La cravate dorée

Je repose ma tasse de café noir, sans sucre, avec un petit claquement de langue. Les gens discutent, lisent le journal, parfois travaillent. Je les observe , ce couple avec enfant, tout en déchirant un muffin à la myrtille avant d'en porter les miettes à la bouche. Ils sont tous les trois beaux à leur manière, avec leur air paisible. Le père est recroquevillé autour de son fils, qui tète un biberon avec une satisfaction contagieuse. On ne saurait dire lequel est le plus heureux. La mère les observe, la tête haute, apparemment fière de ses deux hommes. Que de souvenirs. Je ne peux pas honnêtement dire que ma mémoire garde trace de mes parents dans un endroit comme celui-ci. A vrai dire, nous ne nous voyions presque jamais. Ce qui ne veut pas dire que nous nous regardions lorsque nous étions en présence les uns des autres. Si j'ai passé une grande partie de ma vie dans des lieux ordinaires, mes parents ne sont pas dans le même cas. Café contre restau étoilé, tramway contre jet privé, cinéma contre ambassade. Qui gagne. Je ne les ai jamais enviés, et, pour être honnête, ils ne m'ont pas beaucoup manqué.

Je suis ce que l'on pourrait appeler un gosse de riches. Il est avéré que mes parents étaient aisés, soit, mais je ne crois pas coller à l'image que vous pouvez vous faire d'un fils d'ambassadeurs. Je n'ai pas été élevé par une gouvernante, je n'ai pas de mèche qui me couvre le front ni de chaussures Prada. Je n'ai jamais reçu de Porsche ou de Rolex en guise de cadeau de noël et je ne pars pas aux Maldives pendant l'hiver. C'est pourquoi je suis quelque peu déstabilisé. Je ne me suis, jusqu'à présent, jamais mêlé des affaires de mes parents ni eux des miennes, j'ai ma vie, eux la leur. Cet accord tacite semblait convenir à tout le monde, jusqu'à ce que mes géniteurs décident de m'envoyer à White Shadows. D'après ce que j'en ai appris, c'est là que mon père étudia, avant d'entrer à Eton, puis de devenir ambassadeur au Japon en raison de ses propres origines, d'y rencontrer ma mère, et de me concevoir, tout en continuant à parcourir le monde pour diverses raisons. J'ai donc habité Tôkyô presque toute ma vie, étudiant dans un lycée banal, fréquentant des gens normaux. Il semble que je doive à présent compenser cet excès de normalité par quelque chose de vraiment étrange. Et cette compensation semble être posée entre une montagne et un lac au milieu des landes, être bâtie de pierre grise, abriter quelques dizaines de rejetons des humains les plus puissants de la planète, coûter certainement une fortune et s'appeler White Shadows College Institute.

J'avais déduit ces éléments de la brochure de papier épais dont un coin s'était déjà plié dans mon sac. « Le vol JP437 à destination de Roissy Charles-De-Gaulle, embarquement immédiat porte 37. » Je souris amèrement. Je ne pus choisir si la prononciation du Français par les hôtesses japonaises était naïvement attendrissante ou désespérément consternante. Je rangeais la brochure dans ma besace, torturant le cuir usé pour en fermer la sangle, puis me dirigeais vers le poste de contrôle. Comme d'habitude, les employés de l'aéroport ne purent s'empêcher de me poser de multiples questions lors de la fouille plus poussée qu'ils effectuaient lorsque l'élément métallique n'avait pas été identifié. De loin, j'apparaissais européen. A mi-distance, un japonais artificiellement décoloré portant des lentilles de contact. À proximité, j'étais résolument étrange : indubitablement eurasien, mais d'un genre particulier. J'avais les traits européens, malgré des yeux trop en amande pour en être complètement, la peau mate d'un habitant d'Okinawa et les cheveux blonds d'un Anglais. J'étais un peu trop grand et large pour un Nippon, mais rien d'exceptionnel. Tout mon physique semblait crier : « Je ne sais pas qui je suis ! » , mais la fascination des gens était principalement causée par mes yeux. Je concède que des yeux bridés et pourtant naturellement bleus ne courent pas les rues, mais il n'y avait pas là matière à s'extasier. Pour ma part, je les trouvais étranges et immatériels. J'avais bien essayé de mettre des lentilles noires ou de me teindre les cheveux pour essayer d'échapper aux regards curieux, mais pour totalement me fondre dans la foule, j'aurais dû faire les deux : des cheveux blonds et yeux noirs étant aussi dépareillés qu'un ensemble de mèches sombres avec des yeux clairs, et puis trop d'artificialité me déprimait. Je compensais cette apparence peu commune par une personnalité enjouée sans particularité. Me distinguer n'était pas mon fort. Cela engendre trop de complications et responsabilités, les unes découlant souvent des autres.

