Note de l'auteur : Alors, here we are. C'est la deuxième partie du troisième chapitre, et comme je l'ai dit un peu plus haut, j'ai terminé la série Merlin, je suis donc d'humeur un peu maussade. J'espère être à la hauteur de vos espérances, et je vous remercie du fond du coeur pour ces reviews adorables et encourageantes. Je voulais aussi m'excuser, après relecture rapide du chapitre précédent, je me suis rendue compte qu'il y avait de très grosses fautes, il y en aura certainement dans celui-ci, et je sais ô combien ce peut-être désagréable. Je faire toutefois faire au-mieux pour vous les retirer. Bonne lecture!
Chapitre 3 : Souffle (partie 2).
Merlin agonisait sur les pierres glacées. Sa respiration, semblable à un râle lent et profond, peinait à trouver le chemin jusqu'à ses poumons. Deux jours qu'il y pensait. Deux longs jours dont il ne voyait guère l'issue. Deux jours qu'Arthur avait quitté sa cellule en trombe après l'avoir frappé. Qu'avait-il mis dans son poing ce jour-là sinon sa détresse, son chagrin, sa colère, et tous ces sentiments qui le hantaient et dont il ne parvenait pas à se défaire. Merlin s'était senti comme un moins que rien, une ordure, l'animal malade que les enfants montrent hargneusement du doigt. Il ne voulait pas être cela, et Arthur ne le voulait pas non plus. Toutes ces années, il avait développé un sentiment d'immunité, une carapace faite d'amitié et peut-être d'amour, il l'avait soulevée pour se protéger de tous les dangers, mais elle s'était brisée. Dès le premier choc. Il n'avait rien pu faire. Ça n'avait été qu'une illusion, un rêve impossible auquel il avait cru longtemps. A présent, que lui restait-il ? Les morceaux d'une amitié nullement étanche ? Tout ce qu'il s'était dit, juré, promis, n'avait jamais rien apporté de bon à Camelot. Peut-être faillait-il qu'il meure, après tout, pourquoi espérer un traitement de faveur qui ne viendrait jamais ?
Et si le fait qu'il se sacrifie pouvait changer la donne. Son destin était étroitement lié à celui d'Arthur. Ensemble ils devaient grandir, ensemble ils devaient bâtir, et probablement, ensemble devaient-ils mourir. Mais si leur proximité n'avait rien à voir avec la prophétie ? Si tout cela n'était qu'une vague image censée représenter leur futur ? Merlin avait aidé Arthur, il l'avait épaulé, dans les moments les plus difficiles, il l'avait accompagné partout, dans ses élans de joie, dans ses accès de folie, et dans les innombrables attaques menées contre le royaume, le Roi, le Prince… Tous deux ne pouvaient cracher allègrement sur ces merveilleuses années de prétendue complicité, de respect maladroitement maquillé en amitié. Merlin aimait Arthur. Il avait toujours été sa priorité, et, ce jour-là encore, il le demeurait. Cependant, ces jours de captivité avaient fini par lui ouvrir les yeux sur la vraie nature de ses sentiments, il en avait été effrayé. Puis, il s'était fait à l'idée que c'était ainsi depuis longtemps, que rien ne changerait vraiment, d'autant plus que tout était perdu d'avance.
Merlin se redressa. Ce fut magique. Il s'illumina. De lui émanait une lumière jaune-orangée, paraissant venir de son sourire. C'était comme s'il avait dormi de longues années, enfermé dans une statue de pierre, et, qu'aujourd'hui, la roche se brisait pour laisser place à un nourrisson ou à une réplique parfaite de l'ancien Merlin, quoiqu'un peu maigre. Une détermination malsaine avait pris place dans son regard redevenu bleu. Il allait mourir. Il le fallait. Il ne vivrait pas avec Arthur. Il vivrait dans Arthur. Il voulait que chaque matin, le futur roi se lève avec un dégoût de lui-même, qu'il ingurgite des regrets lors de son petit déjeuné, que chaque épée qu'il touche devienne lourde de lamentations, et que tous les soirs, les larmes brisent avec forces ses fenêtres oculaires, qu'elles le fassent souffrir, qu'elles le torturent, qu'elles écrasent son cœur en riant et surtout, surtout, qu'elles ne le laissent pas indemne. Jamais. Que ces tourments ne cessent jamais, pas tant qu'Arthur ne se rendrait compte de son erreur. De ses erreurs. Des erreurs de son aïeul. Parce qu'il n'y avait que par son propre sacrifice que Merlin parviendrait à accomplir son destin. Unir les cinq royaumes, remettre la magie au cœur de la société. Il fallait qu'il paie pour tous ceux qui avaient succombés avant lui, il fallait qu'il paie pour libérer tous ceux qui vivaient comme des ombres, fuyant la lumière pour se fondre dans l'obscurité, ceux qui craignaient encore les gens, qui n'osaient jamais ouvrir la bouche de peur de se trahir, qui avaient honte d'être ce qu'ils sont, ceux qui pensaient que c'était seulement dans l'au-delà qu'ils trouveraient la paix.
