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Douleurs de croissance

Adamaï avait remarqué les douleurs dans les jambes depuis un moment mais ce ne fut qu'au bout de deux jours qu'il comprit que quelque chose n'allait vraiment pas. Depuis son réveil, chacun de ses muscles était douloureux, comme s'il avait été roué de coups de marteau.

Il se trouvait alors dans une des cachettes secrètes d'Oropo, d'où ils attendaient les futurs nouveaux dieux que celui-ci recrutait. Après avoir longuement hésité, il décida de demander conseil à Dame Echo. Après tout, étant une éniripsa, elle savait sûrement de quoi il retournait.

- Tu as quelque chose pour soulager les crises de croissance ? lui demanda-t-il de but en blanc.

- Je te demande pardon ?

- Il arrive que les dragons grandissent par paliers, expliqua-t-il. Un matin on se réveille, on a mal partout et la douleur continue pendant une à quatre semaines. Quand ça s'arrête, on a fini de grandir pour le moment.

- Eh bien… tu m'apprends quelque chose !

Elle l'examina. Il semblait toujours aussi petit mais son organisme présentait une activité inquiétante. Ses cellules internes étaient en train de se multiplier et ce n'était pas le symptôme d'une maladie, elle avait déjà vu assez de malades pour le savoir. Il semblait avoir un de ces emballements physiques qu'ont parfois les adolescents, en dix fois plus intense.

- Je t'avoue que je suis prise au dépourvu, regretta Echo. J'aurais pensé que tu en savais plus que moi sur la croissance des dragons.

- En général, quand un dragon a une crise de croissance, il ou elle s'arrange toujours pour la passer avec son frère ou sa sœur éliatrope. Comme ça, on partage à la fois la croissance et la douleur et…

Adamaï s'interrompit et fit la grimace. Il avait l'impression que son squelette était en train de s'étirer. Echo s'inquiéta :

- Tu ne crois pas que tu devrais aller te coucher ?

-Oui ! avoua Adamaï. Ça ira mieux dans cinq minutes.

Cinq minutes plus tard, ça n'allait pas mieux. Le petit dragon avait toujours aussi mal et il ne savait pas quand cela s'arrêterait. En outre, son estomac gargouillait de faim.

Quel chanceux, ce Yugo ! pensa-t-il soudain. Etant donné que je suis loin de lui, il ne ressent pas la douleur de cette crise de croissance. Il est probablement en train de s'amuser, tranquille. Si seulement il n'avait pas trahi tout ce qui compte pour moi. On serait dans la même chambre en ce moment. On aurait mal ensemble. Ensuite, on se mesurerait contre le linteau de porte où Alibert note sa taille tous les ans depuis qu'il l'a adopté. On comparerait le nombre de centimètres qu'on aurait pris et on en rirait. Oh, tant pis, je n'ai plus besoin de lui.

Adamaï s'efforça de dormir. Echo lui fit boire un antidouleur qui le soulagea à peine. Il passa une nuit pénible et constata le lendemain qu'Oropo était revenu avec une petite osamodas qui devait avoir huit ans tout au plus. Echo le mit au courant de la situation et Oropo se montra très intéressé.

- Si je comprends bien, résuma-t-il tandis qu'Echo quittait la pièce avec la petite osamodas, tu vas grandir pendant les prochaines semaines tandis que Yugo va rester un enfant si tu restes loin de lui.

- C'est cela, souffla Adamaï.

En s'étirant, il remarqua qu'il arrivait à toucher les deux bouts de sa paillasse, ce qui n'était pas arrivé avant. C'était à la fois excitant et effrayant.

- Et quand vous allez vous retrouver, est-ce qu'il va rattraper ce retard de croissance ?

- Je n'en sais rien, avoua le petit dragon. C'est pour cela que les jeunes dragons et leurs frères éliatropes restent toujours ensemble à l'adolescence : pour mieux supporter la douleur si une crise a lieu. Tu veux bien m'envoyer Echo, s'il te plait ? J'aurais besoin d'un autre antidouleur.