Je m'installais dans mon siège, près du hublot, et me préparais à mes 18h de vol. Par hasard, la première chanson que me délivra mon mp3 était celle de Frank Sinatra : « Come fly with me, let's fly, let's fly away… ». Je n'avais pas l'impression de fuir, mais plutôt d'aller m'enterrer dans le fin fond des terres les plus oubliées du monde. Il s'avéra par la suite que je n'avais pas tort. Comme je voyageais en 1ere, j'eus l'agréable privilège de ne pas avoir à supporter près d'une vingtaine d'heures de babillage pseudo sympathique d'un voisin, ou pire, d'une voisine éventuelle. Les repas et les films insipides se succédaient, mais mon temps était principalement occupé par de courtes périodes de sommeil entrecoupées par des réflexions intenses autour du sujet : « Comment un gars comme moi va-t-il survivre au milieu de tous ces tarés à 10 000 km de tout restaurant de râmens digne de ce nom ? ». Généralement, je me rendormais assez rapidement. Réfléchir peut parfois être épuisant, et le sommeil nécessaire à un adolescent de 17 ans difficilement être représenté par un chiffre réel…

Après mon escale à Charles-de-Gaulle, une nouvelle fouille au corps ainsi qu'une salve de questions que j'eus du mal à saisir à cause de l'accent Marseillais de son propriétaire, j'embarquais dans un nouvel avion ridiculeusement petit et m'envolais vers le Nord. J'atterris dans un aéroport à peine digne de ce nom et récupérais mes quelques bagages (les râmens supportent mal le voyage, ce qui explique la taille réduite de mes possessions). Dans le hall d'arrivée, un grand type brun avec une cicatrice sur le nez tenait une pancarte : « M. Uzumaki ». Je me plantais devant lui et lui bafouillai : « Heu…Bonjour… C'est moi…Naruto Uzumaki… » Il me regarda de haut en bas, eut l'air légèrement surpris et finit par lâcher : « Je suis Iruka. Veuillez me suivre» tout en prenant mes valises. Les portes automatiques s'ouvrirent, crachant une bouffée de pluie et de vent annonciatrice de ce qui nous attendait dehors. A Tokyo, nous étions au début de l'automne, tandis qu'ici juillet semblait être oublié depuis des mois. Je resserrais les bras autour de mon pauvre T-Shirt. « Eh beh, au moins on mourra pas de soif ! » lançais-je avec un sourire. Pas de réaction. Okay, elle était pourrie, mais un petit frémissement de lèvre serait le bienvenu, non ? Par bonheur, une énorme berline noire nous attendait juste devant la sortie, si bien que je n'eus à subir l'assaut des gouttes que quelques instants, ce qui suffit portant à me laisser trempé sur les sièges arrière de la voiture. Iruka chargea mes valises dans le coffre et s'installa à la place du conducteur. Alors qu'il faisait ronronner le moteur pour contrer l'humidité, il m'indiqua simplement : « Vous devriez dormir, il y en a pour un moment. Il y a un plaid sous le siège avant. » Un peu étonné, j'extirpais de sous ledit siège une boite en bois patiné contenant une douce couverture de laine. Il ne m'en fallait pas plus pour m'endormir et plongeais dans un sommeil sans rêves. Torturé comme je le fus par les songes dans les nuits qui m'attendaient, j'aurais mieux fait d'en profiter davantage…

Ce fut la faim qui me réveilla, aux dires de ma montre, quelques trois heures plus tard, alors que nous serpentions au milieu de hautes collines, presque des montagnes, vertes et grises parsemées de moutons. Le ciel s'était dégagé mais la route et les herbes luisaient d'humidité. Je vis Iruka jeter un coup d'œil dans le rétroviseur (j'eus l'impression que ça n'était pas la première fois) et, voyant mon air effaré face au paysage, me rassura d'un « nous sommes presque arrivés », qui, de fait, n'eut pas du tout l'effet escompté. C'est alors, au détour de cette route sinueuse, que j'aperçus White Shadows. Les Enfers et le Ciel posés sur l'herbe.