C'était pour eux qu'il devait le faire. Seulement pour eux. Et Arthur s'en rendrait compte. Enfin.
Les gardes n'y comprenaient rien. Ils avaient ouvert des paris : dix écus que le petit ne passerait pas le onzième jour, qu'à force de se priver de nourriture, d'eau, de sommeil, il finirait par tomber d'épuisement, qu'il crèverait de faim et que son corps deviendrait entièrement desséché. Il n'en fut rien. Trois jours avant celui de son exécution, le jeune sorcier mangeait avec appétit, buvait l'eau qu'on lui offrait. Il ne dormait cependant pas. Les gardes disaient qu'il gardait simplement espoir, mais qu'il avait tort. En dehors de son unique repas, Merlin se nourrissait de ses idéaux, il s'imaginait Camelot sous un soleil de plomb, avec des spectacles de magie à tous les coins de rue, le roi discutant, assis sur un banc, avec son nouveau sorcier officiel de la Cour…
Des coups furent frappés contre la grille, puis le prince entra. Merlin se leva précipitamment, oubliant son triste état. Il eut une baisse de tension qui le fit basculer dans les bras d'Arthur. Pendant une poignée de secondes, il ne vit rien d'autre, hormis un voile blanc, et il sentit toutes ses forces le quitter une par une. Arthur le serra. Il s'était saisi de Merlin comme d'une main dans un gouffre. Il ne pouvait plus se séparer de lui, il n'y arriverait pas. Il ignorait, qu'en vérité, Merlin était à demi-inconscient dans ses bras. Il resserra encore plus sa prise, passa une main dans ses cheveux sales.
-Merlin, je vais t'écouter, raconte-moi, dis-moi ce qui t'as poussé à faire cela.
Merlin rouvrit les yeux. Il sentit un corps contre lui. Un corps bouillant, raide. Un corps qu'il n'avait pas envie de voir, pas maintenant, alors que tout devenait clair dans son esprit. Il le repoussa et le fixa durement.
-Je t'en prie, je suis venu te donner une chance de te racheter.
-Je dois mourir.
-Merlin, ne dis pas cela. Raconte-moi simplement.
-C'est mon destin, ce pourquoi je me bats depuis tant d'années, je ne peux faillir.
Arthur ne reconnaissait pas Merlin. Il avait grandi, il était devenu plus imposant, et ce n'était seulement à ce moment qu'il s'en rendait compte. Il se rendait compte qu'il aimait l'homme qui se tenait devant lui, l'incapable qui lui avait servi de serviteur, le seul ami qu'il n'ait jamais eu. Que ferait-il sans lui ?
-Merlin, tu n'es pas obligé de le faire.
-Je le suis. Pour le peuple au-dehors qui réclame du pain, pour ceux qui ne peuvent fermer l'œil de la nuit parce qu'ils sont traqués dans les coins les plus reculés du royaume, au péril de leur propre vie. J'ai confiance en vous, Arthur, en le roi majestueux, juste et tolérant que vous deviendrez, mais pas en votre père. Ses lois infâmes vous empoisonnent l'esprit, et je ne peux vous ouvrir les yeux autrement.
Arthur se senti exploser. Il perçut la lame qui le cassa, fit tomber son corps tel une poupée de chiffon.
-Très bien…
Les mots franchirent ses lèvres avec force, comme s'il tentait de contenir une rage immense.
-Alors, Merlin…
Au nom de tout ce que nous avons vécu, au nom de mon amour, au nom du tien, regarde-moi et dis-moi que tu veux vivre !