Oropo acquiesça. Echo arriva, lui fit avaler une autre potion et resta songeuse. Comme la plupart des éniripsas, elle avait l'habitude des maladies et de la souffrance physique. Cependant, elle n'avait jamais rien vu de pareil de toute sa vie.

- Il faudrait peut-être le réunir avec son frère pendant quelques jours, suggéra-t-elle. Je n'aime pas le tour que ça prend.

-Tu n'y penses pas ? s'exclama Oropo. Voyons, s'il se rapproche de Yugo, celui-ci va forcément se mettre à grandir, lui aussi ! Il faut qu'il reste un gamin prépubère, comme ça il sera plus facile à battre le moment venu !

Adamaï fit semblant de ne pas avoir entendu. Un souvenir lui revenait en mémoire. Quelques mois auparavant, Yugo lui avait parlé de ses sentiments secrets pour Amalia. Il avait aussi avoué qu'il considérait son amour pour elle comme impossible étant donné qu'il avait toujours l'air d'un enfant. Yugo n'avait rien ajouté de plus mais Adamaï savait très bien ce qu'il pensait. Vingt ans, c'est l'âge auquel les filles ont les hormones qui bouillonnent. Même si Amalia partageait les sentiments de Yugo, il y avait au moins un domaine dans lequel cela ne marcherait pas. Quelle fille de vingt ans aurait envie d'embrasser quelqu'un qui a l'air d'en avoir onze ?

Adamaï n'avait jamais oublié la gêne de Yugo et son expression intimidée quand il lui avait avoué ce secret. Il avait alors souhaité avoir une crise de croissance tout de suite pour en faire profiter son frère et lui permettre d'avoir une chance avec Amalia. Malheureusement, ce genre de choses ne se commandait pas.

C'était dommage pour Yugo. En même temps, est-ce qu'il méritait maintenant de ressembler à un adulte ? Après la façon dont il lui avait pris les dofus éliatropes, Adamaï n'arrivait plus à lui faire confiance, pas plus qu'à Amalia ou aux autres. Le priver de quelques centimètres représentait peut-être une punition un peu mesquine mais Adamaï n'était plus à cela près.

- Je vais attendre, marmonna-t-il. J'ai faim, c'est normal ?

- Il va avoir besoin de manger comme quatre, constata Dame Echo.

Adamaï se prit la tête entre les mains. Non seulement il avait faim mais en plus, il n'arrêtait pas de penser à la blanquette d'Alibert, le papa adoptif de Yugo. S'il y avait une chose qu'il avait appréciée à l'époque où il habitait chez lui, c'était la présence d'Alibert. Celui-ci avait beau être débordé de travail, il parvenait quand même à apporter une touche spéciale de tendresse et de chaleur humaine à chaque déjeuner et à chaque dîner. Il avait même pris l'habitude de le border dans son lit tous les soirs, après qu'ils aient réussi à mettre Chibi et Grougal au lit, et de lui souhaiter bonne nuit. On se sentait aimé chez lui.

Non, si je suis brouillé avec Yugo, alors je suis brouillé avec son père aussi. Je ne le reverrai plus jamais…


Pendant la semaine qui suivit, Adamaï ne fit rien à part manger et rester prostré sur son lit. De temps en temps, Echo passait lui administrer des antidouleurs et le forçait à se lever pour qu'il marche. Il avait l'impression de peser une tonne et l'inaction l'accablait.

On entendait parfois du bruit. A un moment, Adamaï entendit un type qui voulait savoir s'il y aurait de la place pour ranger ses slips. Il supposa qu'il avait de la fièvre et cela l'inquiéta. D'ailleurs, même sa propre voix avait maintenant un son étrange.

- Il est en train de muer, constata Echo lors de la visite d'Oropo. Tu sais ce que ça veut dire ?

- Il devient plus fort ?

- Il va devenir insupportable.