Tout était gris fer et vert tendre. Une colline qui semblait être la plus haute des alentours se dressait, surplombant un lac. Entre la colline et ce lac reposait White Shadows. A vue d'œil, je l'évaluais comme vieux d'au moins trois siècles. Le manoir était le plus haut édifice avec ses trois étages, plus les combles. Il était flanqué de deux ailes identiques pourvues de larges fenêtres de plomb et de pierre, dont les bow-windows semblaient narguer l'eau à seulement quelques pieds au-dessus du lac. On ne distinguait pas grand-chose du parc environnant caché par les arbres immenses qui y prenaient racine. Un saule arrimé à la rive trempait ses branches dans l'eau calme tandis que des rosiers grimpants partaient à l'assaut de la façade.

Avant que je puisse m'apercevoir de quoi que ce soit, les pneus de la voiture crissèrent sur le gravier devant l'escalier menant à la porte principale. Iruka arrêta la voiture, et je crois que je ne serais pas descendu s'il ne m'avait pas ouvert la portière. Je laissais à regrets la couverture sur le siège arrière et m'extrayais du véhicule. Un homme aux cheveux argentés sortit du bâtiment et descendit pour me serrer la main : « Je suis Kakashi, responsable des élèves et professeur de, entre autres, mathématiques, management et relations internationales. » Sa voix était étonnamment claire malgré le masque qui lui couvrait la partie inférieure du visage. Il était mince et semblait porter son costume à trois mille dollars comme s'il avait été en jogging. Sans son masque, il aurait peut-être été beau. Lui rendant sa poignée de main, je lui répondis : «Naruto Uzumaki. Alors, c'est ça White Shadows ? » Ses yeux étincelèrent de fierté et je ne sais quoi d'autre. « Eh oui, c'est ça, White Shadows. » Il me fit signe d'entrer. « Par ici. Normalement la visite devrait être faite par le headstudent, que nous appelons ici « the Earl », mais il est souffrant. » Il tira le lourd panneau de bois et me fit entrer à l'intérieur. « Pas mal, hein ? » Nous nous tenions dans un hall gigantesque. Le sol était couvert de carreaux noirs et blancs sertis de métal doré à leur coins, lequel était presque totalement fondu par l'usure à certaines endroits. Les murs étaient lambrissés de bois sombre. Entre les poutres du plafond, du tissus pourpre damassé avait été tiré. Un lustre de métal terni pendait au centre de la pièce. Lorsque je pensais à refermer la bouche, je vis du coin de l'œil la lueur d'amusement intéressé qui brillait dans le regard de Kakashi. « tu verras, tu t'y feras. » Je le suivis le long de couloirs interminables jusqu'à ce qu'il entre dans une pièce encore plus immense que la précédente. Dans le même style que cette dernière, celle-ci se distinguait cependant par ses proportions étranges : circulaire et pourvue d'un plafond hémisphérique, les trois quarts des murs étaient couverts de livres, apparemment classés davantage par ordre chronologique qu' alphabétique. Le dernier quart était ouvert sur le lac. D'après la vue que nous avions sur le soleil couchant, je compris que nous devions nous trouver à l'angle ouest du bâtiment.

Penché sur une table en acajou couverte de livres, une élève étudiait, ses longs cheveux noirs tombant par dessus son épaule. Il redressa la tête lorsqu'il nous entendit entrer. Kakashi se tourna vers moi : « Neji va te montrer les chambres, et te donner ton uniforme. » Je fis une petite moue à cette mention, ce qui n'échappa pas au-dit Neji, qui me répondit par un petit sourire. Au moins un qui n'avait pas l'air d'avoir un balai tellement enfoncé entre les fesses que le manche lui ressortait par les trous de nez. Kakashi nous lança « A ce soir ! » avec ce que je devinais comme un grand sourire et nous laissa seuls.

« Naruto Uzumaki » dis-je une fois de plus en tendant la main.