-En l'absence permanente de mon père, Uther Pendragon, Roi de Camelot…
Que je retrouve en toi l'espoir, la vie, la joie, que je te garde auprès de moi, pour longtemps, pour toujours !
-J'obtiens quelques-uns de ses pouvoirs, au service bienveillant du royaume.
Cesse de m'observer ainsi, n'avale pas ta punition, n'écoute pas cette sentence, prends-moi simplement dans tes bras.
-Par les pouvoirs qui me sont donc conférés, je te condamne…
Trois mots de toi et j'arrête tout, je suspends le temps, je ne dis pas ce qui m'effraie et ce qui te libérerais, trois mots de toi et tout peut encore changer.
-Je te condamne à mort pour l'usage de sorcellerie au sein-même de Camelot. Comme tout sorcier, tu seras brûlé vif.
Arthur se retourna et partit. Il avait tenté de défier cette machine impitoyable, il s'était risqué à l'arrêter, l'inverser, la détruire. Faire que toutes les vies soient sauves à la fin de l'histoire, que la fin soit aussi blanche que la colombe qui s'envolait l'été passé. Il aurait dû le comprendre, depuis le temps, il n'est pas possible de faire un croche-pied à la tragédie. L'amour ce n'était pas ce qui les sauverait, comme ils le croyaient tous, au fond, ce serait davantage ce qui les ferait sombrer. Ils plongeraient dans les eaux profondes de la mort et n'en ressortiraient pas. Ce n'était pas un drame. Il n'y avait pas de place pour l'espérance. Il n'y en aurait jamais.
Gaïus se rendait aux cachots, comme tant d'autres hommes avant lui. Il y allait d'une démarche assurée. Pourquoi hésiter lorsque l'on sait qu'on ne peut échapper à son destin ? Cela ne sert purement à rien, et le médecin de la Cour était très bien placé pour le savoir. Son assurance ne traduisait cependant pas la douleur qui vrillait son cœur à chaque seconde, à chaque pas. Ce désespoir qui s'accrochait, se collait à sa vieille peau, cette injustice à laquelle il devait faire face sans parler. Sans s'opposer. Parce qu'il était âgé, que ses forces s'amenuisaient, et qu'il savait qu'il n'y pouvait rien. Merlin avait sauté dans le vide, y emportant son destin et la conviction des hommes. Sans lui, tout était perdu. Alors tout était perdu.
Il fallait qu'il le trouve, ce courage. Il fallait qu'il montre à Merlin que malgré la pente glissante et raide, il y aurait toujours ce lierre déplaisant pour le tirer d'affaire. Une corde fragile à laquelle tout homme de raison n'accorderait aucune confiance, et qui, pourtant, demeurerait sa seule et unique chance de voir enfin la lumière.
Dès l'emprisonnement de son pupille, on l'avait à son tour enfermé dans une salle, néanmoins plus agréable que la cellule sombre et froide dans laquelle il s'apprêtait à entrer, et on l'avait interrogé. Sévèrement, sans pitié, comme si ça avait été lui le sorcier. On le regardait avec méfiance, avec mépris, certains de ses tortionnaires, comme il se complaisait à les nommer, en venait à le frapper. Sans vergogne, ils profitaient de l'absence du prince pour se défouler. Ils ne parlaient pas, ils usaient de leur puissance. Gaïus ignorait ce qui le blessait réellement : était-ce les attaques physiques qui l'épuisaient un peu plus chaque jour, ou bien ces paroles amères qui sifflaient à ses oreilles comme la vipère dans les hautes herbes ? Mais il n'était ni sorcier, ni coupable. Car ces deux choses, entendez-le, étaient bel et bien distinctes, bien que le château tout entier, pendu au cou du roi, pensât longuement le contraire.
Il s'assit auprès de Merlin, couché en chien de fusil, les yeux fixés sur le mur. Il attendit un geste, une parole, un soupir, peut-être même qu'il attendit que les gardes ouvrassent la porte avec de grands sourires, que le prince vînt et accueillît Merlin au creux de ses bras. Peut-être était-il assez fou pour croire encore qu'une quelconque issue existait. Mais il se contenta de poser sa main tremblante sur la jambe du prisonnier. Il lui donna un peu de chaleur dans cet univers si glacial. Parce que c'était tout ce qu'il pouvait faire, à présent.