En effet, les hormones ne tardèrent pas à se déchaîner dans le corps d'Adamaï. On ne pouvait plus lui adresser la parole sans qu'il pique une crise de colère ou se mette à pleurer. Il manqua de peu de brûler Echo lors d'une de ses visites et elle décida prudemment d'écourter ses visites. Adamaï se trouva presque seul.

Il avait complètement perdu la notion du temps. Par moments, il se croyait encore à l'île d'Oma avec Grougal et parfois, il se voyait baby-sitter le petit Grougal et Chibi avec Alibert. Mais le souvenir qui revenait le plus souvent était celui de la trahison de son frère.

Les dragons et les éliatropes sont censés s'aimer, être proches et toujours veiller sur les dofus. Tu étais la personne qui comptait le plus pour moi mais au lieu de m'écouter et de coopérer avec moi, tu m'as attaqué alors que Dame Echo m'avait simplement convaincu avec des mots. Tu m'as accusé de ne pas me soucier de Tristepin alors que tu savais très bien que c'était mon ami, que je n'ai jamais souhaité qu'il lui arrive malheur. Ensuite, tu as fait comme si c'était moi qui m'étais mal conduit. Comment t'as pu me faire ça ?

Les souvenirs revenaient en rafale. Sous l'effet de la solitude et du choc hormonal, ils se déformaient de plus en plus dans l'esprit du pauvre Adamaï. Une partie de lui lui disait que Yugo était son frère de dofus, son âme sœur, son meilleur ami et qu'il lui était impossible de rester brouiller avec son meilleur ami. Malheureusement, ses pensées s'enflammaient et il finissait toujours par se dire que si Yugo l'avait agressé et trahi, lui, son âme sœur et son frère de dofus, alors il était impossible de lui pardonner.

Et puis, les douleurs de croissance s'effacèrent peu à peu. Un matin, Adamaï constata que son lit était devenu beaucoup trop petit pour lui. Il parvint à se lever, à marcher. Le sol semblait tellement loin de sa tête que c'en était déstabilisant.

Un cri de surprise lui fit tourner la tête. Dame Echo venait d'entrer et le regardait avec stupéfaction. Il lui demanda combien de temps avait duré la crise. Elle répondit qu'il était resté couché trois semaines et demi, qu'elle n'avait jamais vu cela.

- Regarde comme tu es beau ! ajouta-t-elle en le guidant vers un miroir qui reposait dans un coin.

Adamaï se vit en pied pour la première fois depuis quatre semaines. Il arrivait à peine à se reconnaître. Il était trois fois plus grand qu'avant et son corps de bébé avait complètement disparu.

Si j'avais passé ces quatre semaines avec Yugo, il aurait l'air d'avoir quinze ans maintenant… oh, après tout, il l'a bien mérité.

- On en est où du plan ? demanda-t-il en s'efforçant d'avoir l'air calme.

- Oropo va avoir besoin de nous deux. Il faut qu'on aille chercher Goultard.

- Goultard a accepté de nous aider ? s'étonna-t-il.

- Non, regretta la dame. C'est dommage, mais on ne va pas lui demander son avis.

Echo s'attendait à n'importe quelle réaction de la part du dragon. Elle resta stupéfaite quand celui-ci piqua un fou rire incontrôlable. Pendant un instant, elle crut qu'il avait perdu la raison.

- Parfait ! éructa enfin Adamaï quand il se fut un peu calmé. Excellente idée, de se servir de Goultard contre la confrérie. On commence quand ?

Echo répondit qu'elle n'en savait rien et quitta la pièce. Ce qu'elle venait de voir l'avait profondément perturbée. Peut-être qu'elle aurait dû insister pour qu'Adamaï retrouve son frère pendant ces quelques semaines, après tout. Peut-être que cette crise de croissance en solitaire avait altéré son esprit. Pendant quelques instants, il y avait eu quelque chose de presque démoniaque dans l'expression du dragon.

Peut-être que ce ne sont pas nous, les gentils, après tout…

La fin !