grande tristesse.

"- Dès que Loki et Thor seront mariés, je vous rendrais la cassette." Promit Odin.

Laufey accepta.
Avait-il le choix ?

Dans ses bras, le petit bébé soupira de contentement dans son sommeil. Il était si petit qu'il tenait dans la main de sa mère sans en dépasser.