-Je ne sais plus pourquoi je meurs.
Désespoir. Chagrin. Impossible. Destin. Croyance. Devoir. Echec. Trahison. Des mots qui étaient nés dans son esprit au fur et à mesure que le temps avait avancé. Grandir. Obéir. Nier. Respecter. Oublier. S'oublier. Des ordres avec lesquels il avait dû mûrir, avec lesquels il était devenu l'homme qu'il était en ce jour. Abandon. Mort. Victoire. Vengeance. Revanche. Destruction. Ca avait été son quotidien. Et, à présent, il ne savait plus pourquoi il mourait.
Merlin avait toujours su ce qu'il fallait faire, peu importait la situation, son cerveau était réglé pour avoir toutes les cartes entre ses mains, ou, du moins, avoir les meilleures cartes. Tout le dépassait, le devançait. Quand il pensait tenir la solution, elle le faisait abominablement tomber et s'en allait en ricanant. Il tentait d'attraper de la fumée avec ses doigts, de la saisir, de la maintenir fermement entre ses mains. Mais elle parvenait toujours à s'enfuir, empoisonnant l'air de ses particules nauséabondes.
-Merlin…
Le sorcier se redressa sur ses deux coudes, fixa son mentor. Les yeux de ce-dernier s'étaient embués. Il se sentait impuissant, et affreusement lâche.
-J'aimerais tellement pouvoir t'aider, hoqueta Gaïus. Merlin, mon fils, mon garçon, tu as grandi trop vite, je n'ai pas su te retenir, je pensais porter un poids de ton lourd fardeau, mais je ne faisais que le rendre plus pesant encore. Pardonne-moi, je t'en prie, pardonne-moi…
-Je ne sais plus pourquoi je meurs, répéta Merlin, mais je sais qu'il le faut. Certaines choses étaient inscrites dans l'histoire avant-même que les hommes ne naissent, ce jour funeste a été écrit dans la pierre et bientôt le soleil l'éclairera. Albion resplendira. Les cinq royaumes seront unis. Arthur sera le plus grand roi que la Terre n'a jamais porté. Et je saurais que tout ce que j'ai fait n'a pas été vain. Gaïus, plus aucune larme, plus aucune voix ne me sauvera. L'amitié, l'amour, tout ce que j'éloigne depuis que j'ai entrepris d'accomplir mon destin, peut vaincre la pierre qui cloître le cœur des souverains. Je suis prêt à en payer le prix. Je suis né pour mourir.
Merlin releva la tête.
-Je sais qu'après moi, aucun sorcier, aucun être dont le cœur est pur, et dont les intentions sont bonnes, ne mourra pour rien. Il est l'heure, je ne peux attendre plus longtemps. Je peux partir en paix.
Le soleil se dévoila par-delà la colline, il osa se montrer, faisant honneur de sa présence. De ses immenses rayons, il caressa la plaine et, dans l'hypocrisie la plus totale, illumina les champs noircis de cendres. Evidemment, cela n'avait duré qu'une fraction de seconde, les nuages s'étaient ensuite éveillés, furieux d'avoir cédé leur place aussi facilement. Ils avaient cruellement délogé le soleil avant de souffler violemment sur les villages alentours. Comme si cela ne suffisait guère, ils crachèrent une neige épaisse de sorte qu'à la deuxième heure du jour, le paysage était fait de noir et de blanc. Merlin fut réveillé par une sensation de froid particulièrement désagréable. Il chercha en tâtonnant une moindre couverture, et saliva à l'idée d'un délicieux déjeuné préparé par Gaïus. Il ne trouva pas la couverture. Il ouvrit les yeux. Son estomac se tordait de douleur, sa poitrine se contractait, et ce n'était pas parce qu'il avait faim. Pour la première fois depuis qu'on l'avait enfermé, il s'autorisa à pleurer. Tout était fini. Il avait réussi. Et si tout ce qu'il faisait ne donnait aucun résultat ? Alors il mourrait pour rien. Et tant pis. C'était trop tard pour reculer.
Au même moment, dans une chambre spacieuse, où tout était brodé de rouge et d'or, où les seuls nuages noirs se trouvaient derrière la fenêtre close, le prince se préparait. Il se demandait ce qu'il pouvait se passer dans la tête de Merlin, il se demandait également pourquoi il ne ressentait rien. Les chevaliers ne seraient pas présents, hormis Messires Léon et Perceval. Les yeux d'Arthur n'étaient pas rougis. Il n'avait pas encore conscience de ce qui se tramait.