-Neji Hyuuga », répondit-il de la même manière. « Bienvenue en enfer » ajouta-t-il d'un sourie carnassier. En temps normal, j'aurais ri de bon cœur, mais cet ajout me glaça. Je me forçai à ricaner. Il me montra le « réfectoire », énorme salle de bal luxueuse couverte de miroirs et tapissée d'or clair, la salle de cours (d'après le nombre de bureaux, nous allions être en nombre relativement réduit), et enfin les chambres. Arrivé devant ma porte, il me tendit une grosse clé de métal noirci, je l'insérais dans la serrure et entrais. La pièce était immense, dans le même style que le reste du manoir. Une énorme armoire très sombre était collée au mur. Le lit à baldaquin aux piliers sculptés aurait pu abriter au bas mot 8 ou 9 personnes. Malgré les fenêtres donnant sur le lac, très peu de lumière dissipait les ombres installées le long des murs. Mes valises m'attendaient déjà sur le tapis. « Ca te plaît ? » me demanda-t-il. Je me rendis compte que j'étais resté bouche bée, contemplant la chambre, tandis qu'il me fixait. Je clignais des yeux et refermais la bouche précipitamment avant de répondre :

« -La chambre ? Oui, bien sûr ! C'est juste que je ne suis pas trop habitué aux trucs comme ça », expliquais-je en me grattant l'arrière de la tête. J'éprouvais soudain le besoin de changer de sujet. Lui montrer ma radicale différence de milieu n'entrait pas dans les objectifs à atteindre pour ne pas me démarquer. « J'ai cru comprendre que White Shadows est un lycée mixte, mais où sont les chambres des filles ? Pas dans l'autre aile au moins ? » Ma mine affamée le fit rire, mais le ton de sa réponse était étrangement mélancolique : « C'est effectivement mixte, mais pas de filles dans l'autre aile. Elle est destinée au proviseur et aux professeurs.

-Elles sont avec nous alors ? m'étonnai-je

-Non. En fait, il n'y a pas de files ici. Pour le moment. » J'ouvris des yeux ronds autant à cause de sa réponse que de son attitude apparemment réticente à répondre à une question aussi anodine. Il se méprit sur mon expression et lança en riant : « Elles ne veulent pas rester » Passant du coq à l'âne, il me parcourut d'un œil désapprobateur et déclara : « Ces fringues ne vont pas vraiment avec le mobilier. Allons chercher ton uniforme. » Je baissai les yeux et observais que j'étais en effet toujours vêtu d'un vieux t-shirt et d'un pantalon informe surplombant des baskets défoncées. Il nous fallait remonter le couloir des chambres pour nous rendre à l'intendance. Je remarquais les symboles qui ornaient chacune des portes t en fit part à mon compagnon. « Ce sont les insignes des familles », m'expliqua-t-il. Au bout du couloir l'une d'elles semblait mise à part. Un éventail rouge et blanc ornait le panneau. Il baissa la voix et m'expliqua : « C'est celle de Sasuke, le headstudent. Va le voir si tu as un problème. » Il me lançait un regard très appuyé. Apparemment, cette information emblait importante, je hochais donc la tête pour montrer que j'avais entendu. Une moue ironique tordit ses lèvres : « Mais pas trop souvent. Il est susceptible et encore plus lorsqu'il est malade comme aujourd'hui. Ne l'énerve pas. Il peut être assez… Blessant. » Quelque chose que je n'arrivais pas à saisir résonnait dans sa voix. Avant que je réussisse à savoir ce que c'était, il détourna la tête et repartit.

Arrivés à l'intendance, il m'introduisit dans la réserve de vêtements. « Mets tes fringues là dedans » Il me tendait un seau apparemment destiné au nettoyage du sol. Je frissonnais lorsque je me retrouvais boxer, pieds nus sur la pierre grise et fraîche. La pluie m'avait refroidi, et l'intérieur du bâtiment n'était pas spécialement chaud, malgré l'épaisseur des murs. Je me retournais pour demander à Neji où se trouvaient les uniformes, mais la manière dont il me regardait me donna la chair de poule. Les mains dans les poches, appuyé contre le mur, les sourcils froncés, il me détallait comme si je venais de l'insulter. Alors que je le fixais, ébahi, il sembla vouloir se fondre dans le mur lorsqu'il rencontra mon regard et paru reprendre contenance. « Heu… » Il s'éclaircit la gorge. « Prends un pantalon dans le tiroir, là. » J'extirpais finalement un pantalon gris foncé, une chemise blanche et un pull gris à col en V brodé de l'insigne de White Shadows : le château surplombant le lac, dominé par la montagne. Je demandais à Neji où se trouvaient les cravates, et fus étonné d'apprendre que chaque famille avait sa propre couleur, la sienne était argentée, celle des Uchiha noire, celle des Nara verte… Je voulus savoir de quelle couleur était la mienne, et un air ravi se peignit sur son visage lorsqu'il souleva un coffre à tiroirs étroits. « Prends-la. » Il n'y avait pas beaucoup de compartiments, une trentaine au maximum. Les trente familles les plus puissantes du monde, parfois à découvert, souvent dans l'ombre, toujours servant leurs propres intérêts. Je trouvais enfin l'étiquette parcheminée « Uzumaki » et l'ouvris. J'en tirais un fin ruban de soie et fus très déçu.