Le roi, quant à lui, souriait à la vue du bûcher qui prenait à forme en bas, sur les pierres blanches de la cour principale.
La tragédie arrivait à son terme, les personnages marchaient vers la sortie de leur démarche lente et peu naturelle. Certains disparaîtraient, d'autres toucheraient enfin ce voile qui les séparait de la lumière. Une fin ne pouvait pas se répéter, elle se devait d'être différente pour chacun. C'était ainsi.
Merlin fut tiré de sa léthargie par Arthur Pendragon, droit et fier, dans le halo orangé des torches. Il avait les bras croisé, le regard dur, la mâchoire serrée. Il parvenait enfin à fixer Merlin, et, même s'il s'obstinait à vouloir le contraire, il ne voyait plus que le traître, le menteur. Oublié son fidèle serviteur, l'homme le plus courageux qu'il ait jamais connu. Il n'y avait plus que le sorcier. Le mal. Deux chevaliers anonymes s'emparèrent du pauvre homme, serrant ses bras maigrelets dans leurs paumes puissantes. Merlin, les paupières tombantes, s'adressa à son prince :
-Il y a une chose que je voulais vous dire, en-dehors de mes dons. Un autre secret, un peu plus complexe et difficile, si cela est encore possible. Croyez-le ou non, cela m'est égal à présent, mais je suis né pour vous servir Arthur, et j'en suis fier. Fier de dire qu'aujourd'hui, hier, et demain, je n'ai aimé et n'aimerais qu'une seule personne. Cette personne c'est vous.
Arthur l'avait entendu. C'était ce qu'il attendait, depuis tellement longtemps. Il ne répondit néanmoins pas. Un geste de la tête. Un soupire. Puis…
-Emmenez-le.
Epilogue (attaché au chapitre trois) : Silence.
Arthur marchait autour des cendres noires, poussait du pied quelques morceaux de bois qui barraient sa route. L'air avait le parfum de la haine et de la guerre. Il ne ressentait rien, ou du moins il ressentait tout. Tout était poussé à l'extrême, aussi bien la honte que le chagrin, tout comme la colère et l'amour. Et tant d'autres sentiments qu'il ne découvrait qu'après coup. Les regards posés sur lui le perforaient, le tuaient une fois, deux fois, mille fois. A côté de lui reposait Merlin. Merlin avait été sa faiblesse. La petite pierre qui avait jalonné la pente glissante et avait créé cette avalanche qu'était la vie du prince. Il avait tout perdu. Tout. Il ne lui restait plus que son titre, ces lettres d'or brodées dans sa cape ridicule. Alors, dans un dernier élan de folie, il ouvrit son cœur. Peut-être était-ce trop tard ?
-Tu vois Merlin, je ne voulais pas en arriver là. Je ne sais pas, ça m'a aveuglé, c'était plus fort que moi. Tu ne sais pas ce que cela fait de sentir en soi une puissance grandissante, de la sentir s'immiscer dans chaque recoin de ton corps. Elle contrôle tes faits et gestes, tu es dépendant d'elle. Je n'ai pas su la contenir, j'étais avide de vengeance. En fait, je crois que j'avais peur, je me cachais derrière mes armoiries et te regardais secrètement. Tu étais une proie tellement facile… Mais, au fond, je pensais que tu tenterais de t'opposer à mon choix. Que tu ne serais pas d'accord. Je ne comprends pas… Si faire de moi le plus grand roi de Camelot était ta destinée, si tu devais me défaire de mes racines pour que je devienne tolérant et juste, pourquoi ne pas t'être rebellé ? Je t'aurais écouté, tu sais. Je t'aurais gardé auprès de moi et je ne serais pas là à regretter, je ne serais pas là à supporter les yeux emplis de douleur des autres. Je t'ai tué, Merlin. Je t'ai tué alors que tu m'as si souvent sauvé la vie. Je n'aurais pas dû t'écouter, j'aurais dû te retenir, ne pas faire attention à cette voix qui me disait que tu n'étais qu'un imbécile, un vantard qui voulait avoir une fin digne des plus grands héros. Parce que ce n'était pas toi. J'aurais dû voir que tu étais perdu, j'aurais dû te retenir. Mais pourquoi ne m'as-tu pas fait ravaler ma fierté ? Pourquoi ne pas me l'avoir enfoncée dans la gorge jusqu'à ce qu'elle m'étouffe ?
Je t'en prie… Je ne voulais pas, ce n'était pas vraiment ce que je désirais… Je t'aimais et je mourais un peu plus chaque minute. Je te voyais accepter ton châtiment, je te voyais dépérir, et je ne pouvais rien faire. J'étais infirme, dépourvu de mains, mon bras n'était plus assez long pour pouvoir te sortir de cette torpeur. On ne peut me reprocher les fautes d'Uther. Merlin, suis-je pire que lui ? Je n'ai pas aimé tuer, je l'ai fait pour le rendre fier, et pour, au passage, me convaincre que je pourrais endosser le rôle de roi de Camelot. Tu me l'avais si souvent répéter… Merlin, ce n'est pas toi l'idiot. Tu es loin de l'être… Alors arrête de jouer à ça… Reviens, je ne recommencerai plus. C'est quoi la vie sans toi ? Ce goût de la vie, tu sais, celui que tu me communiquais avec ton sourire ? Où est-il passé ? L'as-tu emporté ?
Et si seulement je n'avais perdu que cela… J'ai perdu la foi de mes chevaliers, ils me regardent avec indifférence ou mépris. Je ne suis plus « l'élu ». Guenièvre… Guenièvre il y a bien longtemps que je l'ai perdue… Je ne l'ai jamais vraiment possédée. Elle était une façade, un mur qui me séparait de la triste, que dis-je, de la merveilleuse vérité. Elle était toutefois un soutien unique, et je l'ai laissée s'en aller. Elle m'a repoussé, m'a crié que j'étais un monstre. Nombreuses sont les larmes que j'ai vu couler sur ses joues, mais dans celles-là, j'y ai vu le sang qui tache mes mains, j'y ai vu le bourreau que je suis. J'ai pris peur. Elle aussi. Et pourtant, je n'ai pas hoché la tête, non, j'ai encore menti. Merlin ! Je lui ai craché qu'elle avait tort, que c'était toi le fautif et le monstre dans l'histoire. Que tu ne pouvais être l'ami de personne, que tu devais mourir rapidement, ou bien croupir seul, au fond d'une grotte humide. Je t'aime, Merlin, et je veux que tu reviennes. Quitte à prendre ta place ! Je veux pouvoir te regarder une dernière fois encore, t'embrasser, boire tes larmes et tes maux, je veux que nos cœurs battent à l'unisson. Je ne pensais pas que les conséquences seraient telles… Je voulais simplement te punir, je n'avais qu'une vague idée de ce que signifiait le mot « mort »… Une idée abstraite et démesurée, elle me dépassait, et de loin… Comme toi.
Arthur joignit ses deux mains, implorant le ciel, la terre ou la mort :
-Je t'en prie, reviens ! Comment puis-je faire sans toi ? Comment le monde peut-il fonctionner sans toi ? Tu es son moteur, tu es le miens… Reviens, reviens… Je t'aime, je t'aime tellement, je ne voulais pas… S'il te plaît, pardonne-moi…
Le ciel se couvrit et il se mit à pleuvoir. Le vent, comme au commencement, balaya la cour, effaçant toutes les traces, soufflant sur les cendres. Elles volèrent en tous sens et rejoignirent les nuages. Arthur continua de pleurer, attendant une réponse. Mais personne ne lui répondit. Plus personne ne répondrait à ses suppliques. Il était seul. Pour toujours.
-Je ne saurais vivre seul.
Il tira son épée. Il la leva vers le ciel. Elle scintilla un instant, puis retomba lourdement. Tâchée de sang, elle fut celle qui mit le prince à genoux. Il fixait la place noire où avait disparu son aimé, refusant d'entendre les cris stridents de la douleur qui couraient dans tout son corps. Il retira l'épée, son sang chaud ruissela alors sur son armure. Il l'ignora. Son esprit s'embrumait.
-Je t'avais dit de revenir.
La fin avait été écrite, de longues années auparavant. Écrite... A l'encre noire.
Je tenais à dédier cette fanfic à mon grand-père, au passage... Merci d'avoir lu!