Elle était d'un jaune orangé tout à fait banal. « Quoi, c'est tout ? » m'exclamai-je. Neji se mit à rire. « Viens par là. » Il me mit devant le miroir en pied et me montra comment la nouer. « Tu fais deux fois le tour, tu passes par dessus… » les bras autour de moi, son souffle ma chatouillait le cou, et, étrangement, j'en étais extraordinairement perturbé. Je regardais partout sauf dans la glace de peut de croiser son regard clair, si bien que le lendemain je mis au moins un quart d'heure à nouer cette satanée cravate. « Et voilà ! » annonça-t-il. Ses doigts frais m'effleurèrent la nuque lorsqu'il serra le ruban autour du cou. J'étouffais un glapissement. J'avais eu la brève impression que quelque chose s'était réveillé en moi, et avait rugi si fort que je m'étonnais de n'avoir pas crié moi-même. Un voile de sueur glacé me tomba sur le visage, et je me mis à haleter comme un poisson hors de l'eau. Lorsque je repris mes esprits, j'entendis Neji me demander d'une petite voix : « Euh.. Naruto… Tu veux bien me lâcher s'il te plaît ? Tu me fais mal. » Je tournais la tête et découvris avec stupeur que j'avais saisi son poignet près de mon cou et, vraisemblablement, ne l'avais pas lâché depuis. « Ah.. » Je le libérais. « euh… Désolé ! » Il se massa la main où je commençais à voir apparaître un bleu. « Oh merde ! Je suis désolé ! Je ne sais pas ce qui m'a pris ! J'ai eu cette migraine soudaine et… » Et je m'arrêtais là de peur de passer pour un barge. Il rit un peu, mais je sentais bien que je l'avais effrayé. « C'est pas grave. Bon, voyons l'effet que ça rend maintenant. » Il me poussa plus près du miroir, si bien que je fus pris dans le pinceau de lumière qui passait par la fenêtre.

J'entendis Neji retenir son souffle, et j'avoue que, dans les premiers instants, je n'aurais pu dire qui était à ses côtés. Le gris clair de l'uniforme et le blanc de la chemise soulignaient le ton cuivré de mon cou et de mon visage. La cravate, que j'avais crue orange, était en fait d'or chaud, suivant la couleur de mes cheveux. Le pantalon allongeait mes jambes et les épaules légèrement étroites du pull-over collaient aux muscles de mes épaules. Neji posa son menton sur mon épaule et me dit en riant : Ah ! J'en connais à qui ça ne va pas plaire ça… Ou peut-être qui si. » Il se détourna et murmura : « Peut-être trop. »

« Qu'est-ce que vous foutez là, tous les deux ? » La voix sembla s'infiltrer dans mon conduit auditif et résonner dans mon cerveau, sonnant une alarme, affolant chacune des cellules qui le composaient. Je me retournais lentement. Je savais qu'il ne fallait pas que je perde le contrôle, mais de quoi et pourquoi, je n'en avais aucune idée. Si j'avais été un chat, j'aurais feulé et fait le gros dos tout en se sachant pas si je devais attaquer ou m'enfuir. Je me laissais guider par mon instinct et décidais de le détailler très lentement, des pieds à la tête. Pieds nus. De grandes jambes. Pas de ceinture. La chemise sortie du pantalon, les boutons de manchette ouverts. La taille étroite. Ventre plat. De longues mains, fines et incroyablement blanches, une chevalière ornée d'un rubis au majeur de la main gauche. Une cravate noire, à moitié desserrée. Le col largement ouvert. De la sueur qui perle au creux de sa gorge. Des mèches de cheveux noirs caressant chaque côté de son cou. Le menton ferme, la bouche petite mais charnue, bien dessinée. Le nez fin et droit. Je n'arrive pas à monter plus haut. Je serre les mâchoires et relève la tête d'un coup. Des yeux noirs. Noirs. Infinis. Dangereux. Mortels.

Magnifiques.